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Benoît XVI : Yahvé, le Dieu des Pères et
le Dieu de Jésus-Christ
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Le 02 mai 2023 -
E.S.M.
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Il apparaît
clairement qu'il est lui-même
le nom, c'est-à-dire Celui grâce à qui Dieu
peut être invoqué. L'idée du nom entre dans une étape nouvelle et
décisive. Le nom désormais n'est plus seulement un mot, mais désigne
une personne : Jésus lui-même. La christologie, ou la foi en Jésus,
devient une exégèse du nom de Dieu et de sa signification. Ici une
dernière question se pose, concernant l'ensemble du discours sur le
nom de Dieu.
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« Je suis celui qui suis »-
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Le Dieu des Pères
III. Benoît XVI : YAHVÉ, LE DIEU DES PÈRES ET
LE DIEU DE JESUS-CHRIST
En présentant Yahvé comme le Dieu
des pères, on a incorporé dans la foi en Yahvé tous les éléments
constitutifs de la foi des patriarches, en les intégrant, il est vrai, dans
un nouvel ensemble et en leur imprimant une forme nouvelle. Quelle
est la nouveauté caractéristique de ce nom de « Yahvé
» ? Les réponses sont fort nombreuses. Il n'est plus possible, sans
doute, d'établir avec certitude le sens exact d'Exode 3. Cependant
deux aspects ressortent clairement. Comme nous l'avons déjà vu, pour notre
pensée philosophique, le fait que Dieu porte un nom et qu'il apparaisse
ainsi comme une sorte d'individu, constitue un véritable scandale. Mais
lorsqu'on examine de plus près ce texte, une question surgit :
est-ce là vraiment un nom ? A première vue
cette question paraît absurde, car il est incontestable que, pour Israël, ce
mot de Yahvé avait valeur d'un véritable nom de Dieu. Cependant une lecture
plus approfondie montre que le récit du Buisson ardent interprète ce nom de
telle façon qu'il ne s'agit plus vraiment d'un nom. En tout cas, il se
détache nettement de la série des autres désignations de divinités, dont il
semble d'abord faire partie. Écoutons attentivement : Moïse demande : « les
enfants d'Israël auprès desquels tu m'envoies me diront : quel est ce Dieu
qui t'envoie ? Quel est son nom ? Que leur répondrai-je ? » Le récit
rapporte alors les paroles de Dieu à Moïse : « Je suis
celui qui suis »; on pourrait aussi traduire : «
Je suis ce que je suis ». Cela ne
ressemble-t-il pas à une fin de non-recevoir ? N'est-ce pas plutôt un refus
qu'une déclaration d'identité ? Dans toute la scène il y a comme un
mouvement d'humeur devant une telle indiscrétion : « Je suis celui qui je
suis ! » L'opinion qui admet qu'il n'y a pas de communication de nom ici et
que la question est plutôt éludée, trouve une confirmation dans la
comparaison de ce texte avec deux autres, qui en sont les meilleurs
parallèles : Juges 13, 18 et Genèse 32, 30. Dans Juges 13,
18, un certain Manoah demande son nom au Dieu qu'il rencontre. La réponse :
« Pourquoi t'informer de mon nom ?
Il est mystérieux. » (On peut aussi traduire «
il est merveilleux »); aucun nom n'est indiqué.
Dans Genèse 32, 30, c'est Jacob qui, après sa lutte nocturne avec
l'inconnu, lui demande son nom, et est éconduit lui aussi : «
Pourquoi me demandes-tu mon nom ? » Les deux
passages sont très proches de notre texte au point de vue langue et
structure, de sorte qu'un rapprochement au niveau des idées peut
difficilement être refusé. Il y a ici le même geste de refus. Le Dieu que
Moïse rencontre dans le Buisson ne peut décliner son nom comme les dieux
d'alentour, ces dieux-individus qui, côtoyant des dieux de même espèce, ont
besoin d'un nom. Le Dieu du Buisson se place hors
série.
