Discours de remerciement du cardinal Philippe
Barbarin |
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Lyon, le 18 décembre 2007 -
(E.S.M.) - Discours du
cardinal Barbarin lors d'une cérémonie officielle. Nous reproduisons ce
message car il nous semble tellement dans la ligne voulue par le
Saint-Père Benoît XVI en matière de dialogue interreligieux. C'est aussi une belle
illustration de la récente note du Vatican concernant certains aspect de
l'Évangélisation. Tout cela, dit le cardinal, signifie que nous avons
le désir profond que l’autre puisse avancer librement sur le chemin de
sa foi, à la rencontre de Dieu et dans le service des hommes.
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Le
cardinal Philippe Barbarin
Discours de remerciement du cardinal Philippe Barbarin
MERCI !
J’aimerais, ce soir, répéter ce mot - n’est-ce pas l’un des plus beaux et
des plus simples de la langue française ? Le chanter comme une litanie, en
faisant mémoire de tous ceux à qui je dois la vie, et
la foi qui en est pour moi le trésor le plus précieux, toujours
fragile et secret. J’aimerais rendre grâce avant tout à
Celui qui est la
source de tant de biens, puis remercier
chacun de ceux dont l’exemple me réveille et me stimule dans ma vocation.
Mon remerciement s’adresse d’abord au Président de la République, parce que
cette décoration vient de la France et que c’est lui qui l’a demandée pour
moi, alors qu’il était Ministre de l’Intérieur et des Cultes. Je remercie
aussi Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée de Lyon qui me l’a remise à
l’instant, en son nom. J’étais tout heureux, cher Kamel, d’apprendre que le
Président Sarkozy avait vécu ces jours derniers, un moment fort à
Constantine, cette ville de votre jeunesse où nous nous trouvions ensemble
en février dernier, et dont j’ai senti qu’elle vous restait si chère. «
Constantine, disait-il, a gardé le nom du premier empereur romain converti
au christianisme ; c’est une ville de foi dont la tolérance fut pendant des
siècles la marque de génie. »
Ma gratitude, je voudrais la dire aussi à tous ceux dont j’ai la chance de
croiser la route, dans l’accomplissement de mon ministère ; par exemple,
aux jeunes que j’ai vus arriver en foule pour la Messe
du 8 décembre, samedi soir, à la Basilique de Fourvière. Quelle foi, quel
enthousiasme !
Permettez-moi de vous remercier tous, vous qui me faites l’honneur d’être
présents ce soir, à l’archevêché. Vous êtes de grands et petits serviteurs -
en vérité, nous sommes tous petits, car Dieu seul
est grand !- : serviteurs de l’État et de nos cités, de la Paix
dans notre pays et entre les nations, de l’Éducation Nationale et de l’Université,
de la Justice, de la Santé.
Merci aux responsables, c’est-à-dire justement aux serviteurs de nos
communautés de croyants, juifs, musulmans ou chrétiens. Et je n’oublie pas
que chacun est d’abord et quotidiennement serviteur du
bonheur de ses proches, dans sa famille et son entourage. Je voudrais
dire mon admiration particulière à ceux qui donnent du temps et de l’amour
aux personnes détenues, à tant d’hommes et de femmes dont la vie est abîmée
par la souffrance, la maladie, par toutes les formes de rejet et d’exclusion
- cette étrange pratique d’un monde qui regorge de biens, mais qui, pris
dans ses contradictions et le déséquilibre tragique de la planète, n’arrive
pas à donner une belle, une vraie place à chacun des enfants de cette terre.
Vous voir, regarder les autres servir, discrètement et résolument, me montre
comment je pourrais devenir, moi aussi, ce « bon et fidèle serviteur », dont
parle Jésus dans l’Évangile. Le problème que me pose cette décoration, c’est
que le serviteur ne veut pas entendre parler de mérite. Et quand on le
félicite, il répond : « Nous sommes des serviteurs
quelconques, nous n’avons fait que notre devoir »
(Luc 17, 10). Je vous épargnerai
la citation des nombreux passages de l’Évangile, où l’on indique que, par
nous-mêmes, nous ne méritons pas grand chose. Je connais et partage assez la
prière des Juifs, dans la récitation des Psaumes, pour savoir qu’ils ne
veulent pas non plus qu’on leur attribue des mérites : «
Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire,
pour ton amour et ta vérité »
(Ps. 115, 1).
