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L’affaire Cipriani. Un autre cardinal condamné sans procès par le
Pape
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Le 20 février 2025 -
E.S.M.
- Le cardinal Giovanni Angelo Becciu n’est pas le
seul à avoir été condamné par le
pape d’une manière que ne
renierait pas un monarque
absolu, se voyant privé de
l’exercice de ses fonctions sans
la moindre vérification des
accusations pesant contre lui
par la Justice et sans se
soucier que le condamné n’ait
cessé de clamer son innocence.
En effet, Juan Luis Cipriani
Thorne, l’archevêque émérite de
Lima au Pérou, vient de subir un
sort identique.
S. M.
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Cardinal Cipriani -
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L’affaire Cipriani. Un autre cardinal condamné sans procès par le Pape
Le 20 février 2025 -
E.S.M. - Le cardinal
Giovanni Angelo Becciu n’est pas le seul à avoir été
condamné par le pape d’une manière que ne renierait pas un monarque
absolu, se voyant privé de l’exercice de ses fonctions sans la moindre
vérification des accusations pesant contre lui par la Justice et sans se
soucier que le condamné n’ait cessé de clamer son innocence. En effet,
Juan Luis Cipriani Thorne, l’archevêque émérite de Lima au
Pérou, vient de subir un sort identique.
La punition remonte aux
années 2018–2019, mais on n’en a été informé que récemment, à la suite
d’un article paru le 25 janvier dans le quotidien espagnol « El
País » concernant un abus sexuel que le cardinal aurait commis en
1983, alors qu’il n’était que simple prêtre, et qui aurait été dénoncé
au pape 35 ans plus tard.
Les révélations de « El País » ont suscité une tempête de réactions
opposées, avec d’un côté les innocentistes, avec à leur tête le cardinal
Cipriani lui-même et de l’autre les culpabilistes, parmi lesquels on
retrouve son successeur et adversaire à Lima, le cardinal Carlos Gustavo
Castillo Mattasoglio. Le Vatican a confirmé les sanctions infligées au
présumé coupable.
Le cardinal Cipriani a d’abord réagi en écrivant une
lettre au quotidien espagnol et, une seconde fois, le 29 janvier,
dans une
autre lettre au président de la Conférence épiscopale péruvienne,
qui avait
déclaré la veille se ranger du côté du Pape.
Le cardinal Castillo s’est quant à lui adressé au « peuple de Dieu »
dans une
déclaration du 28 janvier dans laquelle il affirmait son soutien
indéfectible au Pape François « pour sa manière sage d’exercer la
justice dans l’Église » et s’en remettre pleinement « aux procédures et
aux instruments canoniques pénaux que le Saint-Siège a utilités »,
contre tous ceux qui en revanche « refusent de reconnaître la vérité des
faits » et les décisions qui s’en suivent et s’accrochent à « de vaines
justifications ».
Quant au Vatican, c’est Matteo Bruni, le directeur de la salle de
presse, qui a été chargé de confirmer, le 26 janvier, qu’« après
l’acceptation de sa renonciation en tant qu’archevêque de Lima », « une
mesure pénale a été prise à son encontre, associée à certaines mesures
disciplinaires relatives à son activité publique, à son lieu de
résidence et à l’usage des insignes cardinalices », une mesure qui a été
« signée et acceptée » par le cardinal Cipriani lui-même et qui « est
toujours en vigueur, bien qu’à certaines occasions spécifiques, on ait
octroyé certaines permissions pour répondre à des demandes liées à l’âge
et à la situation familiale du cardinal ».
En publiant cette
déclaration, le bulletin d’information officiel « Vatican News » a
résumé la réponse de Cipriani à « El País » comme suit :
« Le cardinal Cipriani, âgé de 81 ans, qui réside actuellement à
Madrid, a qualifié les accusations de ‘complètement fausses’. ‘Je n’ai
commis aucun crime, ni abusé sexuellement de qui que ce soit en 1983, ni
avant ni depuis’, peut-on lire dans le texte dans lequel le cardinal
confirme l’existence d’une plainte contre lui en 2018 et le fait qu’en
2019, sans qu’un procès ne soit ouvert, il a été informé par le nonce au
Pérou que la Congrégation pour la doctrine de la foi de l’époque lui
imposait une série de sanctions. Il s’agit notamment d’une limitation de
son ministère sacerdotal, d’une résidence stable à l’extérieur du pays,
du silence. ‘Ce que j’ai fait jusqu’à présent’, écrit le cardinal
Cipriani. Qui considère également comme ‘grave’ le fait que soient
publiées des informations ‘qui semblent provenir de documents
confidentiels’. »
Bref, tout ce que l’on sait de cette affaire à l’heure actuelle, ce
sont les déclarations des uns et des autres. Des déclarations avec bien
des contradictions mais aussi une prémisse dont il faut tenir compte :
l’appartenance du cardinal Cipriani à l’Opus Dei.
