 |
Benoît XVI a été un maître de lucidité
|
Le 28 mai 2024 -
E.S.M.
-
Oui, le Christ vit, il est avec nous aujourd'hui aussi, et
nous pouvons être heureux aujourd'hui aussi, car sa bonté ne
s'éteint pas ; elle est forte aujourd'hui aussi ! Cela explique
pourquoi Benoît XVI a tant parlé de la joie chrétienne, et pourquoi
son visage était illuminé par un tendre et profond sourire, empreint
de bonté.
|
|
Le visage de Benoit XVI était illuminé par un tendre et profond
sourire, empreint de bonté. -
Pour agrandir l'image
►
Cliquer
La nuit madrilène
Nicolas Diat : Le pape François critique la sécheresse de l'égoïsme.
Qu'entend-il en particulier par sa dénonciation de l'acédie
égoïste ?
Cardinal Sarah : L'acédie est un mal de l'âme qui s'exprime par l'ennui,
le dégoût pour la prière, le rejet ou le relâchement de la pénitence, la
négligence du cœur et le désintérêt pour les sacrements. Ces symptômes
constituent souvent une épreuve passagère, mais l'acédie peut aussi conduire
à une véritable torpeur spirituelle.
Pour la théologie morale, l'acédie est
l'un des sept péchés capitaux.
Le pape a d'autant plus raison de s'alarmer d'un problème
aussi grave qu'il atteint en Occident des sommets préoccupants. Sur ce
point, son
discours au Parlement européen de Strasbourg, en novembre 2014, était
particulièrement net.
Comment comprendre l'affaissement de la force missionnaire de
l'Église, sinon par le repli sur soi et la
frilosité de nos cœurs ? Les chrétiens ont la vocation de devenir le sel et
la lumière du monde. Il n'est jamais écrit dans l'Évangile que nous devrions
garder la Parole de Dieu pour notre petite convenance personnelle.
La fuite égoïste et l'absence de générosité cachent
souvent un manque de maturité et une vision très appauvrie de la nature
humaine.
Il est inconcevable qu'un chrétien n'accepte pas de s'engager
dans un travail de transmission de la foi. François sermonne souvent avec
véhémence les prêtres et les religieux qui seraient devenus des
fonctionnaires de la foi, dans une forme de repli identitaire et rigide du
sacerdoce. Incontestablement, le prêtre qui construit pour lui un univers
confortable et sécurisé court le risque de ne plus répondre à l'appel même
de son sacerdoce. Le pape demande à tous de prendre le large pour partir au
grand vent de l'aventure missionnaire, du risque de l'altérité et de
l'audace de Dieu. Le réveil missionnaire fera voler en éclats les véritables
douanes dans lesquelles le prêtre tiède ou bureaucrate peut s'enfermer. Le
prêtre qui est économe de son temps pour ses brebis traverse une véritable
tempête spirituelle.
De la même manière, personnellement, je dénonce avec amertume
les prêtres qui ne répondent, en dernier ressort, qu'à une soif de succès
humains, de pouvoir et d'ambition personnelle, de reconnaissance politique
et médiatique. Le clerc est présent sur cette terre pour parler de Dieu,
servir Dieu, et non son contraire. La peur, la fébrilité et la vanité
demeurent de farouches ennemis des hommes qui ont donné leurs vies à Dieu.
De même, le pape ne craint pas d'affirmer que la plus grande
menace, « c'est le triste pragmatisme de la vie quotidienne de l'Église,
dans lequel apparemment tout arrive normalement, alors qu'en réalité la foi
s'affaiblit et dégénère dans la mesquinerie. La psychologie de la tombe, qui
transforme peu à peu les chrétiens en momies de musée, se développe. Déçus
par la réalité, par l'Église ou par eux-mêmes, ils vivent la tentation
constante de s'attacher à une tristesse douceâtre, sans espérance, qui
envahit leur cœur comme "le plus précieux des élixirs du démon". Appelés à
éclairer et à communiquer la vie, ils se laissent finalement séduire par des
choses qui engendrent seulement obscurité et lassitude intérieure et qui
affaiblissent le dynamisme apostolique. Pour tout cela, je me permets
d'insister : ne nous laissons pas voler la joie de
l'évangélisation ».