Chez les musulmans aussi, et en particulier dans la mystique soufi,
l’important n’est pas de gagner des mérites, mais de vivre avec droiture
pour répondre à l’amour de Dieu dans nos vies. Il nous aime tellement que
nous lui donnons de grand cœur cet élan intérieur pour accomplir ce qu’Il
nous demande. Tout cela n’est pas bien loin de la pensée de
saint Irénée, le second
(et en un sens, « unique ») évêque de Lyon, arrivé de Smyrne,
aujourd’hui Izmir en Turquie, quand il écrit : « Si Dieu sollicite le
service des hommes, c’est pour pouvoir, lui qui est bon et miséricordieux,
accorder ses bienfaits à ceux qui persévèrent dans son service (…)
car la gloire de l’homme, c’est de persévérer dans le service de Dieu »
(Adv. Haer. IV, 14, 1).
Je profite de l’occasion pour rendre aussi hommage aux Protestants qui ont
su, dans l’histoire, montrer à leurs frères catholiques qu’ils risquaient de
s’égarer, sur cette question du mérite. Ils nous ont aidés à retrouver un
langage plus évangélique. Hier encore, la liturgie dominicale mettait sur
nos lèvres une prière qui leur plairait, j’en suis sûr, quand nous
présentions à Dieu nos pauvres offrandes : «
Seigneur, nous ne pouvons pas invoquer nos mérites, viens par ta grâce à
notre secours. »
Mais une République n’est pas une famille spirituelle ; elle est organisée
comme une société qui veille à l’équilibre de tous ceux qui la composent et
qui veut, avec un sens légitime de la justice distributive, reconnaître la
beauté d’une mission, dire merci à certains de ses membres et, par des
symboles parlants, encourager tout le monde à servir le bien commun, avec
persévérance.
Les circonstances de la remise de cette décoration s’inscrivent dans une
longue tradition lyonnaise. Les étapes en sont connues : le P. Christian
Delorme, qui vit des contacts anciens et profonds avec les musulmans
(on se souvient du titre du
livre qu’il a écrit avec Rachid Benzine : « Nous avons tant de choses à nous
dire »), a demandé au Dr Marc Aron, alors président du CRIF Rhône
Alpes, de lui remettre les insignes de chevalier dans l’Ordre National du
Mérite.
L’an dernier, Maître Alain Jakubowicz, qui aurait pu demander à une haute
autorité du monde politique ou judiciaire de lui remettre les insignes de
chevalier de la Légion d’Honneur, a souhaité que j’accomplisse ce geste
envers lui, et je l’en remercie, car l’événement marque encore nos mémoires.
Cette belle histoire continue aujourd’hui, et connaîtra certainement de
nouveaux épisodes.
Dans mon histoire personnelle, la rencontre avec l’Islam remonte aux
origines, puisque je suis né au Maroc et que j’ai toujours vu les musulmans
prier, dans la rue, à l’école, et que nous suivions simplement le calendrier
de leurs fêtes. Ma première maîtresse d’école
(en 12ème, disait-on à
l’époque) était une religieuse qui est devenue une grande
spécialiste des relations islamo-chrétiennes, à Rome. Depuis que je suis
devenu cardinal, elle a retrouvé ma trace et continue de veiller à ma
formation, cinquante ans plus tard. C’est elle qui vient de publier des
écrits magnifiques de Ghazali, sur la « maîtrise du cœur ».
Ces moments symboliques ont une grande valeur sociale et politique ; ils
sont notre manière de vivre ces mots qui font partie de la devise de la
République : l’égalité et la fraternité.
Ils sont aussi le signe d’une recherche spirituelle plus profonde :
assurément, comme chercheurs de Dieu, nous sommes frères, même si nous ne
savons pas toujours bien dire comment. Là aussi, les signes parlent : notre
Grand Rabbin, Monsieur Richard Wertenschlag, demande à aller prier auprès du
cardinal Decourtray après l’attaque qui l’emportera en septembre 1994 ; les
musulmans et les juifs le confient à Dieu, sur le parvis de la Primatiale
saint Jean, au moment de ses funérailles. Depuis des années, la Fraternité
d’Abraham suscite des rencontres entre juifs, chrétiens et musulmans.
Tout cela veut dire que nous avons le désir profond
que l’autre puisse avancer librement sur le chemin de sa foi, à la rencontre
de Dieu et dans le service des hommes. C’est ce désir qui a conduit
le Cardinal Alexandre Renard a s’engager sans hésiter, et dès le début, pour
appuyer le projet de la construction de la Grande Mosquée de Lyon. La
présence du Cardinal Decourtray était prévue, naturellement, pour son
inauguration. Malheureusement, il venait à peine de nous quitter, quinze
jours plus tôt. Et dix ans plus tard, invité par le Recteur pour fêter cet
anniversaire, j’avais l’impression de prononcer le discours que l’on aurait
aimé entendre de sa bouche, au premier jour.