Dans ce geste de refus paraît quelque chose de l'altérité d« ce Dieu par
rapport aux idoles. L'explication du nom de Yahvé par le petit mot « être »
sert ainsi à une sorte de théologie négative. Elle abolit le nom comme tel ;
elle nous reporte en quelque sorte au-delà du trop connu, symbolisé par le
nom, vers l'inconnu, vers ce qui est caché. Le nom se
dissout dans le mystère, impliquant à la fois la connaissance de Dieu et son
caractère inconnaissable, obscurité et révélation. Le nom, symbole de
connaissance, devient chiffre de code pour le mystère permanent du Dieu
inconnu et innommé. Dans le moment même où l'on
croyait pouvoir saisir Dieu, le nom qu'il se donne fait voir la distance
infinie qui nous en sépare. Ainsi se trouve justifié l'usage
introduit en Israël, de ne plus prononcer ce nom, de le remplacer par des
périphrases, à tel point qu'il disparaît dans la Bible grecque, qui lui
substitue le mot « Seigneur ». Dans cette
évolution, le mystère de la scène du Buisson a été, à bien des égards, mieux
compris que dans toutes sortes d'explications philologiques savantes.
Mais, ce n'est là qu'un côté de la question ; car enfin Moïse a été autorisé
à dire à ses interlocuteurs : « Je-suis m'a envoyé
vers vous » (Ex 3, 14). Il a en main une réponse, même si elle
est énigmatique. Ne pouvons-nous ou ne devons-nous pas essayer de résoudre
positivement cette énigme, du moins en partie ? L'exégèse moderne voit en
général dans ce mot l'expression d'une proximité secourable ; Dieu ne
dévoile pas - comme la pensée philosophique s'efforce de le faire - son
essence, ce qui le constitue en lui-même, il se révèle
comme un Dieu pour Israël, un Dieu pour les hommes. «
Je-suis » signifierait : « Je suis là »,
« Je suis là pour vous ». L'accent serait mis
sur la présence de Dieu pour Israël, son être ne serait pas présenté comme
un « être en-soi », mais comme un « être-pour »
13.
Eissfeldt admet comme possibles non seulement la traduction «
il aide », mais aussi « il appelle à
l'existence, il est le créateur » et même « il
est » ou encore « celui qui est ».
D'après l'exégète français Edmond Jacob, le nom de El
exprimerait la vie en tant que puissance, tandis que le nom de Yahvé
exprimerait la vie en tant que durée et présence. Lorsque Dieu se
désigne ici par « Je-suis », ce serait pour
dire qu'il est celui qui « est », l'Être par
opposition au devenir, ce qui demeure et subsiste au milieu de tout ce qui
passe. « Toute chair est comme l'herbe, et sa délicatesse est celle de la
fleur des champs... L'herbe sèche, la fleur se fane,
mais la parole de notre Dieu demeure toujours » (Is 40, 6-8).
A travers ce dernier texte apparaît un rapport, peut-être pas assez remarqué
jusqu'à présent. Un des thèmes fondamentaux du message du Deutéro-Isaïe
était la précarité des choses de ce monde ; les hommes, aussi puissants
qu'ils veuillent paraître, ressemblent en fin de compte aux fleurs,
épanouies un jour mais fauchées et fanées le lendemain, réduites à sécher,
tandis qu'au milieu de ce drame gigantesque de l'instabilité des choses,
le Dieu d'Israël « est
», il ne « devient » pas. Il « est » au sein de ce monde qui devient
et qui passe. Cependant ce Dieu qui « est » et qui
demeure, dont la perpétuité domine toutes les inconsistances du devenir,
ne nous est pas montré comme un Être replié sur lui-même. Au contraire, il
est celui qui se donne. Il est là pour nous.;
sa stabilité nous soutient dans notre instabilité.