L’Opus Dei est présente en force au Pérou, elle a sa propre
université dans la ville de Piura et le cardinal Cipriani en est la
figure de proue. Né en 1943 à Lima, il a été dans sa jeunesse champion
de basket-ball et a joué dans l’équipe nationale, puis il a été actif
dans le domaine de l’ingénierie avant de rejoindre l’Opus Dei en 1962,
il a ensuite étudié la théologie à Rome et en Espagne et a été ordonné
prêtre en 1977. De retour à Lima, il a été professeur et directeur
spirituel au séminaire et c’est là qu’il aurait, en 1983, reçu à
plusieurs reprises en confession un adolescent en état de mal-être,
qu’il aurait réconforté à grand renfort de baisers et d’accolades, mais
rien de plus, selon le compte-rendu d’ « El País » — ce qui lui sera
reproché des années plus tard comme étant des abus sexuels dans une
dénonciation secrète au Pape de la part de la victime présumée.
Déjà à l’époque, en 1983, immédiatement après l’interruption des
rencontres entre eux deux, ce même jeune, via un ami, avait accusé son
confesseur, qui était à l’époque vicaire régional de l’Opus Dei, d’actes
inappropriés, avant de recevoir en réponse l’assurance que le P.
Cipriani avait rejeté ces accusations et que, tout au plus, ses « élans
paternels » auraient été mal interprétés.
Mais sur le moment, l’incident reste sans conséquence et rien ne
semble entraver l’ascension du P. Cipriani qui devient vicaire de l’Opus
Dei au Pérou et ensuite vice-chancelier de l’université de Piura, mais
qui a surtout été promu évêque par Jean-Paul II en 1988, d’abord à
Ayacucho et ensuite à partir de 1999 à Lima, avant de recevoir la
pourpre cardinalice en 2001, la première et la dernière qui n’ait jamais
été donnée depuis à un membre de l’Opus Dei.
L’Église péruvienne est cependant également très divisée, et l’Opus
Dei y est farouchement combattue par les jésuites. Et l’élection en 2013
du jésuite Jorge Mario Bergoglio au pontificat, alors qu’il était déjà
connu en Argentine pour son antipathie, a porté un coup terrible aussi
bien à l’Opus Dei, qui subira sous son pontificat une
réorganisation drastique, qu’au cardinal Cipriano qui, cinq années
plus tard, à l’été 2018, sera informé par le Vatican de la dénonciation
au Pape de l’abus qui lui était reproché en 1983.
L’intermédiaire de la remise au Pape François de la lettre de
dénonciation est le Chilien Juan Carlos Cruz, un journaliste,
aujourd’hui membre de la Commission pontificale pour la protection des
mineurs et lui-même victime d’abus à son adolescence, des faits quant à
eux prouvés par la justice.
On ne connaît en revanche toujours pas aujourd’hui le nom de l’auteur
de la dénonciation ni celui de la victime présumée, notamment parce que
sa demande, cette fois encore à travers un ami, de rencontrer le vicaire
de l’Opus Dei au Pérou en 2018 a été rejetée « afin de ne pas interférer
avec une accusation formelle déjà envoyée au Saint-Siège », comme l’a
révélé le vicaire en personne, Ángel Gómez-Hortigüela, dans un
communiqué du 26 janvier dernier.
Il n’en demeure pas moins que le 26 janvier 2019, quelques jours à
peine après que le cardinal Cipriani ait fêté ses 75 ans, l’âge
canonique de la retraite pour les évêques, le Pape François le
démet de ses fonctions à la tête de l’archidiocèse de Lima pour
nommer à se place l’un de ses pires ennemis, Carlos Gustavo Castillo
Mattasoglio.
Le cardinal Castillo a toujours affirmé avec fierté que son maitre à
penser était Gustavo Gutiérrez (1928–2024) le père de la théologie
progressiste de la libération, et lui-même théologien, avec un doctorat
obtenu à Rome à la Grégorienne et titulaire d’une chaire jusqu’en 2019 à
l’Université pontificale catholique du Pérou à Lima, une université à
son tour engagée dans un conflit féroce avec le cardinal Cipriani bien
déterminé à lui enlever le droit de s’appeler « Pontificale » ou
« Catholique », et la Secrétairerie d’État lui avait d’ailleurs donné
raison en 2012 avant que le Pape François n’exige que ses titres ne lui
soient rendus en 2016.
