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L’ecclésiologie de Ratzinger -
Benoît XVI
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Le 04 avril 2023 -
E.S.M.
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Discours de Monseigneur Massimo Camisasca à la
conférence "L'héritage de Benoît XVI" à Cesena. « Il
exerçait une liberté et une ouverture absolues de la
raison, mais d'une raison croyante »
(Tempi.it)
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Benoît XVI -
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L’ecclésiologie de Ratzinger -
Benoît XVI
Mgr Massimo Camisasca - 24 mars 2023
Le 04 avril 2023 -
E.S.M. -
Aborder la réflexion de Joseph Ratzinger/Benoît XVI sur l’Église,
c’est comme aborder un océan. Tant par son étendue que par sa
profondeur. Il faut donc faire des choix.
J’ai choisi trois textes que j’ai considérés comme particulièrement
significatifs, écrits par notre auteur à trois périodes différentes
de sa vie et de sa réflexion théologique.
- Le premier, publié en 1958 alors que Ratzinger avait 31 ans,
concerne le rapport entre l’Église et la liturgie.
- Le second, intitulé Communion-Communauté-Mission, date de 1983,
alors que Ratzinger occupait depuis peu le poste de préfet de la
Congrégation pour la foi.
- Le troisième, intitulé L’ecclésiologie de la Constitution
Lumen Gentium, est une communication faite en
2000 lors du Congrès consacré au Concile Vatican II, 35 ans après sa
conclusion.
Avant d’entrer dans la réflexion de Ratzinger sur l’Église, telle
qu’elle ressort de ces trois contributions, je voudrais faire
quelques remarques méthodologiques simples.
1- Si on lit patiemment et attentivement ses textes, on peut
vraiment constater une continuité fondamentale dans sa réflexion
théologique. Cela n’a aucun sens de parler de lui comme d’un
théologien « progressiste et conciliaire » qui deviendrait, en
raison des nouvelles fonctions assumées dans l’Église, un «
conservateur, partisan du centralisme romain, défenseur de
l’Institution même au détriment de la liberté des fidèles ». En
réalité, c’est exactement le contraire que l’on constate. Ratzinger
a vécu sa tâche de théologien en exerçant une liberté absolue et une
ouverture de la raison, mais d’une raison croyante. Il s’est
toujours situé dans la foi de l’Église, en scrutant en particulier
la foi apostolique et celle des Pères, en référence constante à
l’Écriture Sainte et à la Tradition de l’Église. Il a cherché de
nouvelles voies pour répondre aux questions toujours changeantes que
l’humanité posait à l’Église, à son Magistère et à ses théologiens.
Ratzinger aimait l’histoire, en particulier l’histoire de l’Église
et l’histoire des dogmes, toujours intégrée dans l’histoire des
peuples et des nations, c’est-à-dire des cultures. Il n’en avait pas
peur, même lorsqu’elle semblait poser des problèmes radicaux à
l’esprit du croyant. Il aimait aussi les sciences physiques,
juridiques et politiques, la littérature et l’art. Il aimait
l’homme. Il entendait ainsi répondre indirectement aux problèmes
posés au début du siècle par la crise moderniste, selon laquelle les
données de la foi devaient être soumises aux jugements des sciences
humaines. Il l’a assumé, même dans le domaine de l’exégèse et de la
critique biblique, afin de réconcilier la modernité et le
christianisme.
Sa conception du rapport raison-foi pourrait s’exprimer ainsi : il
doit y avoir une réponse à ce problème, même si nous ne la
connaissons pas encore. Cherchons-la. Éclairés par la foi de
l’Église, nous la trouverons comme une nouvelle illumination issue
d’une foi ancienne et toujours nouvelle.
2- Dès ses premiers écrits des années 1950, nous pouvons voir
comment il a anticipé la révolution provoquée par le Concile en ce
qui concerne la recherche et l’enseignement théologiques. Jusque
dans les années 1960, les traités de théologie étaient basés sur un
exposé systématique à dominante philosophique. Chez Ratzinger, un
nouveau climat est immédiatement perceptible. Ses fondements sont
les Ecritures, la vie de l’Eglise avec au centre la conscience
priante du peuple, les écrits des saints en commençant par les
Pères, jusqu’aux grands maîtres spirituels de tous les temps. Il a
ainsi ouvert les fenêtres de l’étude théologique, non pas pour
laisser entrer l’esprit du monde, mais pour permettre à l’Esprit de
Dieu de renouveler son Église.
