Benoît XVI et la consolidation de
relations fraternelles avec toutes les Églises orthodoxes |
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Rome, le 21 juillet 2008 -
(E.S.M.) - Je crois que pour surmonter la défiance et la peur
à l’égard de l’autre et pour vivre droitement son propre témoignage de
foi, il ne faut rien faire d’autre que de suivre ce “cœur” dont parlait
le Saint-Père Benoît XVI.
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Benoît
XVI avec le métropolite Kirill, le 25 avril 2005
Benoît XVI et la consolidation de relations fraternelles avec toutes les
Églises orthodoxes
La Russie et son Église vues de près
Giulio Andreotti interviewe Monseigneur
Antonio Mennini, représentant du Saint-Siège auprès de la fédération de
Russie
Excellence, que pensez-vous
du climat dans lequel se déroulent aujourd’hui les relations diplomatiques
entre la fédération de Russie et le Saint-Siège ?
ANTONIO MENNINI: Il me semble fondamentalement que, ces dernières années,
les relations avec les autorités de l’État ont été marquées par une entente
réciproque et par le respect des valeurs fondamentales, humaines et
chrétiennes. Du reste, le Saint-Siège et la fédération de Russie ont souvent
soutenu d’un commun accord, au niveau national et international, les mêmes
positions humanitaires et éthiques au sein d’importants organismes
internationaux.
À part la rigidité non
absolue des positions, quelle était en URSS la réalité sociale effective en
ce qui concerne la religion (“opium du peuple”) ?
MENNINI: Je crois qu’il est utile, et même indispensable, de faire une
distinction – qui malheureusement est systématiquement ignorée –, quand on
aborde le thème de la religion en Union Soviétique. Si l’on se réfère à
l’État, je ne parlerais pas de “rigidité non absolue des positions”: pour
l’État soviétique, il a toujours été très clair qu’il fallait supprimer la
foi et que l’Église devait être utilisée en toute occasion pour tirer d’elle
le plus grand profit possible – en la mettant de façon exemplaire au poteau
comme ennemi de classe, ou en l’exhibant aux congrès internationaux pour la
paix, selon les circonstances. La société, elle, était une autre chose. Elle
n’avait aucune possibilité de s’exprimer comme opinion publique mais, même
dans un moment aussi tragique que l’année 1937, dans un recensement qui a
été ensuite rigoureusement archivé et tenu secret, elle s’est exprimée en
majorité (56,7%) comme croyante orthodoxe,
démontrant ainsi avec évidence que la politique anti-religieuse du
gouvernement bolchevique avait été un échec. Un autre facteur non
négligeable qui caractérise la “réalité sociale” du point de vue religieux
peut être résumé par la célèbre expression de l’écrivain Nikolaï Leskov,
selon lequel «la Russie fut “baptisée”, certes, mais ne fut pas “éduquée”
dans le christianisme». D’où le phénomène d’une appartenance intérieure,
intuitive, parfois viscérale de la personne qui voit justement dans
l’Orthodoxie le fondement de son identité, y compris du point de vue
national et culturel, mais pour qui cette appartenance ne devient pas un
principe de discernement dans les choix culturels, sociaux et politiques.
Cela a fait qu’à l’époque soviétique le peuple a pu parfois participer
lui-même à la destruction d’églises et au massacre de prêtres. Ce dualisme
de fond n’est pas, même aujourd’hui, complètement dépassé, il est justement
l’un des aspects missionnaires sur lesquels les pasteurs les plus éclairés
de l’Église orthodoxe insistent le plus.
L’Église clandestine
avait-elle quelque rapport avec celle que l’on pourrait appeler officielle ?
