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19 Avril 2005
 
 

• Catéchèse du mercredi 17 août. "Rechercher la vérité, sens profond de l’existence humaine"

• Catéchèse du mercredi 18 août. "Rencontrer le Christ dans l’Eucharistie"

Jean-Louis Bruguès o.p., Evêque d’Angers

 
 

"Rechercher la vérité, sens profond de l’existence humaine"

Nous sommes venus écouter les Mages dont les reliques sont vénérées dans cette ville depuis plus de neuf siècles. L’Evangile ne décrit pas les personnages ; inutile de le faire à sa place. Il se contente de leur donner un titre qui désigne une activité, une compétence et une forme d’esprit. Les Mages, avancent les exégètes, sont probablement des astrologues babyloniens. La science de ces chercheurs de l’Antiquité force l’admiration des spécialistes d’aujourd’hui. Ils scrutaient les astres et s’y connaissaient mieux que personne dans l’observation de leur mouvement et de leur configuration. Ils avaient même inventé un calendrier. C’étaient donc des savants.

Dans les évangiles dits de l’enfance, ces Mages sont placés en contrepoint des bergers. On n’imagine guère de nos jours la misère de ces pauvres parmi les plus pauvres. Les bergers constituaient des parias : on se méfiait d’eux, et les excluait des villes et des villages. C’est pourtant à eux que la Bonne Nouvelle de la naissance du Christ est annoncée en premier : Un ange se présenta aux bergers et les enveloppa de lumière. Ceux-ci furent saisis d’une grande peur, mais l’ange leur dit : « Soyez sans crainte car voici que je vous annonce une bonne nouvelle qui remplira de joie tout le peuple. Un Sauveur vous est né » (Lc 2, 9-10).

Les bergers en S. Luc, les Mages en S. Matthieu, forment ainsi les deux piliers du portique d’entrée à l’Evangile. Le Christ a choisi les pauvres et les savants comme premiers témoins de sa mission Il s’adresse à tous, sans exception, riches et pauvres. Une seule condition est réclamée pour le rencontrer, la curiosité. Une étoile apparaît à l’Orient ; les Mages ne la connaissaient pas, ils la suivent. Leur curiosité porte bien la marque de l’esprit scientifique : rendre compte de ce que l’on ne comprend pas, expliquer ce que l’esprit perçoit d’abord comme une énigme. Je me plais à souligner ici ce trait : l’Evangile s’ouvre sur une démarche de savants. Pourquoi la foi et la science en viendraient-elles à se méfier l’une de l’autre, ou à s’ignorer ?.

Nos Mages sont donc spécialistes des constellations du ciel. Le texte suggère qu’ils sont spécialistes aussi des constellations du cœur humain, qui ne sont pas moins compliquées, pas moins obscures que les premières. Regardez leur attitude à la fin du texte. Ils sont dépeints en flagrant délit d’humanité ordinaire. Leur cœur se gonfle de joie. Ils pénètrent dans une maison inconnue et pourtant ils reconnaissent l’Enfant ; ils se jettent à genoux devant lui, ils lui rendent hommage en lui offrant ce à quoi ils tiennent le plus : l’or, l’encens et la myrrhe. Leur attitude fournit la trame de ces Journées mondiales : ils adorent.

Ne me dites pas que ces gestes un peu fous ne conviennent guère à la dignité du chercheur. C’est leur manière de s’écrier « Euréka ! », comme Archimède après avoir découvert sa loi de la gravité. Leur enthousiasme témoigne simplement qu’ils ont trouvé. Ils ont trouvé le but de leur démarche. Ils ont trouvé la réponse aux questions qu’ils se posaient. Ils ont trouvé que les constellations du ciel rejoignaient celles du cœur et de l’intimité de chacun. Ils ont trouvé le sens de leur vie. Ils ont trouvé la vérité. Ils ont rencontré le Christ.

* Les Mages nous invitent à rechercher la vérité et à parler d’elle, d’abord en tant que savants ayant porté fort loin leur intelligence, ensuite en tant qu’hommes, des êtres de chair comme nous, prêts à aimer et à souffrir. Avouons d’emblée que ce terme de vérité nous gêne. Essayons de comprendre pourquoi.

Depuis longtemps, depuis deux siècles et demi environ, on a laissé croire que l'Eglise était l'ennemie naturelle de la pensée. Le siècle des Lumières a intenté au christianisme un procès qui n’est pas encore terminé de nos jours, loin de là. "Abrutissez-vous et vous serez des saints", faisaient dire aux curés Voltaire et ses disciples. "Instruisez-vous et vous serez des hommes", répondaient avec exaltation les nouveaux rationalistes. Pour les libre-penseurs du XIXe siècle, la religion chrétienne était l’adversaire de toute idée saine. L’Eglise selon eux imposerait un refus de penser. Elle ne se contenterait pas de brider l’exercice de l’intelligence et de l’orienter dans un certain sens, elle le stériliserait à la racine. Il faudrait choisir entre l'intelligence et la foi. Vous avez dit chrétien ? Et l’écho social répond : crétin, crétin, crétin...

