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Discours de Benoît XVI à la Rencontre Ecclésiale
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ROME, le 19 octobre 2006 -
(E.S.M.) - Dès après son arrivée en avion à Vérone (Italie), le
pape Benoît XVI a gagné le palais des congrès, où il a prononcé un
discours devant 2.700 personnes (évêques et délégués diocésains)
réunies pour le IV Congrès de l'Eglise italienne.
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Le pape Benoît XVI à Vérone
Visite
pastorale du Saint Père Benoît XVI à Vérone à l'occasion du 4è Rencontre
nationale de l'Eglise italienne
Thème: "Témoins
du Ressuscité, l'espérance du monde".
Les congrès précédents eurent lieu à Rome en 1976 ("Evangélisation
et promotion humaine"), à Lorette en 1985 ("Réconciliation chrétienne et
communauté humaine"), et à Palerme en 1995 ("L'Evangile de la charité pour
une société nouvelle en Italie").
Le Saint Père Benoît XVI s'est rendu aujourd'hui à Vérone à l'occasion de la
4° Rencontre Nationale de l'Église Italienne, pour la rencontre avec
les participants de la Rencontre Ecclésiale.
Tout d'abord le
Président de la Conférence Episcopale Italienne, le Cardinal Camillo Ruini
ainsi que le Doct. Mme Giovanna Ghirlanda, représentant du Diocèse de
Vérone, ont adressé des mots d'hommage et d'accueil au pape. Benoît XVI a
ensuite prononcé un long discours dont nous donnons une synthèse en suivant:
:
"Ce quatrième Congrès national, a dit le Pape
Benoît XVI, est une nouvelle étape sur le chemin de la réalisation du
Concile Vatican II entrepris par l'Eglise italienne, un chemin
d'évangélisation parcouru en étroite collaboration et constante communion
avec le Successeur de Pierre".
Benoît XVI a alors évoqué Paul VI et
Jean-Paul II dont les interventions lors des précédents congrès "ont permis
de renforcer au sein de l'Eglise italienne la confiance d'agir pour que la
foi en Jésus-Christ offre toujours aux hommes et aux femmes de notre époque,
le sens et le but de l'existence".
"La
résurrection du Christ, a-t-il poursuivi en abordant le thème central du
congrès, est un fait historique dont les apôtres furent les témoins et non
les inventeurs. Elle constitue le saut
décisif vers une dimension vitale profondément nouvelle qui se rapporte à
Jésus de Nazareth et avec lui à toute la famille humaine, à l'histoire, à
l'univers tout entier". C'est pour cela qu'elle constitue "le centre
de la prédication et du témoignage chrétien".
La résurrection "a
inauguré une nouvelle dimension d'où émerge un monde nouveau qui pénètre
continuellement le notre, le transforme et l'attire vers elle. Tout ceci se
réalise concrètement à travers la vie et le témoignage de l'Eglise, nous
sommes appelés à être des hommes et des femmes nouveaux pour être les
témoins du Ressuscité, porteurs de joie et d'espérance chrétienne dans le
monde et dans la communauté où nous vivons".
Puis parlant plus
particulièrement de la situation italienne, le Saint-Père a affirmé que le
pays "se présente comme un terrain favorable nécessitant fortement ce
témoignage". L'Italie "appartient à cette culture
dominante en occident selon laquelle seulement ce qui peut être
expérimenté et calculé est rationnellement valide alors que dans le domaine
pratique de la liberté individuelle elle s'érige comme une valeur
fondamentale à laquelle tous les autres doivent se soumettre. Dieu est ainsi
exclu de la culture et de la vie publique et la foi devient plus difficile
parce que nous vivons dans un monde qui se présente comme notre oeuvre dans
laquelle Dieu n'apparaît pas directement et est considéré superflu et
d'autrui".
"L'éthique est enfermée
dans les frontières du relativisme et de l'utilitarisme, d'où tout principe
moral valide et inaliénable est exclu. Il
est alors facile de comprendre que ce type de culture représente une coupure
radicale avec les traditions morales et religieuses de l'humanité et
ne peut établir un vrai dialogue avec les autres cultures, dans lesquelles
la dimension religieuse est fortement présente".
Mais, en
Italie, "l'Eglise est une réalité très vivante et conserve une présence
réelle chez les personnes " et "les traditions chrétiennes sont toujours
enracinées". Cependant "la gravité du danger de
séparer les racines chrétiennes de la civilisation est très
présente y compris chez les personnes qui ne pratiquent pas notre foi".
Dans ce contexte, "nous ne devons pas renoncer, ni nous replier sur
nous-même". Au contraire, "notre dynamisme doit rester vivant et si possible
augmenter, et nous devons nous ouvrir avec confiance à de nouvelles
relations sans délaisser l'énergie qui peut contribuer au développement
culturel et moral de l'Italie".
"Le christianisme, a souligné le
Pape Benoît XVI, est ouvert à tout ce qui est juste, vrai et pur dans les
cultures et civilisations. Les disciples du Christ ont reconnu et accueilli
de bon gré les valeurs authentiques des cultures contemporaines, comme les
connaissances scientifiques et le développement technologique, les droits de
l'homme, la liberté religieuse et la démocratie". Mais nous devons être
conscients de "la fragilité humaine et on ne peut oublier les tensions
internes et les contradictions de notre époque. C'est pour cela que
l'oeuvre évangélisatrice n'est pas une simple adaptation aux cultures,
mais surtout et toujours une purification qui favorise la maturité et
l'assainissement".
