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Léon XIV - Pour agrandir l'image ► Cliquer
Ukraine. Ce qui change depuis le coup de téléphone de Poutine au Pape Léon
D'
Le
11 juin 2025 -
E.S.M. - Le coup de téléphone du 5 juin de Vladimir Poutine à Léon XIV n’est pas un
événement isolé. Il est révélateur de la transformation en cours des
relations entre le Vatican et Moscou coïncidant avec le nouveau pontificat.
Avant tout, cet entretien téléphonique a brisé le silence qui s’était
installé entre le président russe et le pape François, un silence qui aura
duré plus de trois ans, depuis le début de l’agression contre l’Ukraine.
Et ceci est déjà en soi quelque chose de contradictoire parce que si
entre François et Léon, il n’y a aucun doute que si le premier a toujours
été très compréhensif des justifications avancées par le Kremlin, le second
quant à lui n’a jamais mystère du fait qu’il
juge depuis le début que le conflit en Ukraine est « une invasion
impérialiste russe » qui a entraîné et qui entraîne encore des « crimes
contre l’humanité ».
Une autre différence entre les deux papes réside également dans
l’exercice de la politique internationale. François avait relégué la
Secrétairerie d’État au placard, soit en décidant seul des actions à
prendre, soit en se fiant à la « diplomatie parallèle » prorusse de la
Communauté de Saint’Egidio. Tandis que Léon a immédiatement rappelé la
Secrétairerie à ses côtés, la rétablissant dans son rôle de
pierre angulaire non seulement en matière de diplomatie mais aussi pour
tout ce qui concerne le Siège apostolique en général, comme cela avait prévu
en son temps par Paul VI, qui était un « grand expert de la Curie romaine ».
La
note publiée par le Vatican quelques heures après cet entretien
téléphonique avec Poutine du 4 juin a souligné que le pape « a lancé un
appel pour que la Russie fasse un pas en faveur de la paix », en pleine
cohérence avec le positionnement de Léon sur un conflit auquel seule la
Russie peut mettre un terme, en tant que pays agresseur.
Mais de son côté, le Kremlin a également publié son propre
compte-rendu
de l’entretien. Et on peut en déduire la raison pour laquelle Poutine a
souhaité qu’il ait lieu.
Dans un premier temps pour rappeler au pape que oui, la Russie a bien
« l’intention de parvenir à la paix par des moyens politiques et
diplomatiques » mais à condition « d’éliminer les causes profondes de la
crise », qui sont à ses yeux toutes imputables à l’Occident.
Dans un second temps, Poutine a voulu dénoncer au pape Léon – comme il
l’avait déjà fait en appelant Donald Trump plus tôt dans la journée – les
actes intolérables de « terrorisme », « visant des civils » selon lui,
perpétrés ces derniers jours par l’Ukraine au moyen d’attaques contre des
bases aériennes et d’autres infrastructure russes, tout avertissant
implicitement que cela entraînera naturellement des représailles sévères par
la part de Moscou, ce qui s’est effectivement concrétisé récemment par
l’intensification des bombardements sur des villes ukrainiennes, y compris
très éloignées de la ligne de front.
Troisièmement, Poutine a tenu à faire part « au pape de son appréciation
pour sa disponibilité à contribuer à la résolution de la crise, plus
particulièrement pour la participation apolitique du Vatican à la résolution
des questions humanitaires urgentes ».
On notera à cet endroit aussi bien l’allusion aux contacts en cours
depuis longtemps – notamment grâce aux cardinal Matteo Zuppi, comme le
rappelle la note vaticane – concernant l’échange de prisonniers et le
rapatriement des enfants ukrainiens transférés en Russie, que le silence sur
la proposition du Vatican comme
lieu pour les négociations de effectuée mi-mai par le pape Léon et le
cardinal Secrétaire d’État Pietro Parolin.
Cette proposition avait été immédiatement
rejetée d’abord
par le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov et surtout, et
de manière encore plus brutale, par le
patriarcat
orthodoxe de Moscou par la bouche du premier conseiller de Cyrille, le Père
Nikolaï Balachov, pour qui « l’idée que le Vatican pourrait être un lieu
adapté pour les pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie ne pourrait
plaire qu’à ceux qui ont mal étudié l’histoire ».