Nous souffrons donc d’un divorce entre les Mages d’aujourd’hui, une bonne partie de la société savante, ce que l’on appelle l’intelligentsia, et le catholicisme. Loin de s’atténuer, ce divorce connaît un regain de vigueur avec ce qu’il faut bien nommer les terrorismes idéologiques du moment. Leur forme la plus redoutable réside dans la pensée unique, ce que les Américains ont appelé "la pensée politiquement correcte", qui s’efforce de corseter notre intelligence et notre sensibilité. Les exemples abondent. Vous aimez les valeurs qui sous-tendent votre culture : attendez-vous à être qualifié d’identitaire ! Vous vous alarmez devant l’incontestable montée des incivilités : on vous soupçonnera de vouloir rétablir l’ordre social ». Vous pensez qu’un mariage ne saurait unir qu’un homme et qu’une femme, et que les enfants auront plus de chance de s’épanouir s’ils se réfèrent à une figure masculine et une figure féminine au long de la construction de leur personnalité : apprêtez-vous à être accusé d’homophobie. Vous croyez en la chasteté : on vous percevra comme un demeuré, victime de l’illusion ou de la frustration. Vous plaidez en faveur de la fidélité, dans le couple ou simplement la parole donnée : on vous rétorquera que ces valeurs-là sentent le rance des sociétés anciennes. Malheur à celui qui, dans sa classe, sa faculté, son lieu de travail ou encore dans la vie politique, se réclame ouvertement d’une religion : il commet un crime de lèse-laïcité. Pire, il est suspecté d’ajouter à ces forces de violence et d’obscurantisme qui menacent la paix sociale…

On parle d’interruption volontaire de grossesse et non plus d’avortement, de pilule du lendemain au lieu d’un abortif, d’aventure extra-conjugale, expression moins choquante que celle d’adultère. Le politiquement correct vide les mots et les détourne de leur sens. Ce faisant, il endort la pensée et les réflexes critiques de notre intelligence. -

Eh bien non, le christianisme n’appartient pas au politiquement correct. C’est sa force, mais aussi notre souffrance. Il croit en la vérité, et par suite à la dignité de l’intelligence humaine. Il croit que la vérité est une bonne nouvelle, parce qu’elle libère. Elle ne nous délivre pas seulement du malheur de l'erreur et du mensonge, comme elle a libéré les Mages du piège que leur tendait le roi Hérode ; elle libère en nous ce qu'il y a de plus divin et de plus humain à la fois. La vérité est notre principe de réalité. Elle fournit à notre intelligence sa tonalité de base ou sa "basse continue", pour parler comme les musiciens. En venant à la lumière du Christ, nous pouvons "faire la vérité" en nous et autour de nous (Jn 3, 21).

* Car le Christ est la vérité . Il est une scène magnifique qui se situe à l’autre bout de la trajectoire de son existence. Dans quelques heures à peine, Jésus sera arrêté, puis jugé et condamné. Déjà un disciple l'a trahi ; les autres l'abandonneront sous peu. Pour frapper leur esprit, il vient de leur laver les pieds et leur signifie, dans ce geste ultime, tout à la fois ce qu'il a voulu faire et ce qu'ils devront reproduire (Jn 13, 12-15). Le désarroi, la tristesse, mais encore la résignation devant la séparation inévitable, gagnent les convives de ce dernier repas : "Où vas-tu?" demandent-ils. "Montre-nous le chemin", s'inquiète Thomas. C'est alors que Jésus prononce l'une des paroles les plus fortes et les plus étonnantes : "Le chemin, c'est moi. "Je suis" la vérité et la vie" (Jn 14, 6).

Parole terrible, parole scandaleuse même pour beaucoup de nos contemporains : un homme singulier, un certain Jésus de Nazareth, né et mort il y a quelques deux mille ans, revendique pour lui-même ce à quoi aspire chacun de nous, ce vers quoi tend toute communauté humaine, ce qui préside à l'organisation de toute chose, des animaux, des végétaux, des minéraux, de l'univers entier. "Je suis la vérité" : je suis ce qui pénètre toute chose et lui donne sens et consistance. "Je suis l'alpha et l'omega" (Ap 21, 6), je suis le principe et la fin de tout ce qui existe. "Je suis", et par moi, en moi, toute chose est.

Vérité, le Christ l'est assurément à un double titre. Le même évangéliste, dans son prologue, nous a rappelé que le Fils avait présidé à la création du monde : " Tout a été fait par lui " (Jn 1, 3). Le principe de toute réalité, c'est lui. Le principe organisateur de tout ce que nous voyons, c'est lui. Le sens des choses de la vie, c'est encore lui, et c'est en lui que nous avons à rechercher leur explication. Quand Dieu, en sa sagesse, décida de créer le monde existant, la vérité de toute chose avait sa vérité dernière et intégrale dans cette "Parole" éternelle qui devait éclore un jour, en Palestine, sous le règne de l'empereur Auguste, pour devenir l'homme Jésus, habitant à Nazareth. Lui seul, par conséquent, serait à même d'énoncer l'essence de toute chose, de l'homme, de Dieu.

Vérité, le Christ l'est encore comme Parole du Père qui vient sceller le salut. Dieu l'a envoyé comme seul médiateur : par lui, nous assure l'Ecriture, Tous les hommes seront sauvés et parviendront à la connaissance de la vérité (1 Ti 2, 4-5). Le Verbe restera ainsi le dernier mot de l'alliance que les sages avaient pressentie et les prophètes annoncée.

