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Benoît XVI : Nous le prions de se rendre
efficacement présent dans son Église
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Le 22 février 2023 -
(E.S.M.)
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Dans le geste des mains qui bénissent s'exprime la relation durable
de Jésus avec ses disciples, avec le monde. Dans le fait de s'en
aller il vient pour nous élever au-dessus de nous-mêmes et ouvrir le
monde à Dieu. Pour cela les disciples ont pu se réjouir, quand de
Béthanie ils sont retournés chez eux.
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L'Ascension du
Seigneur - Pour
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Benoît XVI : Perspective
II est monté au ciel
II siège à la droite de Dieu le Père
et il reviendra dans la gloire
Les quatre Évangiles, comme aussi le rapport de saint
Paul sur la Résurrection en 1 Corinthiens 15, supposent que la
période des apparitions du Ressuscité a été limitée dans le temps. Paul est
conscient qu'une rencontre avec le Christ ressuscité lui a été accordée à
lui, en dernier. Aussi, le sens des apparitions est clair dans toute la
tradition: il s'agit, avant tout, de réunir un cercle de disciples qui
puissent témoigner que Jésus n'est pas demeuré dans le tombeau, mais qu'il
est vivant. Leur témoignage concret se traduit essentiellement en une
mission: ils doivent annoncer au monde que Jésus est
le Vivant - la Vie elle-même.
Ils ont la tâche de tenter d'abord encore une fois de
rassembler Israël autour de Jésus ressuscité. Pour Paul aussi l'annonce
commence toujours par le témoignage devant les Juifs auxquels le salut est
destiné en premier lieu. Mais la destination dernière des envoyés de Jésus
est universelle : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre.
Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Mt
28,18s.). « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la
Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). « Va, dit
enfin le Ressuscité à Paul, c'est au loin, vers les
païens, que moi, je veux t'envoyer » (Ac 22,21).
L'annonce que Jésus viendra de nouveau pour juger les vivants
et les morts et pour établir définitivement le royaume de Dieu dans le monde
fait aussi partie du message des témoins. Un grand courant de la théologie
moderne a déclaré que cette annonce est le contenu principal, sinon même le
cœur unique du message. Il est ainsi soutenu que Jésus lui-même aurait déjà
pensé exclusivement en catégories eschatologiques. L'« attente immédiate »
du royaume aurait été le véritable élément spécifique de son message et la
première annonce apostolique n'aurait pas été différente.
Si cela avait été vrai - peut-on s'interroger -, comment la
foi chrétienne aurait-elle pu persister alors que l'attente immédiate ne
s'était pas accomplie? De fait, une telle théorie est en opposition avec les
textes comme aussi avec la réalité du christianisme naissant, qui fit
l'expérience de la foi comme force opérante dans le présent et, en même
temps, comme espérance.
Les disciples ont certainement parlé du retour de Jésus, mais
surtout ils ont témoigné qu'il est celui qui maintenant vit, qui est la Vie
elle-même en vertu de laquelle nous aussi nous devenons vivants (cf. Jn
14,19). Mais comment cela se réalise-t-il ? comment le trouvons-nous ? Lui,
le Ressuscité, celui qui est « exalté par la droite de Dieu » (Ac
2,33) n'est-il pas, en conséquence, totalement absent ? Ou, au contraire,
est-il possible en quelque manière de le rejoindre ? Pouvons-nous nous
introduire jusqu'à « la droite du Père » ? Existe-t-il aussi, cependant,
dans l'absence une réelle présence ? Vient-il à nous seulement en un dernier
jour inconnu ? Peut-il venir aussi aujourd'hui ?
Ces questions caractérisent l'Évangile de Jean, et les
Lettres de saint Paul leur offrent aussi une réponse. L'essentiel de
cette réponse est cependant encore rapporté dans les récits sur l'«
ascension » par laquelle se conclut l'Evangile de Luc et commencent
les Actes des Apôtres.
Venons-en donc à la conclusion de l'Évangile de Luc.