"L'être chrétien naît, a expliqué Benoît XVI, non
d'une décision éthique ou idéologique mais de la rencontre avec la personne
de Jésus-Christ. La fécondité de cette rencontre se manifeste également dans
le contexte humain et culturel actuel". Le Pape a cité l'exemple de la
mathématique, création humaine dans laquelle "la correspondance entre ses
structures et les structures réelles de l'univers suscite notre admiration
et interrogation. Cela implique que l'univers est structuré de manière
intelligente, de façon à ce qu'il existe une correspondance profonde entre
notre raison subjective et la raison objective naturelle. Il est donc
inévitable de se demander s'il existe une intelligence originelle qui soit
la source commune aux deux".
Le Saint-Père a encore affirmé que la
personne "a besoin d'être aimée et d'aimer. C'est pour cela qu'elle
s'interroge et se sent démunie face à la dureté de la vie, face au mal qui
existe dans le monde et qui se présente si intense et sans sentiment". De
là, "naît la question s'il peut exister un espace sur dans notre vie pour
l'amour authentique, et en fin, si le monde est réellement l'oeuvre de la
sagesse de Dieu". Après avoir rappelé que Dieu "est
l'origine de tout être humain qu'il aime personnellement et passionnément,
et que celui-ci Lui demande en retour son amour", le Pape a
signalé qu'en Jésus Christ, "Dieu s'est fait un de nous, notre frère,
jusqu'au sacrifice de sa vie pour nous".
"Dieu
nous aime réellement, nous respecte et sauve notre liberté. Il préfère
répondre au pouvoir du mal et du péché par sa patience illimitée et sa
miséricorde, limite qui, concrètement, est la souffrance du Fils de Dieu".
Puis Benoît XVI a confirmé "qu'il est naturel que la croix nous
fasse peur, comme Jésus qui a ressenti peur et angoisse devant elle, mais
elle n'est pas négation de la vie, de ce qu'il faut abandonner pour être
heureux. En échange le "oui" extrême de Dieu à l'homme est l'expression
suprême de son amour et la source de vie pleine et parfaite. Elle offre
l'invitation la plus convaincante à suivre le Christ sur le chemin du don de
soi".
Le Pape a ensuite rappelé la nécessité "d'être toujours prêts
à répondre avec cette force tranquille qui nous vient de
l'union au Christ. Ceci doit être vrai dans la pensée comme dans
l'action, dans le comportement personnel comme dans le témoignage collecti.
Puisse le Seigneur nous guider afin de vivre cette unité dans la vérité et
l'amour selon le contexte d'aujourd'hui, de manière à évangéliser l'Italie
et le monde".
Il a dit alors la nécessité de prendre des décisions
adaptées en matière d'éducation authentique. "Elles sont indispensables pour
créer et développer la grandeur de la vie, et en particulier un amour
accompli". Puis le Pape Benoît XVI a rappelé que l'école catholique "subit
encore de vieux préjugés qui provoquent de mauvais réflexes aujourd'hui
injustifiés notamment à propos de la reconnaissance de sa place et de ses
moyens d'action".
Après avoir souligné combien "l'Eglise a en Italie
une grande tradition de proximité, de solidarité et d'assistance", le
Saint-Père a dit l'importance "d'être tous des témoins de la charité et de
rester imperméables aux influences idéologiques et aux appartenances
politiques. L'action est importante mais notre participation individuelle
aux problèmes et souffrances du prochain".
A propos de l'engagement
politique des catholiques, sujet abordé lors des travaux, le Pape a tenu à
rappeler la distinction traditionnelle entre ce qui est de César et ce qui
est de Dieu. "La liberté religieuse que nous considérons une valeur
universelle est absolument nécessaire au monde car elle est sa racine
historique même. C'est pourquoi l'Eglise n'est pas et ne prétend pas être
une force politique, tout en s'y intéressant de près pour le bien commun et
la justice".
Puis Benoît XVI a dit qu'en matière de politique
nationale "les laïcs catholiques ont un rôle majeur à jouer, à la lumière de
la foi et du magistère et animés par la charité du Christ".
Il a
ensuite indiqué les grands enjeux qui réclament une attention particulière
et un effort extraordinaire: "Les guerres et le terrorisme, la soif et la
faim, les épidémies" doivent être affrontées "avec détermination et clarté,
tout comme les dangers que représentent certaines décisions politiques et
législatives touchant aux valeurs fondamentales, aux principes éthiques et
humanistes enracinés dans la nature humaine, notamment pour ce qui est du
respect et de la défense de la vie à tous ses stades, de la défense de la
famille et du mariage. Il faut en effet empêcher l'introduction dans la loi
d'autres formes d'unions qui contribueraient à affaiblir et réduire leur
caractère spécifique et leur rôle social fondamentaux. Le clair message que
l'Eglise et les catholiques italiens offrent avec respect constitue un
service rendu à l'Italie. C'est un service utile et stimulant pour tant
d'autres pays".
La force nécessaire pour faire face aux
responsabilités, a dit Benoît XVI, doit être puisée dans "l'aliment qu'est
la parole et le corps du Christ, dans l'adoration eucharistique égalemen.
Dans l'union au Christ, a-t-il conclu, Marie nous précède et nous guide.
Elle nous apprend à mieux connaître et aimer le mystère de l'Eglise, à
résister aussi à une certaine sécularisation interne qui provient de la
sécularisation profonde de la civilisation européenne".