Principe et Parole, tels sont les titres qui lui sont décernés et se résument en un seul mot : Logos, que l'on pourrait traduire au plus juste, me semble-t-il, par Raison. Le Christ est la Raison de Dieu, et donc le fondement, la référence, et la mesure de la raison humaine, faite à son image . Cette Raison-là n'est pas seulement abstraite, selon les représentations que nous nous en donnons habituellement, mais concrète et même charnelle : le Christ se présente comme la vérité au moment où il partage le pain et tend la coupe : "Voici mon corps, voici mon sang" (Mc 14, 22). Nous rappellerons ce moment dans la catéchèse de demain. La Parole de Dieu s'est faite homme. La Raison divine a pris chair.

*

De cette conviction forte selon laquelle le Christ est vérité découlent deux conséquences qui nous concernent au plus haut point. La tâche des disciples, je veux dire la nôtre, ne souffre d'aucune incertitude, par conséquent : il nous faut aller à la Raison par notre raison, au Christ par notre propre intelligence. Car la Raison de Dieu se donne à découvrir, à expérimenter, à ruminer et à transmettre, à aimer, enfin, à adorer, comme pour les Mages. Cultivons notre intelligence. Appliquons-la à repérer les semences de vérité que le Verbe répand aujourd'hui encore à profusion. Nous chrétiens et vous les jeunes chrétiens avons un devoir de culture. Comme les autres, demanderez-vous ? Non, plus que les autres ! On m'objectera peut-être que les riches heures de la culture chrétienne appartiennent au passé. Qu'en savons-nous? On a vu dans l'histoire des renaissances moins probables... On dira encore que les moyens de nos Eglises se sont terriblement appauvris. Mais il nous reste l'essentiel: la foi au Logos, l'amour du Verbe ! Il reste à la portée de chaque chrétien les vertus simples, discrètes peut-être, mais heureuses, de l'honnêteté intellectuelle : la curiosité, l'exactitude, la sympathie, qui n'exclut pas le sens critique, et, quand il le faut, de l'admiration. Les scientifiques, les techniciens et les artistes sont devenus les héros romantiques des temps modernes : pourquoi leur marchander notre estime? En saluant leur prestige, c'est encore au service de l'Esprit de vérité que nous nous mettons.

Suivez les Mages de l’Evangile et découvrez avec eux le cheminement de l’intelligence ! Devenez des Mages à votre tour, bien adaptés aux exigences de notre temps !

Pourquoi apprendre et pourquoi chercher à savoir? L'appel vient d’une curiosité que nous ressentons comme une forme de vide. Comme les Mages abandonnant leurs terres, nous acceptons de sortir de nous-mêmes, nous quittons le trop-plein de notre moi, et nous lançons à la découverte de ce qui devrait nous enrichir et nous transformer. Ce savoir nouveau nous bouleversera certainement, il avivera notre angoisse – l’aventure de l’intelligence est toujours risquée -, car il nous obligera à réviser ce que nous tenions pour assuré jusque-là. Nous renonçons à nous-mêmes, nous mourons à quelques-unes de nos certitudes. Le risque est grand et plusieurs esprits y répugneront avec l'âge. L'incuriosité est le vice de tous les satisfaits.

Ce que nous avions pris pour du vide n’était pas du vide, en réalité. Plus exactement, il portait un nom, l’amour. Le Christ-vérité nous a donné l’amour de la vérité. L'Ecriture insiste : "C'est lui qui soutient l'univers de la puissance de sa parole" (He 1, 3). Tôt levé au matin du monde, le Christ a répandu sa vérité dans toute la création, comme un semeur au geste ample. Chaque parcelle du réel en est imprégnée, saturée ; elle aspire, nous dit S. Paul, à retrouver la Vérité tout entière (Rm 8, 19). C'est cet appel-là qui nous a lancés hors de nous-mêmes. C'est le Verbe qui a nous interpellés : "Viens. Sors de toi-même. Cherche-moi". L'aventure de l'intelligence est bien celle de l'amour, de l'amour de la vérité. "On n'entre dans la vérité que par la charité", écrivait Pascal.

La quête de la vérité qui nous avait d’abord imposé de sortir de nous-mêmes et de quitter ce qui nous paraissait aller de soi, nous oblige à revenir, tôt ou tard, à la maison. Nous revenons enrichis de ce que nous aurions donné, comme les Mages : ils ont offert des cadeaux à l’Enfant, mais ce sont eux qui sont les bénéficiaires de la rencontre. Ils suivaient un astre et ils trouvent un homme, l’auteur de cet astre, celui que la tradition a appelé « Soleil levant ». La source de la vérité est quelqu’un. Leur aventure n’est pas autre que celle de l’intelligence. Partir, revenir, se perdre et se gagner à nouveau : dans ces constantes allées et venues de l'esprit, chacun de nous naît à lui-même. En cherchant à capter la réalité sous toutes ses formes, comme autant de rayons d'un même soleil, nous avons mieux compris de quoi nous étions faits : nous avons assimilé notre propre réalité. La vérité libère l'humain en nous. Elle nous tire de la gangue, car elle nous enseigne à nous différencier des autres et nous apprend à distinguer le bien du mal. Littéralement, elle nous cultive, puisque la culture est bien "... ce par quoi l'homme en tant qu'homme devient davantage homme, "est" davantage, accède davantage à l'"être" (Jean-Paul II).