MENNINI: Des rapports profonds entre ces deux réalités ont certainement
continué à exister malgré les tensions officielles et le véritable schisme
qui s’est créé à la suite des pressions exercées par l’État sur la
hiérarchie de l’Église orthodoxe russe, quand, pour essayer de sauver une
présence minimale de l’Église, le métropolite Serge s’est résolu, en 1927, à
signer la “Déclaration” de loyauté à l’État. Preuve en est que, depuis 1944,
c’est-à-dire depuis que l’Église orthodoxe a eu la possibilité de restaurer
canoniquement sa hiérarchie, une grande partie des communautés des
catacombes est rentrée dans le sein du Patriarcat de Moscou, mettant ainsi
fin à la division. De plus, récemment, l’Église orthodoxe russe a décidé que
devaient être canonisés comme martyrs tous ceux qui ont subi la mort pour la
foi, qu’ils aient appartenu à l’Église officielle ou à la communauté de
l’Église clandestine. On doit, sous bien des aspects, à ces communautés des
catacombes, la continuation de l’expérience ecclésiale, même dans les années
les plus sombres (que l’on pense, par exemple, à ce qu’a
fait le père Aleksandr Men’, né et élevé dans l’une d’elles). Le
régime était lui aussi convaincu, du reste, de l’unité dernière de l’Église
et du danger qu’elle représentait pour l’idéologie, qu’il eût à faire à des
croyants “irréductibles”, ou qu’il trouvât devant lui des ministres du culte
disposés à accepter des compromis: le régime de 1937-38 n’a fait
d’exceptions d’aucune sorte et a fusillé systématiquement, sans distinction,
des représentants de l’Église officielle et de l’Église clandestine.
L’invitation de deux
délégués de Moscou au Concile Vatican II a-t-elle eu une signification et
une répercussion importantes ?
MENNINI: Durant cet épisode, se sont entremêlés des intérêts et des facteurs
de nature diverse: pour l’État, le facteur politique international était
certainement prédominant, comme on peut le constater à la lumière des
documents d’archives qui ont été rendus publics avec la perestroïka, mais il
est indubitable qu’ont été atteints d’importants objectifs de nature
ecclésiale. Ce dernier aspect est lié à l’extraordinaire et complexe
personnalité du métropolite Nikodim, un grand diplomate et aussi un éminent
pasteur et homme de foi, sans aucun doute le metteur en scène de cette
opération, qui a inauguré l’époque des contacts œcuméniques – dictés par la
nécessité de répondre au mandat de l’État mais aussi par une réelle
préoccupation ecclésiale – qui n’avaient jusqu’alors jamais eu lieu entre
l’Église orthodoxe et l’Église catholique et ouvert des perspectives plus
vastes pour la vie de l’Église à l’intérieur du pays.
Aux funérailles d’Eltsine,
auxquelles j’ai participé, j’ai été frappé par la longueur de la cérémonie –
trois heures environ – et en particulier par l’éloge funèbre. Cependant,
c’était une nouveauté. Dans d’autres funérailles d’État, il n’y avait eu
aucun moment religieux, mais seulement d’interminables défilés de militaires
et des représentants des différentes catégories de la population.
MENNINI: Laissant à la postérité le soin de porter un jugement historique
définitif, il me semble pouvoir dire qu’Eltsine a été, en beaucoup de sens,
“le premier”: le premier chef démocratique de la Russie rénovée, un homme
qui a su mettre fin au régime sans guerres civiles et sans effusion de sang,
qui a fait redémarrer une économie, un pays dans une grave crise… et il a
aussi été le premier gouvernant russe du XXe siècle à avoir des funérailles
religieuses. Disons même qu’avec lui s’est posé le problème de la
reformulation du rite funèbre, du moment qu’il n’existait pas de précédents
de funérailles religieuses de chefs d’État; on est donc revenu à la
formulation qui était en usage pour les tsars, appelés par leur prénom et
leur patronyme, alors que les simples citoyens sont commémorés simplement
par leur prénom accompagné de l’expression, «serviteur de Dieu». La
solennité des obsèques et du rite religieux, que vous vous rappelez, ainsi
que l’atmosphère émue qui régnait en ces jours, dans le pays, ont été
indubitablement une façon de reconnaître la grandeur d’Eltsine et le rôle
qu’il a joué dans la vie de la Russie.