Le Dieu qui « est » est en même temps celui qui est avec nous; il n'est pas
seulement Dieu en soi, mais notre Dieu, le Dieu des pères.
Nous voilà revenus à la question initiale, posée au sujet de la scène du
Buisson ardent : quel rapport existe exactement entre le Dieu de la foi
biblique et l'idée de Dieu platonicienne ? Ce Dieu qui communique son nom,
ce Dieu qui s'intéresse à l'homme, diffère-t-il radicalement de l' esse
subsistens, de l'Être absolu que la pensée philosophique découvre dans
une méditation solitaire et silencieuse ? A mon avis, pour y voir clair et
pour bien saisir le sens de l'affirmation chrétienne au sujet de Dieu il est
bon d'examiner de plus près encore et la conception biblique de Dieu et le
sens de la pensée philosophique. En ce qui concerne la Bible d'abord, il
importe de ne pas isoler l'histoire du buisson ardent.
Il faut la placer dans le cadre d'un monde saturé de dieux ; elle
nous fait voir la foi d'Israël avec ses attaches et ses différences et
contribue en même temps au développement de cette foi par le recours à
l'idée d'être qui, avec ses virtualités multiples, devient un thème fécond
pour la pensée. Le travail d'interprétation, à l'œuvre dans ce récit, ne
s'arrête d'ailleurs pas là, il est sans cesse repris et continué dans la
Bible, dans un effort permanent de recherche de Dieu. On pourrait désigner
Ézéchiel et surtout le Deutéro-Isaïe comme les théologiens du nom de Yahvé,
car ce thème a été une des sources d'inspiration de leur prédication
prophétique. Le Deutéro-Isaïe, on le sait, commence sa prédication à la fin
de l'exil babylonien, au moment où Israël peut envisager l'avenir avec une
nouvelle espérance. La puissance babylonienne, apparemment invincible, qui
avait asservi Israël, est maintenant brisée ; Israël, que l'on croyait mort,
se lève du milieu des ruines. Ce sera un thème central
du prophète : opposer aux dieux qui passent le Dieu qui «
est ». « Moi, Yahvé, je suis le premier et
serai avec les derniers » (Is 4l, 4). Le dernier livre du Nouveau
Testament, l'Apocalypse, reprendra ce mot dans une situation pareillement
critique. II « est » avant toutes les
puissances et il subsistera encore après (Ap 1, 4; 1, 17; 2,
8; 22, 13). Mais écoutons encore le Deutéro-Isaïe : «
Je suis le premier et le dernier, moi excepté, il n'y
a pas de dieux » (44, 6). « C'est moi ;
moi qui suis le premier et qui suis aussi le dernier » (48,
12). Dans ce contexte, le prophète a créé une nouvelle formule; tout en
renouant avec l'interprétation première de la scène du Buisson, il met
l'accent sur des aspects nouveaux. La formule hébraïque, qui semble
signifier de manière mystérieusement simple « Moi-Lui », est rendue en grec,
sans changement réel de sens, par : « C'est Moi
» ( Εγώ είμαι - Ego eimi)
14. Dans ce simple « c'est Moi »,
le Dieu d'Israël se dresse en face des dieux et apparaît comme Celui qui «
est » par opposition à ceux qui passent et qui s'évanouissent. Le petit mot
énigmatique « c'est Moi »
devient ainsi l'axe de la prédication du prophète, l'expression de sa lutte
contre les faux dieux et contre le désespoir d'Israël, son message
d'espérance et de confiance. Face à la vanité du panthéon babylonien,
face à ses potentats qui ont sombré, la puissance de Yahvé s'exprime
simplement et sans commentaires : « C'est Moi
», formule qui traduit sa supériorité absolue
vis-à-vis de toutes les puissances de ce monde sans exception aucune. Le nom
de Yahvé, dont le sens est ainsi actualisé, évolue donc un peu plus vers
l'idée de celui qui « est » au milieu de la
ruine générale des apparences sans consistance.