On y raconte comment Jésus apparaît aux Apôtres qui, avec les deux disciples
d'Emmaüs, sont réunis à Jérusalem. Il mange avec eux et leur donne quelques
instructions. Les dernières phrases de l'Évangile disent : « Puis il les
emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit. Et il
advint, comme il les bénissait, qu'il se sépara d'eux et fut emporté au
ciel. Pour eux, s'étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem
en grande joie, et ils étaient constamment dans le Temple à bénir Dieu »
(24,50-53).
Cette conclusion nous surprend. Luc nous dit que les
disciples étaient pleins de joie après que le Seigneur s'était
définitivement séparé d'eux. Nous nous attendrions au contraire. Nous
attendrions qu'ils soient demeurés déconcertés et tristes. Le monde n'était
pas changé, Jésus s'était définitivement éloigné d'eux. Ils avaient reçu une
mission apparemment irréalisable, une mission qui allait au-delà de leurs
forces. Comment pouvaient-ils se présenter devant les gens à Jérusalem, en
Israël, dans le monde entier et dire : « Ce Jésus, qui apparemment a échoué,
est au contraire notre Sauveur à nous tous » ? Tout adieu laisse derrière
lui une souffrance. Même si Jésus était parti comme une personne vivante,
comment pouvait-il ne pas les rendre tristes de son congé définitif ? Et
pourtant on lit qu'ils retournèrent à Jérusalem avec une grande joie et
qu'ils louaient Dieu. Comment pouvons-nous comprendre tout cela ?
Ce qu'en tout cas on peut en déduire c'est que
les disciples ne se sentent pas abandonnés ;
ils ne retiennent pas que Jésus se soit comme évanoui dans un ciel
inaccessible et loin d'eux. Évidemment ils sont
certains d'une présence nouvelle de Jésus. Justement, ils sont sûrs
que le Ressuscité (comme, selon Matthieu, il l'avait aussi dit) est
maintenant présent au milieu d'eux d'une manière
nouvelle et puissante. Ils savent que « la droite de Dieu », où il
est maintenant « élevé », implique un nouveau mode de sa présence, qu'on ne
peut plus perdre - le mode par lequel seul Dieu peut nous être proche.
La joie des disciples après l'« ascension » corrige notre
image de cet événement. L'«
ascension » n'est pas un départ dans une région
lointaine du cosmos, mais elle est la proximité
permanente dont les disciples font si fortement l'expérience qu'ils en
tirent une joie durable.
Ainsi la conclusion de l'Évangile de Luc nous aide à mieux comprendre
le commencement des Actes des Apôtres où l'« ascension » de Jésus est
racontée explicitement. Le départ de Jésus est ici précédé d'un échange dans
lequel les disciples - encore enfermés dans leurs vieilles idées - demandent
si le moment d'établir le royaume d'Israël n'est pas maintenant arrivé.
À cette idée d'un royaume davidique rénové Jésus oppose une promesse et une
charge. La promesse est qu'ils seront comblés de
la force de l'Esprit Saint ; la charge consiste dans le fait qu'ils devront
être ses témoins jusqu'aux extrémités du monde.
La question des temps et des moments est explicitement
repoussée. L'attitude des disciples ne doit être ni de spéculer sur
l'histoire ni de projeter leur regard vers l'avenir inconnu. Le
christianisme est présence : don et mission ; être gratifiés de la proximité
intérieure de Dieu et - sur cette base - être actifs dans le témoignage en
faveur de Jésus Christ.
