"Rechercher la vérité, sens profond de
l’existence humaine"
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« Où est le roi des juifs, qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile se lever » (Mt 2,2)
Rechercher la vérité
La démarche des mages et la vôtre se ressemblent, parce que vous êtes, un peu comme eux des « explorateurs de la vérité »( Jean Paul II, Fides et ratio).
Les mages recherchent la vérité.
Ils ont su d’abord en reconnaître les traces. Ils viennent d’Orient, - à des centaines ou à des milliers de kilomètres de Jérusalem, qui le sait ? -, et ils arrivent à la ville sainte, siège de la cité de David, vers laquelle, comme les prophètes l’annoncent, « on viendra de l’Orient et de l’Occident ». Ils ne viennent pas à la recherche de la fortune ou de la gloire ou du pouvoir, ils ne viennent pas non plus à la recherche d’une idée, ou d’une nouvelle théorie, ou d’une connaissance réservée aux savants, ou d’une philosophie particulière, ou de la solution de problèmes astronomiques. Ils viennent à la recherche de quelqu’un. De ce quelqu’un, ils connaissent déjà trois choses : c’est "le roi des juifs" ; il vient de naître ; et… ce n’est pas Hérode.
Avec toutes les ressources de leur désir de savoir, les mages veulent aller jusqu’au bout de leur recherche puisqu’il ont vu l’étoile se lever à l’Orient (cf. Lc 1,78 » le soleil levant » cit. Nb 24, 17),et ils se posent une question très concrète, celle de savoir « où est » le roi des juifs. Apparemment anodine, c’est une question majeure : celui qu’ils cherchent est non seulement roi des juifs mais bien le Messie, promis par les prophètes. On leur répond à Jérusalem que si un messie doit naître, c’est bien connu, ce sera à Bethléem. Grâce à leur question, nous sommes pour ainsi dire alertés sur l’incarnation et le réalisme de l’incarnation. Le Messie n’est pas né sur la lune mais sur notre terre et sur la terre d’Israël.
Ils ont encore beaucoup à apprendre : une fois devant l’enfant, ils apprendront son nom, « Jésus », c’est-à-dire « Dieu sauve », Jésus est Le sauveur. Et celui qu’ils vont adorer va les mener plus loin et plus profond qu’ils n’ont jamais été.
Chercher pour vivre et non pour tuer.
En contraste avec leur attitude, il y a l’attitude d’Hérode. Il ne cherche Jésus que pour le tuer. Il craint de perdre le pouvoir : il n’hésitera pas, pour le garder, à laisser tuer certains de ses propres enfants ! Nul désir chez lui de vérité. Il ne s’intéresse pas au messie, mais ce qui l’intéresse c’est de savoir l’âge de celui dont des non juifs lui apprennent la naissance. D’après les indications astronomiques des mages, il ne dispose que d’une approximation, entre un jour et deux ans, et c’est pour cela qu’il fait tuer les enfants de moins de deux ans nés à Bethléem. Hérode ne veut pas savoir la vérité, tandis que les mages la connaissent déjà, un peu comme autrefois le devin païen Balaam avait dit la vérité en bénissant Israël, alors que le roi Balaq l’avait payé pour maudire !(cf. Nb 22,11)
La démarche des mages annonce la vôtre.
Que vous soyez plus savants qu’eux, ou moins savants, peu importe. Vous avez tous reçu une intelligence et une volonté, un cœur et des sentiments. Vous êtes capables de vous poser des questions, de répondre à certaines d’entre elles, et aussi de voir que vous ne pouvez répondre à tout. Ces questions vous habitent, et certaines d’entre elles sont vitales.
Parmi ces questions, certaines touchent le sens de la vie et de la mort, qui ne sont pas posées seulement par des croyants : « pourquoi suis-je sur cette terre ? Pourquoi la vie, pourquoi la mort ? Pourquoi dois-je mourir, moi qui aime tant la vie, qu’existe-t-il après la mort, pourquoi tant de mal dans le monde ? ». Ou encore : « pourquoi, si on admet que Dieu existe, a-t-il créé l’homme au risque d’être refusé par lui et de le voir démolir la planète, ce dont l’homme est fort capable? Pourquoi la mort de l’innocent ? » D’autres questions enfin, reliées aux premières, et qui commandent les choix de la vie quotidienne et les grands choix de la vie se posent aussi : « quels sont le vrai bien, les vraies valeurs, la vraie justice ? ».
On ne peut fuir éternellement ces questions.
On ne peut les balayer d’un revers de main. C’est pourtant ce que fait le sceptique ou le blasé quand il affirme tranquillement et en se contredisant lui-même : "il est certain que rien n’est certain". Mais le scepticisme n’est pas seulement illogique, il est dangereux et même mortel. N’oublions pas que Pilate a laissé crucifier Jésus après lui avoir posé la question : « qu’est-ce que la vérité ?», dans une espèce de mélange de curiosité, de moquerie, et de paresse. Les variantes modernes du scepticisme sont nombreuses. Dire par exemple qu’il n’ y aurait aucune réalité objective et seulement des constructions culturelles, chaque période produisant son système de valeurs, selon les commodités du moment. Comme si tricher pouvait être bon aujourd’hui alors que c’était mauvais hier…Ou dire que la vérité serait le plus petit commun dénominateur réalisé à partir de plusieurs opinions, ou le pur résultat d’un consensus. Il suffirait d’être d’accord pour dire que quelque chose est vrai pour que cela le soit. Ou de voter une loi pour qu’elle soit bonne. Or la vérité elle-même ne dépend pas de nous, même s’il dépend de nous de la chercher ; nous sommes capables de l’exprimer mais nous ne la fabriquons pas. Nous savons par exemple que l’unité, les différences et la complémentarité entre l’homme et la femme ne sont pas des constructions de l’esprit, mais une réalité donnée, belle, à recevoir. Nous savons que nous naissons et que nous mourrons, nous savons qu’il existe une différence entre le bien et le mal et que « la voix de notre conscience nous presse d’accomplir le bien et d’éviter le mal »(cf.Veritatis splendor 31-64) etc.