À propos de tsars: un jour,
Gromyko m’a dit en plaisantant que, dans les campagnes, les paysans ne
savaient pas qu’ils n’existaient plus; parce qu’avant ils étaient écrasés
par les tsars et que, maintenant, ils l’étaient par le “parti”.
MENNINI: Il me semble que cette réflexion – qui est un lieu commun de
l’historiographie marxiste et pas seulement marxiste – a réellement, dans la
bouche de Gromyko, une tonalité sinistre, cynique qui marque la totale
indifférence de son auteur à ce problème: la nomenklatura soviétique ne
pouvait pas ne pas parfaitement connaître la tragédie de la campagne russe
et ukrainienne, soumise à plusieurs reprises – la guerre civile, les famines
qui s’en sont suivies, la “dékoulakisation” – à une répression telle qu’elle
justifie la discussion qui occupe actuellement l’historiographie
internationale et qui porte sur la question de savoir s’il faut ou non aller
jusqu’à parler de “génocide”, au moins culturel, face à des répressions qui
ont renversé une civilisation entière, avec sa culture et son mode de vie
(la crise actuelle des campagnes et le dépeuplement de
régions entières en Russie en sont une preuve).
C’est un réconfort, entre
autres pour les petites communautés catholiques présentes dans la
fédération, d’avoir un ambassadeur résident, comme l’est le nonce à Moscou:
vous pouvez leur apporter le message du Pape.
MENNINI: Certainement. Je crois qu’au-delà des tâches diplomatiques et
administratives confiées à tout représentant du Saint-Siège dans le monde,
l’aspect le plus réconfortant et passionnant de la mission de nonce est de
pouvoir soutenir l’espoir des hommes, en témoignant que le Christ ressuscité
est proche d’eux et a un visage – le visage de l’Église et du Pape. Un
témoignage qui embrasse toutes les cultures, les nationalités et les
traditions. Puis, en ce qui concerne la Russie, le magistère des deux
derniers Souverains Pontifes que je me suis trouvé à représenter dans le
cours de ma mission, est particulièrement significatif et je crois que, pour
l’Église catholique en Russie, il est d’une importance vitale de le
comprendre et de l’approfondir. Je me réfère, par exemple, à ce qu’a
souligné Jean Paul II, à savoir que le Christ est Seigneur du cosmos et de
l’histoire, Rédempteur de l’homme et insistant Mendiant de son amour,
Présence vive qui transfigure toute la réalité et pénètre dans tous les
méandres de l’histoire. En ce qui concerne la personne de Benoît XVI, il
faut remarquer que le cardinal Ratzinger s’était imposé à l’estime et à la
considération des orthodoxes bien avant d’avoir été élu Pape, en raison de
sa profonde “catholicité” et de son attachement à la tradition, et que,
devenu Souverain Pontife, il s’est conservé leur sympathie, ne serait-ce que
pour son courage à “prendre des risques” dans le rapport avec l’Église
orthodoxe, pour la délicatesse et l’estime qu’il a manifestées dans ses
relations avec elle.
Même s’il ne s’agit pas
encore de pleins rapports, les relations diplomatiques actuelles permettent
et facilitent de très importants échanges de visites entre les responsables
de la diplomatie, de la politique et de la culture, et des initiatives
visant à renforcer la connaissance mutuelle, entre autres au niveau de la
société. Est-il possible de faire encore des progrès sur cette voie ?
MENNINI: La diplomatie vaticane n’est qu’un instrument fait pour aider la
vie de l’Église catholique locale à se développer organiquement, dans toutes
ses composantes. En ce sens, c’est la nonciature qui présente les
initiatives du Saint-Siège visant à solliciter un dialogue avec l’Église et
la société russes. Je peux vous citer comme exemple les importants congrès
catholiques-orthodoxes qui se sont déroulés en 2006, à Vienne et, en 2007, à
Moscou, grâce à la collaboration entre le Conseil pontifical pour la Culture
et le Département pour les Relations extérieures du Patriarcat de Moscou.