* La seconde conséquence peut se ramener à une proposition toute simple : si nous nous approchons de la Vérité qu’est le Christ, nous devenons capables de faire la vérité dans notre vie. La vérité du Christ éclaire la nôtre. Pour vous expliquer cela, laissez-moi évoquer une des plus belles scènes de l’Evangile. Il s’agit d’une rencontre.

Un jeune homme s’approche (Mt 19, 16s.). Nous ne savons que peu de choses de lui, guère plus que pour les Mages, sinon qu’il s’est efforcé de vivre dans la droiture. Nous l’imaginons posé, pondéré, appliqué, infiniment sérieux. Pourtant, il court au-devant de Jésus, s’agenouille devant lui, le consulte avec l’empressement d’un disciple envers son maître, l’intrigue, le séduit, le conquiert. Jésus se prend à l’aimer (Mc 10, 26). Comme tous les jeunes du monde, il veut être heureux. Il pose la seule question qui importe quand on commence à prendre sa vie en charge : « Que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? » (Mc 10, 17). A la fin de l’échange, Jésus l’invitera à le suivre, bien sûr, car il est la loi nouvelle de l’amour fait chair ; mais il le renvoie d’abord à la loi de Moïse, à ces dix paroles reçues sur le mont du Sinaï, plusieurs siècles auparavant, quand le Seigneur venait de libérer son peuple de la servitude d’Egypte.

Dialogue surprenant, où Dieu paraît répondre à chaque fois à côté du désir humain : le jeune évoquait l’éternité, et Jésus le renvoie au temps passé. Le premier recherchait la voie du bonheur, le second lui rappelle la voie des préceptes. L’homme réclamait l’amour, et l’amour lui répond : « Obéis à ma loi ! ».

Mes étudiants de jadis et ceux que je rencontre encore, vous peut-être, restent souvent décontenancés par la pédagogie du Christ. Ils auraient préféré quelque chose de plus fort, de plus original, de plus fou peut-être. Ils se demandent pourquoi Jésus n’a pas renvoyé son interlocuteur au Sermon sur la montagne, que nous lisons comme la charte de la vie chrétienne. Si le jeune homme rêvait de bonheur, il fallait lui révéler l’esprit des béatitudes ! Or, dans un premier temps du moins, Jésus se contente d’énoncer les principaux commandements. C’est encore d’amour qu’il parlait toutefois, puisqu’il en précisait les conditions premières, la vérité sans laquelle la charité resterait vaine.

Tu n’aimes pas ton prochain, assure-t-il, si tu ne commences pas par respecter sa vie : « Tu ne tueras pas », ordonne le Seigneur. C’est un absolu de la vérité. Tu n’aimes pas ton prochain, si tu l’atteins dans ses alliances les plus intimes, pour lui dérober sa femme, ou tromper la tienne : « Tu ne commettras pas d’adultère », commande le Seigneur. C’est un absolu de la vérité. Tu n’aimes pas ton prochain, si tu attentes à ses biens, à ses droits et à sa réputation : « Tu ne voleras pas », ordonne le Seigneur. C’est un absolu de la vérité. Tu n’aimes pas ton prochain, si tu lui caches cette vérité qui le rendrait libre, ou encore si tu trahis la parole que tu lui as donnée : « Tu ne porteras pas de faux témoignages », interdit le Seigneur. C’est un absolu. Tu n’aimeras jamais ton prochain si tu ne manifestes pas d’abord ta reconnaissance aux plus proches, grâce à qui tu es né à toi-même ; aussi le Seigneur t’intime-t-il l’ordre d’honorer ton père et ta mère qui ont été les premiers signes de son amour pour toi. C’est un absolu. Celui qui ne remplit pas ces conditions premières de la charité, en causant du tort à son prochain, conclut Jésus, celui-là ne l’aime pas en vérité.

Ces commandements sont des paroles de Dieu, car ils expriment les absolus de son amour. Ils sont aussi des paroles de vie. Ils irriguent l’intelligence, la volonté, la sensibilité, l’être tout entier, et leur donnent d’agir le plus naturellement du monde. On dit d’ailleurs qu’ils résument les exigences de la loi naturelle.

Puis, dit Jésus, viens et suis-moi.

*Quand notre nouveau pape Benoît XVI a été élu, sa première déclaration, quelques instants à peine après sa désignation, a été de confirmer qu’il viendrait bien aux Journées de Cologne. Il a d’abord pensé à ce rendez-vous, comme si celui-ci l’emportait sur tous les autres ! Il a pensé à vous. Nous allons le recevoir avec la joie de la découverte. Nous l’accueillerons comme un père et un pasteur ; il est aussi un serviteur de la Vérité du Christ. Puissions-nous découvrir avec lui la sainteté de l’intelligence et nous encourager mutuellement à suivre le Christ, vérité de notre vie.