Vérité et mensonges
La recherche de la vérité ne s’oppose pas seulement au scepticisme mais au mensonge. Je ne parle pas du mensonge grossier mais du mensonge qui séduit par des arguments, impressionnants à première vue, et qui trompe, souvent à des fins commerciales ou politiques. C’est le principe même de la méthode sophistique : dans la Grèce ancienne, les sophistes louaient souvent très cher leurs services pour faire passer n’importe quelle idée à n’importe quel public. En faisant passer pour évident ce qui ne l’est pas. Or le mensonge a des conséquences néfastes non seulement pour l’individu mais pour la société. Il a lui aussi une dimension politique. C’est ainsi qu’en invoquant le bien de tous, dans l’intention souvent sincère de construire une société plus humaine, et en disant que cela prendrait du temps, on a fait accepter, en se servant de la peur et de la jalousie, que des hommes et des femmes soient exécutés, emprisonnés et qu’on passe leur disparition au compte des pertes inévitables, comme si la personne, chaque personne n’avait pas d’importance par elle-même. On a cherché ainsi à justifier des guerres, des génocides, des déportations. Autre exemple : du jour où on a réussi à faire croire à des populations qu’il existerait une race supérieure aux autres, on a fait pratiquement admettre l’extermination des juifs, des tziganes, et d’autres. Et ceci n’est pas que du passé : quand on cherche à persuader qu’un embryon n’est pas une personne humaine, ou qu’une personne handicapée n’est pas utile, ou qu’on devrait favoriser l’euthanasie des personnes âgées, la société qu’on s’apprête à construire devient aseptisée et suicidaire. De même, devant le problème énorme de la faim dans le monde, ou les questions écologiques, on voit bien que des questions de vérité sont en cause, et mettent en jeu la responsabilité de l’homme. Et combien d’autres exemples…
La transmission de la foi et la vérité.
Votre génération se méfie à juste titre des affirmations péremptoires et autoritaires, sans fondement assuré. Elle a raison de se méfier des systèmes de pensée idéologiques, dont la prétention à détenir la vérité sur le monde et sur l’histoire en se passant de Dieu et en s’opposant à la foi ont trop montré à quoi cela pouvait aboutir. Mais ceci ne doit pas décourager mais stimuler la recherche du vrai et son accueil. Car la splendeur de la vérité existe et elle resplendit comme une lumière. Je vous propose comme chemin pour la découvrir la tradition de la foi, la transmission de la foi.
Elle nous montre comment les croyants ont cherché la vérité, et l’ont trouvée en accueillant la révélation, non pour l’enfermer en un système mais pour se laisser guider, éclairer, libérer par elle, comme le dit l’apôtre
: «
la vérité vous rendra libres
».
On entend dans la Bible les questions fondamentales que nous citions tout à l’heure : Ben Sirac le sage, Job, la sagesse de Salomon, Qohélét, les Psaumes de David, les Proverbes. Ces sages inspirés, qui se font aussi l’écho de la façon dont ces questions sont posées dans les cultures de leur temps. Mais l’Ecriture sainte ne fait pas que cela : à travers elle, Dieu dévoile et révèle par sa parole la vérité des choses et des êtres, et c’est ce qui donne aux sages l’audace pour les dire. Ils encouragent à la fois à acquérir la sagesse( cf. Pr 4,5) et ils rappellent que c’est Dieu qui en est la source.
Cela ne se présente d’ailleurs jamais comme une théorie mais comme un rappel de l’histoire et des faits qu’on médite et où on reconnaît la fidélité de Dieu, sa solidité, sa vérité. Et la sagesse consiste à le comprendre et à en tenir compte, aussi bien pour comprendre la création que la place de l’homme dans la création, ou la place du commandement de Dieu et de son alliance.
Ce que dit et fait Jésus nous révèle la vérité en pleine lumière.
Les foules qui se pressent pour l’entendre et écoutent le discours sur la montagne ou les paraboles attendent de Jésus la clef du bonheur et de la vérité. Et Jésus ne leur donne pas une opinion parmi d’autres, mais « ce qu’il entend d’auprès de son Père ». Et c’est pourquoi il ose dire : «
On vous a dit…moi je vous dis
». On voit avec Lui comment la vérité n’est pas une phrase ou une définition, mais La personne même et la manière d’être et d’agir de Dieu. C’est la fidélité de Dieu à lui-même, et à sa promesse. Jésus nous dit et nous montre en chair et en os Qui est la vérité et comment elle se recherche et se trouve pour être mieux cherchée. Dieu est vrai parce qu’il se donne vraiment et pleinement dans son Fils, qui est vraiment né, a vraiment souffert la passion, est vraiment mort pour nos péchés, et est vraiment ressuscité. Celui même qui a dit à ses disciples « Je suis le chemin, la vérité et la vie », l’a prouvé. Il promet l’Esprit qui « conduit à la vérité toute entière », c’est-à-dire lui-même, et s’adresse au monde entier, y compris aux Pilate : » je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». Les disciples ont compris que cela fait partie intégrante de la bonne nouvelle. Le savoir, l’apprendre, c’est ce qu’ Edith Stein appellera la « science de la croix ». Seuls peuvent en approcher les pauvres de cœur ; c’est caché aux orgueilleux, car la vraie sagesse n’était accessible qu’aux plus pauvres.
Jésus invite ses disciples, à aimer la vérité.
Il les invite d’abord à être vrais, à « vivre selon la vérité », à « faire la vérité .C’est en « faisant la vérité » (cf. 1Jn) et en y rendant témoignage que le combat contre le mensonge, contre la fausseté s’accomplit. Nous comprenons cela en regardant d’abord les martyrs. Le martyre est témoignage rendu à la vérité de l’amour. Il est prolongation et illustration de la vérité de la croix : depuis St Etienne, depuis les docteurs de la foi, aux martyrs des camps de concentration, du goulag, des camps dits de rééducation. Nous le comprenons en admirant dans notre vie quotidienne ordinaire, tout proches de nous, le témoignage des moines, des consacré(e)s et de tous ceux et celles qui vivent vraiment dans le mariage ou dans le célibat selon les conseils évangéliques la pauvreté, la chasteté et l’obéissance.
