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Benoît XVI : Le Dieu des Pères
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Le 01 mai 2023 -
E.S.M.
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En se prononçant pour El, les pères d'Israël ont pris une
option de la plus haute importance : ils ont choisi le numen
personale contre le numen locale, le Dieu tourné vers les
personnes, à situer et à chercher sur le plan du Moi et du Toi, et
non d'abord en des endroits sacrés 11. Ce trait fondamental d'El est
resté un des traits principaux non seulement de la religion
d'Israël, mais aussi de la foi chrétienne : voir Dieu comme une
personne, le concevoir à ce niveau de la relation du Moi et du Toi.
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David joue de la harpe,
d'après
Rubens -
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Benoît XVI : LE DIEU DES PÈRES
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La foi biblique en Dieu
II. LE PRÉSUPPOSÉ DE LA FOI EN YAHVÉ : LE DIEU DES PÈRES
Dans la racine linguistique et sémantique supposée du nom de Yahvé, où
l'élément yau évoque le Dieu personnel, transparaît
à la fois le choix et la discrimination opérés par Israël dans l'univers
religieux ambiant, et la continuité avec l'histoire d'Israël depuis Abraham.
Le Dieu des pères ne s'appelait pas Yahvé ; il se présente à nous sous les
noms de El et Elohim. Les patriarches se rattachaient ainsi à leur entourage
religieux, où la divinité appelée El se distinguait par son caractère social
et personnel. La particularité de ce Dieu, du point de vue typologie
religieuse, c'est qu'il est numen personale (Dieu des personnes) et non pas
numen locale (divinité locale). Qu'est-ce à dire ? Essayons de l'élucider
brièvement à partir des points de départ de ces deux types de divinités.
Rappelons-nous tout d'abord que l'expérience religieuse de l'humanité s'est
toujours ranimée en certains lieux sacrés où, pour une raison ou une autre,
l'homme éprouve plus spécialement la présence du « Tout Autre », du divin.
Une source, un arbre géant, une pierre mystérieuse ou un événement
extraordinaire à un endroit donné, peuvent être à l'origine d'une telle
expérience. Il arrive bien vite que l'homme confonde l'endroit où il a
expérimenté le divin avec le divin lui-même. Il croit à une présence
spéciale du divin en cet endroit, et il lui semble que cette présence
divine, il ne pourrait pas la trouver ailleurs de la même manière ; ce lieu
devient lieu sacré, habitacle du divin. Comme l'expérience du sacré ne se
produit pas seulement en un seul endroit mais aussi ailleurs, et comme on la
croit chaque fois limitée à tel endroit, il en résulte un foisonnement de
divinités locales, qui deviennent les divinités particulières de ces
endroits. Ne faut-il pas voir comme un écho de ces tendances dans le
christianisme, quand des chrétiens peu éclairés, se représentent les Madones
de Lourdes, de Fatima ou d'Altötting comme des personnes différentes ! Mais
revenons à notre sujet. En face de cette tendance païenne au numen locale,
au dieu déterminé par un lieu, le Dieu des pères exprime une option
radicalement différente. Il n'est pas le Dieu d'un endroit mais le Dieu des
hommes : le Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob. Pour cette raison même, il
n'est pas lié à un endroit, il est présent et actif partout où se trouve
l'homme. De cette façon on arrive à une conception toute différente de Dieu.
On le voit sur le plan du Moi et du Toi, non plus sur le plan local. Il
passe dans la transcendance de l'infini, devient omniprésent, non lié à un
lieu donné ; sa puissance ne connaît pas de bornes.
Il n'est pas quelque
part, on le rencontre partout où se trouve l'homme et où l'homme s'ouvre à
sa rencontre.
En se
prononçant pour El, les pères d'Israël ont pris une option de la plus haute
importance : ils ont choisi le numen personale contre le numen
locale, le Dieu tourné vers les personnes, à situer et à chercher sur le
plan du Moi et du Toi, et non d'abord en des endroits sacrés
11.
Ce trait fondamental d'El est resté un des traits principaux non seulement
de la religion d'Israël, mais aussi de la foi chrétienne : voir Dieu comme
une personne, le concevoir à ce niveau de la relation du Moi et du Toi.
A cet aspect fondamental du contexte spirituel de la foi au
Dieu El, il faut en ajouter un deuxième : El n'est pas seulement considéré
comme porteur d'une personnalité propre, comme Père, Créateur, comme le Sage
et le Roi, mais encore essentiellement comme le Dieu
suprême, comme la Puissance souveraine dominant toutes choses. Ce
deuxième élément, on le sait, est également resté déterminant pour toute
l'expérience biblique de Dieu. On ne choisit pas une puissance qui exerce
son pouvoir à tel ou tel endroit, mais la Puissance
qui englobe toute puissance et qui est au-dessus de toutes les puissances
particulières.