Les adversaires du cardinal Cipriani ont fait feu de tout bois contre
lui, lui reprochant tantôt son amitié avec le président autocrate du
Pérou, Alberto Fujimori, même après qu’il soit tombé en disgrâce ; sa
défense de l’ex-ordinaire castriste Guillermo Abanto Guzmán, limogé en
2012 après qu’on ait découvert qu’il avait un fils ; sa défense de
l’ex-évêque auxiliaire d’Ayacucho Gabino Miranda Melgarejo limogé en
2013 pour des abus sexuels qu’il ne qualifie lui-même que d’ « actes
imprudents » ; sa défense jusqu’au-boutiste du « Sodalitium Christianae
Vitae »
supprimé par le Saint-Siège le 26 janvier dernier à la suite
d’innombrables abus sexuels et psychologiques perpétrés par son
fondateur, Luis Fernando Figari et par ses complices.
Mais le sort du cardinal Cipriani après son départ de l’archidiocèse
de Lima était suspendu à l’issue de cette dénonciation pour abus sexuel,
ce qui s’avéra être effectivement le cas le 18 décembre 2019, quand le
nonce de l’époque au Pérou, Nicola Girasoli, s’est présenté à lui avec
la demande de se conformer à une série de sanctions lui étant imposées
par la Congrégation pour la Doctrine de la foi avec l’approbation du
Pape.
Le cardinal Cipriani n’a jamais su sur la base de quelles
vérifications ces sanctions lui ont été imposées, et il n’a jamais reçu
aucun document d’un procès qui n’a jamais eu lieu. On lui a simplement
demandé de signer l’acceptation de ces sanctions, ce qu’il a
effectivement fait, avant d’ajouter « par écrit sur le même document »
que « cette accusation était totalement fausse », comme il allait le
révéler dans une
lettre adressée au président de la Conférence épiscopale péruvienne
le 29 janvier dernier.
Peu après, le 4 février 2020, le cardinal Cipriani rencontrait à Rome
le Pape François et – écrira-t-il dans sa réponse à « El Paìs » — «
le
Saint-Père m’a autorisé à reprendre mes charges pastorales », la
prédication, l’administration des sacrements, mais toujours avec
l’obligation de résider loin du Pérou, comme il l’a effectivement fait
jusqu’à ce jour en s’établissant d’abord à Rome et ensuite à Madrid, mis
à part de rares retours au pays (le dernier pour recevoir le 7 janvier
dernier une distinction honorifique de la part du maire de Lima et
membre de l’Opus Dei Rafael López Aliaga), ainsi que de garder le
silence, un silence qui n’a été rompu qu’après la publication de ses
exactions présumées et des attaques de ses adversaires au Pérou.
Son principal accusateur est aujourd’hui précisément son successeur à
Lima, Mgr Castillo, créé cardinal par le Pape François en décembre
dernier, qui dans sa lettre ouverte du 28 janvier a été jusqu’à écrire
ceci sur Cipriani, sans jamais le citer directement :
« Étant donné qu’au cours des derniers mois, après des enquêtes
sérieuses et précises, certaines personnes et institutions refusent de
reconnaître la vérité des faits et des décisions prises par le
Saint-Siège, nous invitons chacun à raisonner à travers un chemin de
conversion qui implique l’abandon des vaines justifications,
l’entêtement et le rejet de la vérité, qui, lorsqu’elle est humblement
acceptée, nous rend tous libres ».
Curieusement, quelques jours plus tôt, Mgr Castillo était en lice
comme favori pour l’élection du nouveau président de la Conférence
épiscopale péruvienne, où il fut pourtant battu notamment à cause des
remous causés par une polémique autour d’un spectacle pro « gender »
programmé le 30 janvier à l’Université pontificale catholique du Pérou
intitulé « María Maricón », où la Sainte Vierge était interprétée par un
homme, un spectacle finalement annulé, au grand dam du cardinal.
À sa place, c’est Carlos Enrique García Cazmader, l’évêque de Lurín
et ancien auxiliaire de Cipriani à Lima qui allait être
élu le 22 janvier à la présidence de la Conférence. Mais ce dernier
s’est bien gardé de prendre la défense de son ex-archevêque dans la
déclaration publiée par ses nouveaux services le 28 janvier.
« Malheureusement, ce n’est pas la première fois qu’un cardinal fait
l’objet de fausses accusations, à grand renfort de détails scabreux », a
écrit le cardinal Cipriani dans sa réponse à « El País ».
Il fait ainsi allusion à au moins deux affaires, tous deux
impliquant des cardinaux de premier plan, accusés de graves abus
sexuels qui se sont par la suite avérés ne pas tenir la route :
l’Australien
George Pell (1941–2023 ) et l’Américain Joseph Bernardin (1928–1996).
Mais dans ces deux cas, leur innocence totale avait été démontrée par
des voies légales et publiques. Tout le contraire de la condamnation
sans procès infligée par le Pape François au cardinal Cipriani, avec la
guerre confuse qui s’en est suivie.
Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 20.02.2025
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