Jean-Louis Bruguès o.p.
Evêque d’Angers

 
 

 "Rencontrer le Christ dans l’Eucharistie"

 

Depuis notre arrivée, nous nous trouvons à l’école des Mages. Si nous avons largement invité autour de nous dans nos régions respectives, si nous sommes allés à Cologne, si nous sommes entrés dans sa cathédrale grandiose, si nous nous sommes approchés des reliques vénérées par tant de générations qui nous ont précédés, pendant près de neuf siècles, c’est parce que nous savions que ces Mages avaient quelque chose à nous dire. Ce quelque chose est fort, il est même essentiel : il vise rien moins qu’à illuminer notre vie et à la réformer, à la transformer, pour qu’elle devienne belle et bonne.

Voici donc des hommes sérieux, des savants de l’époque. Les spécialistes nous informent qu’il s’agissait sans doute d’astrologues babyloniens. Ils s’y connaissaient en mathématiques. Les affaires du ciel constituaient leur travail quotidien. Ils avaient observé le mouvement des astres et étaient passés maîtres dans l’art de calculer le temps. Aujourd’hui encore, leur science force notre admiration. Ils avaient repéré un astre inédit. Leur curiosité les avait poussés à le suivre, leur foi les avait conduits aux pieds de l’Enfant. En lui, ils avaient reconnu le Messie annoncé. Ils l’adorèrent.

L’évangile de Matthieu qui sert de trame à la méditation de ces Journées Mondiales de la Jeunesse ne nous livre guère de détails. Notre imagination n’y trouve guère de prises où s’accrocher. Il nous faut donc aller à l’essentiel de l’enseignement laissé par les Mages.

Ces scientifiques sont capables d’enthousiasme : A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une grande joie, nous dit le texte . Mieux encore, ils commettent des gestes un peu fous : Entrant dans la maison, ils virent l’Enfant avec Marie, sa mère, et tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui (Mt 2, 10-11). Ces cadeaux traduisent ce qu’ils ont de plus précieux, à quoi ils tiennent le plus : l’or, qui permet de vivre et de pourvoir à sa subsistance ; l’encens, qui manifeste leur sens religieux, leur désir de se relier aux choses d’en-haut, au ciel divin et non plus seulement celui des astres ; la myrrhe enfin qui exprime leur volonté de ne se cacher que le terme de leur voyage n’est pas autre que la mort ; à cette mort, il convient de s’y préparer longtemps à l’avance ; il s’agit de l’apprivoiser. Les Mages nous conduisent donc au cœur même du mystère de toute existence humaine, en ce point central et délicat où se croisent la vie, la mort et l’au-delà. Oui, comme je le rappelais en commençant cette catéchèse, ils ont bien des choses essentielles à nous dire.

Les Mages ont découvert l’amour, ou plus exactement l’objet de leur amour. La joie, l’enthousiasme des gestes, les cadeaux offerts, tout cela exprime bien ce que nous ressentons nous-mêmes quand nous aimons. Notre cœur se gonfle ; nous sommes prêts aussi aux gestes les plus inattendus. Surtout, nous entrons dans ce que j’appellerai la logique du don. Donner : on ne peut dire que l’on aime quelqu’un tant qu’on ne lui a pas tout donné, à commencer par nous-mêmes. Il n’y a pas d’amour sans don de soi.

Avant  de découvrir l’objet de l’amour de leur vie, nos Mages ont dû consentir un long voyage. Ils ont affronté des dangers. Hier, nous avons compris que le mensonge constituait le plus redoutable de tous les dangers qui nous guettent au long de notre itinéraire : être trompé (ici par Hérode qui est une figure du Malin), se tromper de chemin, errer sans pouvoir atteindre le terme du voyage, ou bien, plus grave encore tromper les autres. Combien d’hommes et de femmes ne parviennent pas à découvrir le sens réel de leur existence ? Combien de fois nous-mêmes nous sommes-nous trompés, nous avons été trompé, ou bien encore avons-nous trompés les autres ? Les Mages, eux, ont réussi. L’Esprit du Seigneur qui se manifeste sous la forme d’un songe, selon un genre littéraire très fréquent en Orient, les a empêchés de tomber dans le piège. Ils ont fini par rencontrer Celui qu’ils recherchaient dans les constellations du ciel et celles du cœur. Ils ont trouvé.

Pour trouver, il fallait d’abord consentir à partir. Les Mages venaient de l’Orient lointain. Ils avaient laissé leur métier, leurs usages, leurs familles. Ils avaient quitté toute assurance. Sachant bien que le risque zéro n’existe pas, ils avaient pourtant cinglé vers des horizons inconnus, avec ce que cela supposait d’appréhensions, de rupture et de déchirement. Si vous ne partez pas, vous ne rencontrerez personne. Si vous n’acceptez de perdre de votre confort et vos idées acquises, vous ne découvrirez pas le sens de votre vie. C’est pour exprimer physiquement cette certitude que nous nous sommes engagés dans ce pèlerinage en terre lointaine.

Voici donc le message que les Mages nous délivrent aujourd’hui : il n’y a pas d’amour sans connaissance ; il n’y a pas de connaissance sans rencontre ; il n’y a pas de rencontre sans départ, sans rupture.

