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Benoît XVI : Retour à la Bible et problème de
l'existence chrétienne
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Le 01 juin 2023 -
E.S.M.
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Le Fils, en tant que Fils et dans la mesure où il est Fils,
n'existe absolument pas de lui-même et de ce fait, il est totalement
un avec le Père ; n'étant rien à côté de Lui, ne prétendant à rien
qui lui soit propre, qui ne soit que lui, n'opposant rien au Père
qui lui appartienne exclusivement, ne se réservant absolument rien
qui soit purement à lui, il est pleinement égal au Père.
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Dieu un et trine -
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Benoît XVI : L'unité engendrée par l'amour est plus réelle que l'unité de l'atome
c) Retour à la Bible et problème de l'existence chrétienne.
Revenons à notre question. Peut-être, à la suite des
considérations précédentes, aura-t-on l'impression de se trouver en présence
d'une théologie spéculative poussée à son degré extrême et qui, en élaborant
les données bibliques, s'est beaucoup écartée de l'Écriture elle-même, pour
se perdre dans la pensée purement philosophique. Il sera d'autant plus
surprenant de constater, après y avoir regardé de près, que la spéculation
la plus pure nous ramène directement à la pensée biblique.
Car tout ce que nous venons de dire, nous le trouvons,
au fond, dans une large mesure, sans doute avec d'autres concepts et une
autre visée, dans la pensée johannique. Contentons-nous d'une simple
indication. Dans l'évangile de Jean, le Christ parlant de lui-même, dit ceci
: « Le Fils ne peut rien faire de lui-même » (Jn 5, 19, 30). Le Fils
paraît réduit à l'impuissance la plus totale ; il n'a rien en propre, parce
qu'il est Fils, tout son agir provient de celui qui lui donne
d'être. Le
concept de « fils » apparaît ainsi comme un concept de relation. En appelant
le Seigneur « fils », Jean le désigne d'une manière qui renvoie au-delà de
lui ; il emploie ainsi une expression qui traduit essentiellement un
être relationnel. De la
sorte, toute sa christologie est centrée sur l'idée de
relation. Des
formules comme celle que nous venons de mentionner ne font que souligner
cette vérité ; elles extraient pour ainsi dire ce que contient le mot de «
fils », la relativité qu'il implique. Cela semble contredire ce que le même
Christ affirme de lui-même chez Jean : « Le Père et moi, nous sommes un » (Jn
10, 30). Mais à y regarder de près, on s'aperçoit immédiatement que les
deux déclarations se confirment et s'appellent l'une l'autre. Si Jésus est
appelé « Fils », devenant ainsi relatif au Père, si la christologie devient
un énoncé de relations, il en découle tout naturellement que le Christ
est totalement relié au Père. Ne subsistant pas
en lui-même, il subsiste en son Père, toujours un avec Lui.
Ces réflexions comportent, au-delà de leur impact en
christologie, une signification pour le sens et la notion de l'existence
chrétienne ; elle apparaît lorsque Jean en fait l'application, par extension,
aux chrétiens, issus du Christ. Sa christologie devient une explication de
la véritable condition chrétienne. Nous retrouvons la même complémentarité
des deux séries de déclarations. Parallèlement à la formule : «
Le Fils ne
peut rien faire de lui-même », qui place la christologie dans l'optique de
la relation, à partir du concept de « fils », Jean utilise pour «
ceux-qui-appartiennent-au-Christ » la formule : « Sans moi vous ne pouvez
rien faire » (Jn 15,5). Ainsi l'existence
chrétienne avec le Christ est placée dans la catégorie de la «
relation ». Et parallèlement à la conséquence
de la première formule, qui permet au Christ de dire : «
Le Père et moi,
nous sommes un », se présente ici la prière du Christ : «
Qu'ils soient un,
comme nous, nous sommes un.» (17, 11, 22). Notons cependant ici une
différence considérable avec la christologie : l'unité des chrétiens n'est
pas exprimée par la forme indicative, mais sous forme de prière.
Réfléchissons très brièvement à ce que représente la ligne de
pensée ainsi dégagée. Le Fils, en tant que Fils et
dans la mesure où il est Fils, n'existe absolument pas de lui-même et de ce
fait, il est totalement un avec le Père ;
n'étant rien à côté de Lui, ne prétendant à rien qui lui soit propre, qui ne
soit que lui, n'opposant rien au Père qui lui appartienne exclusivement, ne
se réservant absolument rien qui soit purement à lui,
il est pleinement égal
au Père. La logique s'impose : puisqu'il n'y a rien par quoi il
serait purement lui, puisqu'il n'existe aucun domaine privé délimité, il
coïncide donc avec le Père, il est un avec Lui.