Q : Avec cette même énergie, François dénonce et
refuse ce qu'il nomme le «pessimisme stérile »...
R : François évoque avec insistance cette nécessité car il
refuse que les croyants se laissent enfermer par les difficultés des
situations quotidiennes. Le pape ne veut pas que les disciples du Christ
soient prisonniers de conflits, d'oppositions et de haines réciproques. De
nos jours, l'Église traverse incontestablement de nombreux orages, mais elle
a survécu à des drames spirituels ou temporels plus graves encore. Il est
important que les baptisés gardent la belle et sainte joie des petits
enfants. Le pessimisme accouche de la stérilité et de la destruction, alors
que l'espérance procède de l'Esprit-Saint. Les problèmes quotidiens, si
lourds soient-ils, ne doivent pas devenir des excuses pour freiner notre
engagement missionnaire. Le Christ lui-même a traversé des épreuves très
profondes. La dureté de l'instant peut se transformer en force, et dessine
l'horizon qui nous permettra de grandir.
Il faut garder le regard de la foi.
Le doute n'est pas chrétien. Les apôtres ont connu des
incertitudes multiples et ils comprirent qu'ils devaient avancer sans se
retourner. Les chrétiens sont appelés à s'abandonner dans les mains de Dieu,
qui est le véritable maître de l'évangélisation.
Nous serons toujours des instruments fragiles et inhabiles ;
mais il nous faut garder le cap de l'espérance en Dieu. Il a poussé son
peuple à quitter l'Égypte pour partir vers la
Terre promise. Dans le désert, certains voulaient repartir en arrière, par
nostalgie « du poisson, des concombres et des oignons », et surtout par peur
de la traversée de grands espaces si peu hospitaliers, mais Moïse a engagé
ses frères à ne pas douter de Dieu et à garder la foi. Dans les difficultés,
l'exemple de missionnaires courageux et intrépides reste indispensable. Pour
un prêtre, comment oublier que l'ultime ambition sacerdotale est le salut de
tous les hommes ?
François utilise une image particulièrement adéquate, en
appelant les chrétiens à être des « personnes-amphores pour donner à boire
aux autres » : « Car voici venir des jours, dit le Seigneur, où j'enverrai
la faim dans le pays, non pas und faim de pain, non pas une soif d'eau, mais
d'entendre la Parole du Seigneur» (Am 8, 11). « Cette faim n'a rien
de corporel, cette soif ne désire rien de terrestre », commente
saint Léon le Grand. Le pape a raison de rappeler que l'amphore peut se
transformer en une lourde Croix ; mais n'oublions pas que c'est justement
sur la Croix que le Seigneur s'est donné à nous comme source d'eau vive. En
effet, du cœur de Jésus ont jailli des torrents d'amour pour irriguei un
monde asséché par la haine, la violence, les méfiances et les guerres... !
Dans son
exhortation, François a souhaité citer le
discours de Jean XXIII lors de l'ouverture du concile. Le bon
pape Jean, par son caractère et son expérience, regardait toujours
l'existence humaine avec optimisme. Il disait ainsi de sa voix si
caractéristique: « II arrive souvent que [...] nos oreilles soient offensées
en apprenant ce que disent certains qui, bien qu'enflammés de zèle
religieux, manquent de justesse de jugement et de pondération dans leur
façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne
voient que ruines et calamités [...]. Il nous semble nécessaire de dire
notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent
toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin. Dans le
cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à un
tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la Providence
divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la
plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout
avec sagesse pour le bien de l'Église, même les événements contraires. »
Cependant, l'optimisme n'empêche pas la clairvoyance.