*
La question qui se pose à nous maintenant est donc la suivante. Nous voulons mener la vie chrétienne dans sa totalité, et nous avons bien raison ; nous voulons nous dire chrétiens en vérité. Un chrétien, c’est quelqu’un qui aime le Christ au point de porter son nom, de se donner entièrement à lui et de le suivre tout au long de son existence. Les Mages nous en avertissent : vous ne pouvez pas dire que vous aimez le Christ tant que vous ne l’avez pas connu, et vous ne pouvez pas le connaître tant que vous ne l’avez pas rencontré !

Où donc rencontrer le Christ ?

Les rencontres avec le Christ sont multiples ; elles sont même innombrables. Laissez-moi en mentionner les principales, en allant de la plus extérieure à la plus centrale :

- Les événements qui interviennent dans notre existence et en constituent la trame : la foi nous dit que le Christ est Celui par qui tout a été fait. Chaque événement par conséquent me parle de lui. Je ne dis pas que le Christ se trouve derrière eux, comme s’il jouait à les provoquer et à les pousser vers moi ; je dis simplement qu’il accroche un message à chacun d’eux, un message d’amour, bien sûr, puisqu’il ne saurait dire autre choses, et qu’il me demande de le déchiffrer à la lumière de son Esprit. Le Christ me parle au travers des événements.

- L’être que je suis, mon moi profond : les grands auteurs spirituels - je songe en particulier à S. Augustin – nous assurent que le Christ vit au plus profond de nous-mêmes. Il nous habite de l’intérieur. Il est plus intime à moi-même que moi-même. Il est cette fontaine d’eau vive au centre de mon cloître secret. Or, cet hôte intérieur ne reste pas inactif. Mes pensées et mes réactions, les impulsions de ma sensibilité et jusqu’aux effets de mon imagination, si je les discerne bien, toujours à la lumière de l’Esprit, cet Esprit que j’ai reçu en plénitude au moment de la confirmation (je dis cela pour ceux qui parmi vous n’aurez pas encore reçu ce sacrement), si je sais faire la part entre le vrai et le faux, entre ce qui peut venir du Malin et ce qui peut venir de Dieu, constituent autant d’appels et de sollicitations de sa part. N’ayez pas peur de vous retrouver seuls avec vous-mêmes ; vous n’êtes en réalité jamais seuls : le Christ est là, en vous, et Il vous parle.

- Les rencontres : la foi nous dit que chaque personne humaine est faite comme moi à l’image de Dieu. Comme moi encore, elle est aimée au point que le Christ a accepté de donner sa vie pour elle. Elle constitue donc un frère, une sœur pour moi. S. Paul ajoute qu’elle représente un ambassadeur du Christ. Peut-être cette personne ne le sait-elle pas, peut-être même le refuserait-elle si on venait à le lui expliquer : il n’empêche, celui qui croise le chemin de ma vie, en ce qu’il dit, fait, ou plus simplement en ce qu’il est, se trouve en ambassade. Il m’apporte un message de la part du Seigneur. En ne l’accueillant pas chez moi, dans ma maison, dans mon esprit et dans mon emploi du temps, je me prive de ce message. Je ferme la porte au Seigneur. Je m’ampute d’une rencontre qu’il avait préparée exprès pour moi.

- La communauté des croyants : l’évangile nous rapporte cette parole du Christ : Quand deux ou trois d’entre vous se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux (Mt 18,20). Le Christ habite son Eglise. Il en est le Pasteur. C’est lui qui l’éclaire par son Esprit. Il la conduit tout au long de son pèlerinage sur la terre : Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. Vous voulez entendre la voix du Seigneur ? Allez écouter sa Parole reçue par l’Eglise, proclamée et commentée par elle. Vous voulez vous prosterner devant lui, à la manière des Mages ? Allez participer à la prière de l’Eglise qui loue son Seigneur à chaque heure de la journée et de la nuit, qui l’adore en ses célébrations eucharistiques et médite ses mystères, comme dans la prière du rosaire où l’Enfant et sa mère se retrouvent intimement unis dans l’évocation des grandes étapes du salut ! Allez faire oraison ! Voulez-vous vivre du Christ et recevoir sa grâce ? Allez le rencontrer en chacun des sacrements offerts par son Eglise !

*
Je viens d’employer une expression qui vous paraît peut-être aller de soi : vivre du Christ. Or, c’est la chose la plus extraordinaire qui soit. Quand nous aimons quelqu’un, d’amour-passion ou d’amitié, nous pouvons dire que nous vivons avec cette personne, à ses côtés. Nous partageons sa vie, c’est-à-dire ses habitudes, son quotidien, sa maison, son lit peut-être ; mais jamais nous ne vivrons de lui, de sa vie. Le Christ, lui, est capable de le faire. Il ne nous associe pas seulement à sa vie, il nous fait entrer en elle. Il nous la communique au point de transformer la nôtre, de nous transfigurer en un mot. Nous assurons donc que le Christ est notre vie. Rappelez-vous l’image qu’il nous a laissée au moment de quitter les siens : il est le cep et nous sommes devenus les sarments (Jn 15, 5) ; la même sève passe à travers l’un et les autres. Aucun être humain ne saurait afficher cette prétention de nous faire vivre de lui, sinon sur le mode poétique. Le Christ seul peut l’affirmer en vérité, en réalité. Le Christ seul opère cette symbiose, cette communion unique dans laquelle chacun reste lui-même, tout en vivant d’un autre.