Après ce
discours, le Saint-Père a gagné l'évêché de Vérone pour le déjeuner.
A 16 h, il présidera la messe concélébrée dans le stade Bentegodi, puis
regagnera Rome.
Texte intégral du discours du saint Père
:
Chers frères et sœurs!
Je me réjouis d'être avec
vous aujourd'hui, dans cette si belle ville historique de Vérone, pour
prendre activement part au IVe Congrès national de l'Eglise qui est en
Italie. Je présente à tous et à chacun mon plus cordial salut dans le
Seigneur. Je remercie le Cardinal Ruini, Président de la Conférence
épiscopale, et Mme Giovanna Ghirlanda, représentante du diocèse de Vérone,
des paroles d'accueil courtoises qu'ils m'ont adressées en votre nom à tous
et des informations qu'ils m'ont fournies sur le déroulement du Congrès. Je
remercie le Cardinal Dionigio Tettamanzi, Président du Comité préparatoire,
et ceux qui ont travaillé pour sa réalisation. Je remercie de tout cœur
chacun de vous, qui représentez ici, en heureuse harmonie, les diverses
composantes de l'Eglise qui est en Italie : l'Evêque de Vérone, Mgr Flavio
Roberto Carraro, qui nous accueille, les Evêques ici réunis, les prêtres et
les diacres, les religieux et les religieuses, et vous fidèles laïcs, hommes
et femmes, qui donnez voix aux multiples réalités du laïcat catholique en
Italie.
Ce IVe Congrès national constitue une nouvelle étape du
chemin de réalisation du Concile Vatican II, que l'Eglise italienne a
entrepris dès les années qui ont suivi le grand Concile : un chemin de
communion, tout d'abord avec Dieu le Père et avec son Fils Jésus Christ dans
l'Esprit Saint, et donc de communion entre nous, dans l'unité de l'unique
Corps du Christ (cf. 1 Jn 1, 3 ; 1 Co 12, 12-13) ; un chemin tendu vers
l'évangélisation, pour conserver la foi vivante et solide au sein du peuple
italien ; un témoignage tenace, donc, d'amour pour l'Italie et de
sollicitude active pour le bien de ses fils. L'Eglise qui est en Italie a
parcouru ce chemin en union étroite et constante avec le Successeur de
Pierre : je suis heureux de rappeler avec vous les Serviteurs de Dieu Paul
VI, qui fut à l'origine du Ier Congrès, en l'année 1976 désormais lointaine,
et Jean-Paul II, avec ses interventions fondamentales aux Congrès de Lorette
et de Palerme, qui ont renforcé dans l'Eglise italienne la certitude de
pouvoir œuvrer afin que la foi en Jésus Christ continue à offrir, également
aux hommes et aux femmes de notre temps, le sens et l'orientation de
l'existence, et ait ainsi un «rôle-guide et une efficacité entraînante» dans
le chemin de la nation vers son avenir (cf. Discours au Congrès de Lorette,
11 avril 1985, n. 7).
Le Seigneur ressuscité
et son Eglise
C'est dans le même esprit que je suis venu
aujourd'hui à Vérone, pour prier le Seigneur avec vous, partager — ne
serait-ce que brièvement — votre travail de ces journées et vous proposer
une réflexion sur ce qui apparaît vraiment important pour la présence
chrétienne en Italie. Vous avez accompli un choix très heureux en plaçant
Jésus Christ ressuscité au centre de l'attention du Congrès et de toute la
vie et du témoignage de l'Eglise en Italie. La résurrection du Christ est un
fait qui a eu lieu dans l'histoire, dont les Apôtres ont été les témoins et
certainement pas les créateurs. Dans le même temps, celle-ci n'est pas du
tout un simple retour à notre vie terrestre ; elle est en revanche le plus
grand «changement» jamais survenu, le «saut» décisif vers une dimension de
vie profondément nouvelle, l'entrée dans un ordre complètement différent,
qui concerne tout d'abord Jésus de Nazareth, mais nous aussi avec Lui, toute
la famille humaine, l'histoire et l'univers tout entier : c'est pourquoi la
résurrection du Christ est le centre de la prédication et du témoignage
chrétien, depuis le début et jusqu'à la fin des temps. Il s'agit assurément
d'un grand mystère, le mystère de notre salut, qui trouve dans la
résurrection du Verbe incarné son accomplissement et en même temps
l'anticipation et le gage de notre espérance. Mais l'emblème de ce mystère
est l'amour, et ce n'est que dans la logique de l'amour que l’on peut
l’aborder et, d'une certaine manière, le comprendre : Jésus Christ
ressuscite d'entre les morts car tout son être est une union parfaite et
intime avec Dieu, qui est l'amour vraiment plus fort que la mort. Il n'était
q'une seule chose avec la Vie indestructible et pouvait donc donner sa
propre vie en se laissant tuer, mais il ne pouvait pas succomber
définitivement à la mort : lors de la Dernière Cène, il a concrètement
anticipé et accepté par amour sa propre mort sur la croix, la transformant
ainsi en don de soi, ce don qui nous donne la vie, nous libère et nous
sauve. Sa résurrection a donc été comme une explosion de lumière, une
explosion de l'amour qui brise les chaînes du péché et de la mort. Celle-ci
a inauguré une nouvelle dimension de la vie et de la réalité, dont naît un
monde nouveau, qui pénètre sans cesse dans notre monde, le transforme et
l'attire à soi.