Tout homme est orienté
Avant de connaître Jésus, il est vraisemblable que les mages ne connaissaient pas l’Ecriture, et pourtant leur recherche les a conduits au seuil de la vérité de Dieu. On peut deviner qu’il y a eu pour chacun d’eux, appartenant chacun à une culture différente de celle de l’autre, toute une préparation à l’accueil de la foi. Cela a comporté une quête de l’intelligence et du cœur et de la volonté. Tout ce travail correspondait à un véritable et profond attrait pour ce qui comble l’intelligence, et qui est au fond de l’être humain. Cet attrait pour le vrai, le beau, le bien, n’est jamais complètement absent de tout homme, comme nous le montrent les œuvres et les recherches des penseurs et des philosophes, des hommes de science, et des artistes.
La révélation nous dit, elle-même, la grandeur et la valeur de l’intelligence et de la volonté de l’homme et de la femme créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il y a en l’homme une exigence de vérité et de totalité. Il est insatisfait en son intelligence et en tout lui-même s’il ne connaît pas le vrai. Il est fait pour la vérité, et il peut avoir accès « grâce aux œuvres visibles« à «l’invisible que Dieu laisse voir ainsi à l’intelligence », et il peut » connaître avec certitude Dieu (comme) principe et fin de toutes choses » ( Vat I, DS 3004,3026). Mais comme il est pécheur, il a du mal à raisonner en toute droiture « facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d’erreur ». (3005).
Et en tout cas, seule la révélation accueillie par la foi lui fera connaître avec absolue certitude non seulement l’existence de Dieu, mais le mystère de l’amour trinitaire, et la vocation de l’homme à la communion éternelle avec Dieu.
A partir de là l’homme est invité à accueillir la vérité non pour la posséder comme on possède un objet, mais comme on est guidé et éclairé par une lumière qui fait voir l’horizon, la place et le but de toute chose.
Et ceci est de première importance pour la liberté humaine : l’homme comprend ainsi qu’il n’est pas le jouet du destin, comme une boule qu’on tire au sort, suivant le caprice d’un destin abstrait, mais comme le sujet qui se situe dans l’histoire, et qui fait l’histoire. Connaître Dieu dans le Christ ne va pas l’écraser, mais va lui dévoiler sa dignité et sa grandeur d’homme. Cela ne le dispense pas d’exercer sa liberté, mais au contraire l’invite à demander le pardon des péchés, pour pouvoir mieux agir en fils et servir de toutes ses forces ses frères. Il peut alors prendre et il doit tenir sa place dans le monde. Pour tenir cette place, il faut l’accepter ; pour l’accepter et la recevoir, il faut la connaître.
A tout âge, la responsabilité de la vérité
Les icônes byzantines représentent souvent les mages par trois personnages d’âge différent : un jeune sans barbe, un homme à barbe noire et un homme à barbe blanche...Ceci nous avertit que la vérité n’est pas réservée à une catégorie : les doués ou les pas doués, les jeunes ou les plus âgés. Certes il est utile et nécessaire d’avoir des aides et des pédagogues pour avancer sur ce chemin, mais la recherche et l’adhésion à la vérité est un chemin éminemment personnel, que personne ne peut accomplir à votre place. La quête de la vérité est elle-même une responsabilité majeure, peut-être la plus grande donnée à l’homme, dont personne ne peut vous dispenser.
Une quête fraternelle
En même temps, cette quête n’est pas solitaire. La recherche et l’écoute de la vérité font l’objet de dialogues, comme l’ont bien compris Platon, Socrate, et saint Augustin autrefois et, proche de nous, le cardinal Newman, Frédéric Ozanam, Edith Stein. Il ne s’agit pas ici du plaisir de se retrouver pour bavarder mais de s’encourager et de mettre en oeuvre l’amitié véritable dans l’accueil et la recherche de la vérité. Mais il y a surtout ceci : s’il existe une vérité, elle existe pour tous et non seulement pour moi. La vérité n’est pas sectaire, et n’y ont pas accès que quelques privilégiés ou initiés. Elle n’est pas faite pour être cachée mais pour briller et être offerte.
Un étonnement
La quête du vrai suppose d’abord la capacité d’étonnement, l’humilité, et le regard contemplatif. Et pour cela une sorte d’ouverture admirative pour le réel, pour les choses et les personnes. Contempler ne veut pas dire rêver, mais scruter pour se laisser instruire…Ne passons pas de façon distraite à côté des merveilles de la création, depuis la fleur fragile jusqu’aux galaxies en passant par les lépidoptères. Si nous regardons longtemps, nous ne pourrons pas ne pas nous demander comme le font les enfants : pourquoi çà, ici, maintenant ? J’ai parlé aussi de l’ouverture et de l’écoute bienveillante des personnes. Il y a évidemment une relation entre le fond de la personne et ce qu’elle dit. Mais c’est une règle fondamentale que de ne pas confondre la personne avec ce qu’elle dit. Une personne n’est pas toute entière dans ce qu’elle dit. Ce n’est vrai que pour le Christ. Nous avons quant à nous la propension à juger la personne à partir d’un mot ou d’une de ses attitudes. Rien de plus contraire à l’amour de la vérité. Il faut apprendre, si quelqu’un émet une parole juste, le reconnaître, même si la personne ne nous est pas sympathique. Inversement, ce n’est pas parce qu’ une personne a tout pour elle, charme, intelligence, autorité et pouvoir, qu’elle dira toujours des choses justes et vraies. Même s’il est bon d’avoir un a priori bienveillant, il faudra avoir la force et le discernement nécessaires pour accorder plus d’importance à la vérité qu’à l’estime ou à la réputation. « Tu es mon ami, mais la vérité est davantage encore mon amie ». Mais toujours, dans ce qui est dit, voir et essayer de comprendre où se niche la parcelle ou la pépite de vérité.