Faisons encore un dernier pas, suggère Benoît XVI,
jusqu'au Nouveau Testament. Nous y
retrouvons en effet la ligne de pensée qui place l'idée de Dieu de plus en
plus sous l'éclairage de l'idée d'être ; Dieu est expliqué par le simple «
Je suis », notamment dans l'Évangile de Jean,
le dernier auteur biblique, qui interprète rétrospectivement la foi en
Jésus. Il représente en même temps pour nous chrétiens la dernière
explication que le mouvement biblique donne de lui-même. Jean se rattache
précisément à la littérature sapientielle et au Deutéro-Isaïe, il ne saurait
être compris qu'à la lumière de cet arrière-plan. Le mot d'Isaïe «
C'est Moi » devient le
noyau de sa foi en Dieu, il en fait la formule centrale de sa christologie,
transposition décisive pour l'idée de Dieu et pour l'image du Christ.
Ainsi la formule, jaillie d'abord de la scène du Buisson, devenue à la fin
de l'exil expression de l'espérance et de la confiance en face des dieux
éphémères, et le symbole de la domination universelle de Yahvé sur toutes
les puissances, se trouve à nouveau ici au centre de la foi en Dieu,
mais en devenant témoignage pour Jésus de Nazareth.
On peut mesurer toute l'importance de cette progression, si l'on ajoute que
Jean reprend dans le Nouveau Testament, de manière absolument frappante et
unique, l'idée centrale de la scène du Buisson : l'idée du nom de Dieu. Le
thème d'un Dieu qui se nomme, qui peut être invoqué, occupe, avec le «
Je suis », le centre de son témoignage. Chez
lui, à ce point de vue aussi, le Christ est mis en parallèle avec Moïse ;
Jean le présente comme celui en qui l'histoire du Buisson reçoit son sens
plénier. Tout le chapitre 17 - la « prière sacerdotale », sans doute le cœur
de tout l'Évangile - tourne autour de cette idée : «
Jésus, le révélateur du nom de Dieu », formant ainsi la réplique
néo-testamentaire du récit du Buisson ardent. Le thème du nom de Dieu
revient comme un leitmotiv dans les versets 6, 11, 12, 26. Prenons
simplement deux des principaux versets : « J'ai manifesté
ton nom aux hommes que tu as tirés du monde
pour me les donner » (v. 6). « Je leur ai révélé ton
nom et le leur révélerai pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en
eux et moi en eux » (v. 26). Le Christ apparaît en quelque sorte comme le
Buisson ardent lui-même, d'où le nom de Dieu est communiqué aux hommes. Or,
comme dans l'optique du quatrième Évangile Jésus réunit en Lui le «
C'est Moi » de Exode 3 et celui d'Isaϊ
43, et qu'il se l'applique à lui-même, il apparaît clairement qu'il est
lui-même le nom,
c'est-à-dire Celui grâce à qui Dieu peut être invoqué.
L'idée du nom entre dans une étape nouvelle et décisive. Le nom désormais
n'est plus seulement un mot, mais désigne une personne : Jésus lui-même. La
christologie, ou la foi en Jésus, devient une exégèse du nom de Dieu et de
sa signification. Ici une dernière question se pose, concernant l'ensemble
du discours sur le nom de Dieu.
Notes :
13. Cf. W. EICHRODT, Théologie des A. T., I, Leipzig, 1939, p. 92s.
;- G. VON RAD, loc. cit. (cf. note 9), p. 160.
14. Pour l'origine et le sens de cette formule, cf. surtout E. SCHWEIZER,
EGO EIMI..., Göttingen, 1939; - H. ZIMMERMANN,
« das absolute Εγώ είμαι als die neutestamentliche Offenbarungsformel »,
dans Biblische Zeitschriƒt 4 (1960), pp.
54-69; E. STAUFFER, Jesus. Gestalt und Geschlchte, Bern, 1937, pp.
130-146.
A suivre :
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 02.05.2023
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