Tout cela a concrètement lieu à travers la vie et le
témoignage de l'Eglise ; l'Eglise constitue même les prémisses de cette
transformation, qui est l'œuvre de Dieu et non la nôtre. Celle-ci nous
parvient à travers la foi et le sacrement du Baptême, qui est réellement
mort et résurrection, renaissance, transformation en une vie nouvelle. C'est
ce que note Paul dans la Lettre aux Galates : «Je vis, mais ce n'est plus
moi, c'est le Christ qui vit en moi» (2, 20). C'est ainsi qu'a été
transformée mon identité essentielle et je ne continue à exister que dans ce
changement. Mon propre «moi» m'est ôté et il est inséré dans un nouveau
sujet plus grand, dans lequel mon «moi» se trouve à nouveau, mais
transformé, purifié, «ouvert» à travers l'insertion dans l'autre, en qui il
acquiert son nouvel espace d'existence. Nous devenons ainsi «un dans le
Christ Jésus» (Gal 3, 28), un unique sujet nouveau, et notre moi est libéré
de son isolement. «Moi, mais tout en n'étant plus moi» : telle est la
formule de l'existence chrétienne fondée sur le Baptême, la formule de la
résurrection dans le temps, la formule de la «nouveauté» chrétienne appelée
à transformer le monde. C'est là que se trouve notre joie pascale. Notre
vocation et notre tâche de chrétiens consistent à coopérer pour que
parvienne à son accomplissement effectif, dans la réalité quotidienne de
notre vie, ce que l'Esprit Saint à entrepris en nous avec le Baptême : nous
sommes en effet appelés à devenir des hommes et des femmes nouveaux, pour
pouvoir être de véritables témoins du Ressuscité et, de cette façon, être
des porteurs de la joie et de l'espérance chrétienne dans le monde,
concrètement, dans cette communauté d'hommes et de femmes dans laquelle nous
vivons. Et ainsi, à partir de ce message fondamental de la résurrection
présent en nous et dans notre activité quotidienne, j’en arrive au thème du
service de l’Eglise à l’Italie, à l’Europe et au monde.
Le service de l'Eglise qui est en Italie, à la nation,
à l'Europe et au monde
L'Italie d'aujourd'hui se présente
à nous comme un terrain ayant de profonds besoins et, dans le même temps,
très favorable pour un tel témoignage. Ayant de profonds besoins, parce
qu'elle participe à cette culture qui prédomine en Occident et qui voudrait
se poser comme universelle et autosuffisante, engendrant un nouveau mode de
vie. Il en dérive une nouvelle vague d’illuminisme et de laïcisme, pour
laquelle ne serait rationnellement valable que ce qui peut être expérimenté
et calculable, alors que sur le plan de la pratique de la liberté
individuelle elle est érigée comme valeur fondamentale à laquelle toutes les
autres devraient se soumettre. Ainsi, Dieu reste exclu de la culture et de
la vie publique, et la foi en Lui devient plus difficile, également parce
que nous vivons dans un monde qui se présente presque toujours comme notre
œuvre, dans lequel, pour ainsi dire, Dieu n'apparaît plus directement,
semble devenir superflu, voire même étranger. En étroite relation avec tout
cela, a lieu une réduction radicale de l'homme, considéré comme un simple
produit de la nature, et comme tel n'étant pas réellement libre, et en soi
susceptible d'être traité comme tout autre animal. On a ainsi un authentique
renversement du point de départ de cette culture, qui était une
revendication du caractère central de l'homme et de sa liberté. Dans la même
optique, l'éthique est ramenée entre les limites du relativisme et de
l'utilitarisme, en excluant tout principe moral qui soit valable et
contraignant en lui-même. Il n'est pas difficile de voir que ce type de
culture représente non seulement une rupture radicale et profonde non
seulement avec le christianisme, mais de manière plus générale avec les
traditions religieuses et morales de l'humanité : elle n'est donc pas en
mesure d'instaurer un véritable dialogue avec les autres cultures, dans
lesquelles la dimension religieuse est fortement présente, et ne peut pas
non plus répondre aux questions fondamentales sur le sens et sur la
direction de notre vie. Cette culture est donc marquée par une carence
profonde, mais également par un grand besoin d'espérance inutilement caché.
Cependant l'Italie, comme je le disais, constitue en même temps un
terrain très favorable au témoignage chrétien. En effet, l'Eglise est ici
une réalité très vivante, qui conserve une présence ramifiée au sein des
populations de tous les âges et de toutes les conditions. Les traditions
chrétiennes sont encore souvent enracinées et continuent à produire des
fruits, alors qu'est à l'œuvre un grand effort d'évangélisation et de
catéchèse, adressé en particulier aux nouvelles générations, mais désormais
toujours plus aux familles. En outre, on ressent avec une clarté croissante
l'insuffisance d'une rationalité refermée sur elle-même et d’une éthique
trop individualiste : concrètement, on ressent la gravité du risque de se
couper des racines chrétiennes de notre civilisation. Cette sensation, qui
est diffuse au sein du peuple italien, est formulée expressément et avec
force par un grand nombre d'hommes de culture importants, même parmi ceux
qui ne partagent pas, ou tout au moins ne pratiquent pas notre foi. L'Eglise
et les catholiques italiens sont donc appelés à saisir cette grande
opportunité, et tout d'abord à en être conscients. Notre attitude ne devra
donc jamais être celle d'un repliement sur nous-mêmes, signe de renoncement
: il faut, au contraire, conserver vivant et si possible accroître notre
dynamisme, il faut s'ouvrir avec confiance aux nouvelles relations, ne
négliger aucune des énergies qui peuvent contribuer à la croissance
culturelle et morale de l'Italie. C'est en effet à nous qu'il revient — pas
avec nos pauvres ressources, mais avec la force qui vient de l'Esprit Saint
— de donner des réponses positives et convaincantes aux attentes et aux
interrogations de notre peuple : si nous savons le faire, l'Eglise qui est
en Italie rendra un grand service non seulement à cette nation, mais
également à l'Europe et au monde, car la menace du sécularisme est partout
présente et la nécessité d'une foi vécue en relation avec les défis de notre
temps est tout aussi universelle.
