Anselme d'Aoste, "formidable
raisonneur" parmi les prophètes modernes du néant |
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Rome, le 24 avril 2009 -
(E.S.M.)
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Pour célébrer le "doctor magnificus" Anselme à l’occasion du neuvième
centenaire de sa mort, Benoît XVI a délégué un évêque théologien comme lui,
le cardinal Giacomo Biffi. Homélie du Card. Biffi :
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Anselme d'Aoste, "formidable raisonneur" parmi les prophètes modernes du
néant
Le 24 avril 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Neuf cents ans après sa mort, son "intelligence de la foi" est encore
une voie royale, "à notre époque de prolifération des doutes". L'homélie
incisive par laquelle le cardinal Giacomo Biffi a ouvert, au nom du pape,
les célébrations en l'honneur de ce grand docteur de l'Eglise
Pour célébrer le "doctor magnificus" Anselme à l’occasion du neuvième
centenaire de sa mort, Benoît XVI a délégué un évêque théologien comme lui,
le cardinal Giacomo Biffi.
Celui-ci a été à la hauteur de sa mission. A la cathédrale d’Aoste, ville
natale du saint, et le 21 avril, jour de sa fête liturgique, il a affirmé
dans son
homélie l’extraordinaire actualité du grand Anselme, "formidable
raisonneur" et homme de foi parmi tant de faux maîtres du doute, très fidèle
au successeur de Pierre parmi tant de gens qui abandonnent celui-ci, y
compris des évêques.
L'homélie du cardinal Biffi est reproduite intégralement ci-dessous.
Pour l’occasion, le pape a envoyé deux messages: le premier à l'abbé primat
de la confédération bénédictine, Notker Wolf, le second au cardinal Biffi,
son envoyé spécial aux célébrations.
Le second de ces messages a été lu à la cathédrale d’Aoste, le 21 avril,
juste avant l’homélie de Biffi. On trouvera au bas de cette page un lien
vers son texte intégral.
Une expression d’Anselme est devenue célèbre: "Non quæro intelligere ut
credam, sed credo ut intelligam"; je ne cherche pas à comprendre pour
croire, mais je crois pour comprendre.
Ce qui est devenu encore plus célèbre dans l’histoire de la pensée, c’est
son moyen d’affirmer l'existence de Dieu: comme une coïncidence évidente,
incontestable, entre "ce qui est tel que rien de plus grand ne puisse être
pensé" et l'être qui ne peut pas ne pas être pensé existant.
Ce moyen fut critiqué et rejeté par Thomas d'Aquin et Kant, mais considéré
comme valable par Duns Scot, Descartes, Leibniz, Hegel. Mais, justement, la
reformulation de cet "argument ontologique" par Descartes et par d’autres
après lui ne correspond pas à la pensée authentique d’Anselme.
Selon les plus grands spécialistes de ses œuvres, Anselme estime que
l'existence de Dieu ne doit pas être "démontrée". La "preuve" évidente
concerne plutôt sa négation: celui qui nie l'existence de "ce qui est tel
que rien de plus grand ne puisse être pensé" se met dans une insurmontable
contradiction et donc dans l'impossibilité même de penser.
Anselme a été un homme de l’Europe. A son nom sont associées Aoste, près des
sommets des Alpes, l'abbaye bénédictine du Bec en Normandie, dont il fut
abbé, et Canterbury, dont il fut évêque. Les célébrations concernent ces
trois lieux.
Voici donc l'homélie prononcée par le cardinal Biffi à la cathédrale d’Aoste
le 21 avril, fête de saint Anselme:
"Trois dons bien adaptés à notre époque troublée et inquiète"
par Giacomo Biffi
C’est pour moi un agréable devoir de remercier notre Père céleste, qui
dispense tout "don excellent et toute donation parfaite"
(cf. Jc 1, 17), de
la joie qui m’est donnée de présider ce rite qui rappelle et glorifie
l’extraordinaire et fascinant homme de Dieu que fut saint Anselme, gloire
inaliénable de cette Eglise et de cette ville d’Aoste, en ce neuvième
centenaire de son heureuse entrée dans la vie éternelle. Je remercie notre
pape Benoît XVI de m’avoir réservé le privilège de le représenter, en tant
qu’envoyé spécial, à cette belle cérémonie.
La belle et fervente aventure humaine d’Anselme est marquée tout au long par
une totale cohérence intérieure. Mais elle se développe en trois étapes qui
diffèrent beaucoup les unes des autres par la variété des tâches, des
préoccupations et des responsabilités.
