Benoît XVI : l’amélioration de
la qualité des homélies était un devoir fondamental pour l’Église |
 |
Rome, le 23 janvier 2010 -
(E.S.M.)
- La très mauvaise qualité de beaucoup de prédications
dominicales pénalise l'écoute de l'Église dans le monde entier. A cela,
une alternative: expliquer l'Evangile à travers les chefs d'œuvre de
l'art chrétien. En trois magnifiques volumes, Timothy Verdon montre
comment faire.
|
La
"Vierge de l’Annonciation" d’Antonello de Messine
Benoît XVI : l’amélioration de
la qualité des homélies était un devoir fondamental pour l’Église
Comment peindre une homélie dans les règles de l'art
Le 23 janvier 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
-
Il y a quelque temps, les critiques de l’évêque Mariano Crociata quant à la
qualité médiocre de nombreuses d’homélies dominicales ont fait du bruit.
Crociata est le secrétaire général de la conférence des évêques d’Italie. A
la fin de l’année, dans un colloque sur la liturgie, il a affirmé qu’un
grand nombre d’homélies prononcées chaque dimanche en chaire étaient une "bouillie"
niaise, presque un "plat immangeable" et en tout cas "bien peu
nourrissant".
Ses critiques ont été reprises par "L'Osservatore Romano" et par
Radio Vatican. Quelqu’un a retrouvé une boutade de Joseph Ratzinger quand il
était cardinal : "Le miracle de l’Église, c’est qu’elle survit chaque
dimanche à des millions de très mauvaises homélies".
En tant que pape, Ratzinger a abondamment montré qu’il considérait que
l’amélioration de la qualité des homélies était un devoir fondamental pour
l’Église.
Ses
Homélies lors des célébrations publiques sont désormais un élément
caractéristique de son pontificat. Il les prépare personnellement avec le
plus grand soin. Il les propose, en fait, comme modèles. Même les messages
qu’il lit chaque dimanche à midi lors de l'Angélus
depuis sa fenêtre donnant sur la place Saint-Pierre, sont construits comme
de petites homélies sur l’Évangile de la messe du jour.
*
Mais il y a une voie particulière pour donner suite à cette proposition de
Benoît XVI. Celle de l'art sacré.
Si elles sont nourries de l'art qui orne d’innombrables églises dans le
monde, les homélies peuvent, plus efficacement qu’en recourant à la parole
seule, introduire aux mystères sacrés (et même identifier à eux, comme dans
le cas de la "Vierge de l’Annonciation" d’Antonello de Messine
reproduite ci-dessus, où le spectateur regarde la Vierge du même côté - hors
du tableau - que l'ange Gabriel).
La preuve en est donnée par les trois splendides volumes dans lesquels
Timothy Verdon – historien d'art, prêtre, professeur à la Stanford
University et directeur à Florence du bureau diocésain pour la catéchèse par
l'art – commente le lectionnaire des messes dominicales et des fêtes grâce à
des chefs d’œuvre de l'art chrétien choisis en fonction de l’Évangile du
jour.
Les trois volumes ont été publiés en Italie année après année – en attendant
des traductions en d’autres langues – en suivant le cycle triennal du
lectionnaire de rite romain. Le troisième a été publié il y a quelques
semaines, au début de l'Avent.
Le texte ci-dessous est un extrait de la présentation de ce dernier volume,
à Florence, par Massimo Naro, prêtre, professeur de théologie systématique à
la Faculté Pontificale de Théologie de Sicile, à Palerme.
La voie artistique vers les mystères sacrés
par Massimo Naro
Le livre de Timothy Verdon a une valeur surtout méthodologique. Il propose à
des prédicateurs qui sont entourés d’œuvres d’art dans leurs églises une
méthode de prédication qui peut et doit être applicable par tous, dans des
lieux divers, partout, y compris en référence à des patrimoines artistiques
différents de ceux auxquels Verdon se réfère dans son livre.