Rendre
visible le grand «oui» de la foi
Chers frères et sœurs,
nous devons à présent nous demander comment, et sur quelles bases, accomplir
une telle tâche. Au cours ce Congrès, vous avez considéré à juste titre,
qu'il est indispensable de donner des contenus concrets et réalisables au
témoignage chrétien, en examinant comment celui-ci peut être accompli et se
développer dans chacun des grands domaines qui composent l'expérience
humaine. Nous serons ainsi aidés à ne pas perdre de vue notre action
pastorale et le lien entre la foi et la vie quotidienne, entre la
proposition de l'Evangile et les préoccupations et les aspirations qui
tiennent le plus au cœur des personnes. Au cours de ces journées, vous avez
donc réfléchi sur la vie affective et sur la famille, sur le travail et sur
la fête, sur l'éducation et sur la culture, sur les situations de pauvreté
et de maladie, sur les devoirs et les responsabilités de la vie sociale et
politique.
Quant à moi, je voudrais souligner comment, à travers ce
témoignage multiforme, doit surtout apparaître ce grand «oui» qu'en Jésus
Christ Dieu a dit à l'homme et à sa vie, à l'amour humain, à notre liberté
et à notre intelligence ; comment la foi dans le Dieu au visage humain
apporte la joie dans le monde. Le christianisme est en effet ouvert à tout
ce qu'il y a de juste, de vrai et de pur dans les cultures et dans les
civilisations, à ce qui réjouit, réconforte et fortifie notre existence.
Saint Paul, dans la Lettre aux Philippiens, a écrit : «Tout ce qui est vrai
et noble, tout ce qui est pur et juste, tout ce qui est digne d'être aimé et
honoré, tout ce qui s'appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela,
prenez-le à votre compte» (4, 8). Les disciples du Christ reconnaissent donc
et accueillent volontiers les valeurs authentiques de la culture de notre
temps, comme la connaissance scientifique et le développement technologique,
les droits de l'homme, la liberté religieuse, la démocratie. Ils n'ignorent
pas, et ne sous-évaluent donc pas, cette dangereuse fragilité de la nature
humaine qui constitue une menace pour le chemin de l'homme dans chaque
contexte historique ; ils ne négligent pas, en particulier, les tensions
intérieures et les contradictions de notre époque. C'est pourquoi l'œuvre
d'évangélisation n'est jamais une simple adaptation aux cultures, mais elle
est aussi toujours une purification, une rupture courageuse qui devient
maturation et guérison, une ouverture qui permet de naître à cette «créature
nouvelle» (2 Co 5, 17 ; Ga 6, 15) qui est le fruit de l'Esprit Saint.
Comme je l'ai écrit dans l'Encyclique Deus caritas est, à la base du
fait d'être chrétien — et donc à l'origine de notre témoignage de croyants —
il n'y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec
la Personne de Jésus Christ, «qui donne à la vie un nouvel horizon et par là
son orientation décisive» (n. 1). La fécondité de cette rencontre se
manifeste aussi, de manière particulière et créative, dans le contexte
humain et culturel actuel, tout d'abord en relation avec la raison qui a
donné vie aux sciences modernes et aux technologies qui en dérivent. Une
caractéristique fondamentale de ces dernières est en effet l'emploi
systématique des instruments des mathématiques, afin de pouvoir œuvrer avec
la nature et mettre ses immenses énergies à notre service. Les mathématiques
comme telles sont une création de notre intelligence : la correspondance
entre leurs structures et les structures réelles de l'univers — qui est le
présupposé de tous les développements scientifiques et technologiques
modernes, déjà expressément formulé par Galileo Galilei avec sa célèbre
affirmation que le livre de la nature est écrit en langage mathématiques —
suscite notre admiration et pose une grande question. Cela implique en effet
que l'univers lui-même est structuré de manière intelligente, de manière à
ce qu'il existe une correspondance profonde entre notre raison subjective et
la raison objective de la nature. Il devient alors inévitable de se demander
s'il n'existe pas une unique intelligence originelle, qui est la source
commune de l'une et de l'autre. Ainsi, c'est précisément la réflexion sur le
développement des sciences qui nous ramène vers le Logos créateur. La
tendance à accorder la primauté à l'irrationnel, au hasard et à la
nécessité, et à ramener à celui-ci également notre intelligence et notre
liberté, est ainsi renversée. Sur ces bases, il devient également à nouveau
possible d'élargir les horizons de notre rationalité, de l'ouvrir à nouveau
aux grandes questions du vrai et du bien, de conjuguer entre elles la
théologie, la philosophie et les sciences, dans le plein respect de leurs
propres méthodes et de leur autonomie réciproque, mais également en ayant
conscience de l'unité intrinsèque qui les relie. C'est une tâche qui nous
revient, une aventure fascinante dans laquelle il vaut la peine de
s'engager, pour donner un nouvel élan à la culture de notre temps et pour
restituer, en celle-ci, sa pleine citoyenneté à la foi chrétienne. Le
«projet culturel» de l'Eglise qui est en Italie est sans aucun doute, dans
ce but, une heureuse intuition et une contribution très importante.