Ces congrès ont eu le grand mérite de répondre aux préoccupations
croissantes qui se font jour dans les milieux ecclésiastiques et laïques au
sujet de l’éducation et des questions sociales. Sur ces thèmes, le
Patriarcat de Moscou a des vues qui concordent largement avec les nôtres et
cela nous incite à poursuivre et à intensifier notre action, dans la claire
conscience que plus les Églises chrétiennes récupéreront la priorité de
l’annonce du Christ présent, ce qui est leur mission fondamentale, plus
elles sauront trouver les instruments et les langages communs dans tous les
domaines de la vie.
Nous trouvons un autre exemple positif et intéressant dans l’œuvre accomplie
à partir de 2004 par la Commission mixte catholique-orthodoxe, qui s’est
réunie régulièrement depuis cette date et a cherché à traiter de questions
concrètes, en en faisant ressortir les difficultés et les points
controversés, mais aussi en mettant en lumière les témoignages de dialogue
et de collaboration qui ont été donnés. Un premier résultat – qui n’est pas
du tout négligeable – est que l’on a appris à dialoguer et à se confronter
et que l’Église catholique locale a continué à se sentir “russe”, à sentir
qu’elle participait au sort du pays dans laquelle elle vit.
Pouvons-nous, en évaluant
les avantages réciproques, parler des acquisitions que les relations
diplomatiques ont permis de faire jusqu’à présent ?
MENNINI: Je crois que la première acquisition positive est la possibilité de
dialoguer avec facilité et amitié, de poser les problèmes et d’en chercher
les solutions. Il ne me semble pas que le dialogue soit seulement un
instrument servant à obtenir des facilités et des avantages. Il a, selon
moi, une valeur en soi, parce qu’il implique un rapport d’estime et de
confiance mutuelles sans lequel aucune acquisition ne saurait être
considérée comme stable et durable. Je peux le constater quand j’aborde les
innombrables problèmes qui se posent au représentant d’une mission
diplomatique, des questions liées aux visas et aux permis de séjour –
questions que la nouvelle réglementation introduite récemment dans les
rapports entre l’Union européenne et la fédération de Russie rend
aujourd’hui plutôt compliquées –, à l’examen de situations personnelles de
prêtres et de religieux catholiques qui accomplissent leur mission en
Russie, et à l’organisation de congrès et d’échanges culturels… Un résultat
indirect mais tangible du “dialogue” dont je parlais a été, par exemple,
l’initiative de la télévision d’État russe de présenter un document
consacré au pape Benoît XVI – réalisé par “Aiuto alla Chiesa che soffre”
et par le Centre de Télévision du Vatican – le jour de son anniversaire. Une
initiative qu’on n’aurait pu espérer il y a seulement quelques années.
Vous avez aussi reçu
récemment des marques officielles de reconnaissance de la part du Patriarcat
de Moscou et de toutes les Russies. Quelles ont été jusqu’à présent vos
relations avec Alexis II ?
MENNINI: Quand je suis venu en Russie pour accomplir la mission dont m’avait
chargé le Saint-Père, j’étais bien conscient que j’allais me trouver dans
une terre de grande et ancienne tradition chrétienne, une terre que
j’admirais et essayais de connaître plus profondément depuis longtemps.
Cette connaissance profonde me semble la seule base possible pour un
authentique engagement œcuménique, dans lequel – du reste – j’ai toujours
été guidé et soutenu par le magistère pontifical. Je pourrais vous citer à
ce propos d’éloquentes paroles prononcées récemment par Benoît XVI, pendant
la visite ad limina des évêques gréco-catholiques ukrainiens. À cette
occasion, le Saint-Père a exhorté à promouvoir «l’œcuménisme de l’amour, qui
découle directement du commandement nouveau laissé par Jésus à ses
disciples». «L’amour», a-t-il dit, «accompagné de gestes cohérents
engendre la confiance, ouvre les cœurs et les yeux. Le dialogue de la
charité, de par sa nature, promeut et illumine le dialogue de la vérité:
c’est en effet dans la pleine vérité qu’aura lieu la rencontre définitive à
laquelle conduit l’Esprit du Christ». Je dois dire que, malgré les
indéniables difficultés inhérentes au dialogue entre Églises sœurs, j’ai
toujours trouvé dans l’Église orthodoxe russe et, en particulier, chez le
patriarche Alexis, une attitude de grand respect et de grande attention à
l’égard de la tradition catholique et du magistère pontifical. Et,
personnellement, dès notre première rencontre, j’ai été frappé par la
cordialité avec laquelle il m’a accueilli, j’oserais dire l’“amitié” dont je
me suis senti et me sens honoré.