Le baptême marque le commencement de cette vie, la confirmation, la réception de son Esprit en plénitude. C’est lui qui éclaire notre intelligence et illumine notre cœur. Vous cherchez votre chemin ? Interrogez-le : il est Esprit de conseil et de sagesse. Vous craignez votre faiblesse et la longueur du chemin ? Faites appel à lui qui est force divine. Vous voulez savoir qui est Dieu ? Sollicitez l’Esprit de piété filiale.

Les autres sacrements illustrent les divers aspects de la vie offerte par le Christ. Vous désirez vous lier à quelqu’un et fonder un foyer ? Entrez dans la fidélité du Christ, communiquée dans le sacrement du mariage. Vous aspirez à agir en son nom et, comme lui, vous faire pasteur d’humanité ? Laissez-vous conduire par son Eglise jusqu’au sacrement de l’ordre. Le poids de vos fautes vous empêche-t-il d’avancer ? Eprouvez-vous le besoin d’être pardonné, ou de pardonner vous-mêmes à ceux qui vous ont offensés ? Approchez-vous de son pardon offert dans le sacrement de pénitence et de réconciliation. L’épreuve du vieillissement, de la maladie et de la mort fait-elle défaillir votre cœur ? Raccrochez-vous à la force du sacrement de l’onction des malades. Autant de sacrements, autant de rencontres avec le Seigneur Jésus.

Il est cependant un sacrement qui l’emporte sur les autres. On dit qu’il constitue la base sur laquelle repose toute l’Eglise, mais aussi le sommet de chaque vie chrétienne. D’une certaine manière, il récapitule tout ce que je viens d’évoquer. Il propose, en effet, une rencontre plus forte, plus intérieure, plus décisive avec le Christ. Je veux parler de l’Eucharistie.

Il arrive qu’à ce mot d’eucharistie, des jeunes comme vous fassent quelquefois la grimace. Ces jeunes veulent être chrétiens, aimer et suivre le Christ. Ils ne manquent pas de générosité et acceptent volontiers de se retrouver dans des « temps forts », tels que des marches ou des pèlerinages comme en ce moment, à Cologne ; mais ils ne perçoivent guère la nécessité de participer à la célébration eucharistique, notamment le dimanche. « On s’ennuie, disent-ils. C’est toujours la même chose ». Certes, nos célébrations manquent parfois d’élan. Les moyens sont devenus fort limités en de nombreuses paroisses, les assistances moins nombreuses. Il n’est pas certain que l’on fasse toujours aux jeunes la place qui leur convient… L’essentiel n’est pas là toutefois. Savez-vous ce qu’est l’Eucharistie ? Comprenez-vous ce qui se joue dans une messe ? Avez-vous pris conscience des richesses inouïes qu’elle recèle ? L’inculture et le manque de connaissances se trouvent souvent à la source de l’ennui dont plusieurs se plaignent.

Le pape Jean-Paul II, qui avait lancé les Journées Mondiales de la Jeunesse, avait déclaré que l’année octobre 2004 - octobre 2005 serait l’année de l’eucharistie. Il avait pris cette initiative pour que l’Eglise entière se réajuste à ce sacrement qui constitue la source et le sommet de la mission des chrétiens. Il l’avait prise également en pensant spécialement à vous, les jeunes. L’Eucharistie, expliquait-il, est le centre vital autour duquel je désire que les jeunes se rassemblent pour nourrir leur foi et leur enthousiasme (‘Mane nobiscum Domine’, 4). Pour nous tous, mais principalement pour vous, il a rédigé une lettre qui est son dernier grand texte ; nous pouvons la recevoir comme un testament spirituel. Ne partez pas de Cologne sans l’avoir lue. Gardez-la dans vous papiers personnels ; méditez-la, travaillez-la, seul et en groupes. Faites-en votre devoir d’été, sinon votre devoir d’année. Qu’elle vous imprègne, puisqu’elle contient une sorte de « digest » de tout ce qui peut être dit et enseigné sur l’eucharistie. Que votre vie en soit changée !

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Pour aider votre travail de réflexion et d’assimilation, j’ai souligné quelques idées-forces. Elles sont au nombre de cinq :

- L’Eucharistie nous donne de revivre à chaque célébration l’événement central de l’histoire universelle : le don libre que le Christ fit de sa vie pour que tous les hommes retrouvent le chemin qui mène à la maison du Père. On appelle cet événement le sacrifice du Christ. Cet événement est source de vie et de libération. Il marque le couronnement de la mission confiée au Fils : c’est pour redonner la vie de Dieu à ceux qui s’étaient coupés d’elle, qu’il est venu parmi nous, a revêtu notre chair et pris sur lui, au point d’en mourir sur la croix, l’ensemble des péchés des hommes. On appelle cet échange la rédemption (§ 6).