La patience
Dans la recherche du vrai, nous avons hâte de trouver, et «
notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi
». Nous sommes un peu semblables dans notre recherche de la vérité à ce papillon enfermé dans une pièce qui cherche la lumière et se cogne contre la vitre d’une fenêtre entrouverte tant qu’il n’a pas trouvé l’ouverture. Et cette recherche est d’autant plus fatigante que l’ouverture de la fenêtre n’est pas à l’extérieur de nous-même mais à l’intérieur, au plus profond ! Saint Augustin confesse dans ces mots célèbres son expérience : « bien tard je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au dehors et c’est là que je te cherchais(…) » tu étais avec moi et moi je n’étais pas avec toi ; elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant, si elle elles n’existaient pas en toi, n’existeraient pas »( Conf., X,27,38). Mais aussi, la vérité ne se laisse découvrir que peu à peu à l’intelligence exigeante et humble. On ne possède pas la vérité mais c’est au contraire la vérité qui nous éclaire.
Un travail
Dans la recherche de la vérité et du sens de l’existence humaine, il faut bannir la paresse et la superficialité. Je fais appel ici à un autre insecte : il nous faut ici ressembler davantage à l’abeille qu’au papillon, sans avoir peur de la bonne fatigue, semblable à la fatigue sportive ! « Insiste, mon esprit, et tends tes forces : Dieu est notre force ; c’est lui-même qui nous a faits, et non pas nous. Tends tes forces du côté où blanchit l’aube de la vérité » ( Conf., XI,27,34) . Je veux ajouter aussi qu’il est bon d’éviter la mauvaise fatigue. L’abeille butine et sélectionne, et ne va pas n’importe où. Et c’est pour cela que cela donne toujours du miel et de la cire, et non pas de la confiture ! Même s’il est normal d’être curieux de toutes choses, et de n’avoir pas l’esprit borné, il faut apprendre à ne pas laisser dix chantiers ouverts sans aller au fond d’un seul… L’appétit de savoir qui caractérise l’homme est faussement nourri par la seule quantité des connaissances, si facilement aujourd’hui à notre disposition avec les moyens comme internet. Il nous faut sans cesse apprendre qu’il y a une différence entre la recherche de la vérité et la satisfaction de notre curiosité (cf. S.Th 2-2,167, 1 ;2-2,35,4 ).
Le courage de la vérité
Il faut même une espèce de courage. Le courage de la vérité, c’est deux choses. La première consiste à approfondir, à aller jusqu’au bout d’une recherche, quitte à dire qu’on ne peut plus par ses propres forces trouver, et que la raison humaine constate ses limites. La seconde c’est de la dire quand on l’a trouvée, et quand on a mission de l’annoncer ou de l’enseigner, mais « avec beaucoup d’humilité et le souci d’instruire » même si cela déclanche l’incompréhension et si cela nous coûte l’estime et l’amitié de nos amis. Saint Albert de Grand, le maître de saint Thomas d’Aquin, le célèbre théologien qui après avoir enseigné à Paris, (d’où le nom de la place Maubert), devint régent des études à Cologne où il mourut en 1280. Tandis qu’il lisait courageusement les philosophes païens et s’affrontait à leur pensée, il a rencontré autour de lui d’énormes résistances, comme S. Thomas d’Aquin en rencontrera lui aussi, et a reproché à ses frères leur paresse et leur conformisme intellectuels. John Henry Newman a souffert aussi devant l’incompréhension des siens quand il leur expliquait ce qu’il avait compris par la lecture des pères de l’Eglise : l’aboutissement de sa foi née dans l’anglicanisme était le catholicisme. Mais ce fut aussi le courage d’Edith Stein, dans sa découverte du Christ, sans oublier ses racines juives, et sans renier ses recherches philosophiques.
L’entrée dans le palais.
La vérité de l’amour de Dieu révélée en Jésus Christ demande à être scrutée. Plus on entre dans le mystère de Dieu, comparé par Ste Thérèse d’Avila à un magnifique palais, plus on le trouve grand et beau, plus cette vérité est fascinante et nous dépasse, et plus on trouve qu’il est difficile d’en parler de façon juste, sans réduire et sans trahir sa splendeur. Mais aussi, plus on désire entrer le plus loin possible dans les profondeurs de ce palais. Nous cherchons à « comprendre pour croire davantage » et « la foi nous conduit à comprendre mieux ». En même temps, ce mystère révélé, « nous ne pouvons pas ne pas en parler » ( Ac 4,20) et nous ne pouvons pas ne pas inviter tout homme à y entrer. Pour ce faire, nous devons à la fois très bien entendre, voir et connaître le Christ, et très bien connaître, respecter, aimer nos contemporains. Sans avoir peur d’écouter les questions, en cherchant le dialogue et la confrontation avec la culture de chaque époque. Avec toute notre foi et aussi toute notre intelligence, sans aucunement mépriser nos connaissances scientifiques et philosophiques,
La diaconie de la vérité
Dans une de ses dernières encycliques, Fides et ratio, Jean Paul II soulignait qu’un des plus grands services que l’Eglise propose au monde, c’est ce qu’il appelle la « diaconie de la vérité »(2). Comme participants par le baptême à la mission du Christ Prophète, vous êtes et « nous sommes avec le Christ au service de la vérité divine »(Redemptor hominis 19). Mais, vous l’avez bien compris, il ne s’agit pas d’une doctrine abstraite, mais de la vie divine et de la participation des hommes à la vie divine. Cette vérité dont toutes les autres dépendent nous a été donnée et révélée sur la croix, et nous ne pouvons en être témoins qu’en acceptant la sagesse de la croix, la sagesse de l’amour livré et donné. C’est pourquoi la vérité ne s’assène pas comme un clou s’enfonce sous les coups de marteau, mais comme une eau proposée à ceux qui découvrent à quel point ils ont faim et soif.
Nous ne l’inventons pas mais nous la découvrons, à la manière dont les mages après avoir remarqué l’étoile en ont suivi la trajectoire qui les conduits vers Jésus. C’est encore et toujours l’Esprit Saint, l’Esprit de vérité, qui vous conduit et nous conduit « vers la vérité toute entière ».
