Pie XII : un homme à redécouvrir |
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Le 24 janvier 2010 -
(E.S.M.)
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INTERVIEW. Auteur d’une biographie sur Pie XII, le vaticaniste Andrea
Tornielli dresse un portrait d'Eugenio Pacceli. (Le
suisse romain)
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Le pape Pie XII
Pie XII : un homme à redécouvrir
De Rome, Dominique Rimaz
Le 24 janvier 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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Andrea Tornielli est l’un des vaticanistes les plus connus de la planète
catholique. Ce journaliste qui vit à Milan et à Rome suit l’actualité du
Saint-Siège pour « Il Giornale » et a aussi une forte audience
internationale grâce à son blog (tornielli)). Il a publié - en
italien et un français - une biographie de Pie XII très complète. Cette
étude est d’autant plus actuelle que la décision de Benoît XVI de lancer le
processus de béatification de Pie XII a ressuscité une polémique sur
l’attitude de ce pape durant la Seconde guerre mondiale.
Les travaux sur les archives vaticanes réalisés par le Père jésuite Pierre
Blet sont connus. Mais est-ce que, d’après-vous, avant la proclamation des
vertus héroïques de Pie XII, le Saint Siège et Benoît XVI ont fait une
enquête historique approfondie des archives secrètes ?
Oui, il est certain que le Saint Siège a fait une étude historique
approfondie. En 2007, lorsque la Congrégation pour la cause des saints avait
donné son assentiment, à l’unanimité, le Pape avait décidé de prendre du
temps. Il n’a donc pas publié à l’époque le décret. Benoît XVI a fait faire
une nouvelle enquête sur le document de la « positio » sur les vertus et
également sur les archives de la Secrétairerie d’Etat. Donc il a été fait
une enquête historique très soignée et approfondie. De ces archives, non
seulement il ne ressort rien contre Pie XII, mais il en résulte davantage
d’aspects positifs. C’est la raison pour laquelle Benoît XVI a récemment
promulgué ce décret.
Pour l’écriture de votre biographie sur Pie XII, vous avez eu accès aux
archives du frère d’Eugenio Pacelli. Quelles furent vos découvertes ?
La première nouveauté, qui n’est peut-être pas très grande mais qui peut
tout de même l’être, est le côté humain de la figure d’Eugenio Pacelli. Pie
XII fut un homme qui s’est totalement identifié à son rôle de prêtre,
diplomate, nonce puis enfin Pape. Il mettait totalement de côté sa propre
personne en étant parfaitement dédié à son institution. Les biographies
précédentes n’avaient pas d’éléments concrets et historiques pour raconter
la figure de l’homme Pacelli.
Par contre, des archives familiales, très importantes, qui sont surtout
constituées par les lettres intimes échangées avec son frère, il ressort par
exemple que Pacelli ne voulait pas devenir cardinal. Il aurait souhaité un
diocèse. Ensuite, dès le début, il a parfaitement compris le grand danger du
nazisme. Il y a des lettres qui font apparaître cette peur. Pacelli pense la
même chose, que cela soit en privé ou lorsqu’il s’adresse à ses supérieurs.
Car il y a des lettres, par exemple à la Secrétairerie d’Etat, où il définit
le national-socialisme comme l’hérésie la plus dangereuse de son époque. Il
a aussi dénoncé les débuts du nazisme en tant que nonce à Munich, en
Bavière. Cela est donc très intéressant.
« le national-socialisme est l'hérésie
la plus dangereuse de notre époque »
lettre d'Eugenio Pacelli
Ensuite, après la publication du livre, dans les archives du Cardinal
Tisserant, que j’ai consultées pour la biographie du Pape Paul VI, j’ai
trouvé par hasard un document capital : une lettre que Pacelli envoie au
nonce en Pologne, à la demande du Cardinal Tisserant, en faveur des juifs.
Durant les années 30, la Pologne voulait introduire une loi qui tentait de
prohiber l’abatage rituel des animaux selon les rites hébreux. Il était donc
question d’une discrimination et pas tant de persécution. Pourtant Pacelli
écrit à la demande du Cardinal Tisserant et intervient immédiatement auprès
du nonce. Il dit aussi qu’il faudra protester si cette loi venait à passer.