Dans ce contexte, se pose ensuite la question de l'annotation
concernant la nuée qui l'accueille et le soustrait à leurs yeux. La nuée
nous rappelle le moment de la transfiguration où une nuée lumineuse se posa
sur Jésus et sur ses disciples (cf. Mt 17,5; Mc 9,7; Lc
9,34s.). Elle nous rappelle l'heure de la rencontre entre Marie et le
messager de Dieu, Gabriel, qui lui annonce que la puissance du Très-Haut
l'aurait « prise sous son ombre » (cf. Lc 1,35). Elle nous rappelle
la tente sainte de Dieu dans l'Ancienne Alliance, où la nuée est le signe de
la présence de YHWH (cf. Ex 40,34s.) qui, aussi durant le pèlerinage
au désert, précède Israël comme une nuée (cf. Ex 13,21s.). Le
discours sur la nuée est clairement un discours théologique. Il présente la
disparition de Jésus non comme un voyage vers les étoiles, mais comme
l'entrée dans le mystère de Dieu. Avec cela il est fait allusion à un ordre
de grandeur complètement différent, à une autre dimension de l'être.
Le Nouveau Testament - des Actes des Apôtres à la
Lettre aux Hébreux - faisant référence au Psaume 110,1, décrit le
« lieu » où Jésus est allé avec la nuée comme le fait de siéger (ou de se
tenir) à la droite de Dieu. Qu'est-ce que cela signifie ? Avec cela il n'est
pas fait allusion à un espace cosmique lointain où Dieu, pour ainsi dire,
aurait érigé son trône et sur lequel il aurait aussi donné une place à
Jésus. Dieu ne se trouve pas en un espace à côté
d'autres espaces. Dieu est Dieu - il est
le présupposé et le fondement de toute spatialité existante, mais il n'en
fait pas partie. Le rapport de Dieu avec tous les espaces est celui du
Seigneur et du Créateur. Sa présence n'est pas spatiale mais, justement,
divine. « Siéger à la droite de Dieu » signifie une participation à la
souveraineté propre de Dieu sur tout espace.
Dans une discussion avec les pharisiens, Jésus lui-même donne
au Psaume 110 une nouvelle interprétation qui a orienté la
compréhension des chrétiens. À l'idée du Messie comme nouveau David avec un
nouveau royaume davidique - idée que nous avons rencontrée il y a peu chez
les disciples -, il oppose une vision plus grande de Celui qui doit venir :
le vrai Messie n'est pas fils de David mais Seigneur de David ; il ne siège
pas sur le trône de David, mais sur le trône de Dieu (cf. Mt
22,41-45).
Le Jésus qui prend congé ne s'en va pas quelque part sur un
astre lointain. Il entre dans la communion de vie et de pouvoir avec le Dieu
vivant, dans la situation de supériorité de Dieu sur toute spatialité. Pour
cela, il n'est pas « parti », mais, en vertu du pouvoir même de Dieu,
il est maintenant toujours présent à côté de nous et
pour nous. Dans les discours d'adieu de l'Évangile de Jean,
Jésus dit justement cela à ses disciples: « Je m'en vais et je reviendrai
vers vous » (14,28). Ici est merveilleusement synthétisée la particularité
du « départ » de Jésus, qui en même temps est sa « venue », et avec cela est
aussi expliqué le mystère concernant la Croix, la Résurrection et
l'ascension. Le fait de partir est aussi une venue, un nouveau mode de
proximité, de présence permanente à laquelle Jean relie aussi la « joie »
dont nous avons déjà entendu parler dans l'Évangile de Luc.
Puisque Jésus est auprès du Père, il
n'est pas loin, mais il est proche de nous. Maintenant il ne se trouve plus
dans un lieu particulier du monde comme avant l'« ascension »; maintenant,
dans son pouvoir qui dépasse toute spatialité, il est présent à côté de tous
et tous peuvent l'invoquer - à travers toute l'histoire - et en tous lieux.
Il y a dans l'Évangile un petit récit très beau (cf. Mc 6,45-52),
où Jésus anticipe durant sa vie terrestre ce mode de
proximité, et le rend ainsi plus facilement compréhensible pour nous.
Après la multiplication des pains, le Seigneur ordonne aux
disciples de monter sur la barque et de le précéder sur l'autre rive, vers
Bethsaïde, pendant que lui-même renverra la foule. Ensuite il se retire «
sur la montagne » pour prier. Les disciples sont donc seuls sur la barque.