Église et liturgie
Ce n’est pas du tout un hasard si l’un des premiers textes
d’ecclésiologie des Opera Omnia de notre auteur parle de la relation
entre l’Église et la liturgie. Même si le Concile s’ouvrira cinq ans
plus tard, l’attention de Ratzinger est déjà tournée vers l’Église
en tant que mystère. Par rapport à la vision de l’Église comme
société parfaite qui prévalait à la fin du Moyen-Âge et à l’époque
moderne, cette vision est totalement nouvelle. Rien n’est renié de
ce qui est substantiel dans la réflexion du passé. Aucune
condescendance à l’égard d’une vision de l’Église comme pure
communauté spirituelle.
Au contraire, Ratzinger parle toujours d’une interconnexion entre
l’Église visible et invisible. L’accent est immédiatement
sacramentel : l’Église est l’œuvre de Dieu dans l’histoire humaine.
C’est pourquoi la liturgie en est le centre.
Entrons maintenant dans le vif du sujet.
Cette leçon commence par une relecture des textes évangéliques qui
font référence à la purification du Temple de Jérusalem par Jésus,
soit au début, soit à la fin de sa mission. Le théologien y voit non
seulement la révolte contre la « dégénérescence marginale », mais la
prophétie de la fin du provisoire par rapport au définitif : « Jésus
remplace le culte du Temple précédent par un culte dont le centre
est son corps transfiguré » . Le lien entre l’Église et la liturgie
est déjà immédiatement évident.
Le véritable culte ne peut jamais être réduit à un ensemble de
rituels ou d’observances. Il est « la présence de Dieu parmi les
hommes et la glorification de Dieu par les hommes » . (Tout cela est
merveilleusement développé dans le volume Introduction à l’esprit de
la liturgie).
L’Église est donc le lieu de culte de l’humanité, le vrai temple
dans le monde, « le lieu vivant du culte de l’éternité dans le temps
» .
Pour nous expliquer ce qu’est l’Église, Ratzinger développe ici une
histoire des mots que dans ce contexte nous ne pouvons pas
reparcourir. Dans l’Ancien Testament, le mot ecclesia désigne
l’assemblée cultuelle, teintée également d’un sens politique. Dans
le Nouveau Testament, il désigne proprement la communauté. Aussi
bien la communauté locale que la totalité de l’ unique Église, bien
que pour Ratzinger l’élément premier soit l’idée de l’Église
universelle. Mais cette unique Église se réalise dans l’assemblée du
culte. Toutes les communautés eucharistiques sont telles parce
qu’elles sont l’expression de l’Église une : « les communautés de
croyants sont une à partir du corps du Seigneur, à partir du seul et
même pain qu’elles mangent toutes ensemble, où qu’elles soient
dispersées dans le monde » .
À travers l’Eucharistie, présence de la mort et de la résurrection
du Christ, nous comprenons comment l’Église vit de la liturgie. En
elle, nous rencontrons sa personne, en elle les mystères de sa vie
deviennent vraiment présents.
Si nous nous arrêtions là, nous pourrions peut-être penser à une
vision réduite de la vie chrétienne. Ratzinger poursuit : il faut
que le culte se réalise dans la vie. La liturgie nous permet
d’entrer dans la dimension de l’agapè, dans le don que Dieu fait de
lui-même à travers son Fils et dans le don que nous sommes appelés à
faire de notre vie à Dieu. « La nature la plus profonde du culte au
sens chrétien ne consiste pas dans le don de choses matérielles,
mais dans l’amour jusqu’au bout… Elle ne consiste pas dans certaines
actions rituelles, mais dans le don total de soi à Dieu ».