De la lecture de ces lettres, il ressort que Pacelli n’avait, de façon
absolue, aucun sentiment anti-juif.
Il est pourtant avéré historiquement que lorsque Pacelli deviendra Pape, il
ne parlera pas publiquement contre l’extermination des juifs. Comment
expliquez-vous ce silence ?
Avant de parler de silence, il convient de parler de ce que le Pape a dit.
Le Pape a fait beaucoup d’interventions publiques. Il faut savoir que les
Papes, à l’époque, ne parlaient pas autant qu’aujourd’hui. Les Papes ne
parlaient que très rarement. Il a parlé lors de ses radios messages qui
faisaient le tour du monde. En 1940, Pie XII affirme publiquement: “il est
pour nous d’un grand réconfort d’avoir pu assister (avec notre argent) les
persécutés, également parmi des « non-ariens ». A cette époque, dire «
non-ariens » signifiait juifs. Cela était compris par tous. Si, en 1940, Pie
XII dit publiquement être heureux d’avoir pu aider les juifs quel est le
message qu’il veut donner à l’Eglise ? Que les juifs doivent être aidés ou
non ? Il est clair que le oui l’emporte. Et il le dit publiquement.
Egalement en 1942, dans le fameux radio
Message de Noël, il parle « des
centaines de milliers de personnes qui sans faute de leur part, seulement
pour raison de nationalité ou de race (« stirpe » en italien) sont déportés
dans des camps de concentration et tués ». Cela aussi, à l’époque, était
bien compris.
C’est historiquement avéré qu’après ce message de 1942 il n’y eut plus
d’appel public contre la déportation des Juifs. Il faut se poser la question
du pourquoi ? Il est plus facile de juger après coup. Premièrement,
cherchons la motivation même que le Pape veut donner. En juin 1943, parlant
au Sacré Collège des cardinaux, il dit textuellement: « chaque parole
adressée par nous aux autorités compétentes, doit être soigneusement
pondérée, afin de ne pas rendre, même sans le vouloir, encore plus difficile
la condition des persécutés ». Il demande de la prudence dans les paroles
pour ne pas aggraver la situation. Puis il est irréfutable et historiquement
documenté qu’il y eut tout un réseau d’aide aux Juifs, également à travers
les nonciatures apostoliques. L’unique diplomate qui restera jusqu’à la fin
de la guerre à Berlin avec l’ambassade ouverte fut le nonce apostolique. Pie
XII a cherché à ouvrir tous les canaux possibles. Sa prudence dans les
paroles a permis à ce réseau d’aide de fonctionner. Ce sont des faits.
« chaque parole adressée par nous aux autorités compétentes,
doit être soigneusement pondérée, afin de ne pas rendre,
même sans le vouloir, encore plus difficile la condition des persécutés »
Pie XII
Ensuite, on peut juger avec la sensibilité d’aujourd’hui et avec les données
en notre possession de ce que fut vraiment l’horreur de la Shoah. Alors,
certes il aurait peut-être fallu un geste prophétique avec des paroles. Mais
il faut se souvenir que nous n’avons pas vécu dans les années de ce régime
dictatorial. Les persécutés ne demandaient pas tant des appels publics que
des aides concrètes. Enfin, il y eut le cas emblématique des déportations en
Hollande, qui ont montré au Pape que les appels publics des évêques contre
la déportation, non seulement n’arrêtaient pas la déportation, mais que
celle-ci continuait d’une manière bien pire qu’avant. Car les nazis ne
raflèrent pas seulement les juifs, mais aussi les juifs convertis au
catholicisme. Edith Stein fut arrêtée à cette occasion et déportée à
Auschwitz.
Aussi, cela nous permet de comprendre que Pie XII a bien ses raisons pour
être prudent dans ses prises de paroles.
Dans votre livre vous écrivez que les limites de Pie XII sont aussi celles
de son époque. Quelles furent ces limites ?
Je pense en effet qu’il y a des limites pour cette époque. Une confiance
sans doute excessive dans la possibilité des rapports diplomatiques. Une
trop grande confiance aussi dans les concordats, bien que la politique des
concordats provienne non de Pie XII, mais de Pie XI. Il faut donc quelque
peu diluer les responsabilités. Ne pas tout centrer sur le seul Pie XII.