Ce n’est un mystère pour personne que Cyrille, le patriarche de Moscou,
est farouchement opposé à ce que l’Église de Rome soit associée, sous
quelque forme que ce soit, à un processus de négociation pour une paix en
Ukraine « juste et durable ». Et Poutine ne fait rien pour tempérer cette
intransigeance, au contraire, il l’assume, comme son entretien téléphonique
avec le pape Léon l’a confirmé une fois de plus.
Au cours de ce dernier, en effet – toujours d’après la note du Kremlin –
Poutine aurait bien fait par à Léon sur demande et au nom de Cyrille de
« ses meilleurs vœux de succès dans son ministère pastoral », des vœux
réciproqués par le pape — dans le compte-rendu du Vatican – avec l’espoir
que « les valeurs chrétiennes communes puissent être une lumière qui aide à
chercher la paix, à défendre la vie et à rechercher une véritable liberté
religieuse. »
Mais un autre passage de cet entretien téléphonique entre Poutine et le
pape montre à quel point le patriarcat de Moscou demeure en froid avec Rome,
ce qu’on a également pu remarquer à la manière dont Moscou a accueilli ce
nouveau pontificat.
Car s’il est vrai que Cyrille n’a pas manqué de transmettre ses vœux au
nouvel élu, il s’est bien gardé de participer en personne à la messe
inaugurale du dimanche 18 mai place Saint-Pierre comme l’ont pourtant fait
bien d’autres chefs d’Églises orthodoxes comme par exemple le patriarche
œcuménique de Constantinople,
Bartholomée. Il s’est borné à envoyer à sa place un personnage
subalterne, le métropolite Nestor de Chersonèse et d’Europe occidentale,
c’est-à-dire des orthodoxes de France, de Suisse, du Liechtenstein et de
Monaco, exactement comme Poutine avait annulé « in extremis » le déplacement
ministre de la culture Olga Borisova, pour n’envoyer que l’ambassadeur russe
près le Saint-Siège, Ivan Soltanovsky.
Mais surtout, quand quelques jours plus tard, le 24 et 25 mai, à
l’occasion de la fête des saints Cyrille et Méthode, le métropolite Antoine
de Volokolamsk, numéro deux du patriarcat et président du département pour
les relations avec les autres Églises s’est rendu à Rome, aucune rencontre
avec le nouveau pape n’était à son agenda, et pourtant on sait ce dernier
prodigue d’audiences avec les responsables orthodoxes de passage à Rome, en
particulier avec le patriarche Bartholomée.
Une omission d’autant plus surprenante que le métropolite Antoine est
depuis des années un visiteur assidu du Vatican, en plus d’être un
ami de longue date de la Communauté de Sant’Egidio et du cardinal Zuppi.
*
Pour en revenir au coup de téléphone entre Poutine et Léon, dans le
compte-rendu publié par le Kremlin, un passage en particulier ne figure pas
dans la note parallèle du Vatican.
C’est celui où l’on peut lire : « Étant donné l’engagement public du
régime de Kiev dans le démantèlement de l’Église orthodoxe canonique
ukrainienne, on émet l’espoir que le Saint-Siège joue un rôle plus actif
pour défendre la liberté religieuse en Ukraine ».
Pour comprendre à quoi Poutine fait référence, il faut d’abord faire un
petit pas en arrière, au 2 juin dernier, date de la très brève et
infructueuse rencontre à Istanbul entre les délégations russe et
ukrainienne.
À cette occasion, les Russes ont présent deux plans de résolution du
conflit, le premier en vue d’une paix durable et le second pour un
cessez-le-feu préliminaire.
Dans le premier, sous le titre « Paramètres-clés de la solution finale »,
on peut lire au
point 11 :
« Levée des restrictions relatives à l’Église orthodoxe ukrainienne ».
Il s’agit d’une référence à la
loi n°3894
approuvée par le parlement de Kiev le 20 août 2024 et entrée en vigueur
en mai dernier, qui bannit toute organisation religieuse en Ukraine ayant
son centre de commandement en Russie.