Que signifie la décision de commenter la liturgie par l’art et à quoi
aboutit-elle ? Au début du livre, Verdon souligne que les œuvres d’art
chrétien - surtout celles qui sont destinées à la fois à constituer et à
orner les églises où l’on célèbre la liturgie - ont toujours été des
commentaires du message biblique proclamé dans la liturgie elle-même. Lire
dans la Genèse le récit de la création du monde et de l’homme, rappeler
l’histoire des patriarches d’Israël, raconter les miracles accomplis par
Jésus et faire mémoire de sa Pâque dans une église comme la cathédrale de
Monreale, par exemple, dont l’intérieur est tout recouvert de mosaïques
représentant la Bible, c’est justement découvrir un commentaire grandiose
des "histoires de Dieu" qui entoure les fidèles de toutes parts, tandis
qu’ils écoutent mais aussi regardent l’annonce évangélique.
D’après Verdon, l’art chrétien est depuis des siècles un "élément du
processus d’écoute d’où naissent la foi et les œuvres des croyants",
c’est-à-dire une partie intégrante de la tradition ecclésiale et de la vie
chrétienne, qui trouvent depuis toujours dans la liturgie leur source et
leur sommet. Il est la traduction de ce que la Parole biblique annonce et
célèbre : l’image − vivante et vitale − du Christ lui-même.
Ce n’est pas par hasard que, dès le IVe -Ve siècle, s’est affirmée dans
l’Eglise ancienne la légende selon laquelle l’évangéliste Luc était
également peintre. Pour introduire son commentaire au missel de l'année C −
pendant laquelle, le dimanche, on proclame l’Evangile selon Luc − Verdon a
justement choisi le "Saint Luc" peint par le Greco : l’évangéliste
tient, de la main droite, une plume qui ressemble beaucoup à un pinceau et,
de la gauche, un évangéliaire ouvert sur une image de Marie, comme pour
indiquer que la traduction visuelle est en quelque sorte le résultat, le
"but", de la lecture croyante du texte évangélique.
L’anathème lancé par le deuxième concile de Nicée - "Si quelqu’un n’admet
pas les présentations de l’Évangile qui se font par des images peintes,
qu’il soit excommunié" - se rattache probablement à cette légende.
Peindre le visage du Christ, de Marie, des saints, est considéré comme une
façon d’écrire son Evangile et donc de le transmettre, de le proclamer, d’en
permettre la lecture et donc la méditation et la connaissance par les
fidèles. A Nicée, en 787, la dogmatique adopte la légende et lui donne la
dignité d’une doctrine, incluant dans le dépôt de la Tradition non seulement
la tradition écrite et orale mais aussi la tradition picturale.
Verdon développe tout cela dans son livre. Par exemple, commentant la
liturgie du IVe dimanche de l’Avent, il a recours à une miniature
représentant la nativité, tirée du Psautier d’Ingeborg
(Danemark, XIIIe siècle), véritable réécriture de l’Evangile de
l’enfance mais aussi d’un passage de la lettre aux Hébreux qui constitue la
seconde lecture de ce dimanche. On y lit qu’"entrant dans le monde, le
Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un
corps". Et la miniature choisie par Verdon représente justement l’Enfant
de Bethléem installé dans une crèche en forme d’autel. Elle a la même
qualité exégétique qu’Hébreux 10, 5-7 par rapport au récit de Bethléem.
L'art n’est donc pas une simple illustration du passage biblique proclamé
dans la liturgie, mais il reformule librement ce qui est dit de Dieu dans la
Bible. Dans l’introduction du livre, Verdon l’explique par un tableau de
Jacopo Bassano : "Le bon Samaritain" (1557), aujourd’hui conservé à la
National Gallery de Londres. Verdon note qu’"en évoquant le Christ descendu
de la croix à travers la figure de l’homme à demi nu qu’aide le Samaritain",
Jacopo Bassano relie la parabole de Luc à ce que dit Jésus dans l’Evangile
de Matthieu : "Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces plus petits qui
sont mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait". Le peintre invite
ainsi ceux qui admirent son tableau à voir le Christ non plus dans le bon
Samaritain penché sur le malheureux, mais dans le malheureux lui-même, pour
qui le spectateur doit faire le même geste d’amour que le bon Samaritain, à
chaque fois qu’il se trouve face à un “pauvre homme”.