Peut-être que la limite majeure fut le manque de prise de conscience, à
cette époque, de la spécificité et des dimensions dramatiques de
l’holocauste juif. A cette époque, on ne savait pas tout et le conflit était
mondial, il a fait tout de même plus de 50 millions de morts. La limite fut
donc, peut-être, de ne pas avoir compris l’énormité de la Shoah, limite qui
n’est pas que celle de Pie XII, mais de tous.
Pourriez-vous nous dresser un portrait de Pie XII, les points saillants de
son long pontificat ?
Je crois que fixer le débat uniquement sur le drame des Juifs fait perdre
quelque peu une vue d’ensemble de la grandeur de ce pontificat. Cela donne
une fausse vision. On présente Pie XII comme le dernier représentant d’une
Eglise hiératique, hiérarchique et attachée au passé.
En réalité, Pie XII, dans son Magistère, est un Pape qui regarde plus vers
le futur que vers le passé. Quelques faits : c’est le Pape le plus cité dans
tous les documents du Concile Vatican II, qui débute la réforme liturgique
avec l’encyclique «
Mediator Dei » et qui réforme la Semaine Sainte en 1954.
Pie XII institue une commission qui travaille sur la liturgie. Bunigni
travaille déjà sous Pie XII, avec le préfet des rites le Cardinal Cicognani.
Si le Concile a pu travailler et approuver la première constitution sur la
liturgie «
Sacrosanctum Concilium» cela est dû au travail préparatoire qui
a commencé avec Pie XII. C’est ensuite le premier Pape, dans une Encyclique
« Humanae Generis » qui s’ouvre à l’hypothèse de l’évolution, bien qu’elle
reste une hypothèse, sans vouloir la présenter comme la vérité absolue. Pie
XII est le Pape qui se prononce, contre l’avis du Saint Office, pour la voie
des méthodes naturelles pour la paternité responsable.
C’est le Pape qui a béatifié et canonisé le plus grand pourcentage de
femmes, en tenant compte du nombre total. Wojtilà est certes celui qui de
façon absolue a béatifié et canonisé le plus, encore plus que tous ces
prédécesseurs. Mais si nous regardons les pourcentages, entre Pie XII et
Jean Paul II, Pie XII gagne encore car il a promu plus de femmes. Puis
pensons à tous les discours adressés à toutes les catégories de personnes,
aux hommes de la science, aux médecins, aux obstétriciens… Encore
aujourd’hui, la Congrégation pour la doctrine de la foi, il n’y a de cela
qu’un an et demi, devant prendre des décisions ou répondre à des questions
fondamentales, cite et se base sur la Magistère de Pie XII, un Pape qui a
parlé à toutes les catégories de professions. Il se préparait de façon
incroyable. Si le Pape devait faire une conférence lors d’un congrès de
physiciens, il voulait avoir un mois à l’avance, 10 à 15 livres avec lui. Il
voulait tenir compte de l’état réel des discussions, des modèles, et ne
voulait certes non pas pour parler comme un physicien. Il se préparait de
façon minutieuse. Tous ces discours sont de ce point de vue des vrais chefs
d’œuvres.
Pensez-vous que Jean Paul II aide Pie XII pour la béatification ?
Il faut savoir que la cause de béatification de Pie XII fut introduite par
Paul VI, qui n’est pas un Pape traditionaliste ou pré conciliaire. Je pense
que la cause de béatification aide, pour prendre une comparaison, comme pour
celle de Pie IX advenue en 2000 avec Jean XXIII. Ils furent béatifiés
ensemble et le même jour. Je ne sais pas du tout s’ils seront béatifiés
ensemble. Mais cela me semble difficile. Il manque du temps. Alors que pour
Wojtilà il existe déjà le miracle, pour Pie XII, il y a aussi un miracle,
mais le travail n’est pas encore fait. Je verrais aussi difficile de
béatifier les deux Papes en sachant que la date du 16 octobre toucha le
ghetto de Rome en 1943. Il faut être prudent sur les coïncidences des dates.