Il y a un vent contraire, la mer est agitée. Ils sont menacés par la
violence des vagues et de la tempête. Le Seigneur semble être loin, en
prière sur sa montagne. Mais puisqu'il est auprès du Père, il les voit. Et
puisqu'il les voit, il vient à eux en marchant sur la mer, il monte sur la
barque avec eux et rend possible la traversée jusqu'à son but.
C'est une image pour le temps de l'Église - qui nous est donc
aussi destinée. Le Seigneur est « sur la montagne » du Père. Par conséquent
il nous voit. Par conséquent il peut à tout moment monter sur la barque de
notre vie. Par conséquent nous pouvons toujours l'invoquer et toujours être
sûrs qu'il nous voit et nous entend. Aujourd'hui aussi la barque de
l'Église, avec le vent contraire de l'histoire, navigue à travers l'océan
agité du temps. Souvent on a l'impression qu'elle va sombrer. Mais le
Seigneur est présent et vient au moment opportun. « Je
m'en vais et je viens à vous » - c'est cela la confiance des
chrétiens, la raison de notre joie.
D'un autre côté, totalement différent, quelque chose de
semblable se rend visible dans le récit théologiquement et
anthropologiquement très dense de la première apparition du Ressuscité à
Marie de Magdala. Je voudrais seulement souligner ici un détail.
Après les paroles des deux anges vêtus de blanc, Marie s'est
retournée et a vu Jésus, mais elle ne l'a pas reconnu. Maintenant il
l'appelle par son nom : « Marie ! » Elle doit se retourner une autre fois et
à présent elle reconnaît joyeusement le Ressuscité qu'elle appelle «
Rabbouni », son maître. Elle veut le toucher, le retenir, mais le Seigneur
lui dit: « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père »
(Jn 20,17). Cela nous surprend. Nous voudrions dire : justement
maintenant qu'elle est devant lui, elle peut le toucher, le retenir. Quand
il sera monté vers le Père, cela ne sera plus possible. Mais le Seigneur dit
le contraire : maintenant elle ne peut pas le toucher, le retenir. La
relation précédente avec Jésus terrestre n'est désormais plus possible.
Il s'agit ici de la même expérience à laquelle Paul fait
allusion en 2 Corinthiens 5,16s. : « Si nous avons connu le Christ à
la manière humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Aussi, si
quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. » L'ancienne façon
humaine d'être ensemble et de se rencontrer est dépassée. Maintenant on peut
toucher Jésus désormais seulement « auprès du Père ». On peut le toucher
seulement en montant. À partir du Père, dans la
communion avec le Père, il nous est accessible et proche de manière nouvelle.
Cette nouvelle accessibilité présuppose aussi une nouveauté
de notre part : par le baptême, notre vie est désormais cachée avec le
Christ en Dieu ; dans notre véritable existence nous sommes déjà « là-haut
», auprès de lui, à la droite du Père (cf. Col 3,1s.). Si nous
avançons dans l'essence de notre existence chrétienne, alors nous touchons
le Ressuscité : là nous sommes pleinement nous-mêmes. Le fait de toucher le
Christ et le fait de monter sont intrinsèquement liés. Et rappelons-nous
que, selon Jean, le lieu de l'« élévation » du Christ est sa Croix et que
notre « ascension » qui est toujours à nouveau nécessaire, notre montée pour
le toucher, doit être un chemin avec le Crucifié.
Le Christ auprès du Père n'est pas loin
de nous, c'est plutôt nous, qui sommes loin de lui ; mais le chemin
entre lui et nous demeure ouvert. Ce n'est pas un
parcours de caractère cosmique et géographique dont il s'agit ici, mais
c'est la « navigation spatiale »
du cœur qui conduit de la dimension du repliement sur
soi à la dimension nouvelle de l'amour divin qui embrasse l'univers.
Revenons encore au premier chapitre des Actes des Apôtres.