La personne humaine. Raison, intelligence, amour
La personne humaine n'est, d'autre part, pas uniquement raison et
intelligence, même si elles sont des éléments constitutifs de celle-ci. La
personne humaine porte en elle-même, inscrit au plus profond de son être, le
besoin d'amour, d'être aimée et d'aimer à son tour. C'est pourquoi elle
s'interroge, et souvent s'égare devant les difficultés de la vie, devant le
mal qui existe dans le monde et qui apparaît si fort et, dans le même temps,
radicalement privé de signification. A notre époque en particulier, malgré
tous les progrès accomplis, le mal n'est absolument pas vaincu ; au
contraire, son pouvoir semble se renforcer et l'on a tôt fait de démasquer
toutes les tentatives de le cacher, ainsi que le démontre à la fois
l'expérience quotidienne et les grands événements historiques. La question
de savoir si dans notre vie il peut exister un espace sûr pour l’amour
authentique et en dernière analyse, si le monde est vraiment l’œuvre de la
sagesse de Dieu, se repose donc avec insistance. Ici, bien plus que tous les
raisonnements humains, vient à notre secours la nouveauté bouleversante de
la révélation biblique : le Créateur du ciel et de la terre, l'unique Dieu
qui est la source de tout être, cet unique Logos créateur, cette raison
créatrice, sait aimer personnellement l'homme, plus encore il l'aime
passionnément et il veut être à son tour aimé. Cette raison créatrice, qui
dans le même temps est amour, donne pour cela vie à une histoire d'amour
avec Israël, son peuple, et au cours de cette longue histoire, face aux
trahisons du peuple, son amour se démontre riche d'une inépuisable fidélité
et miséricorde, c'est l'amour qui pardonne au-delà de toute limite. En Jésus
Christ, une telle attitude parvient à sa forme extrême, inouïe et dramatique
: en Lui, en effet, Dieu se fait l'un d'entre nous, notre frère en humanité,
et il va même jusqu'à sacrifier sa vie pour nous. Dans la mort sur la croix
— apparemment le plus grand mal de l'histoire — s'accomplit donc «le
retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne pour relever
l'homme et le sauver — tel est l'amour dans sa forme la plus radicale», dans
lequel se manifeste ce que signifie «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8) et l'on
comprend également ce que l'on doit définir comme l'amour authentique (cf.
Enc. Deus caritas est, nn. 9-10 et 12).
C'est précisément parce qu'il
nous aime véritablement que Dieu respecte et sauve notre liberté. Au pouvoir
du mal et du péché, il n'oppose pas un pouvoir plus grand mais — comme nous
l’a dit notre bien-aimé Pape Jean-Paul II dans l'Encyclique Dives in
misericordia et, une dernière fois, dans son livre Mémoire et identité, son
véritable testament spirituel — il préfère mettre la limite de sa patience
et de sa miséricorde, cette limite qui est, concrètement, la souffrance du
Fils de Dieu. Ainsi, notre souffrance également est transformée de
l'intérieur, elle est introduite dans la dimension de l'amour et elle
renferme une promesse de salut. Chers frères et sœurs, tout cela Jean-Paul
II ne l'a pas seulement pensé, ni même seulement cru avec une foi abstraite
: il l'a compris et vécu avec une foi mûrie dans la souffrance. Sur ce
chemin, en tant qu'Eglise, nous sommes appelés à le suivre, de la manière et
dans la mesure que Dieu dispose pour chacun de nous. La croix nous fait peur
à juste titre, comme elle a provoqué peur et angoisse en Jésus Christ (cf.
Mc 14, 33-36) : mais elle n'est pas la négation de la vie, dont il faut se
débarrasser pour être heureux. Elle est en revanche le «oui» extrême de Dieu
à l'homme, l'expression suprême de son amour et la source dont jaillit la
vie pleine et parfaite : elle contient donc l'invitation la plus
convaincante à suivre le Christ sur la voie du don de soi. Je tiens ici à
adresser une pensée affectueuse particulière aux membres souffrants du corps
du Seigneur : ces derniers, en Italie comme partout à travers le monde,
complètent ce qui manque aux souffrances du Christ dans leur propre chair (cf.
Col 1, 24) et ils contribuent ainsi de la manière la plus efficace au salut
commun. Ils sont les témoins les plus convaincants de cette joie qui vient
de Dieu et qui donne la force d'accepter la croix dans l'amour et dans la
persévérance.