Dès la première étape, celle des années d’enfance, d’adolescence et de
première jeunesse passées ici, dans son pays natal, il se révèle un
inlassable chercheur de Dieu, en quête d’une vie riche de sens et aux
motivations surnaturelles.
La deuxième période dure trente ans et se déroule à l’abbaye du Bec, en
Normandie. Il y est d’abord un moine exemplaire. Puis, comme prieur et comme
abbé, il va manifester ses dons d’éducateur et de pédagogue original, de
savant maître de la vie de prière, de formidable raisonneur, et aussi de
chercheur intelligent et génial de la vérité révélée.
Enfin, pendant ses seize dernières années, devenu archevêque de Canterbury
et primat d’Angleterre, il se révèle pasteur courageux et sage, amoureux de
son Eglise qu’il défend contre les abus de pouvoir et l’avidité des rois
normands Guillaume le Roux et Henri Ier, héritiers, à cet égard, et dignes
fils de Guillaume le Conquérant.
Tout son pèlerinage terrestre a été fécond en enseignements admirables et en
exemples précieux. Il est donc naturel de souhaiter aujourd’hui que ce
neuvième centenaire permette à ceux qui veulent être vraiment "théologiens",
au groupe multiforme des homme de culture, à tout le peuple des croyants,
d’écouter à nouveau son enseignement avec un zèle renouvelé et d’explorer
avec soin les trésors de vérité et de grâce qu’il nous propose.
Mais, dans le bref laps de temps d’une homélie, nous devons nous contenter
d’examiner trois leçons qu’Anselme peut nous donner aujourd’hui, une par
étape de son itinéraire ecclésial, trois “dons” remarquablement adaptés à
notre époque troublée et inquiète.
***
Dès son plus jeune âge, Anselme a perçu de façon très aiguë le monde
invisible, cette réalité qui vit et palpite au-delà du spectacle brillant et
bruyant des choses et des événements d’ici-bas. C’est le monde où règne la
très auguste Trinité, le monde plein de créatures heureuses, le monde qui
nous transcende mais qui est également proche de nous et donne un sens et un
but à notre vie de créatures mortelles.
C’était "un enfant qui avait grandi dans les montagnes" note son biographe Eadmer. Il croyait que les hauts sommets enneigés qui entouraient sa ville
étaient les fondations et les piliers qui soutenaient la maison mystérieuse
où le Seigneur demeurait avec ses anges et tous les saints. Une nuit, il
rêva même qu’il avait réussi à monter tout là-haut et qu’il était arrivé en
présence de la majesté divine.
C’est la première leçon que nous voulons retenir. Quand nous affirmons dans
le "Credo" que Dieu est le créateur de toutes les choses "visibles et
invisibles", nous ne rappelons pas seulement cette vérité de foi que
l’origine de tout être est celui qui est cause de tout. Nous exprimons aussi
une conviction pour ainsi dire préliminaire et globale, à savoir que la
réalité totale est bien plus vaste que ce que nous tirons de la simple
connaissance naturelle, qui ne vient que de l’expérience sensible, du
raisonnement inductif et déductif ou du calcul mathématique. Aujourd’hui
Anselme nous dit qu’il ne faut jamais oublier les vraies dimensions de ce
qui existe.
Pour celui qui sait garder l’idée du monde invisible présente et sensible à
son esprit, une attitude habituelle d’écoute devient naturelle: écoute de la
Révélation divine concernant ce qui est au-delà de la foule d’ombres, de
figures, de cas fortuits, d’aberrations, dans laquelle nous sommes immergés;
et, plus largement, écoute de ce qui nous est dit de différentes façons par
le Saint-Esprit, acteur caché mais principal de notre histoire la plus
authentique.
Quand nous sommes déprimés et découragés, comme cela peut arriver, en voyant
ce qui se produit sous le ciel, dans le monde chrétien et au-dehors, le
remède le plus efficace face à ce spectacle décevant est bien de penser à la
dimension réelle de l’univers, qui comprend justement le monde invisible; ce
monde invisible qui déjà est vainqueur du mal et qui nous appartient; ce
monde invisible plein et débordant d’une énergie surhumaine qui remplit sans
arrêt la terre (même quand nous ne nous en rendons pas compte).
***
Un second enseignement non négligeable concerne le rapport entre foi et
raison. De nos jours beaucoup de gens – pas les moins sûrs d’eux et les
moins loquaces – pensent que la foi et la raison sont deux formes de
connaissance incompatibles entre elles et tout à fait alternatives: celui
qui raisonne, disent-ils, n’a pas besoin de croire, celui qui croit sort par
là même du domaine de la rationalité: voilà ce qu’ils pensent avec une
conviction inébranlable et dogmatique.