Il faut encore mentionner un troisième élément qui sous-tend
toute la pensée biblique : ce Dieu est le Dieu de la
promesse. Il n'est pas une force de la nature, dont l'épiphanie
manifesterait la Toute-Puissance de la Nature, l'éternel processus de vie et
de mort. Il n'est pas un Dieu qui oriente l'homme vers le perpétuel
recommencement du cycle cosmique, mais vers l'avenir où l'achemine toute son
histoire, vers le sens et le but définitifs ; il est
le Dieu de l'espérance ouverte à l'avenir dans un mouvement irréversible.
Notons enfin que la religion de El a été adoptée en Israël
sous la forme élargie de Elohim,
complément de la transformation qui manquait encore à la figure de El.
N'est-il pas surprenant de constater la substitution au singulier d'un mot
qui exprime à proprement parler un pluriel (Elohim) ? Sans nous livrer à une
analyse détaillée de cette évolution très complexe, nous pouvons dire
qu'ainsi Israël a pu accentuer le caractère unique et propre de son Dieu :
il est un, mais en raison de sa grandeur suprême et de son altérité,
il transcende les limites du singulier et du pluriel,
il se situe au-delà. Bien qu'on ne puisse
trouver dans l'Ancien Testament, notamment dans les plus anciens textes,
trace de révélation trinitaire, ce processus recèle une expérience, apte à
s'ouvrir à la doctrine chrétienne du Dieu Trine. Plus ou moins obscurément,
on sent que Dieu, tout en étant radicalement unique, ne saurait être enfermé
dans nos catégories de singulier et de pluriel ; il est au-delà, de sorte
que la catégorie « un », pour unique qu'il soit, ne suffit pas à le définir
adéquatement. Pour l'histoire primitive d'Israël (également pour plus
tard et aussi pour nous), cela signifie qu'ainsi la question légitime
inhérente au polythéisme est intégrée
12.
Le pluriel appliqué au Dieu unique équivaut à dire
: tout le divin, c'est Lui.
Pour compléter l'image du Dieu des pères, il faudrait encore parler de la
négation renfermée dans l'assentiment de foi exprimé par les noms El et
Elohim. Contentons-nous d'évoquer deux noms de
divinités fort en honneur dans le voisinage d'Israël. La foi des
pères refuse les représentations courantes de Dieu sous les noms de Baal =
le seigneur, et de Melech (Moloch = le roi). Elle refuse le culte de la
fécondité, et la localisation du divin qui en résulte. Elle refuse enfin, à
travers le rejet du dieu-roi Melech, un certain type social. Le Dieu
d'Israël n'est pas un roi lointain et aristocratique ; il ne revendique pas
un despotisme illimité, alors lié à l'idée de roi ; il
est le Dieu proche, celui que chaque homme peut avoir pour Dieu. Que
de réflexions et de considérations ne pourrait-on pas faire à ce sujet !
Mais revenons au Buisson ardent, à notre point de départ.
11. Il faudrait rappeler ici encore (comme dans la note 9) que la décision
implique don, accueil, et par suite révélation. [Note 9 :
C'est là le point de vue de l'historien. La conviction du croyant n'en
est pas affectée.; pour lui, cette «
transformation créatrice » n'a été
possible que sous la forme d'un accueil de révélation. Le processus de
création est d'ailleurs toujours un processus d'accueil.]
12. Cf. MAXIMUS CONFESSOR, « Exposilio Orationis Dominicæ
», dans Patrologia Græca (PG), 90, p. 892 :
selon lui, le polythéisme païen et le monothéisme juif se réconcilient dans
l'Évangile. « Celui-là est multiplicité contradictoire sans aucun lien,
celui-ci est unité sans richesse interne ». Pour Maxime, les deux sont
pareillement imparfaits et ont besoin d'être complétés. Or maintenant ils se
compénètrent dans l'idée du Dieu un et trine : l'idée d'unité des Juifs, qui
en elle-même est « étroite, imparfaite et presque sans valeur » et qui
expose au danger de l'athéisme, est complétée par la « multiplicité vivante
et spirituelle des Grecs ». (D'après H. U. VON BALTHASAR, Liturgie
cosmique. Maxime le Confesseur, Aubier, 1947); - cf. aussi A. ADAM,
Lehrbuch der Dogmengeschlchte, I, Cütersloh,
1965, p. 368.
A suivre : Benoît XVI :
Yahvé, le Dieu des Pères et le Dieu de Jésus-Christ
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 01.05.2023
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