L'Esprit saint est l'acteur premier
du sacrement du mariage
Le 30 août 2008 -
(E.S.M.) -
La bénédiction nuptiale « consacre » en opérant un décentrement,
une dépossession des époux eux-mêmes, et d'eux-mêmes l'un à l'égard de
l'autre. Seul le souffle sanctifiant de l'Esprit-Saint saura donner à
leur histoire d'alliance sa respiration pascale : donner sa vie pour
ceux qu'on aime.
Le
mariage, la consécration de nos existences
L'Esprit saint est l'acteur premier du sacrement du mariage
VIVRE UN MYSTÈRE DE CONSÉCRATION DANS LE MARIAGE
Lors d'une rencontre de couples, à Paris, nous avons essayé d'approfondir
une articulation qui nous tient à cœur : « Notre vie
dans le mariage et son mystère de consécration ». Avouons d'emblée
que l'affaire est délicate, surtout en raison de toutes les résonances
diversement reçues du mot même de « consécration » : résonances évidemment
religieuses : nous pensons à la Vie Consacrée et religieuse sous toutes ses
formes ; résonances liturgiques, quand nous évoquons par exemple le moment
de la consécration dans la célébration de la messe ; résonances canoniques
et ecclésiologiques, quand sont distingués les divers états de vie.
Dans le dictionnaire Larousse, au mot « consécration », d'autres
propositions de sens sont indiquées : rite par lequel on consacre ;
approbation, reconnaissance publique qui confère la notoriété ; achèvement
ou sommet d'un exploit.
D'un autre côté, nous savons combien l'expression du Livre de Vie
(n° 408) : « Consécration
séculière » a pu surprendre... « Les deux mots semblent s'exclure,
mais les réalités, dans le mouvement de l'Évangile, s'appellent l'une
l'autre. Le même Esprit nous pousse à vivre au milieu des hommes et à suivre
le Christ de plus près : il y va de l'identité de notre institut. » Et
dans la fiche de formation n° 10, la sécularité, p. 9 : « Ce mot séculier
qualifie notre consécration non pas de manière accidentelle, mais de manière
fondamentale. » Cela laisse entendre, au départ de notre réflexion,
combien, dans la foi chrétienne et selon l'Évangile, la distinction
profane-sacré - qui est séparatrice - doit être convertie en terme de
consécration, comme a pu l'écrire le Père Gongar : « Dans une perspective
chrétienne, il n'y a ni profane ni sacré : tout est consacré. »
La réflexion qui suit n'est qu'une simple invitation à approfondir le sens
de notre consécration. « La consécration, une notion en question(s) ?
(1) », l'interrogation nous invite à l'ouverture, à la recherche,
au partage entre nous !
(1) Benoît Malvaux s.j. a des pages excellentes dans : «
Vie religieuse et Vie consacrée aujourd'hui. » N°5/2007, numéros 17 à 22
Le titre de cet article porte le mot « VIVRE ». J'insiste sur ce mot « vie »
et vie « dans » le mariage, pour bien souligner la dimension du
vécu dans une histoire, dans une
histoire personnelle et singulière menée à deux. Vivre dans le mariage n'est
pas statique. Se marier engendre une histoire. Quand nous disons que nous
allons à un mariage, en réalité nous allons vers des personnes qui, à un
moment marqué, inaugurent une histoire en s'y engageant totalement. Le
mystère du sacrement de mariage ne peut être réduit au seul moment de sa
célébration. Sinon, le moment marqué, sans l'histoire qu'il engendre, ne
serait qu'un "non-lieu". Le mariage, c'est une histoire et c'est un
faire-histoire.
Quand nous disons de quelqu'un qu'il « a consacré sa vie à... », nous
entendons fortement cette détermination à donner du temps au temps, à
épouser le temps, à ne pas faire l'économie du temps. Non seulement il a «
consacré du temps à... pour... », mais le temps a donné chair et réalité à
la consécration de sa vie à...
La consécration est donc à envisager de façon
dynamique, comme une marche qui prend du temps, comme un chemin
d'Emmaüs, comme une longue maturation. Un travail est en cours et se fait...
« Il n'y a pas d'arrêt sur image ! »
Jésus dit, dans son discours d'ultime adieu : « Comme tu m'as envoyé dans
le monde, je les envoie dans le monde. Et pour eux, je me
consacre moi-même, afin qu'ils soient eux
aussi consacrés dans la vérité. »
Comment ne pas penser à toute l'existence même de Jésus, à son chemin
d'homme et de Fils, à son chemin réel et unique, à sa manière d'être et de
vivre, à sa détermination dans ses choix (« Il faut...
Il fallait... Ne fallait-il pas... ») pour être fidèle
jusqu'au bout... ? Jusqu'au bout de sa confiance en son Père ?
Sous cet angle, vivre un mystère de consécration dans
le mariage, c'est faire histoire. Un de mes anciens collègues
soulignait volontiers que beaucoup de mots de la langue française qui se
terminent par « ...ation »
(évangélis-ation, réconcili-ation, confirm-ation...)
indiquent qu'il faut du temps pour en vivre et les vivre ! Le sens de la
consécration s'entend bien dans cette détermination à faire histoire, avec
tout ce que cela implique, d'engagement, de fidélité, d'évolution, de mort à
soi-même pour l'autre, de réciprocité sans cesse reprise, de liberté. La
consécration a quelque chose à voir avec la patine du temps !
Évidemment, la consécration n'a pas pour but d'apposer le sceau de la «
perfection », que ce soit sur le mariage ou tout autre état de vie.. .Elle
est plutôt l'appel radical à vivre son état comme le lieu même de la
sanctification. Mais cette dernière est-elle notre œuvre ? Nous y
reviendrons un peu plus loin...