Anselme frémirait face à cette attitude mentale. Pour lui – et pour tout
chrétien correctement informé – non seulement la foi n’est pas séparable de
la raison et ne lui fait pas de tort, mais elle est même l’exercice extrême
et le plus élevé de nos facultés intellectuelles.
D'autre part une vision pessimiste de la connaissance humaine naturelle
s’affirme aussi dans la culture actuelle, conditionnée et dominée par un
subjectivisme absolu. Beaucoup de gens pensent que l'homme ne peut parvenir
à aucune vérité qui ne soit pas provisoire et intrinsèquement relative.
Quand il s’agit des questions qui comptent – sur notre origine, sur le sort
final de l’homme, sur une quelconque raison convaincante de notre existence
– on va jusqu’à railler et même blâmer les certitudes. Les questions les
plus sérieuses, quand elles ne sont pas censurées dès le départ par les
diverses idéologies dominantes, ne sont admises que comme bases et
déclencheurs de la prolifération des doutes. Mais c’est ainsi que l’on fait
disparaître en l’homme toute confiance nécessaire: comment pouvons-nous nous
résigner à accrocher notre unique vie à des points d’interrogation sans
réponse?
Anselme, lui, reconnaît la dignité et l’efficacité de la raison. Pour lui –
et pour tous les disciples de Jésus – la raison doit être honorée en
elle-même en tant que grand don de Dieu. De plus, elle entre comme élément
constitutif indispensable dans l’acte de foi et elle reste un élément
constitutif indispensable de cette "intelligence de la foi" dont Anselme est
reconnu comme un maître.
***
Il y a une troisième leçon qu’Anselme donne à notre vie ecclésiale actuelle:
ne perdez jamais de vue, nous dit-il, la fonction primordiale et
irremplaçable du Saint-Siège.
Au cours de sa longue et rude lutte pour sauver la "libertas Ecclesiae" des
intrusions arbitraires du pouvoir politique, le primat d’Angleterre est
resté seul. "Même mes évêques suffragants – écrit-il avec une certaine
mélancolie – ne me donnaient d’autres conseils que ceux qui étaient
conformes à la volonté du roi" (Epistola 210). Alors il cherche et obtient
l’appui, l’encouragement, la protection de l’évêque de Rome, à qui il
recourt avec confiance.
Anselme sait que Jésus a dit à Pierre et à ses successeurs
(et à personne
d’autre): "Affermis tes frères"
(Lc 22, 32); il sait que Jésus a promis à
Pierre et à ses successeurs (et pas aux divers éditorialistes en "sacra
doctrina", si savants et géniaux soient-ils): "Tout ce que tu lieras sur
terre sera lié dans les cieux et tout ce que tu délieras sur terre sera
délié dans les cieux" (Mt 16, 19); il sait que Jésus a confié la tâche de
faire paître tout son troupeau (cf. Jn 21, 17) à Pierre et à ses successeurs
(et pas à tel ou tel groupe ecclésiastique ou culturel).
Il sait, et nous ne devons jamais l’oublier, que le Siège Apostolique est
toujours le point de référence normal et le juge ultime et incontestable
pour tout problème concernant la vérité révélée, la discipline ecclésiale,
l’orientation pastorale à choisir.
L'archevêque de Canterbury a répondu à l’aide reçue du pontife romain par
une fidélité sans défaut, qui lui a notamment valu à plusieurs reprises le
désagrément et l’amertume de l’exil.
***
Comme on le voit, Anselme d'Aoste joue un rôle prestigieux et bienfaisant
dans l’histoire de l’Eglise, de la sainteté, de la pensée humaine. Nous
remercions le Seigneur qui l’a suscité.
Aujourd’hui encore, c’est une figure et une personnalité vraiment actuelle.
C’est pourquoi nous comptons spontanément sur son intercession auprès de
Dieu en faveur de notre temps; ce temps où si souvent nous sommes forcés
d’écouter, venant de tribunes très diverses, la voix pleine d’assurance des
nombreux prophètes du néant et les discours des tenants satisfaits d’un
destin humain sans plausibilité, sans signification, sans espérance.
*
Le message de Benoît XVI au cardinal Giacomo Biffi, son envoyé spécial aux
célébrations organisées à Aoste pour le neuvième centenaire de la mort de
saint Anselme ►
Message de Benoît XVI au Card. Biffi : en St Anselme, foi et raison sont admirablement liées
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 24.04.2009 -
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