Ratzinger explique cela par un profond commentaire du livre X de La
Cité de Dieu d’Augustin. Comment peut-on adhérer à Dieu ? « En
entrant dans l’amour éternel, en commençant à aimer. Si l’adhésion à
Dieu est le seul culte dont l’homme a besoin, on peut dire encore
plus clairement que l’amour est le seul culte légitime ».
Vivre selon Dieu, c’est s’offrir en sacrifice. Mais comment l’homme
corrompu peut-il trouver ce moyen d’adhérer à Dieu ? Le Christ « se
charge de notre misère par miséricorde ». Lorsqu’il ouvre les bras
sur la croix, il adore en même temps le Père et accueille
l’humanité, selon la profonde réflexion de Ratzinger. L’adoration et
l’étreinte ne font qu’un.
Communion-communauté-mission
Vingt-cinq ans se sont écoulés entre le premier discours que nous
avons commenté et celui-ci. Il y a surtout eu le Concile, aux
travaux duquel Ratzinger a activement contribué et qui lui a permis
de faire une expérience qui sera très importante pour lui, mais pas
révolutionnaire.
Nous retrouvons dans cette conférence donnée aux prêtres à
Collevalenza l’entrelacement des sources que nous avons déjà
envisagé.
Tout d’abord l’Écriture, avec l’enseignement des Apôtres. Ensuite
l’histoire de l’Eglise primitive, avec quelques réflexions en
arrière sur le monde juif et en avant sur l’hellénisation du
christianisme. En arrière-plan apparaît toujours Augustin, le grand
maître qui a marqué la forma mentis théologique de Ratzinger.
Le mot clé est la communion, koinonia, qui sous-tend et unifie les
quatre caractéristiques fondamentales de l’Église, rassemblées dans
les Actes (2,42): l’écoute concordante de l’enseignement des
Apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et les
prières.
L’unité apparaît d’emblée comme la caractéristique fondamentale de
l’Église. Puis la sainteté, qui vient de la prière et de la relation
avec Dieu. L’apostolicité, qui préserve l’enseignement des Apôtres
dans le temps. La Pentecôte complétera cette image avec l’expérience
des langues parlées et comprises, c’est-à-dire de l’universalité.
Ratzinger souligne que « le mot koinonia (…) sera le véritable terme
clé de notre réflexion ; en effet, outre le sens d’eucharistie, il
peut aussi signifier « communion, communauté ». En lui s’unissent
les deux réalités de l’eucharistie et de la communauté, de la
communion comme sacrement et de la communion comme réalité sociale
et institutionnelle ».
La communion se situe entre l’enseignement des Apôtres et la
fraction du pain. Elle est comme un pont entre les deux, dit
Ratzinger.
Ratzinger fait une analyse similaire sur Galates 2,9-10 : Paul donne
la main à Jacques, Pierre et Jean en signe de communion. L’Apôtre
des Gentils, pour sa mission si radicalement nouvelle, ne pouvait se
passer de cette pleine attestation. Ce sont précisément les
discordes déjà manifestées à l’époque entre Pierre et Paul qui
indiquent l’urgence de la communion, que Ratzinger voit
magnifiquement exprimée dans la collecte pour les pauvres de
Jérusalem organisée par Paul, « une reconnaissance de l’importance
de Jérusalem au niveau de l’histoire du salut, comme centre de
l’unité et point focal de l’histoire du salut » .
Le discours du cardinal se poursuit par une analyse approfondie du
mot koinonia. Dans la langue grecque, il exprime un travail commun
(comme dans le cas des quatre pêcheurs de l’Évangile, une
coopérative), mais aussi les valeurs communes qui en découlent. De
cette expérience, la grâce tirera la nouvelle communauté de
l’Église, avec en son centre le poisson mystérieux, le Seigneur
ressuscité « qui est descendu dans les profondeurs de la mer, dans
la nuit de la mort, se laissant prendre par nous et pour nous, afin
de devenir notre nourriture pour la vie éternelle ».
De la Bible aux Pères. La communion est maintenant étudiée à travers
la pensée d’Augustin pour montrer comment elle est une
transformation totale de la vie. Dans la communion entre les hommes
réalisée par la grâce, se réalise de la même manière la communion
entre la nature humaine et la nature divine qui s’est accomplie de
manière réelle dans la personne du Christ. En ce sens, pour notre
théologien, la communion est la participation commune à l’obéissance
du Fils, c’est-à-dire au mystère pascal.