Votre séjour en Russie vous
permet, par ailleurs, de faire une expérience merveilleuse: celle de
célébrer pratiquement deux fois par an, en raison des calendriers
liturgiques différents, les fêtes de Noël et de Pâques…
MENNINI: La liturgie orientale exerce indubitablement une grande fascination
et nous ramène aux sources de la prière, de la communion entre l’homme et
Dieu, comme n’a pas manqué de le remarquer Jean Paul II, par exemple dans le
document Orientale lumen, dans lequel il invitait les Occidentaux à
retrouver cette partie de la tradition ecclésiale souvent tristement
oubliée. En ce sens, c’est certainement un enrichissement de pouvoir
participer aux deux célébrations liturgiques. Mais, d’autre part, cette joie
est freinée par le fait que célébrer séparément les grandes solennités du
calendrier chrétien est aussi le signe de la blessure de la division entre
les deux Églises, une blessure vécue aussi quotidiennement, par exemple, à
l’intérieur de familles dont les membres appartiennent aux deux confessions…
Il faut souhaiter que l’on arrive à des solutions, déjà pratiquées dans
d’autres pays du monde, qui favorisent l’enrichissement liturgique
réciproque entre les deux traditions en faisant concorder les dates des
grandes solennités, de sorte que nous puissions vivre ensemble les périodes
de préparation et que nous nous réjouissions ensemble du Mystère salvifique
qui se célèbre.
À quel point en est, selon
vous, le chemin vers l’unité entre les deux Églises sœurs, unité à laquelle
le pape Benoît XVI a consacré d’importants passages dans son discours
d’intronisation ?
MENNINI: Je dirais que, des deux côtés, il faut regarder avec sérénité, sans
préjugés ni complexes, l’histoire des relations entre Église orthodoxe et
Église catholique en territoire russe. Les incompréhensions et les
oppositions qui ont existé (et qui existent encore partiellement
aujourd’hui) font partie d’un processus naturel, qui répond pleinement à la
logique de la situation difficile, douloureuse, dans laquelle les deux
communautés ecclésiales ont vécu pendant des décennies et vivent encore. Si,
avec la perestroïka, l’Église orthodoxe russe est sortie d’une longue
période de persécutions et d’épreuves, dépourvue d’instruments et de
ressources humaines, nous ne pouvons pas non plus oublier que l’Église
catholique en Russie a elle aussi vécu, de fait, avant la perestroïka,
pendant des décennies, enfermée en elle-même, privée de pasteurs locaux et
isolée par rapport à l’autorité ecclésiastique centrale, au point qu’elle a
eu besoin ensuite, en 1991, d’une hiérarchie et de “missionnaires” envoyés
de l’étranger pour pouvoir commencer à restaurer ses structures
essentielles. Les communautés catholiques présentes sur les territoires de
la fédération de Russie ne savaient que peu de chose, par exemple, de
l’intense travail de réforme réalisé par le Concile Vatican II et des
instruments fournis par le magistère ecclésial dans les dernières décennies,
pour répondre aux défis de notre temps. Il ne faut pas non plus oublier les
problèmes linguistiques et culturels, l’inévitable écart de mentalité et de
conception qui existe entre les “missionnaires” envoyés en Russie – prêtres
et religieuses qui ont travaillé et qui travaillent, du reste, avec un grand
dévouement et un grand esprit de sacrifice, pour la croissance de l’Église –
et la population russe, qui, d’un côté, souffre du lourd héritage
idéologique soviétique, mais qui, de l’autre, possède aussi une noble et
profonde culture, inévitablement “autre” par rapport à celle de l’Europe
occidentale et centre-orientale.