Benoît XVI a été un maître de lucidité. Je
pense en particulier aux paroles de ce grand pape, à la fin de son
pontificat, en octobre 2012, à propos du
cinquantième anniversaire de l'ouverture du concile : « Aujourd'hui
aussi, nous sommes heureux, nous portons la joie dans notre cœur, mais je
dirais qu'il s'agit d'une joie sans doute plus sobre, d'une joie humble. Au
cours des cinquante dernières années, nous avons fait l'expérience et appris
que le péché originel existe et se traduit toujours à nouveau en péchés
personnels, qui peuvent également devenir des structures de péché. Nous
avons vu que dans le champ du Seigneur, il y a toujours aussi l'ivraie. Nous
avons vu que dans le filet de Pierre, il y a aussi de mauvais poissons. Nous
avons vu que la fragilité humaine est présente également dans l'Église,
que le navire de l'Église navigue aussi avec un vent contraire, avec des
tempêtes qui menacent le navire et parfois, nous avons pensé : "Le Seigneur
est endormi et II nous a oubliés." Cela est une partie des expériences de
ces cinquante années, mais nous avons également fait l'expérience nouvelle
de la présence du Seigneur, de sa bonté, de sa force. Le feu de
l'Esprit-Saint, le feu du Christ n'est pas un feu qui dévore, ou qui détruit
; c'est un feu silencieux, une petite flamme de bonté, de bonté et de
vérité, qui transforme, qui donne lumière et chaleur. Nous avons vu que le
Seigneur ne nous oublie pas. Aujourd'hui aussi, à sa manière, humble, le
Seigneur est présent, II donne de la chaleur au cœur, II montre la vie, II
crée des charismes de bonté et de charité qui éclairent le monde et sont
pour nous une garantie de la bonté de Dieu. Oui, le Christ vit, il est avec
nous aujourd'hui aussi, et nous pouvons être heureux aujourd'hui aussi, car
sa bonté ne s'éteint pas ; elle est forte aujourd'hui aussi ! » Cela
explique pourquoi Benoît XVI a tant parlé de la joie chrétienne, et pourquoi
son visage était illuminé par un tendre et profond sourire, empreint de
bonté.
Q : De manière analogue, François ne cesse de mettre en cause
les « mondanités spirituelles ». Ce dernier thème semble être au cœur de
votre propre réflexion.
R : Le pape montre un vrai courage en s'exprimant avec de
tels mots. Car il peut exister dans l'Église, plus particulièrement dans son
gouvernement, des personnes qui se laissent aller à des comportements et à
des habitudes mondains.
La mondanité spirituelle se cache derrière des apparences
religieuses et spirituelles, mais elle n'en constitue pas moins un véritable
reniement du Christ. Le Fils de Dieu est venu donner
aux hommes le salut, et non quelques bonheurs rapides dans des salons
tapissés de beaux velours cramoisis. Celui qui recherche le bien-être
matériel, le confort mondain ou sa propre gloire en lieu et place de celle
du Christ travaille pour le diable. Celui qui utilise les apparences de son
sacerdoce pour mieux jouir des plaisirs de cette terre est un renégat. Celui
qui oublie que le vrai pouvoir ne vient que de Dieu contrevient aux
promesses de son ordination.
À bien des égards, les mondanités spirituelles ne sont pas
loin de tomber dans une forme de pélagianisme. Le mondain compte en effet
sur ses propres forces et sa liberté, en laissant de côté le pouvoir
authentique de la grâce.
En fait, la mondanité est l'ennemi le plus pervers de
l'esprit missionnaire, dont elle peut aller jusqu'à représenter une
redoutable subversion.
Le prêtre est serviteur, il n'est pas un dieu ; le prêtre ne commande pas
des troupes, il conduit son troupeau à Dieu par son exemple. Le sacerdoce ne
cherche aucune gloire, aucun prestige humain, car il tire sa seule force de
Dieu : « Non nobis Domine, non nobis : sed nomini tuo da gloriam » («
Non, pas à nous, Seigneur, non, pas à nous, mais à ton Nom rapporte la
gloire ») (Ps 113, 1).
Benoît XVI avait parfaitement compris l'ampleur de ce
problème.