Eric AUMONIER, Evêque de Versailles
"Rencontrer
le Christ dans l’Eucharistie" |
« Ils virent
l’enfant avec Marie sa mère et, tombant ( à genoux), ils se prosternèrent devant
Lui »( Mt 2,11)
Aujourd’hui il nous est proposé de nous appuyer sur la rencontre des mages et de
Jésus pour renouveler notre goût de rencontrer Jésus le Christ dans
l’Eucharistie. Un résumé très beau de l’invitation qui nous est faite se trouve
dans une des prières de la messe pour la fête de l’Epiphanie : « Regarde avec
bonté, Seigneur, les dons de ton Eglise qui ne t’offre plus ni l’or ni l’encens
ni la myrrhe mais Celui que ces présents révélaient, qui s’immole et se donne en
nourriture » (Collecte de l’Epiphanie).
La présence cachée.
Commençons par nous étonner : les mages païens reconnaissent le Seigneur, et la
royauté du Messie, alors que celui-ci se présente à eux tel qu’il est, sans
qu’émane de lui visiblement aucun signe de grandeur et de majesté. Déjà le
mystère de la présence divine parmi les hommes, réelle et voilée, est
expérimenté par les mages. Ils voient un enfant, qui est à la fois vraiment un
vrai enfant, né de la Vierge Marie, et non moins vraiment Le Bien Aimé du Père,
celui en qui Dieu a mis toute sa complaisance, et qui apparaîtra transfiguré à
Pierre, Jacques et Jean… Le Créateur, dans la pauvreté extrême et le dénuement,
mais aussi dans la totale ouverture et disponibilité, se donne à voir à ceux qui
par grâce ont la foi, et demeurent cachés aux incrédules.
Il y a là pour nous une vraie invitation à demander au
Seigneur : donne moi la simplicité du cœur, donne moi l’Esprit Saint pour voir
ce que tu me donnes de voir !
Et c’est particulièrement vrai dans l’Eucharistie, où le Christ se rend présent
en personne d’une façon réelle mais cachée, unique en son genre. Non pas parce
que cette présence soit imaginaire ! Au contraire, et c’est pour cela qu’on
parle de présence réelle, il est présent tout entier: vrai Dieu et vrai homme,
âme, corps, mais de façon sacramentelle, à la fois caché à nos yeux et indiqué
par ce que nos yeux voient : les espèces du pain et du vin, dans leur simplicité
et aussi leur force. Jésus en instituant l’Eucharistie se donne lui-même, en
disant : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Autrement dit : « C’est moi
». Il ne dit pas : » ceci est comme mon corps », ou « ceci vous fait penser à
mon corps », mais « ceci, mon corps ». Si Jésus avait voulu faire des
comparaisons, il l’aurait fait, comme il le fait ailleurs, notamment lorsqu’il
parle du royaume des cieux : « le royaume des cieux est semblable à ». Ce n’est
pas le cas ici. C’est une affirmation aussi nette que celle où Jésus dit « je
suis la vérité » ou « je suis le bon pasteur »…
Il ne nous invite pas seulement à partager ses sentiments ni à faire seulement
mémoire de lui ou à communier à sa pensée, mais à le recevoir lui-même en
personne. Il avait depuis longtemps préparé ses disciples à le recevoir, en
étant le plus explicite possible : »si vous ne mangez pas la chair du Fils de
l’Homme et ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous »… « celui qui
mange de ce pain vivra éternellement », « celui qui mange mon corps et boit mon
sang a la vie éternelle »(Jn 6,53-54). Nous n’avons donc pas affaire dans
l’Eucharistie à un symbole ou à une image, mais à Lui, et donc par Lui au Père
et à l’Esprit qui vivifie.
Dieu se donne
Poursuivons notre contemplation. Jésus contemplé et adoré par les mages se livre
et s’offre, il se donne. Il le fait maintenant, dans la dépendance d’un enfant,
et il le fera toute sa vie durant. La situation de l’enfant est passagère mais
ce qui est constant, c’est la mise à disposition du Fils unique, celle de toute
sa vie. « En entrant dans le monde, le Christ dit :’tu n’as voulu ni sacrifice
ni oblation, mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé ni holocaustes ni
sacrifices pour le péché. Alors, j’ai dit : "voici je viens…pour faire ô Dieu ta
volonté » (He 10,5-7. En adhérant complètement à l’amour du Père pour les
hommes, il s’offre librement, sa vie est offerte de sa naissance à sa mort,
comme il le dit lui-même, « ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne"
( Jn 10, 18).
La scène des mages annonce à sa manière la mort où s’accomplira le sacrifice de
Jésus. Elle se déroule, ne l’oublions pas, dans un climat dramatique.
L’intention meurtrière d’Hérode, qui répète l’attitude de Pharaon, la fuite
obligée de Jésus en Egypte, le massacre des saints innocents, préfigurent le
meurtre de l’innocent que sera le meurtre de Jésus. Mais c’est à la dernière
cène que Jésus expliquera le sens de sa mort et nous laissera en mémorial son
corps et son sang : « voici mon corps, voici mon sang livrés pour la multitude
». «Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; toutes les fois que vous
en boirez, faites le en mémoire de moi »( 1Co 11,25). Jésus ne se suicide pas,
il s’offre par amour et obéissance à l’amour de son Père pour les hommes de sa
naissance à sa mort. Le don de sa vie commencé à l’incarnation, dont tout le
sens nous est donné le Jeudi Saint, s’accomplit au calvaire, et nous ouvre à la
résurrection bienheureuse. Ce qui est sublime ici, ce n’est pas seulement le don
d’amour tout à fait unique de Jésus unique sauveur, qui est mort une fois pour
toutes et pour tous les hommes, mais c’est le fait qu’il veut que ce sacrifice
soit perpétué, et pas simplement remémoré, lorsqu’il dit à ses disciples : «
Faites ceci en mémoire de moi ».