Il était inévitable que le contact entre ces deux réalités ecclésiales, si
éprouvées par les événements historiques et encore peu sûres de leur
identité, provoquât des frictions douloureuses mais il me semble pouvoir
observer, au fur et à mesure que les deux Églises croissent et se
consolident, une capacité renouvelée de dialogue et de collaboration dans
différents domaines. Certainement, les domaines culturel, éducatif et social
sont privilégiés, ne serait-ce que parce que la conscience qu’il faut
répondre ensemble aux défis croissants lancés par la société séculariste
devient de plus en plus forte. Il me semble pouvoir voir, actuellement, à
différents niveaux – du niveau diplomatique officiel à celui des échanges de
caractère universitaire et académique ou diocésain et paroissial –, un
effort croissant des deux côtés. Et une connaissance plus approfondie ne
pourra que favoriser la cause de l’unité.
Dans vos visites aux
communautés catholiques en Russie, de quelle façon réussissez-vous à
transmettre à nos frères orthodoxes le message concret qui explique que
l’Église catholique ne fait pas de prosélytisme ?
MENNINI: Vous citiez tout à l’heure le discours prononcé par Benoît XVI peu
après son élection, dans lequel le Pape déclarait sa ferme intention de
contribuer à l’instauration, au développement et à la consolidation de
relations fraternelles, pleines d’amour et de confiance, avec toutes les
Églises orthodoxes – et, parmi elles, et non la dernière, avec l’Église
orthodoxe russe. Je crois que pour surmonter la défiance et la peur à
l’égard de l’autre et pour vivre droitement son propre témoignage de foi, il
ne faut rien faire d’autre que de suivre ce “cœur” dont parlait le
Saint-Père et de revenir continuellement à une pensée de
saint Benoît qu’il aime beaucoup citer: «Nihil amori Christi praeponere».
En d’autres termes, les instruments ne sont pas politiques. Les instruments,
ce sont les vertus chrétiennes et, en premier lieu, la charité fraternelle.
C’est le principe auquel j’ai toujours cherché à me tenir dans mon travail
en Russie: j’ai toujours essayé d’accroître la connaissance et l’estime
réciproques qui naissent de notre vocation chrétienne commune. Dans cet
esprit, tout pas concret a son importance, mais hors de cet esprit, tout
n’est que pure formalité, laquelle ne réussit pas à vaincre les défiances et
les fermetures.
Pour conclure, à quel rôle
les catholiques russes peuvent-ils aspirer dans leur société ?
MENNINI: Pendant des années, l’Église en Occident s’est nourrie des
richesses de la tradition de l’Orient chrétien: pensons, pour ne citer que
quelques exemples, au rôle qu’ont joué la théologie de l’icône et la
philosophie religieuse russe – Khomiakov, Soloviev et ainsi de suite – , car
ce sont elles qui nous ont permis d’avoir une plus grande conscience de
notre identité chrétienne et de son universalité. Il faut ajouter à cela le
témoignage des martyrs russes du XXe siècle qui ont souvent apporté une sève
nouvelle, un renouveau de vitalité à nos communautés occidentales
embourgeoisées. Aujourd’hui, la contribution de l’Église catholique pourrait
peut-être consister à offrir à l’Église et à la société russes son
témoignage et son expérience de présence chrétienne, surtout dans les
domaines culturel et social qui, pour des raisons historiques, sont restés
en Russie, pendant longtemps, le monopole du régime athée. Il me semble que
les catholiques russes pourront trouver leur place et découvrir leur mission
à l’intérieur de la société, dans la mesure où ils acquerront une
connaissance et une expérience plus profondes de leur propre tradition, de
leur propre “catholicité”.
Sources : Interview d’Antonio Mennini par Giulio Andreotti /30
Giorni
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(E.S.M.) 21.07.08 -
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