Nous avons dit que le contenu de l'existence chrétienne n'est pas le fait de
scruter l'avenir, mais, d'une part, le don de l'Esprit Saint et, d'autre
part, le témoignage universel des disciples en faveur de Jésus crucifié et
ressuscité (cf. Ac 1,6-8). Et la disparition de Jésus dans la nuée ne
signifie pas un mouvement vers un
autre lieu cosmique, mais son avènement dans l'être même de
Dieu et ainsi la participation à son pouvoir de présence dans le monde.
Ensuite le texte continue. Comme auparavant auprès du
sépulcre (cf. Lc 24,4), apparaissent aussi maintenant deux hommes en
vêtements blancs et ils délivrent un message: « Hommes de Galilée, pourquoi
restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Ce Jésus qui, d'auprès de vous, a été
enlevé au ciel viendra comme cela, de la même manière que vous l'avez vu
s'en aller vers le ciel » (Ac 1,11). Par là la foi dans le retour de
Jésus est confirmée, mais en même temps il est souligné encore une fois que
ce n'est pas la mission des disciples de regarder le ciel ou de connaître
les temps et les moments cachés dans le secret de Dieu.
Leur mission est maintenant de porter le témoignage du
Christ jusqu'aux extrémités de la terre.
La foi dans le retour du Christ est le deuxième pilier de la
profession chrétienne. Lui qui s'est fait chair et maintenant demeure pour
toujours homme, qui pour toujours a inauguré en Dieu la sphère de l'être
humain - appelle tout le monde à venir dans les bras grands ouverts de Dieu,
pour qu'à la fin Dieu devienne tout en tous et que le Fils puisse remettre
au Père le monde tout entier rassemblé en lui (cf. 1 Co 15,20-28).
Cela implique la certitude dans l'espérance que Dieu essuiera toute larme,
que rien qui soit privé de sens ne demeurera, que toute injustice sera
dépassée et la justice établie. La victoire de l'amour
sera l'ultime parole de l'histoire du monde.
Pour le « temps intermédiaire » et comme attitude
fondamentale, la vigilance est demandée aux chrétiens. Cette vigilance
signifie, d'une part, que l'homme ne s'enferme pas dans le moment présent en
se donnant aux choses tangibles, mais élève le regard au-delà du momentané
et de son urgence. Ce qui compte c'est de tenir
librement le regard sur Dieu, pour recevoir de lui le critère et la capacité
d'agir de façon juste.
Vigilance signifie surtout ouverture au bien, à la vérité, à
Dieu, au milieu d'un monde souvent inexplicable et au milieu du pouvoir du
mal. Cela signifie que l'homme cherche de toutes ses forces et avec grande
sobriété à faire ce qui est juste, ne vivant pas selon ses propres désirs,
mais selon l'orientation de la foi. Tout cela est illustré dans les
paraboles eschatologiques de Jésus, particulièrement dans celle du serviteur
vigilant (cf. Lc 12,42-48) et, d'une autre façon, dans celle des
vierges insensées et des vierges avisées (cf. Mt 25,1-13).
Mais, pour ce qui concerne l'attente du retour du Seigneur,
comment cela se passe-t-il dans l'existence chrétienne ? L'attendons-nous
volontiers, ou non ? Déjà Cyprien de Carthage (†258) devait exhorter ses
lecteurs à ne pas omettre la prière pour le retour du Christ au motif de la
peur de grandes catastrophes ou par peur de la mort. Le monde qui est en
train de décliner devrait-il nous être plus cher que le Seigneur que
cependant nous attendons ?
L'Apocalypse s'achève avec la promesse du retour du
Seigneur et par la prière qu'elle se réalise : « Le garant de ces
révélations l'affirme: "Oui, mon retour est proche!" Amen, viens, Seigneur
Jésus ! » (22,20). C'est la prière de la personne amoureuse, qui dans la
ville assiégée est oppressée par toutes les menaces et par les horreurs de
la destruction et ne peut qu'attendre l'arrivée de l'Aimé, qui a le pouvoir
d'interrompre le siège et d'apporter le salut. C'est le cri plein
d'espérance qui aspire à la proximité de Jésus dans une situation de danger
où lui seul peut aider.