Nous savons bien que ce choix de la foi et de suivre le
Christ n'est jamais facile : il est toujours en revanche entravé et
controversé. L'Eglise demeure donc un «signe de contradiction», sur les
traces de son Maître (cf. Lc 2, 34), même à notre époque. Mais nous ne
perdons pas courage pour autant. Au contraire, nous devons être prêts à
donner une réponse (apo-logia) à quiconque nous demanderait raison (logos)
de notre espérance, comme nous invite à le faire la première Epître de Saint
Pierre (3, 15), que vous avez choisie de manière très opportune comme guide
biblique pour le chemin de ce Congrès. Nous devons répondre «avec douceur et
respect, en possession d'une bonne conscience» (3, 15-16), avec cette douce
force qui vient de l'union avec le Christ. Nous devons le faire dans tous
les domaines, sur le plan de la pensée et de l'action, des comportements
personnels et du témoignage public. La forte unité qui s'est réalisée dans
l'Eglise des premiers siècles entre une foi amie de l'intelligence et une
pratique de vie caractérisée par l'amour réciproque et par une attention
emplie d'égards portée aux pauvres et aux personnes qui souffrent, a rendu
possible la première grande expansion missionnaire du christianisme dans le
monde gréco-romain. Ainsi en a-t-il été par la suite, dans divers contextes
culturels et situations historiques. Cela reste la voie maîtresse pour
l'évangélisation : que le Seigneur nous guide à vivre cette unité entre
vérité et amour dans les conditions propres à notre époque, pour
l'évangélisation de l'Italie et du monde d'aujourd'hui. J'en viens ainsi à
un point important et fondamental, c'est-à-dire l'éducation.
L'éducation
Concrètement, pour que
l'expérience de la foi et de l'amour chrétien soit accueillie et vécue et se
transmette d'une génération à l'autre, l'éducation de la personne est une
question fondamentale et décisive. Il faut se préoccuper de la formation de
son intelligence, sans négliger celle de sa liberté et sa capacité d'aimer.
Et pour cela, il est nécessaire de recourir aussi à l'aide de la Grâce.
C'est uniquement de cette manière que l'on pourra contrer efficacement ce
risque pesant sur le destin de la famille humaine qui réside dans le
déséquilibre entre la croissance si rapide de notre pouvoir technique et la
croissance bien plus laborieuse de nos ressources morales. Une éducation
véritable doit réveiller le courage des décisions définitives, qui sont
aujourd'hui considérées comme un lien qui porte atteinte à notre liberté,
mais qui en réalité sont indispensables pour grandir et parvenir à quelque
chose de grand dans la vie, en particulier pour faire mûrir l'amour dans
toute sa beauté : et donc pour donner consistance et signification à la
liberté elle-même. C'est de la sollicitude pour la personne humaine et sa
formation que viennent nos «non» à des formes affaiblies et déviées d'amour
et aux contrefaçons de la liberté, ainsi qu'à la réduction de la raison
uniquement à ce qui est calculable et manipulable. En vérité, ces «non» sont
plutôt des «oui» à l'amour authentique, à la réalité de l'homme comme il a
été créé par Dieu. Je veux exprimer ici toute mon estime pour l'important
travail de formation et d'éducation que les Eglises singulières ne se
lassent jamais d'accomplir en Italie, pour leur attention pastorale aux
nouvelles générations et aux familles : merci de cette attention! Parmi les
multiples formes de cet engagement je ne peux manquer de rappeler, en
particulier, l'école catholique, parce qu'à son encontre subsistent encore,
dans une certaine mesure, des préjugés anciens, qui engendrent des retards
regrettables, et qui ne sont désormais plus justifiables, en vue d'en
reconnaître la fonction et de permettre concrètement son activité.
Témoignages de charité
Jésus nous
a dit que tout ce que nous ferions aux plus petits de ses frères, c'est à
Lui que nous le ferions (cf. Mt 25, 40). L'authenticité de notre adhésion au
Christ se vérifie donc en particulier dans l'amour et dans la sollicitude
concrète pour les plus faibles et les plus pauvres, pour qui se trouve en
plus grand danger et dans des difficultés majeures. L'Eglise qui est en
Italie a une grande tradition de proximité, d'aide et de solidarité envers
les plus démunis, les malades, les laissés-pour-compte, qui trouve son
expression la plus élevée dans une série merveilleuse de «Saints de la
charité». Cette tradition continue encore aujourd'hui et prend en charge les
nombreuses formes de nouvelles pauvretés, morales et matérielles, à travers
la Caritas, le volontariat social, l'œuvre souvent cachée de si nombreuses
paroisses, communautés religieuses, associations et groupes, personnes
individuelles mues par l'amour du Christ et de leurs frères. L'Eglise qui
est en Italie, en outre, fait preuve d'une extraordinaire solidarité envers
les infinies multitudes des pauvres de la terre. Il est donc plus que jamais
important que tous ces témoignages de charité conservent toujours haut et
clair leur profil spécifique, se nourrissant d'humilité et de confiance dans
le Seigneur, en gardant leur liberté vis-à-vis de suggestions idéologiques
et de sympathies de parti, et surtout en mesurant leur propre regard sur le
regard du Christ : l'action pratique est donc importante mais notre
participation personnelle aux besoins et aux souffrances de notre prochain
compte encore davantage. Ainsi, chers frères et sœurs, la charité de l'Eglise
rend visible l'amour de Dieu dans le monde et rend ainsi convaincante notre
foi dans le Dieu incarné, crucifié et ressuscité.
