L’œuvre de Louis Bouyer, une
cathédrale de pensée, de vie, de louange |
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Le 22 janvier 2009 -
(E.S.M.)
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L’ouvrage que Davide Zordan a consacré au père Louis Bouyer n’est pas une
biographie. Il est bien plus. Il nous fait pénétrer dans la pensée du
théologien, sorte de Newman français par sa conversion, sa connaissance des
Pères et sa conception de la Tradition.
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L’œuvre de Louis Bouyer, une
cathédrale de pensée, de vie, de louange
Le 22 janvier 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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L’ouvrage que Davide Zordan a consacré au père Louis Bouyer n’est pas une
biographie. Il est bien plus. Il nous fait pénétrer dans la pensée du
théologien, sorte de Newman français par sa conversion, sa connaissance des
Pères et sa conception de la Tradition.
Voulant être sûr que sa grande trilogie soit bien comprise,Hans Urs von
Balthasar la résuma en petits ouvrages de synthèse. Louis Bouyer
(1913-2004) fut-il jamais tenté de faire de même
pour son « ennéade » consacrée à La Trinité, l’économie du salut et la
sagesse eschatologique ? Ses Entretiens avec Georges Daix sont précieux pour
comprendre le sens qu’il donnait à cette entreprise mais voici qu’est parue,
sous la plume de Davide Zordan, quatre années seulement après sa
disparition, une synthèse d’ensemble de son œuvre, alors que sont republiés
trois de ses ouvrages. Belle occasion de revenir sur une des « cathédrales »
de la pensée chrétienne en notre temps. L’ouvrage de Davide Zordan n’est pas
la biographie que réclamait le cardinal Lustiger
lors des funérailles du père Bouyer, mais une étude de sa pensée. Le lecteur
en apprendra cependant assez pour saisir le rôle que notre théologien a
joué.
Une vie pour l’Église
Un caractère entier, un franc-parler et une originalité marquée, des
polémiques au vitriol, les jalousies et les mesquineries qui en résultèrent
et le peu de goût pour les honneurs ne doivent pas cacher son apport à
l’Église de ce temps : – Nous lui devons l’expression « mystère pascal
» pour désigner la liturgie du triduum pascal et le mystère de notre salut
qu’elle célèbre. Bouyer la forgea comme titre de son livre pionnier de 1945
puis Vatican II la consacra dans
Sacrosanctum Concilium. – Consulteur du Conseil pour l’application de la
réforme liturgique de Vatican II, Bouyer travailla sur la révision de
l’ordinaire de la messe, même s’il n’obtint pas tout ce qu’il proposait à
partir de sa connaissance et de son sens aigu de la Tradition.
– En 1972, au plus fort de la crise postconciliaire, il fit adopter par la
Commission théologique internationale dont il était membre trois thèses
réaffirmant avec force la valeur permanente des formules dogmatiques.
– Il participa, entre autres engagements, au lancement de Communio [
NDLR : Au coeur de la crise qui a suivi Vatican II, Louis Bouyer et le futur
pape Benoît XVI/Joseph Ratzinger ont voulu rappeler à l’Église qu’elle
risquait de perdre son âme en évacuant le sacré d’une liturgie à adapter au
monde moderne, oubliant que son rôle essentiel n’est pas de faire mais
d’être, selon l’expression de Romano Guardini. ] et consacra de longues
heures à donner des enseignements au Renouveau catholique naissant.
– Paul VI voulut en faire un cardinal. Le père Bouyer lui demanda de n’en
rien faire, car « cela donnerait sans doute trop de complications au
Saint-Père » étant donné la « mauvaise réputation » que notre théologien
avait en France. Le chapeau échut au père Daniélou.
Vérités si anciennes et si neuves
Le père Bouyer passera sans doute à la postérité comme un des grands
théologiens catholiques du XXe siècle. Comment définir son originalité
propre en un temps qui en a vu éclore plusieurs de premier ordre ? Outre la
solidité théologique et l’ampleur de vue qu’il partage avec d’autres, ce qui
constitue peut-être son originalité propre est d’une part sa connaissance
vivante et comme devenue consubstantielle de la Bible et de la tradition
liturgique, de l’autre sa culture, non seulement théologique mais aussi
philosophique, littéraire, artistique (son amitié avec J.
Green, T.S. Eliot ou J.R.R. Tolkien est connue) et de surcroît
dans les sciences de l’homme. Humain ou divin ? est le titre d’un de ses
livres : l’opposition n’avait pas de sens pour lui, qui se sentait fait «
pour enseigner la religion chrétienne comme la seule inspiration possible
d’un humanisme qui ne soit pas un leurre ». Cet humanisme chrétien
explique son amitié intellectuelle et spirituelle avec des hommes comme
saint Thomas More, Érasme, saint Philippe Neri ou Newman, sur lesquels il a
écrit, et donne un tour personnel à tout ce qu’il a publié, et fait souvent
paraître comme neuves les synthèses qu’il propose, alors qu’il s’agit de
vérités de la Tradition. Ce sont aussi sans doute ces bases, rarement
réunies en un seul homme, qui lui ont permis, peut-être le premier dans
l’Église catholique depuis les Pères, de se lancer dans une exploration
d’eschatologique humaine et cosmologique hardie mais orthodoxe.