Certes, je suis heureux d’avoir découvert, après de petites recherches
généalogiques, les racines multiséculaires de ma famille, dans cette terre
de France, à Gramat, dans le Quercy ou à Aigurande en Berry où l’on
rencontre des traces de la famille dès 1450. Mais l’ancienneté ne donne
aucun droit ni aucune supériorité, et ceux qui font partie de l’Église ou de
la nation en sont membres à part entière, quelle que soit leur date
d’arrivée dans la communauté. Je ne sais si s’applique en ce domaine la
phrase de Jésus qui dit : « Les premiers seront les derniers », mais
ce dont je suis sûr, c’est de l’importance de l’aujourd’hui, présent presque
à toutes les pages de l’Évangile, et encore dans celle qu’il nous était
donné de méditer ce matin (Luc 5, 26).
Il y a neuf ans, dans la Cathédrale de Moulins, berceau ancestral de la
famille des Bourbon, j’ai reçu la consécration épiscopale des mains de
l’archevêque de Fianarantsoa. Même si Madagascar est une terre où l’Église
est encore toute jeune, c’est lui qui a accompli sur moi, dans une terre de
vieille chrétienté, ce geste qui vient directement des Apôtres. Et il y
avait là un riche symbole du renouvellement continuel de l’Église.
La République, de son côté, demande qu’une décoration française soit donnée
par quelqu’un qui l’a déjà reçue, qui soit de nationalité française, et que
la cérémonie, m’a dit le Président de notre section lyonnaise, M. Ulrich, se
déroule dans lieu digne - il m’a assuré que l’archevêché en est un ! Un
moment, j’ai pensé demander à ma chère maman
(cela va la surprendre, car je
ne lui en ai pas parlé) de me remettre ces insignes,
discrètement, au cours d’une réunion familiale. Elle aussi, a été nommée
directement officier dans l’Ordre du Mérite, mais là, au risque de me
contredire, je trouve que c’était normal et mérité, quand on pense qu’elle
a donné la vie à onze enfants, et qu’elle les a servis et accompagnés, tout
au long de leur croissance.
Il me semble pourtant qu’il n’aurait pas été juste d’agir ainsi, car s’il y
a un mérite que l’État français reconnaît à l’Église catholique, en honorant
l’archevêque de Lyon, c’est bien qu’elle essaie de
faire œuvre de paix en ce monde, et que son seul but est d’être une servante
de la joie, au milieu des hommes de ce temps. Et, en demandant
aujourd’hui à Monsieur le Recteur Kabtane de me remettre cette croix et
cette rosette, j’ai voulu rappeler, dans l’esprit du rassemblement d’Assise,
en 1986, et de celui de Sant’Egidio à Lyon, il y a deux ans, que les
croyants des différentes religions sont décidés à travailler ensemble, dans
ce monde, « où la paix reste à gagner ».
Moi non plus, je ne peux pas terminer sans évoquer les inoubliables journées
de février en Algérie. Je pense que ce fut un événement considérable, non
pas à cause de son retentissement médiatique, mais pour ses conséquences
personnelles et communautaires qui ne cessent de nous surprendre : ainsi la
journée « prêtres et imams » du 17 novembre, qui a réuni plus de cent
cinquante personnes, tout étonnées de la qualité, de la profondeur, de la
vérité de cette rencontre.
Pour ce voyage, que nous avons vécu comme un pèlerinage, je voudrais
exprimer ma reconnaissance à Monsieur Azzedine Gaci, Président du Conseil
Régional du Culte musulman. C’est lui qui est venu me proposer ce projet
étonnant, auquel j’ai donné mon assentiment immédiat. Si je le remercie
d’avoir réussi à mener ce projet jusqu’à son terme, il me répondra, comme il
l’a fait à Tibhirine, en me conduisant sur la tombe du Frère Luc : « C’est
lui qui est à l’origine de ce voyage. »
Je suis heureux d’avoir découvert Annaba, la ville épiscopale de saint
Augustin, d’y avoir lu devant tous la première page des Confessions qui
chante mieux que quiconque la grandeur de Dieu. C’est dans cette ville qu’a
grandi l’ancien grand rabbin de France, Monsieur René Samuel Sirat. Il fut
élève du Lycée saint Augustin, et il me disait, à Lyon, lors de l’hommage
que le CRIF a voulu rendre au cardinal Decourtray, pour le dixième
anniversaire de sa mort : « Il faudrait que les écoles rabbiniques, les
centres de formation des imams et les Grands séminaires soient proches les
uns des autres, qu’à 20 et 25 ans, ces jeunes gens jouent régulièrement au
foot ensemble, pour qu’ensuite ils se tutoient et se parlent comme des
frères, une fois qu’ils seront devenus Grand Rabbin, Recteur de la Grande
Mosquée ou Archevêque. »
Nous avons eu des rencontres de haut niveau à l’Université islamique de
Constantine et à la Bibliothèque Nationale d’Alger, où Monsieur Mustapha
Chérif a témoigné devant tous de sa rencontre personnelle avec le Pape
Benoît XVI, en nous assurant du désir que le Saint Père a de poursuivre le
dialogue islamo chrétien.