Responsabilités civiles et politiques des catholiques
Votre Congrès a également affronté à juste titre le thème de la
citoyenneté, c'est-à-dire les questions des responsabilités civiles et
politiques des catholiques. Le Christ en effet est venu pour sauver l'homme
réel et concret, qui vit dans l'histoire et dans la communauté, et c'est
pourquoi le christianisme et l'Eglise, dès les origines, ont également eu
une dimension et une vertu publiques. Comme je l'ai écrit dans l'Encyclique
Deus caritas est (cf. nn. 28-29), sur les relations entre religion et
politique, Jésus Christ a apporté une nouveauté substantielle, qui a ouvert
la voie à un monde plus humain et plus libre, à travers la distinction et
l'autonomie réciproque entre l'Etat et l'Eglise, entre ce qui est à César et
ce qui est à Dieu (cf. Mt 22, 21). La liberté religieuse elle-même, que nous
percevons comme une valeur universelle, particulièrement nécessaire dans le
monde d'aujourd'hui, trouve ici sa racine historique. L'Eglise, par
conséquent, n'est pas et n'entend pas être un agent politique. Dans le même
temps, elle a un intérêt profond pour le bien de la communauté politique,
dont l'âme est la justice, et elle lui offre à un double niveau sa
contribution spécifique. La foi chrétienne, en effet, purifie la raison et
l'aide à mieux être elle-même : à travers sa doctrine sociale par
conséquent, argumentée à partir de ce qui est conforme à la nature de tout
être humain, l'Eglise contribue à faire en sorte que ce qui est juste puisse
être efficacement reconnu puis également réalisé. Dans ce but, il y a
clairement un besoin indispensable des énergies morales et spirituelles qui
consentent de placer les exigences de la justice avant les intérêts
personnels, ou ceux d'une catégorie sociale, ou même d'un Etat : ici, à
nouveau, il y a pour l'Eglise un espace très large, pour enraciner ces
énergies dans les consciences, les alimenter et les renforcer. Le devoir
immédiat d'agir dans le domaine politique pour construire un ordre juste
dans la société n'est donc pas celui de l'Eglise en tant que telle, mais
celui des fidèles laïcs qui œuvrent en tant que citoyens sous leur propre
responsabilité : il s'agit d'un devoir de la plus grande importance, auquel
les chrétiens laïcs italiens sont appelés à se consacrer avec générosité et
avec courage, éclairés par la foi et par le magistère de l'Eglise et animés
par la charité du Christ.
Une attention particulière et un
extraordinaire engagement sont exigés aujourd'hui par ces grands défis dans
lesquels de larges portions de la famille humaine sont davantage en danger :
les guerres et le terrorisme, la faim et la soif, certaines épidémies
terribles. Mais il faut également faire face avec tout autant de
détermination et de clarté d'intention, au risque de choix politiques et
législatifs qui contredisent des valeurs fondamentales et des principes
anthropologiques et éthiques enracinés dans le nature de l'être humain, en
particulier en ce qui concerne la protection de la vie humaine dans toutes
ses phases, de la conception à la mort naturelle, et la promotion de la
famille fondée sur le mariage, en évitant d'introduire dans l'ordre public
d'autres formes d'union qui contribueraient à la déstabiliser, en occultant
son caractère particulier et son irremplaçable rôle social. Le témoignage
ouvert et courageux que l'Eglise et les catholiques italiens ont donné et
donnent actuellement à cet égard sont un service précieux rendu à l'Italie,
utile et stimulant également pour de nombreuses autres nations. Cet
engagement et ce témoignage font assurément part de ce grand «oui» que, en
tant que chrétiens, nous disons à l'homme aimé de Dieu.
Etre unis au Christ
Chers frères et
sœurs, les devoirs et les responsabilités que ce Congrès ecclésial met en
évidence sont sans aucun doute importants et multiples. Nous sommes donc
stimulés à avoir toujours à l'esprit que nous ne sommes pas seuls pour en
porter le poids : nous nous soutenons en effet les uns les autres et,
surtout, le Seigneur lui-même guide et soutient la fragile barque de l'Eglise.
Nous revenons ainsi au point d’où nous sommes partis : il est décisif que
nous soyons unis à Lui, et donc entre nous, que nous demeurions avec Lui
pour pouvoir « aller » en son nom (cf. Mc 3, 13-15). Notre force véritable
est donc de nous nourrir de sa parole et de son corps, de nous unir à son
offrande pour nous, comme nous le ferons dans la Célébration de cet
après-midi, de l'adorer présent dans l'Eucharistie : avant toute activité et
tout programme de notre part, en effet, il doit y avoir l'adoration, qui
nous rend vraiment libres et nous donne les critères pour agir. Dans l'union
avec le Christ, la Vierge Marie, tant aimée et vénérée dans chaque région de
l'Italie, nous précède et nous guide. En Elle, nous rencontrons, pure et
sans déformation, la véritable essence de l'Eglise et ainsi, à travers Elle,
nous apprenons à connaître et à aimer le mystère de l'Eglise qui vit dans
l'histoire, nous sentons plus profondément que nous en faisons partie, nous
devenons à notre tour des «âmes ecclésiales», nous apprenons à résister à
cette «sécularisation intérieure» qui menace l'Eglise de notre temps,
conséquence de processus de sécularisation qui ont profondément marqué la
civilisation européenne.
Chers frères et sœurs, élevons ensemble au
Seigneur notre prière , humble mais emplie de confiance, afin que la
communauté catholique italienne, insérée dans la communion vivante de l'Eglise
en tout lieu et en tout temps, et étroitement unie autour de ses Evêques,
apporte avec un élan renouvelé à cette bien-aimée nation et dans toutes les
régions de la terre, le témoignage joyeux de Jésus ressuscité, espérance de
l'Italie et du monde.
© Copyright du texte original en
italien : Libreria Editrice Vaticana
Sources:
Vatican - VIS 1600
-
E.S.M.
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 19.10.2006 - BENOÎT XVI |