Le Saint Siège fit une erreur en béatifiant une foule de martyrs chinois le
jour même de la fête nationale chinoise. Cela a conduit à des problèmes
diplomatiques. Je ne sais donc rien sur la béatification conjointe. Mais par
contre, je sais que pour Jean Paul II, les archives n’ont pas toutes été
consultées, car il s’agit de milliers et de milliers de documents. Faire
avancer ensemble les causes permet surtout de comprendre l’herméneutique de
la continuité, la Réforme dans la continuité, qui est l’idée forte que
Benoît XVI veut donner à toute l’Eglise, comme lecture du Concile et comme
lecture générale de l’histoire de l’Eglise.
Ceci dit, je pense qu’il y a aussi un risque de faire tant de Papes
bienheureux. Les gens peuvent penser : mais qu’ont fait Benoît XV et Pie XI
de mal pour ne pas être bienheureux ? La béatification et la canonisation
consistent à présenter aux fidèles des modèles, les faire connaître, les
mettre sur les autels pour dire : « Regardez, ils sont des exemples de
sainteté ». Les Papes, par leur charge et leur service, sont déjà sur un
piédestal. Ils sont connus. Il y a donc des risques. Cela peut induire
l’idée que l’institution se béatifie elle-même, en béatifiant ses chefs. Ces
trois limites doivent être présentes, surtout pour le futur. Les procès qui
ont déjà commencé, pour une question de justice, doivent se poursuivre.
Toutefois, il existe une question de fond.
La salle de presse, sans doute pour adoucir la décision de Benoît XVI, a
parlé d’un jugement plus spirituel sur Pie XII qui n’implique pas
nécessairement l’histoire. N’y-a-t-il pas un risque de faire de Pie XII un
être désincarné, avec une sainteté qui sort des actes posés dans l’histoire
et dans le temps ?
Cette note n’est pas officielle car la salle de presse ne l’a pas publiée
dans son bulletin. Elle fut diffusée dans l’Osservatore Romano et sur Radio
Vatican. La clef de lecture de cette déclaration permet de dire qu’elle a
été faite pour rendre possible la visite du Pape à la synagogue. C’est en
fait une citation de Jean Paul II, qui lors
de l’homélie de septembre 2000*,
à l’occasion de la béatification de Pie IX et de Jean XIII, fit comprendre
que, malgré les fortes polémiques autour de l’Unité italienne et du Risorgimento, lorsque l’Eglise béatifie une personne, elle ne béatifie pas
pour autant tous les actes historiques.
Le Père Lombardi et le Saint Siège ont voulu rappeler que si on béatifie Pie
XII, cela ne signifie pas clore le débat historique, qui doit continuer. Il
permettra d’évaluer et de découvrir encore d’autres choses. Par ce décret,
Benoît XVI dit que Pie XII s’est comporté selon l’Evangile, a pratiqué les
vertus héroïques, avec au sommet la vertu de la Charité. Il y a donc bien un
jugement historique. Les choix historiques peuvent être aussi jugés par
l’histoire et comporter certaines erreurs pour la mentalité des générations
suivantes. Mais ces choix ont été faits en conscience en pensant toujours
vouloir accomplir le bien soit de l’Eglise, soit des persécutés. Pie XII a
agi en étant convaincu d’adhérer à l’Evangile. On pourra toujours discuter
sur les conséquences historiques, d’une manière ou d’une autre. Le fait
d’être arrivé au décret signifie que l’Eglise n’a pas de doute sur Pie XII.
Elle n’en a pas non plus sur le plan historique. Ceci dit, cela ne signifie
en aucun cas mettre un terme au débat historique.
***********
"La sainteté vit dans l'histoire et aucun saint n'échappe aux limites et aux
conditionnements propres à notre humanité.
En béatifiant l'un de ses fils, l'Eglise ne célèbre pas les choix
historiques particuliers qu'il a pris, mais elle l'indique plutôt comme
devant être imité et vénéré pour ses vertus, comme une louange à la grâce
divine qui resplendit en celles-ci".
Homélie de Jean Paul II, septembre 2000, béatification de Pie IX et Jean
XXIII
Article paru dans Le Nouvelliste
(Andrea Tornielli, Pie XII, Biographie, Ed. du Jubilé Tempora, 807 pages)
Sources : Le suisse
romain
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 24.01.2010 -
T/Eglise
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