Certes, nos états de vie nous distinguent comme membres divers de l'unique
Peuple de Dieu. Mais la consécration, entendue comme grâce de
sanctification, nous unit dans notre diversité - nous « conjoint » - dans un
même Corps et dans la même Demeure qui n'est autre que celle du Cœur de
Dieu, afin que « son Nom soit sanctifié » dans le chemin particulier et
unique qui est le nôtre, consacré dans la/sa vérité
d'être enfants du Père.
Au terme de cette première proposition de réflexion, je me demande s'il ne
faudrait pas s'abstenir de réclamer « une consécration » qui n'irait que
trop dans le sens d'une « sacralisation » d'un état de vie, qui prendrait le
risque de hiérarchiser le don de la sanctification, « consécration » qui
serait oublieuse que « c'est en fait le baptême qui
opère la consécration fondamentale. » (Benoît
Malvaux s.j. cf. document déjà cité)
Faisons un autre pas... Mieux, accueillons une nouveauté récente,
précisément à propos du sacrement de mariage, dans sa célébration elle-même.
Depuis le renouveau liturgique conciliaire, nous avons remarqué, non sans
attention, que les prières eucharistiques comportent désormais une prière d'épiclèse,
(Prière pour qu'advienne l'Esprit-Saint) que ce
soit sur le pain et la coupe, que ce soit sur l'assemblée célébrante
elle-même. Prononcée par le président de la célébration, il convient tout à
fait - et tellement - qu'elle soit également chantée par toute l'assemblée
elle-même. Cette remise en valeur de l'épiclèse
opère un réel déplacement quant au sens même de la consécration
eucharistique, isolée qu'elle pouvait être dans le seul récit de
l'institution.
Déplacement ! D'une part, c'est toute la prière
eucharistique qui est prière d'action de grâce et de
consécration, d'autre part, l'œuvre de consécration n'est pas de
notre fait : elle est l'œuvre de l'Esprit Saint,
au cœur même d'une assemblée présidée qui célèbre et qui prie.
L'épiclèse délivre donc le rite de toute tentation ou prétention magique et
chosifiante. Le devenir eucharistique du pain et du vin
(Corps et Sang du Christ), et notre advenir comme Corps-du-Christ
sont l'œuvre de l'Esprit Saint.
Le sens - ainsi nommé - de la consécration au cœur du mystère eucharistique
est la référence : la manière dont nous célébrons (lex
orandi : ce qui doit être prié) révèle la foi que nous confessons
(lex credendi : ce qui doit être cru)... et en
conséquence, indique le chemin de vie que nous avons à prendre
(lex vivendi : ce qui doit être vécu) dans la
consécration de nos existences.
Cette nouveauté - la prière d'épiclèse - a été
introduite dans le nouveau rituel de la célébration du mariage, depuis 2005.
Absente depuis longtemps, sinon depuis toujours, la prière d'épiclèse donne
une perspective radicalement nouvelle et fondamentale à la théologie du
mariage. Intimement liée à l'échange des consentements - la parole des époux
-, gestuée par une imposition des mains au-dessus des époux,
la bénédiction nuptiale a valeur d'épiclèse. Le rituel précise que
ce rite ne sera jamais omis, et qu'ainsi l'échange habituel des
consentements ne suffit plus pour qu'il y ait sacrement :
l'Esprit Saint est l'acteur premier du sacrement de
mariage, le sanctificateur, le «
consécrateur » du lien nuptial et de
l'histoire qu'il engendre. Les époux qui sont au centre ne sont pas
le centre. La bénédiction nuptiale « consacre » en opérant un décentrement,
une dépossession des époux eux-mêmes, et d'eux-mêmes l'un à l'égard de
l'autre, ce qui, dans le réel de leur vie, sera le long voyage
de leur histoire d'être deux en alliance. Seul
le souffle sanctifiant de l'Esprit-Saint saura donner à leur histoire
d'alliance sa respiration pascale : donner sa vie pour ceux qu'on aime.
Alors, faut-il chercher une « autre consécration » ? Faut-il chercher une «
consécration en plus » ? Le mariage ne vient-il pas mettre en œuvre - dans
la forme particulière de l'amour conjugal - la consécration fondamentale du
baptême et de la vie baptismale, à la manière dont Saint Paul en parle dans
Romains 6/4 « Par le baptême, en sa mort, nous avons été
ensevelis avec le Christ, afin que, comme Christ est ressuscité des morts
par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle »,
en nourrissant cette vie de l'Eucharistie, « afin que notre vie ne soit
plus à nous-mêmes, mais à Lui qui est mort et ressuscité pour nous, lui qui
a envoyé comme premier don fait aux croyants l'Esprit qui poursuit son œuvre
dans le monde et achève toute sanctification...Que rassemblés par l'Esprit,
nous soyons nous-mêmes, dans le Christ, une vivante offrande à la louange de
sa gloire... » ?
Au risque de surprendre ou d'heureusement étonner, ces lignes de la prière
eucharistique ne sont-elles pas la meilleure référence pour une intelligence
de ce que nous appelons dans les textes de l'Institut «
la consécration séculière », dans nos états de
vie, quels qu'ils soient. Être consacré en vérité
!
La consécration ne saurait être un « supplément » ou une nouvelle vêture ou
sur-vêture. Nous la vivons dans le chemin même de notre conversion, œuvre de
l'Esprit-Saint en nous. Telle est notre vocation
baptismale... et c'est sans doute, dans ce creuset de consécration que peut
scintiller une fraternité évangélique et prophétique entre tous et pour tous. Marcel AUBRÉE
Prêtre. S.V.E. - Diocèse de Rennes