C'est exactement cette totale compénétration que le
mot « fils » veut
exprimer. Pour Jean, « fils » signifie «
être-à-partir-de-l 'autre »; par ce mot, il définit l'être de cet
homme comme un être venant de l'autre, ordonné aux autres, comme un être
totalement ouvert dans les deux directions et qui ne connaît pas de domaine
réservé pour le « Moi ». S'il apparaît ainsi clairement que l'être de Jésus,
en tant que Christ, est un être totalement ouvert, un être «
venant-de », « ordonné-à
», qui ne tient nulle part à lui-même, qui ne s'appuie nulle part uniquement
sur lui-même, alors il est clair également que cet être est pure relation
(non substantialité), et, en tant que pure relation, il est pure unité. Ce
qui est ici fondamentalement affirmé du Christ devient également
l'explication de l'existence chrétienne, comme nous l'avons noté. Être
chrétien, pour Jean, c'est être comme le Fils, devenir fils, donc ne pas
s'appuyer sur soi, ne pas se tenir en soi, mais vivre totalement ouvert dans
les deux sens : « venant-de », «
ordonné-à ». Cela vaut dans la mesure où le
chrétien est « chrétien ». Sans doute, devant les affirmations précédentes
prendrons-nous conscience combien nous sommes peu « chrétiens ».
Par là, me semble-t-il, le caractère œcuménique du texte cité
apparaît sous un angle tout à fait inattendu. Assurément, tout le monde sait
que la «
prière sacerdotale » de Jésus (Jn 17), que nous évoquons
ici, est la charte fondamentale pour tous les efforts visant l'unité de
l'Église. Mais ne restons-nous pas trop souvent à la superficie ? Il ressort
de notre réflexion que l'unité chrétienne est d'abord unité avec le Christ.
Or celle-ci ne devient
possible que là où cesse la revendication de son être-à-soi, et où elle est
remplacée par un être « livré » sans réserve, purement relation «
venant-de
», « ordonné-à ». Un tel «
être avec le Christ », par lequel on entre
pleinement dans l'ouverture à autrui de Celui qui ne voulut rien garder en
propre (comp. Ph 2, 6), engendre l'unité parfaite - « pour qu'ils soient un,
comme nous sommes un ». Tout ce qui n'est pas unité, tout ce qui est
division, repose sur un manque latent de véritable vie chrétienne, sur un
attachement à son être propre, qui supprime le partage total que représente
l'unité.
Je pense qu'il importe de noter comment la doctrine
trinitaire devient ici une affirmation existentielle, comment le fait de
soutenir l'identité de la relation et de l'unité devient éclairant par
rapport à nous. L'essence de l'être personnel trinitaire, c'est d'être pure
relation et de ce fait unité absolue. On reconnaîtra sans peine maintenant
qu'il n'y a pas là contradiction. On verra aussi plus clairement désormais
que l'unité la plus parfaite n'est pas celle de l' « atome », de l'unité
indivisible la plus petite
30,
mais que l'unité absolue se réalise uniquement
dans l'esprit et inclut le caractère relationnel propre à l'amour. La
confession de l'unicité de Dieu est donc aussi radicale dans le
christianisme que dans toute autre religion monothéiste ; c'est même là
seulement qu'elle atteint son degré maximum. L'essence de la vie chrétienne
consiste à accueillir et à vivre l'existence comme être relationnel, à
entrer ainsi dans cette unité qui est le principe et le fondement du réel. A
partir de là, on peut voir comment la doctrine trinitaire bien comprise peut
devenir la clé de voûte de la théologie et de la pensée chrétienne en
général, le point de départ de toutes les autres lignes de réflexion.