L’œuvre du père Bouyer comprend une cinquantaine de titres et plus de 200
articles ou contributions à des ouvrages collectifs. C’est dire la
difficulté d’en faire une synthèse, même en 800 pages, ce que tente de le
faire Davide Zordan avec un indéniable bonheur. Il suit chronologiquement la
plupart des œuvres majeures et consacre ensuite plus de 200 pages aux
grandes trilogies. L’architecture de l’œuvre apparaît avec force : son œuvre
proprement théologique s’est élaborée sur un fondement triple : biblique,
liturgique et spirituel, trois domaines dans lesquels son action et ses
écrits restent une boussole valable pour s’orienter.
Une pensée hiérarchique
Ce qui frappe le plus dans le développement de cette œuvre que Zordan nous
fait suivre au fil des décennies c’est que si matériellement nombre
d’ouvrages sont en fait des cours revus pour la publication – et, qui plus
est, souvent donnés « en occupant des chaires vacantes ou pour intervenir
dans des débats auxquels il lui semblait pouvoir et donc devoir participer
» (J. Duchesne) –, le lecteur se
convainc vite que leur succession ordonnée ne doit rien au hasard et encore
moins à la curiosité. S’il fallait, en effet, définir d’un ou deux termes le
charisme propre au père Bouyer, ceux qui viennent aussitôt à l’esprit sont «
organique » et « hiérarchique » : on entre dans l’intelligence de la vie
chrétienne par la Parole de Dieu, on l’assimile dans l’action liturgique et
la participation aux sacrements et on la vit par une spiritualité ascétique
et unitive. Quant à la théologie (dont Bouyer écrivait
qu’elle est avant tout une science qui connaît son objet, Dieu et son
mystère, par la louange et la glorification) elle est réflexion
sur l’aventure de l’humanité dans son ensemble à l’aune de ce mystère et
elle n’a d’autre fin que d’y ramener sans cesse. Ses trilogies, en dialogue
avec toutes les branches du savoir humain et de deux millénaires de pensée
chrétienne, réussissent plus d’une fois à porter au seuil de la louange et
de l’hymne un savoir qui demeure fidèle aux exigences de la discipline.
Louis Bouyer et l’œcuménisme
Davide Zordan consacre 200 pages de son ouvrage à deux dimensions
essentielles de l’œuvre de Bouyer : « Une théologie pour l’œcuménisme » et «
Sur les traces de J.H. Newman ». L’apport personnel de ce protestant
converti, ami et bon connaisseur de plusieurs grands théologiens orthodoxes
du siècle, apôtre d’une reconnaissance mutuelle entre catholicisme et
orthodoxie, interlocuteur amical mais sans concession des anglicans et des
réformés, est celui d’un œcuménisme exigeant et par les racines.
Par ailleurs, dans son œuvre, mais aussi dans sa vie, Bouyer a semblé être
un Newman revividus: conversion du protestantisme vécue comme
accomplissement, entrée dans l’Oratoire, connaissance fruitive de l’Écriture
et des Pères, conception organique de la Tradition, attention aux défis d’un
monde qui se veut post-chrétien, polémiques… Ce mimétisme ne serait
d’ailleurs pas étranger à son œuvre romanesque qui comprend comme chez son
illustre modèle un roman de conversion et un roman historique.
Dès 1952, Louis Bouyer avait écrit une biographie de Newman qui demeure un
ouvrage de référence. Un quart de siècle plus tard, il publie un Newman,
le mystère de la foi. Une théologie pour un temps d’apostasie, dont le
sous-titre indique clairement qu’il s’agit d’un livre de combat. À la suite
de Newman, il dénonce « l’erreur narcissique de l’absorption moderne en
soi-même » et ses conséquences tragiques : « C’est non seulement
l’ancienne civilisation chrétienne mais la race humaine tout entière qui
court à la catastrophe », justifiant son intérêt pour le grand Anglais
par le fait que « s’il est un penseur qui peut nous réveiller, chrétiens
et non-chrétiens, de ce rêve narcissique qui ne peut s’achever qu’en
cauchemar, c’est bien Newman ». Face à cette dérive, nous trouvons la
proposition de la foi qu’expose Bouyer à partir des sermons newmaniens
appliquant une méthode homogène : laisser parler Newman aussi souvent que
possible et montrer la cohérence organique de l’ensemble des sermons comme
pertinents pour notre temps, « qu’il s’agisse de la présence de Dieu au
cœur même de l’existence, qu’il s’agisse de la réalité du monde invisible au
cœur de la création, de l’immortalité de l’âme ou du don qui divinise l’être
du baptisé, ou encore la vision qu’il convient d’avoir de l’Église »
(préface du cardinal Honoré). En conclusion de ses
entretiens avec le père Bouyer, Georges Daix lui demandait de définir ce
qu’est pour lui la théologie. La réponse vaut leçon : « C’est
essentiellement un effort pour aider à l’intelligence de la Révélation, pour
voir ce que la Révélation signifie pour nous en rapport évidemment avec
toute notre conscience d’hommes vivants dans l’Univers, étant donc bien
entendu que la Révélation n ’est pas destinée à nous donner une connaissance
supplémentaire qui “ajouterait simplement à celles que nous pouvons
acquérir par nos moyens naturels mais qu’elle est destinée à nous conduire
au salut, à nous mettre sur la voie du salut”. »
Didier RANCE
Sources : hommenouveau
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.01.2009 -
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