Paul place à la fin de la Première lettre aux Corinthiens
la même prière selon la formulation araméenne qui, cependant, peut être
divisée et ensuite aussi comprise de façons différentes : « Marana tha » («
Viens, Seigneur ») ou « Maran atha » (« Le Seigneur est venu »). Dans cette
double façon de lire, la particularité de l'attente chrétienne de la venue
de Jésus est clairement visible. Elle est en même temps le cri : « Viens »
et la certitude pleine de gratitude : « II est venu. »
Par la Didachè (vers 100) nous savons que ce cri
faisait partie des prières liturgiques de la Célébration eucharistique des
premiers chrétiens, et ici on a aussi concrètement l'unité des deux modes de
lecture. Les chrétiens invoquent la venue définitive de Jésus et voient en
même temps avec joie et gratitude qu'il anticipe dès maintenant sa venue,
il entre déjà au milieu de nous.
Dans la prière chrétienne pour le retour de Jésus
l'expérience de sa présence est toujours aussi contenue. Cette prière ne se
réfère jamais seulement à l'avenir. Est valable justement ce que le
Ressuscité a dit : « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la
fin du monde » (28,20). Il est maintenant
auprès de nous, de façon particulièrement dense dans
la présence eucharistique. Mais, inversement, l'expérience chrétienne
de la présence porte aussi en elle la tension vers l'avenir, vers la
présence définitivement accomplie : la présence n'est pas complète. Elle
pousse au-delà d'elle-même. Elle nous met en route vers ce qui est
définitif.
II me semble opportun d'illustrer encore par deux expressions
différentes de la théologie cette tension intrinsèque de l'attente
chrétienne du retour - attente qui doit caractériser la vie et la prière
chrétienne. Le bréviaire romain, le premier dimanche de l'Avent propose une
catéchèse de Cyrille de Jérusalem (Cat. XV,1-3:PG 33,870-874), qui
commence par ces paroles : « Nous annonçons l'avènement du Christ : non pas
un avènement seulement, mais aussi un second... Le plus souvent, en effet,
tout ce qui concerne notre Seigneur Jésus Christ est double. Double
naissance : l'une de Dieu avant les siècles, l'autre de la Vierge à la
plénitude des siècles. Double descente: l'une imperceptible..., la seconde,
éclatante, celle qui est à venir. » Ce discours sur la double venue du
Christ a donné une empreinte à la chrétienté et fait partie du cœur de
l'annonce de l'Avent. Elle est correcte, mais insuffisante.
Quelques jours après, le mercredi de la première semaine de
l'Avent, le bréviaire offre une interprétation tirée des homélies de l'Avent
de saint Bernard de Clairvaux, où est exprimée une vision intégrative. On y
lit: « Nous savons qu'il y a une triple venue du Seigneur... La troisième se
situe entre [adventus médius] les deux autres... Ainsi il est venu
d'abord dans la chair et la faiblesse ; puis dans l'entre-deux, il vient en
esprit et en puissance ; enfin il viendra dans la gloire et la majesté » (In
Adventu Domini, serm. III, 4. V,l: PL 183,45 A; 50 C-D). Selon sa thèse,
Bernard se réfère à
Jean 14,23 : « Si quelqu'un m'aime, il
gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons vers lui et nous
nous ferons une demeure chez lui. »
On parle explicitement d'une « venue » du Père et du Fils:
c'est l'eschatologie du présent, développée par Jean. Elle n'abandonne pas
l'attente de la venue définitive qui changera le monde, cependant elle
montre que le temps intermédiaire n'est pas vide : en lui, précisément, il y
a l'adventus médius, la venue intermédiaire dont parle Bernard.
Cette présence anticipatrice fait certainement partie
de l'eschatologie chrétienne, de l'existence chrétienne.