Lors d'un discours à Fribourg, le 25 septembre 2011, il déclarait
ainsi : « Pour correspondre à sa véritable tâche, l'Église doit toujours de
nouveau faire l'effort de se détacher de sa "mondanité" pour s'ouvrir à
Dieu. C'est ainsi qu'elle suit les Paroles de Jésus : "Ils ne sont pas du
monde, comme moi je ne suis pas du monde" (Jn 17, 16), et c'est ainsi
qu'il se donne au monde. En un certain sens, l'histoire vient en aide à
l'Église à travers les diverses périodes de sécularisation, qui ont
contribué de façon essentielle à sa purification et à sa réforme intérieure.
En effet, les sécularisations — qui furent l'expropriation de biens de
l'Église ou la suppression de privilèges ou de choses semblables —
signifièrent chaque fois une profonde libération de l'Église de formes de
"mondanité" : elle se dépouille, pour ainsi dire, de sa richesse terrestre
et elle revient embrasser pleinement sa pauvreté terrestre. Ainsi, l'Église
partage le destin de la tribu de Lévi qui, selon l'affirmation de l'Ancien
Testament, était la seule tribu en Israël qui ne possédait pas de patrimoine
terrestre, mais elle avait pris exclusivement Dieu Lui-même, sa Parole et
ses signes comme part d'héritage. Avec cette tribu, l'Église partageait en
ces moments historiques l'exigence d'une pauvreté qui s'ouvrait vers le
monde, pour se détacher de ses liens matériels, et ainsi son agir
missionnaire redevenait également crédible. Les exemples historiques
montrent que le témoignage missionnaire d'une Église "dé-mondanisée" est
plus clair. Libérée du fardeau et des privilèges matériels et politiques,
l'Église peut se consacrer mieux et de manière vraiment chrétienne au monde
entier ; elle peut être vraiment ouverte au monde. Elle peut à nouveau vivre
avec plus d'aisance son appel au ministère de l'adoration de Dieu et au
service du prochain. La tâche missionnaire qui est liée à l'adoration
chrétienne, et qui devrait déterminer la structure de l'Église, se rend
visible plus clairement. L'Église s'ouvre au monde non pour obtenir
l'adhésion des hommes à une institution avec ses propres prétentions de
pouvoir, mais pour les faire rentrer en eux-mêmes et ainsi les conduire à
Celui dont toute personne peut dire avec Augustin : II est plus intime à
moi-même que moi-même (Conf. 3,6, 11). Lui, qui est infiniment
au-dessus de moi, est toutefois tellement en moi-même jusqu'à être ma
véritable intériorité. Par ce style d'ouverture de l'Église au monde est
tracée aussi en même temps la forme dans laquelle l'ouverture au monde de la
part de chaque chrétien peut se réaliser de façon efficace et appropriée. »
Je finirai en posant trois questions.
Comment un prêtre qui ne manque de rien pourrait-il être semblable au Christ
? Comment un prêtre qui possède la surabondance du confort matériel peut-il
prétendre s'associer au Christ ? Comment oublier la Parole du Christ
: « Et un scribe s'approchant lui dit : "Maître, je te suivrai où que tu
ailles." Jésus lui dit : "Les renards ont des tanières et les oiseaux du
ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la
tête" » (Mt 8, 18-20) ?
Bien sûr, dans un monde cynique, ou simplement superficiel,
les médias aiment à faire croire que Jésus n'est pas né dans une pauvre
étable, alors que Marie et Joseph étaient rejetés de toutes parts. Les
puissances qui n'aiment pas Jésus ne peuvent accepter un tel augure ; pour
eux, l'étable misérable est forcément un mythe romantique. Ils oublient
aussi qu'à sa mort le Christ n'avait pas même de lieu pour être enseveli. Il
fut placé en toute hâte dans la tombe prévue pour Joseph d'Arimathie...
Les
lecteurs qui désirent consulter les derniers articles publiés par le
site
Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, peuvent cliquer
sur le lien suivant
► E.S.M.
sur Google actualité |
Sources : Extraits des Entretiens du cardinal Sarah avec Nicolas Diat
-
E.S.M
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 28.05.2024
|