L’ecclésiologie de Lumen Gentium
D’autres années ont passé. En 2000, trente-cinq ans après la
conclusion du Concile Vatican II, une conférence organisée par le
Saint-Siège s’est tenue à Rome pour réfléchir sur les quatre
Constitutions dogmatiques de ce Concile. Ratzinger s’est vu confier
Lumen Gentium.
On entrevoit, en lisant attentivement ce discours, une critique
profonde des diverses réductions sociologiques opérées dans
l’Ecclésiologie. Surtout, l’expression « peuple de Dieu », sans
doute fondamentale dans la compréhension de l’Église, a été
instrumentalisée en vue d’une démocratisation de celle-ci.
« L’Église n’existe pas pour elle-même, mais elle est censée être
l’instrument de Dieu pour rassembler les hommes autour de lui, pour
préparer le moment où Dieu sera tout en tous… La crise de l’Église,
telle qu’elle se reflète dans la crise du concept de « peuple de
Dieu », est une « crise de Dieu » ; elle résulte de l’abandon de
l’essentiel. Il ne reste qu’une lutte pour le pouvoir ».
Il décrit ainsi, par anticipation, ce qui se passera dans les années
suivantes. Il revient donc à l’ecclésiologie de communion. Même si
ce mot n’a pas une place importante dans les textes conciliaires, il
« peut servir de synthèse pour les éléments essentiels de
l’ecclésiologie conciliaire ». Nous revenons ainsi aux débuts de la
réflexion de Ratzinger, à l’Eucharistie qui construit l’Église comme
un corps et qui « par son Corps ressuscité nous unit au Dieu
trinitaire et les uns aux autres ».
Cependant, Ratzinger doit constater avec amertume qu’aucun mot n’est
à l’abri d’un malentendu, même le meilleur et le plus profond.
Ainsi, non seulement l’expression « peuple de Dieu », mais aussi
l’expression même de « communion » ont été progressivement réduites
dans une clé horizontale aux relations entre l’Église locale et
l’Église universelle, en termes de compétences et de pouvoir. Une
fois de plus, note Ratzinger sur un ton dramatique, la discussion
entre les disciples pour savoir qui était le plus grand. Dans
l’Église, il n’y a plus de Dieu. Elle n’est plus considérée comme
l’épouse du Christ, son Corps : « non seulement l’ecclésiologie des
Pères a été abandonnée, mais aussi celle du Nouveau Testament et
même celle d’Israël dans l’Ancien Testament ».
Le Concile, selon Ratzinger, avait une vision christologique, voire
théologique, de l’Église. On peut parler de l’Église seulement pour
parler de Dieu, elle se transcende toujours elle-même. C’est
pourquoi elle est d’emblée Église universelle, qui se détermine
ensuite nécessairement dans les Églises locales. C’est pourquoi
Ratzinger note que « l’Eucharistie ne naît pas dans l’Église locale
et ne s’y termine pas » . De même, les évêques ne sont pas tels dans
la mesure où ils sont des individus, mais parce qu’ils appartiennent
au collège, à la continuité historique du collège des Apôtres.
Le Concile nous dit que l’Église du Christ, sujet concret en ce
monde, peut être rencontrée dans l’Église catholique. Elle est
l’espace de Dieu dans le monde, « l’Église existe pour que Dieu
habite dans le monde et qu’il y ait la sainteté : c’est pourquoi on
doit concourir dans l’Église non pour des privilèges plus ou moins
grands, non pour occuper les premières places ». Ce dernier cri de
Ratzinger, exprimé il y a maintenant plus de vingt ans, reste
l’avertissement le plus incisif pour la redécouverte d’une
ecclésiologie authentique, d’une révélation du Christ et de Dieu,
sans laquelle tout discours sur l’Église perd sa signification.
tempi.it
- Traduction
benoit-et-moi
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Sources : benoit-et-moi
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.)
04.04.2023
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