Relevé d’entre les morts, est aujourd’hui vivant par la puissance de l’Esprit
Saint, il se donne aujourd’hui dans l’Eucharistie par la même puissance de
l’Esprit, et le ministère de l‘Eglise. Jésus se rend présent de façon
sacramentelle chaque fois que l’unique sacrifice de la croix est célébré à la
messe partout dans le monde et jusqu’à la fin des temps. « Chaque fois que le
sacrifice de la croix par lequel le Christ notre Pâque a été immolé se célèbre
sur l’autel, l’œuvre de notre rédemption s’accomplit »( L.G.3). Ce n’est pas la
multiplication du sacrifice de la croix mais la présence de l’unique sacrifice à
tous les moments de l’histoire et en tous les lieux où la messe est célébrée.
Sanctifiés pour offrir
Mais il y encore une autre chose admirable. Vous avez remarqué le geste très
beau des mages qui offrent les présents. Parmi ces présents, il y a la myrrhe,
parfum employé et même réservé à l’ensevelissement…Il y a là une indication très
fine de la mort de Jésus, qu’on retrouvera d’ailleurs lorsque six jours avant la
Pâques, Marie « oint les pieds de Jésus avec un parfum de vrai nard très coûteux
»( 12,3). Ce geste est fait par amour, un amour reconnaissant, à l’avance,
l’amour de Dieu manifesté en Jésus. Les mages "ont vu de leurs yeux et touché de
leurs mains et entendu de leurs oreilles le verbe de vie" (cf. I Jn). Et ils
offrent leurs présents. Mais qui offre le plus ? Jésus ou les mages ? Ils
entrent désormais dans l’attitude de Jésus qui les entraîne dans son adoration
et son action de grâces à lui. Celui qui est devant eux va les entraîner dans
son offrande de fils. Certes ils offrent les présents, mais désormais ils vont
comprendre que le plus grand cadeau fait à Dieu, ce sera de lui offrir son Fils
et de s’offrir eux-mêmes avec lui et grâce à lui, leur cœur, retournés et
transformés par l’offrande de Jésus lui-même.
Dans le mystère de l’Eucharistie, Jésus ne se donne pas davantage en spectacle
qu’il ne se montrait aux mages comme s’il s’agissait de répondre à leur
curiosité. Jésus dans l’Eucharistie transforme et sanctifie ceux et celles qui
s’ouvrent à lui dans la foi. Sa présence n’est pas celle d’un objet, n’est pas
une présence statique. C’est la présence dynamique de sa personne. Lui qui est
l’alliance en personne entre Dieu et l’homme, il nous fait entrer dans son
alliance nouvelle et éternelle. Il nous transforme et nous sanctifie par son
amour pour nous assimiler à lui. L’amour infini de Dieu est contagieux : Il
donne à ses disciples d’entrer vraiment dans son offrande. Il leur donne non
seulement de l’offrir, mais de s’offrir avec Lui.
L’amour de Dieu totalement vécu par Jésus et totalement reçu par Lui nous est
communiqué. L’offrande du Christ et le salut fait de nous des offrants : Jésus
nous rend l’offrande possible et à ce que notre offrande fasse partie de la
sienne : « fais de nous-même une éternelle offrande à ta gloire ». Rencontre
tout au long de notre vie qui nous transforme nous même en hostie.
Le Fils du Père, l’Eglise, et l’univers.
La scène de la visite des mages a bien sûr pour centre Jésus lui-même. Mais
Jésus n’est pas seul. En le voyant, ils voient le Père, ils ont accès à la joie
de l’Esprit Saint, ils sont initiés à communion à la vie trinitaire. Jésus à la
crèche n’est pas non plus séparé de sa mère ni de Joseph. Il est au centre d’une
constellation, avec les anges, les bergers et les mages, qui annoncent à leur
manière la venue des disciples de tous les siècles à venir. Nous nous trouvons
ici devant le mystère de l’union du Christ et de l’Eglise. Jésus n’est en effet
jamais séparé des siens et de l’Eglise, et Jésus aime son Eglise et se livre
pour elle en l’associant à sa mission. Et l’Eglise n’a pas d’autre mission que
de conduire à Jésus. Ce mystère de l’Eglise est exprimé avec force dans la scène
de la crucifixion, où Jésus confie le disciple à Marie et Marie au disciple : «
voici ta mère », mais aussi bien sûr lors du dernier repas où au lavement des
pieds Jésus apprend à toute l’Eglise et à ses apôtres en premier lieu que le
serviteur n’est pas plus grand que son maître, mais qu’il est appelé à être avec
lui serviteur en donnant sa vie. Jésus le Fils avec le Père et l’Esprit est
contemplé et aimé comme le créateur du ciel et de la terre. Il est à la tête et
au cœur du renouveau de l’humanité et du cosmos.
Jésus qui prie pour tous ceux que le Père lui a confiés élargit ainsi à l’infini
nos perspectives et notre prière, puisqu’il nous entraîne dans son action de
grâces et nous donne d’intercéder pour les pécheurs, de prier pour les vivants
et pour les défunts, dans la communion des saints.
Le ministère du prêtre
Il demande et il donne à son Eglise, en choisissant des hommes qui seront
consacrés par l’Esprit Saint, d’offrir son sacrifice en s’offrant aussi
eux-mêmes et en invitant leurs frères et sœurs à faire de leur vie un sacrifice
spirituel. Mystère de la confiance faite et de la mission et consécration des
ordonnés au sacerdoce ministériel. A chaque époque, même aux plus troublées, le
Seigneur choisit pour le ministère de l’Eucharistie des hommes qu’il associe
d’une manière unique à son sacrifice. Pensons ici bien sûr au prêtre Karl
Leisner béatifié par Jean Paul II il y a dix ans, l’un des prêtres allemands qui
nous sont donnés en exemple. Pendant la guerre où il fallait l’héroïsme de la
foi pour s’opposer au nazisme païen triomphant et insolent, ce jeune allemand
responsable d’un mouvement de jeunesse catholique sera ordonné prêtre à Dachau
le 17 Décembre 1944 par Mgr Piguet, év. de Clermont Ferrand, emprisonné comme
lui, et mourra des suites de sa déportation au sanatorium de Planegg. Il n’aura
célébré la messe qu’une fois dans sa vie. Mais il a été dans cet enfer sur terre
qu’était le camp la présence du Christ serviteur offrant sa vie.