Quel étonnement de nous retrouver dans le bureau de Monsieur le Ministre des
Affaires religieuses pour entendre une longue méditation sur l’art et la
difficulté de prier ! De passage à Paris, il y a quelques mois, il a tenu à
venir nous remercier de notre visite ici même, le 8 septembre dans
l’après-midi, alors que je m’apprêtais à célébrer la Messe du vœu des
échevins. Le Ministre nous a avoué humblement tout ce qu’il devait à son
vieux maître, le Cheikh Aderrahmane Chibane, président des Ulémas d’Algérie.
Sur la plaque que celui-ci a fait graver à l’occasion de notre passage, et
que vous pouvez voir ici avec la photo de la rencontre, il a inscrit ces
mots : « Le message de l’Islam appelle à l’unité de l’humanité et à
l’entraide entre les hommes par delà leurs différences de langue, de couleur
et de croyance, comme le dit un verset du Coran : "O humains ! nous avons
fait de vous des peuples et des tribus afin que vous vous connaissiez entre
vous". »
« S’entre connaître », ce fut le maître mot de ces journées, qui demeure un
excellent objectif pour le chemin qui nous reste à parcourir. Que de mal on
a fait, en jugeant sans connaître, sans avoir écouté l’autre expliquer ses
convictions et le dynamisme spirituel qui le pousse à aller de l’avant.
Cette ligne guide depuis des décennies les rencontres œcuméniques, et peut
s’étendre au dialogue interreligieux et même à toutes les discussions avec
les divers courants culturels et philosophiques.
Quelle émotion enfin de nous recueillir sur la tombe de l’Emir Abd el Kader,
lui qui passait à Lyon, au moment des illuminations de 1852, juste après ce
premier 8 décembre où la statue de la Vierge a été montée sur le clocher de
Fourvière. Il nota alors dans ses carnets l’admiration que lui inspiraient
la foi des Lyonnais et la ferveur du clergé.
C’est sur mot d’admiration que je voudrais terminer. Certes, on fait bien de
prêcher la tolérance, mais on comprend qu’elle ne pourra jamais suffire.
Pour vivre et collaborer avec l’autre, il faut bien
plus que tolérer sa présence. Il faut le connaître, l’écouter, l’estimer.
Mais il me semble que même l’estime mutuelle n’ouvrira pas les portes d’un
vrai renouvellement. Je crois que le chemin de la liberté et de la joie
commence avec l’admiration. On la voit dans les carnets de l’Emir Abd el
Kader, et dans le cœur de Charles de Foucauld. De passage à Fès, en voyant
les musulmans prier, il est bouleversé intérieurement et s’aperçoit de tout
ce qu’il a tout perdu, en délaissant son baptême et sa foi chrétienne. On me
permettra d’en rester à ces exemples du passé, pour laisser au présent son
mystère.
Nous voyons approcher la douce lumière de Noël, les fêtes de fin d’année et
le nouvel An. Avec une peu d’avance, je dis à chacun de vous et à tous les
vôtres mille bons vœux, remplis de l’amitié profonde qui me lie à vous,
depuis plus de cinq ans que le Seigneur m’a fait Lyonnais avec les Lyonnais.
L’Évangile raconte que dans la nuit de Noël, un jeune couple, dont l’épouse
allait accoucher, n’a pas trouvé de place dans la salle commune. Cette
triste histoire cessera-t-elle donc un jour ? Peut-on le demander un 10
décembre, ce jour où l’on fête l’anniversaire de la Déclaration universelle
des droits de l’homme ?
Viennent les jours où l’on verra les croyants des
différentes religions, et tous les hommes de bonne volonté se battre
ensemble pour l’accueil, la santé, le logement, l’éducation et la liberté de
tous les enfants de ce monde. Si une telle décision est mise en œuvre, avec
le seul souci de la gloire de Dieu ou du bien d’autrui, alors la paix ne
tardera pas à venir sur notre terre. Tel est bien le message de Noël, dans
la grande famille humaine.
Pour lire tout le compte-rendu :
C'est sur le site de l'évêché de Lyon
Note doctrinale sur certains aspects de l'évangélisation - 17.12.07
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 18.12.2007 - BENOÎT XVI
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