Même si l'expression adventus médius était inconnue
avant Bernard, le contenu est présent depuis le commencement sous diverses
formes dans toute la tradition chrétienne. Rappelons par exemple que saint
Augustin, dans les nuées sur lesquelles arrive le Juge universel, voit la
parole de l'annonce : les paroles du message transmises par les témoins sont
la nuée qui porte le Christ dans le monde - déjà
maintenant. Et ainsi le monde est préparé pour la venue définitive.
Les modes de cette « venue intermédiaire » sont multiples : le Seigneur
vient par sa Parole ; il vient dans les sacrements, spécialement dans la
très sainte Eucharistie ; il entre dans ma vie par des paroles ou des
événements.
Il existe cependant aussi des modes de cette venue liés à une
époque. L'œuvre de deux grandes figures - François et Dominique - entre le
XIIe et le XIIIe
siècle a été un mode par lequel le Christ est entré de nouveau
dans l'histoire, faisant valoir de façon nouvelle sa parole et son amour;
une façon par laquelle il a renouvelé l'Église et porté l'histoire vers lui.
Nous pouvons dire une chose analogue des figures des saints du XVIe
siècle : Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Ignace de Loyola,
François-Xavier portent avec eux de nouvelles irruptions du Seigneur dans
l'histoire confuse de leur siècle qui allait à la dérive en s'éloignant de
lui. Son mystère, sa figure apparaît de nouveau - et surtout: sa force, qui
transforme les hommes et modèle l'histoire, se rend présente de façon
nouvelle.
Pouvons-nous donc prier pour la venue
de Jésus ? Pouvons-nous dire avec sincérité : « Marana tha ! - Viens,
Seigneur Jésus ! » ? Oui, nous le pouvons. Et pas seulement : nous le devons
! Demandons des anticipations de sa présence rénovatrice du monde. Dans des
moments de tribulation personnelle nous le prions: Viens, Seigneur Jésus, et
accueille ma vie dans la présence de ton pouvoir bienveillant. Nous lui
demandons de se rendre proche de personnes que nous aimons ou pour
lesquelles nous sommes préoccupés. Nous le prions
de se rendre efficacement présent dans son Église.
Et pourquoi ne pas lui demander de nous donner aussi
aujourd'hui de nouveaux témoins de sa présence dans lesquels lui-même
s'approche de nous ? Et cette prière, qui ne vise pas
immédiatement à la fin du monde, mais qui est une véritable prière pour sa
venue, porte en elle toute l'ampleur de cette prière que lui-même nous a
enseignée: « Que ton règne vienne ! »
Viens, Seigneur Jésus !
Retournons encore une fois à la conclusion de l'Évangile de
Luc. Jésus a conduit les siens près de Béthanie, nous est-il dit. « Et
levant les mains, il les bénit. Et il advint, comme il les bénissait, qu'il
se sépara d'eux et fut emporté au ciel » (Lc 24,50s.).
Jésus part en bénissant. En bénissant il s'en va et
dans la bénédiction il demeure. Ses mains restent étendues sur ce monde. Les
mains du Christ qui bénissent sont comme un toit qui nous protège.
Mais elles sont en même temps un geste d'ouverture qui déchire le monde afin
que le ciel pénètre en lui et puisse y devenir une présence.
Dans le geste des mains qui bénissent
s'exprime la relation durable de Jésus avec ses disciples, avec le monde.
Dans le fait de s'en aller il vient pour nous élever au-dessus de nous-mêmes
et ouvrir le monde à Dieu. Pour cela les disciples ont pu se réjouir,
quand de Béthanie ils sont retournés chez eux.
Dans la foi nous savons que Jésus,
en bénissant, tient ses mains étendues sur nous. Voilà la raison permanente
de la joie chrétienne.
Réflexions :
Benoît XV I : ce qui est commun au Père et au Fils c'est l'Esprit-Saint
Benoît XVI, l'Ascension du Christ n'est pas un voyage dans
l'espace.
Benoît XVI médite l'acte même de la naissance de l'Église
Je ne vous laisserai pas orphelins…
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.02.2023
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