A une autre époque, au 3eme siècle, en Syrie, L’Evêque Ignace d’Antioche,
conduit vers le lieu de son martyre, demandait déjà ceci aux chrétiens : « ne me
procurez rien de plus que d’être offert en libation à Dieu, tandis que l’autel
est encore prêt, afin que réunis en chœur dans la charité, vous chantiez au Père
dans le Christ Jésus, parce que Dieu a daigné faire que l’évêque de Syrie fût
trouvé en lui, l’ayant fait venir du levant au couchant. Il est bon de se
coucher loin du monde vers Dieu, pour se lever en lui (…) Ne demandez pour moi
que la force intérieure et extérieure, pour que non seulement je parle, mais que
je veuille, pour que non seulement on me dise chrétien mais que je le sois
trouvé de fait (…)laissez moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me
sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par
la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ ( Rom 2,1 ;3,2 ;4,1)
La communion dans la charité
Le point de convergence des bergers, des anges, des mages,
de l’humanité toute entière est le Christ. Celui qui vient à notre rencontre et
auquel nous communions est le même pour tous et chacun. « C’est l’unique et même
Christ qui est présent dans le pain eucharistique de chaque lieu de la terre »
(Benoît XVI). Le Christ se donne tout entier à tous et à chacun et fait de nous
son corps. »Parce qu’il n’y a qu’un seul pain, à plusieurs nous ne sommes qu’ un
corps, car tous nous participons à ce pain unique »( 1 Co 10,17). Le
Christ invite tous les hommes à le recevoir dans la foi, lui le pain vivant venu
pour la multitude. L’Eucharistie est le sacrement de l’unité de l’Eglise,
ferment de l’unité du genre humain, parce que c’est la charité en sa source qui
nous est communiquée. Et c’est précisément pour cela qu’il est si douloureux de
constater les divisions entre chrétiens, et c’est une contradiction complète de
nous en accommoder. Il nous faut prier avec intensité et faire des gestes
concrets pour nous pardonner et nous entendre pour que nous puissions enfin
participer tous à l’Eucharistie du Seigneur. Participer à la messe, nous
présenter devant le Seigneur, doit aller de pair avec un engagement résolu
d’aller à la rencontre de nos frères et de les laisser nous rencontrer pour
tendre ensemble à la pleine unité, qui fait l’objet de la prière instante du
Seigneur. C’est un chemin de conversion urgent et indispensable. On ne peut
s’accommoder de la division entre chrétiens et encore moins entre catholiques.
Ce ne doit pas être pour rien qu’on chante le jour du Jeudi Saint pendant le
lavement des pieds : « ubi caritas et amor Deus ibi est »( où sont amour et
charité, Dieu est présent), et qu’on appelle cette cérémonie la cérémonie du «
mandatum »(le commandement de l’amour). Communier au Christ, c’est communier à
son amour, et c’est vouloir communier avec Lui et grâce à Lui tous ensemble.
C’est adorer et intercéder pour soi et pour le monde et pour l’Eglise, pour les
vivants et pour les morts.
«Tombant à terre, ils se prosternent pour adorer ».
Par ce geste les mages expriment avec le corps l’admiration, l’amour et la foi
de ceux qui « plient les genoux devant Dieu » ( Esd 9,5 ; Ps 94,6 ; Is 45, cité
dans Rm 14,11); ils voient « celui qui de condition divine ne retint pas
jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais que Dieu a exalté…afin qu’au nom
de Jésus tout genou fléchisse au plus haut des cieux, sur la terre et dans les
enfers »(Phil 2,10)….
C’est ce même geste que nous faisons chaque fois que nous rentrons dans une
église, en reconnaissant la grandeur et la bonté de Celui auquel nous nous
adressons en toute confiance, ou quand nous adorons le Seigneur dans
l’Eucharistie. D’abord dans la liturgie elle-même, fut-ce de façon discrète : la
vénération de l’autel, puis celle du corps et du sang après la consécration et
avant la communion:… Mais aussi dans la vénération de l’Eucharistie hors de la
célébration de la messe.
Ce n’est pas un geste d’esclave mais au contraire l’attitude de ceux qui « ne
plient les genoux que devant Dieu « (cf. 1 R 19, 10.18 cité dans Rom 11,4 ; Est
3,2), qui refusent de plier les genoux devant quiconque d’autre, puisque nous
sommes tous fils et filles du même Père des cieux. Cette attitude, qui n’empêche
ni la confiance ni la familiarité, est très significative de la grandeur de
l’homme admis en la présence et en l’intimité du créateur. Tellement
significative que les dictateurs d’hier et d’aujourd’hui cherchant à rabaisser
l’homme exigeaient ou exigent qu’on s’agenouille devant eux et devant eux
seulement !
C’est aussi l’attitude de la prière d’imploration et de supplication dans la
détresse que nous trouvons chez Jésus lui-même (: « Jésus se mit à genoux et fit
cette prière … » (Lc 22,41 //)), que l’on retrouve chez les premiers disciples,
Etienne au moment de son martyre (Ac 7,60), ou Pierre avant de ressusciter une
fidèle (Ac 9,40), ou Paul faisant ses adieux aux anciens d’Ephèse (Ac 20,36).
Ce geste n’est pas seulement attitude extérieure mais manifeste une des clefs de
l’existence spirituelle des mages et de nous-même. L’adoration, qui vient du
sacrifice du Christ et débouche sur la communion avec lui et donc avec nos
frères et sœurs, est une clef pour l’action missionnaire et pour servir l’action
de l’Esprit Saint qui nous unifie dans la même foi et la même charité. C’est
particulièrement vrai dans l’adoration eucharistique. Ce n’est pas un spectacle,
Jésus ne se montre pas en vision ou en apparition, mais il se donne, et en se
donnant il s’offre et nous offre avec lui, et fait de nous une offrande au Père.