Revenons encore une fois à l'évangile de Jean, qui est
ici la meilleure référence. On peut dire que la ligne de pensée ci-dessus
indiquée constitue la véritable dominante de sa théologie. En dehors de
l'idée de « fils », elle apparaît surtout dans deux concepts
christologiques, que nous évoquerons brièvement à titre de complément :
l'idée de « mission » et la désignation de Jésus comme
« Parole » de Dieu
(Logos). La théologie de la «
mission » se présente ici encore comme
théologie de l'être en tant que relation, et théologie de la relation en
tant que forme de l'unité. On connaît le mot du judaïsme tardif : «
L'envoyé
d'un homme est comme cet homme lui-même
31. »
Jésus apparaît chez Jean comme
l'Envoyé du Père, en qui s'accomplit réellement ce à quoi tous les autres
envoyés ne peuvent que tendre : tout son être, c'est d'être envoyé ; lui seul
est l'Envoyé qui représente l'autre sans interposer son propre être. Ainsi,
parce qu'il est l'Envoyé véritable, il est un avec Celui qui l'envoie. A
nouveau, par le concept de mission, Jésus est interprété comme «
être
venant-de » et « être ordonné-à » ; à nouveau l'être est conçu comme
ouverture totale et sans réserve. A nouveau l'application est faite à
l'existence chrétienne : « Comme le Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie
»
(13, 20; 17, 18; 20, 21). En plaçant cette existence dans la catégorie de la
mission, Jean l'explique une fois de plus comme « être venant-de », «
ordonné-à », comme être relationnel et partant comme unité. Pour terminer,
il ne sera peut-être pas inutile de faire une remarque au sujet du concept
du Logos. En caractérisant le Seigneur comme Logos, Jean reprend un mot
largement répandu dans l'univers intellectuel grec et juif ; en même temps,
il adopte ainsi toute une série de représentations et d'associations
d'idées, contenues dans ce mot et qui se trouvent de la sorte transférées au
Christ. Or la nouveauté que Jean a inscrite dans le concept du Logos
consiste peut-être avant tout en ce que, pour lui, le Logos ne représente
pas simplement l'idée d'une rationalité éternelle de l'être, comme le
concevait essentiellement la pensée grecque. Appliqué à Jésus de Nazareth,
le concept du Logos reçoit une nouvelle dimension. Il n'exprime plus
simplement l'imprégnation de tout être par le sens, mais désigne cet homme :
celui qui est ici présent est « Parole », est le «
Verbe ». Le concept de
Logos, qui signifiait pour les Grecs « sens » (ratio), devient ici
réellement « parole » (verbum). Celui qui est ici présent est « parole »; il
est donc « dit », parole exprimée par quelqu'un et adressée à quelqu'un et
de ce fait, pure relation entre celui qui parle et ceux qui sont
interpellés. Ainsi la christologie du Logos, en tant que théologie de la
Parole, représente elle aussi une ouverture de l'être sur l'idée de
relation. Car ici encore l'on peut dire : la parole est essentiellement « à
partir de quelqu'un d'autre », « vers quelqu'un d'autre »; elle est une
existence qui est tout entière passage et ouverture.
En guise de conclusion générale, voici encore un texte
d'Augustin, qui met admirablement en lumière ce que nous avons voulu
exprimer. Le texte se trouve dans le Commentaire de Jean et se rattache à la
phrase de l'Évangile : « Mea doctrina non est mea -
ma doctrine n'est pas de
moi, mais de mon Père qui m'a envoyé » (7, 16). Partant de ce paradoxe,
Augustin va expliquer le caractère paradoxal de l'image chrétienne de Dieu
ainsi que de l'existence chrétienne. Il se demande d'abord s'il n'y a pas là
un véritable non-sens, un manquement aux règles élémentaires de la logique :
le mien n'est pas le mien. Mais, continue Augustin, qu'est-ce exactement que
la « doctrine » de Jésus qui est à la fois sienne et pas la sienne ? Jésus
est « Parole », sa doctrine, c'est donc lui-même. Si, partant de cette idée,
on relit la phrase, elle dit ceci : Je ne suis pas simplement Moi
; je ne
suis pas « mien », mon Moi appartient à un autre. Et nous voilà arrivés,
au-delà de la christologie, à nous-mêmes : « Quid tam tuum quam tu, quid tam
non tuum quam tu - qu'est-ce qui t'appartient autant que toi et qu'est-ce qui
t'appartient si peu que toi-même
32 ? »
Ce qui nous est le plus propre - ce
qui en définitive nous appartient réellement à nous seuls - notre propre
Moi, est en même temps ce qui nous est le moins propre, car précisément
notre Moi ne provient pas de nous, et n'est pas pour nous. Le Moi est à la
fois ce que je possède entièrement et qui pourtant m'appartient le moins.
Ainsi le concept de la pure substance (= ce qui subsiste en soi) éclate une
fois de plus ; l'on peut voir comment un être qui se comprend vraiment
lui-même comprend en même temps que dans son être propre, qui le fait être
lui-même, il ne s'appartient pas lui-même ; qu'il ne se trouve lui-même qu'en
se quittant lui-même, pour retrouver, comme être relationnel, sa vraie
originalité.
La doctrine trinitaire n'est pas débarrassée pour autant de son mystère ;
mais ces réflexions auront montré comment elle introduit une nouvelle
compréhension du réel, de ce qu'est l'homme et de ce qu'est Dieu. Là où l'on
semblait se trouver en pleine théorie, voilà qu'apparaît l'exigence la plus
pratique ; en parlant de Dieu, on découvre qui est l'homme ; ce qu'il y a de
plus paradoxal est en même temps ce qu'il y a de plus clair et de plus
salutaire.
Notes :
30. Cf. le bref aperçu sur l'histoire du concept d'atome,
donné par C. F. von WEIZSÄCKER, dans
RRG I, pp. 682-686.
31. Cité chez K. H. SCHELKLE, Disciple et Apôtre, Le Puy, 1965, p.
28.
32. AUGUSTIN, In Joannis Evangelium tractatus, 29, 3 (a Jn 7,16)
dans CChr 36,2S5.
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 01.06.2023
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