Cette loi vise principalement, pour ne pas dire exclusivement, l’Église
orthodoxe ukrainienne avec à sa tête son métropolite Onuphre, historiquement
affilée au patriarcat de Moscou, dont est en revanche totalement
indépendante la plus jeune Église orthodoxe ukrainienne, dirigée par le
métropolite Épiphane, née en 2018 avec l’accord du patriarcat œcuménique de
Constantinople, ce qui a été la cause de la rupture brutale entre ce dernier
et Cyrille de Moscou.
Effectivement, dans l’Église orthodoxe ukrainienne historiquement
affiliée à Moscou, quelques dizaines d’ecclésiastiques – bien qu’ils soient
isolés et condamnés – militent en soutien du « monde russe ». Mais il faut
tenir compte que dès les premiers mois après l’agression russe, cette
Église, dans son ensemble, a résolument pris ses distances avec le
patriarcat de Moscou, allant jusqu’à rompre avec ce dernier sur trois points
clés : en cessant de citer le nom du patriarche Cyrille dans le canon de la
messe, en refusant de recevoir chaque année le Saint-Chrême de l’Église de
Moscou et en supprimant de ses statuts toute formule de dépendance du
patriarcat russe.
Malheureusement, cette dernière décision n’aura pas suffi à mettre cette
Église orthodoxe ukrainienne à l’abri des rigueurs de la nouvelle loi n°3894
qui stipule que, pour être interdite, il suffit que sa dépendance continue à
figurer – comme c’est le cas – dans les statuts du patriarcat de Moscou.
Il s’agit d’ailleurs de l’une des raisons pour lesquelles la loi n°3894 a
été jugée contraire aux libertés par des observateurs et des analystes
indépendants et réputés, comme le juriste américain de Seattle, Peter
Anderson, fin connaisseur du monde orthodoxe.
Mais en Ukraine, cette loi a immédiatement été accueille favorablement
par tous les autres chefs des Églises chrétiennes, en ce compris
l’archevêque majeur de l’Église grecque catholique, Sviatoslav Chevtchouk.
Dans le camp orthodoxe, la proposition activement soutenue par le
patriarche de Constantinople Bartholomée est à présent celle de libérer
entièrement l’Église orthodoxe ukrainienne dirigée par le métropolite
Onuphre de tout lien de dépendance résiduel avec Moscou, peut-être en
l’incorporant temporairement dans une structure créée « ad hoc » par le
patriarcat de Constantinople.
Et on constate à cet égard une importante nouveauté, dans le chef
d’Onuphre lui-même. Ce dernier, dans une intervention réfléchie le 20 mai
dernier devant l’Académie théologique de Kiev et ensuite de nouveau le 27
mai à l’occasion d’une liturgie solennelle avec tous les Évêques de son
Église, a soutenu encore une fois « la complète indépendance canonique de
l’Église orthodoxe ukrainienne et sa séparation sans équivoque du patriarcat
de Moscou », en formulant ce souhait pour conclure :
« Nous espérons que la famille tout entière des Églises locales
‘autocéphales’ nous soutienne moralement, approuve notre indépendance
canonique et en prenne acte avec la distinction qui s’impose ».
Sur la photo ci-dessus, on peut voir le métropolite Onuphre au beau
milieu de cette liturgie solennelle, au moment où il formule cette
espérance.
Et à Rome ? Lors de
l’Angélus du 25 août 2024, le Pape François avait tiré à boulets rouges
sur la loi n°3894 juste après sa ratification par Kiev, en prenant le
contre-pied des déclarations de l’Église grecque catholique ukrainienne.
Naturellement, ni Poutine ni Cyrille ne se sont plaints de cette prise de
position de François.
Et aujourd’hui que François a fait place à Léon, qui ne s’est jamais
exprimé publiquement sur le sujet, le président russe n’a pas manqué de
profiter de son coup de téléphone du 4 juin pour inciter le nouveau pape à
être lui aussi « plus actif pour se prononcer » sur cette question bien
précise.
Mais dans la note émise par le Vatican, rien ne laisse présager une
quelconque réponse de Léon à cette sollicitation du président russe.
Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 11.06.2025