Il nous donne de communier entre nous et avec lui.
Une fois… chaque fois
Pour les mages la rencontre historique avec Jésus aura lieu une fois seulement.
Elle sera comme leur « viatique », leur nourriture et leur lumière sur le chemin
du retour.
Pour nous dans l’Eucharistie la rencontre sacramentelle de Jésus se réalise
chaque fois que l’Eucharistie est célébrée. Cette rencontre ne porte du fruit
bien sûr que si nous recevons le Seigneur dignement, dans la foi. Ce qui est
particulièrement admirable, c’est la « condescendance de Dieu » à notre égard,
s’adaptant pour ainsi dire à notre temps et à notre espace, voulant nous
rejoindre et nous unir à lui partout où par le ministère du prêtre il se rend
présent, il vient à notre rencontre chaque fois que la messe est célébrée,
chaque jour de l’histoire humaine. Ceci doit nous aider à comprendre et à vivre
et la répétition et le caractère rituel de la célébration eucharistique: c’est
par surabondance de son amour que le Seigneur se rend présent à notre foi ! Il y
a là une sorte d’adaptation, comme disait S. Irénée, c’est-à-dire le fait que
l’Esprit et Le Fils nous adaptent au Père. Et ceci se fait dans la rencontre de
Jésus en ses mystères. C’est pourquoi pour les chrétiens l’année est année
liturgique, et toute entière marquée par la liturgie, c’est-à-dire que notre
temps créé est imbibé de la présence et de l’action divine et que nous voulons y
correspondre, en prêtant toutes nos forces pour que cela ne soit pas seulement
des mots et pas seulement des exercices de piété mais une authentique
conversion.
Le jour du Seigneur( dies dominica)
Je profite de la circonstance pour nous rappeler l’importance du Dimanche, jour
où nous rappelons tout particulièrement la résurrection du Seigneur et où les
chrétiens sont invités « à boire l’eau vive », où le Seigneur veut nous recréer.
Le Dimanche ne va plus de soi comme jour férié dans nos pays de consommation
effrénée, qui par ailleurs sont très sensibles à l’augmentation ou à la
diminution des congés. Quel est le vrai repos, quelle est la véritable «
re-création » de celui et de celle qui ont reçu la garde du monde créé et le
service de la louange ? C’est à vous aujourd’hui qu’il revient de le rappeler en
vivant vraiment ce jour comme le jour du Seigneur. Ce jour n’est pas un jour où
on se met entre parenthèses et où se défoule en se perdant, mais un jour
particulièrement intense, où le Seigneur de recevoir à nouveau notre unité et
notre grâce intérieures, en s’ouvrant et en ouvrant notre porte. Au cours des
siècles, il a sans cesse fallu reconquérir le sens du Dimanche. Puissions nous
dire comme le faisaient certains martyrs, à ceux qui s’étonnaient de leur
pratique du Dimanche : « sine dominico non possumus ». « Sans jour du Seigneur,
nous ne pouvons pas vivre ».
L’adoration et les rencontres quotidiennes
Pour nous, qui vivons des siècles après les mages mais qui trouvons en eux des
frères aînés dans la foi, la rencontre de Jésus dans l’Eucharistie est la clef
de toutes les rencontres que nous avons avec le Seigneur, aussi bien celles que
nous avons en reconnaissant sa présence dans les plus pauvres que dans les
multiples formes de sa présence. La rencontre eucharistique ne nous isole pas
mais elle nous donne de vivre avec plus d’intensité et de vérité toutes les
autres rencontres de Jésus, toujours orientées et reliées à la rencontre
eucharistique. C’était vrai pour les disciples de Jésus du temps de sa vie
terrestre et après sa crucifixion, comme c’était vrai pour les disciples d’
Emmaüs. C’est vrai aujourd’hui pour nous tous.
Par un autre chemin
La première décision des mages après avoir adoré Jésus consiste à repartir par
un autre chemin que par celui où ils étaient arrivés. Ils protégent Jésus sans
révéler où il habite et permettent la fuite en Egypte. Ils ne retournent pas
voir Hérode pour ne pas être obligés de dire le lieu de la naissance. Cette
fidélité, on peut dire immédiate et spontanée, contraste avec la trahison et les
lâchetés dont les disciples sont capables : celle de Pierre, celle de Judas, qui
a gardé l’argent non pour l’offrir mais pour prix de sa trahison. L’adoration de
Jésus dans l’Eucharistie, si nous la comprenons bien, et si notre vie toute
entière y correspond, nous maintient dans la fidélité du Fils unique à son Père
dans son amour pour l’humanité.
Chez eux
Les mages rentrent chez eux, mais pour quoi faire ? Vivre leur vie ordinaire, ou
comme l’imagine la légende, accomplir une mission d’évangélisation dans le vaste
monde ? En tout cas, ils sont partis pour inviter au festin, et pour dire que la
promesse de Dieu s’est accomplie et que tous peuvent y avoir part. Comment tous
les non chrétiens qui nous rencontrent ou nous rencontreront découvriront-ils la
source de toute joie s’ils ne la reconnaissent pas sur nos visages et dans nos
vies ?
Une des plus belles choses que le mages auront apprise, et que nous apprenons et
recevons dans l’Eucharistie, c’est que « l’espérance ne déçoit pas », qu’elle
n’est pas vaine. Nous espérons la vie éternelle, parce que nous en recevons
chaque jour la preuve et que « « nous attendons la bienheureuse espérance, la
venue de notre sauveur et seigneur Jésus Christ ». Nous sommes des êtres en
attente c’est-à-dire des êtres d’espérance. C’est un des plus beaux titres du
chrétien et c’est une des plus grandes dignités de l’homme, dont l’avenir et le
présent consistent à vivre pleinement en présence de Dieu, qui fait reconnaître
Jésus dans le pauvre, le prisonnier, l’affamé de justice, de pain et de paix.
Eric AUMONIER, Evêque de
Versailles
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