Verdon découvre bien d’autres exemples emblématiques de cette "interprétation
originale" du récit biblique par l’art. Commentant la liturgie du IIe
dimanche de l’Avent, dont l’Evangile évoque la prédication de Jean-Baptiste,
il recourt à un tableau de Jacopo da Empoli peint vers 1610, la "Prédication
de Jean-Baptiste", qui se trouve à San Niccolò Oltrarno à Florence. Le
paysage évoque la campagne toscane ; le Baptiste est encore vêtu des peaux
de bêtes typiques des anciens prophètes, mais ses auditeurs sont peints en
vêtements du début du XVIIe siècle, comme pour insister sur l’actualité de
l’appel à la conversion lancé par Jean-Baptiste. On retrouve ce “jeu de
rôles” dans la très belle "Vierge de l’Annonciation" d’Antonello de
Messine, citée par Verdon dans l'introduction : l’artiste et le spectateur
prennent la place de l’ange Gabriel, absent du tableau, et ils perçoivent à
leur tour l’émerveillement croyant de Marie, exprimé par le geste de sa main
à demi levée.
C’est là qu’apparaît la valeur relationnelle de l’art qui commente,
reconfigure, réinterprète le récit biblique : cet art est une sorte de
relation, il manifeste la capacité à se mettre en rapport avec Celui qui est
représenté, il permet de s’impliquer dans l’événement présenté. Ici entre en
jeu le mécanisme de l’identification, qui est une pédagogie artistique très
efficace. En elle et par elle, la Bible n’est plus seulement le "grand
manuscrit" − comme l’a écrit Northrop Frye citant William Blake, poète
et peintre du XVIIIe siècle − où l’on peut puiser motifs et thèmes, symboles
et images, mythes et métaphores, mots et couleurs. Dans l’art qui arrive à
déclencher le mécanisme de l’identification, la Parole biblique n’est pas un
simple élément culturel. C’est plutôt une prophétie.
En réalité, l’art qui thématise ce qui est dit de Dieu est une sorte
d’exégèse spirituelle, capable de nous faire voir le Seigneur et, en outre,
de nous faire voir avec le Seigneur, à côté de lui, ranimés par son saint
Esprit, qui a déjà inspiré les “hagiographes” et inspire
continuellement les “iconographes”.
Comme introduction au temps de Noël, Verdon a choisi un panneau de
Francescuccio Ghissi, peint vers 1360, qui représente dans sa partie
supérieure Jésus comme homme des douleurs, portant les marques de la
passion, et dans sa partie inférieure la nativité. La valeur spirituelle
d’une telle représentation artistique est justement celle du synchronisme et
du synopsis, grâce auxquels le récit biblique, devenant visuel, dépasse les
contraintes de la succession chronologique et nous ramène directement au
Christ et à la totalité de sa vie. C’est toujours lui qui a souffert, qui
est mort et ressuscité, lui qui est né petit enfant à Bethléem. Dans cette
perspective métahistorique, pascale, nous entrons spirituellement, nous
aussi, par la porte de la beauté artistique : nous devenons contemporains du
Christ.
Ainsi le récit biblique se montre performatif, c’est-à-dire qu’il pénètre de
plus en plus au fond de celui qui l’écoute, le prie et le célèbre ; il
provoque une transformation plus décisive dans le vécu des croyants, qui
sont introduits et accueillis, presque transposés dans la perspective
représentée, mis à la place des bergers qui sont éclairés par la même
lumière que l’Enfant de Bethléem, comme dans le panneau de Giovanni di Paolo
qu’utilise Verdon pour commenter l’Evangile de la nuit de Noël ; ou bien mis
à la place de l’apôtre Thomas, qui paraît vraiment mettre son doigt dans la
plaie au côté du Ressuscité, dans la suggestive toile du Guerchin utilisée
par Verdon pour commenter l’Evangile du IIe dimanche de Pâques.
La pédagogie de l’identification spirituelle est et reste le mérite le plus
important, le résultat principal, de cette belle exégèse artistique. Le sens
du titre du livre de Verdon est justement là : la "beauté" est retrouvée
dans la Parole et distillée par la Parole.
***
Le livre :
Timothy Verdon, "La bellezza nella Parola. L’arte a commento delle letture
festive dell’Anno C", San Paolo, Cinisello Balsamo, 2009.
L’article de www.chiesa qui présente le premier volume de l'ouvrage :
Comment illustrer une homélie avec le pinceau de Luc, évangéliste et peintre
(20.11.2007)
A propos de Benoît XVI comme "maître" de l’homélie :
Les homélies de Benoît XVI- un modèle pour une
Eglise désorientée
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.01.2010 -
T/International |