- L’Eucharistie nous ménage une rencontre avec le Christ au moment capital de sa mission. Il est donc présent de manière plus intense et plus efficace que dans n’importe quelle autre célébration de l’Eglise. Il est d’abord présent par sa Parole. Les textes que nous entendons ne sont pas choisis de manière arbitraire. Je m’insurge contre certaines mauvaises habitudes qui poussent des chrétiens à ne choisir pour la messe que les textes qui « leur parlent » et, au besoin, à remplacer ceux que la liturgie du jour avaient prévus par d’autres de leur goût… Non, nous ne sommes pas les maîtres de la première table, la table de la Parole (§ 12-13). Les textes du jour – eux et non point d’autres – sont Parole de Dieu en ce qu’ils expriment un message unique que le Seigneur a destiné dans sa Providence, à notre assemblée particulière et à chacun de nous, de toute éternité.

- Le Christ est encore présent dans l’Eucharistie en son Corps et en son Sang. Rappelez-vous comment les disciples d’Emmaüs, rencontrés sur le chemin de retour, au soir de Pâques, avaient reconnu le Ressuscité à la fraction du pain. La tradition catholique aime à dire que cette présence est « réelle ». Elle n’est pas seulement réelle d’un point de vue symbolique, comme lorsque nous disons qu’un crucifix ou qu’une icône rendent sensibles la présence du Christ. Elle n’est pas seulement réelle dans notre mémoire et le souvenir que nous gardons des paroles et des gestes du Christ lors du repas pascal. Elle est dite présence par antonomase.
Vous allez sans doute me dire : que voilà bien un mot savant ! Et vous aurez raison ; mais rien ne vous empêche de faire comme les Mages qui ont voulu en avoir le cœur net. On ne saurait entrer dans une culture quelconque, à commencer par la culture chrétienne, sans entendre et utiliser les mots que celle-ci s’est forgé. Faites comme moi, consultez un dictionnaire. L’antonomase désigne la transformation d’un nom commun en un nom propre. Ici, le nom commun de pain devient le nom propre du Corps du Christ. Le Christ tout entier se rend substantiellement présent dans la réalité de son corps et de son sang (§ 16). En participant à la messe ou à d’autres célébrations eucharistiques, comme par exemple dans les saluts du Saint-Sacrement ou les processions de la Fête-Dieu (§ 18), nous avons conscience de nous tenir réellement devant le Christ lui-même, comme les Mages devant l’Enfant.

- L’eucharistie est un sacrifice. Nous ne nous contentons pas de faire mémoire des paroles et des gestes de Jésus lors de dernier repas pris avec ses apôtres, même si la messe est un mémorial, nous les revivons en prise directe. C’est vraiment à ce moment précis que le Christ offre sa vie, souffre sa passion et s’offre sur la croix (§15). La messe nous place toujours au milieu des apôtres, lors du dernier repas ; elle nous entraîne encore au pied de la croix. Nous ne sommes pas de simples spectateurs de ce drame, se contentant de regarder de plus ou moins loin. La messe nous implique. Le sacrifice du Christ doit devenir le nôtre, sinon notre participation devient fictive.
Participer au sacrifice du Christ, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela veut dire d’abord que j’accepte de donner ma vie, comme il l’a fait. Je rappelle l’enseignement des Mages : il n’y a pas d’amour sans don de soi. Donner ma vie à qui ? A Dieu, puisque je tiens tout de lui. Je reconnais que tout me vient de lui, et cette reconnaissance au double sens de conscience et de gratitude porte le nom d’adoration. Les Mages se prosternent aux pieds de l’Enfant et lui rendent hommage.

- Se donner à Dieu, oui, mais aussi au frère, car je ne saurais assurer que j’aime Dieu que je ne vois, si je n’aime pas ces frères qui peuplent concrètement mon existence. Cette cinquième et dernière idée-force découle de celles qui précèdent. L’Eucharistie est une « épiphanie de communion », communion hiérarchique dans l’Eglise et communion fraternelle (§ 21). Elle n’est pas, si je puis dire inoffensive. Elle engage celui qui se livre à elle à se réclamer ouvertement de sa foi, même si une société sécularisée n’apprécie guère ce genre de témoignage public (§ 26). Dans la place que chacun occupe, visible ou secrète, officielle ou privée, chacun est converti par l’Eucharistie en ouvrier des Béatitudes, en artisan de paix et de justice. Il s’agit pour nous de porter l’Eucharistie au cœur du monde, en travaillant à l’avènement d’une société plus équitable et plus fraternelle, soucieuse en particulier de ceux qui n’ont pas de pain et souffrent des faims les plus diverses (§28).

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En terminant cette catéchèse, je voudrais laisser la parole une dernière fois à Jean-Paul II : … j’attends beaucoup de vous, les jeunes, tandis que je vous rappelle le rendez-vous de la Journée Mondiale de la Jeunesse à Cologne. Le thème choisi « Nous sommes venus l’adorer » (Mt 2, 2) peut vous suggérer de manière particulière l’attitude juste pour vivre cette année eucharistique. Dans votre rencontre avec Jésus caché sous les espèces eucharistiques, apportez tout l’enthousiasme de votre âge, de votre espérance, de votre capacité à aimer.

Jean-Louis Bruguès o.p.
Evêque d’Angers

 

 

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