Déclin de la musique liturgique, que
pouvons-nous faire pour enrayer ce mouvement ? |
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Le 15 juin 2008 -
(E.S.M.)
- Dans l'Exhortation apostolique "Sacramentum Caritatis", le pape
Benoît XVI aborde la question du chant, en soulignant que tout chant n'a
pas sa place dans la liturgie et que "nous ne pouvons pas dire qu'un
cantique équivaut à un autre". Déclin et chute de la musique liturgique
catholique. Que pouvons-nous faire pour enrayer ce mouvement ?
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Déclin de la musique liturgique, que pouvons-nous faire pour enrayer ce
mouvement ?
Dans l'Exhortation apostolique
"Sacramentum Caritatis",
le pape Benoît XVI aborde la question du
chant, en soulignant que tout chant n'a pas sa place dans la
liturgie et que "nous ne pouvons pas dire qu'un cantique équivaut à un
autre". Cette affirmation conduit tout naturellement à faire une distinction
essentielle entre ce qui appartient au domaine du "religieux" et ce qui
appartient au domaine du "sacré", ce que ne savent plus faire beaucoup de
clercs ni beaucoup de maîtres de chœurs ou d'organistes: ce n'est pas parce
qu'on introduit un chant dans une messe qu'il devient "sacré" et
"liturgique"... Le chant "religieux" - comme l'art religieux de façon plus
générale - se caractérise par une expression subjective et naît de la
perception que chaque personne a de la religion, quel que soit le lieu ou
l'époque. Le chant "sacré", le seul qui pourrait mériter d'être qualifié de
"chant liturgique", est celui qui tend à traduire une réalité qui
est capable de
dépasser les limites de l'individualité humaine car il renferme et transmet
des notions objectives enracinées dans la vérité de la foi méditée par
l'artiste. (cf. les travaux du P. Uwe Michael Lang)
Modèle d'un tel chant jailli de la méditation de la liturgique comme
expression objective de la foi, "le chant grégorien, en tant que chant
propre de la liturgie romaine [doit être] valorisé de manière appropriée."
(PRO LITURGIA)
Déclin et chute de la musique liturgique catholique
Que pouvons-nous faire pour enrayer ce mouvement ?
par Jeffrey Tucker
[Article publié dans Adoremus Bulletin, avril
2008. Traduction : Remi Lucet, publié avec son aimable autorisation]
Les bandes dessinées sont populaires auprès des jeunes, et ceci depuis
plusieurs décennies. Imaginons un instant un monde dans lequel les gens
n'aient jamais rien lu d'autre. Ni romans, ni poésie, ni livres de
réflexion. Seulement des bandes dessinées. Peut-être même sans aucune
phrase. Juste des images.
Qui serait donc surpris que cette génération soit devenue complètement
illettrée ? En laissant perdurer cette situation pendant trois ou quatre
générations, on se réveille subitement dans un monde où plus personne ne
sait vraiment lire, et plus choquant encore, où l'on ne trouve plus personne
pour enseigner la lecture.
Rendu là, il est encore possible d'espérer que les gens se rendent
subitement compte de ce qu'ils ont fait : une grand partie des fondations de
la civilisation ont été balayés par inadvertance. Si nous pouvions procéder
aisément à une analyse comparative de l'avant et de l'après, nous serions
encore plus abasourdis que si nous vivions pendant la période de transition.
Tandis que cela survient, chaque génération en sait moins que la génération
précédente, et inexorablement il se trouve de moins en moins de gens pour
seulement remarquer qu'il y a un problème. Les gens finissent par ne plus se
rendre compte qu'ils ne savent rien, ni même que le problème doit être
corrigé.
Cela ressemble, je le crains, à ce qui arrive dans le domaine de la musique
liturgique catholique – pas complètement il est vrai, mais nous filons vers
ce destin. Peut-être pourrions être sauvés si nous consentions, dès
aujourd'hui, d'importants efforts.
La musique d'Église comme un divertissement facile
Le problème est apparu essentiellement au milieu des années 1960, alors que
venait à l'idée que la musique de divertissement devait dominer le mouvement
visant la beauté et l'excellence musicale dans la
liturgie. C'est comme si les gens s'étaient dit : « À bas les
compétences ! à bas les normes ! Chantons juste ce qui nous vient à l'esprit
et nous fait se sentir bien ». Certes, la musique catholique avant cette
époque n'était nullement parfaite, et quantité de mauvaises pièces étaient
encore chantées çà et là ; mais on ne peut nier qu'un effort d'amélioration
avait été entrepris depuis plusieurs dizaines d'années, et que les fruits
étaient sur le point d'apparaître.
De nombreuses Églises protestantes semblent avoir mieux résisté à la
nouvelle tendance dans la musique liturgique, ne plongeant dans la « musique
de louange » qu'aux environs de la moitié des années 1970. Trois décennies
plus tard, mes amis protestants se désespèrent de ce qu'il est advenu. Ils
avaient grandi dans un monde où les livres de cantiques étaient
habituellement écrits dans une harmonie à quatre parties, et où les
assemblées chantaient bien souvent en polyphonie. Même quand ils n'étaient
pas dans le chœur, les gens savaient par eux-mêmes s'ils étaient alto, ténor
ou basse. Les chœurs dans les paroisses de villes moyennes comportaient
couramment 50 à 60 chanteurs qui ne se distinguaient pas tant par leur
capacité à lire la musique et à chanter (presque tout le monde peut y
parvenir), mais plutôt par leur volonté de consacrer un temps considérable à
apprendre des œuvres difficiles – des cantates par exemple – destinées à
être interprétées pendant les périodes de vacances. Les catholiques ont
rarement été de ce niveau, choralement parlant. Néanmoins, on y trouvait des
chanteurs, des choristes et des paroissiens qui connaissaient le répertoire,
savaient lire la musique, et partageaient les véritables idéaux de la
musique sacrée.
Mais maintenant, mes amis protestants me disent que plusieurs générations
ont grandi dans ces « chœurs de louange », qui pourraient être
comparés aux bandes dessinées musicales. Il y a un rôle pour cette musique,
sans aucun doute, et personne ne veut d'un monde où elle n'existerait pas.
Le problème est que ces chœurs sont devenus la norme, et c'est cela qui
préoccupe mes amis. Non seulement il y a de moins en moins de chanteurs
disponibles, mais il y aussi de moins en moins de gens
capables d'enseigner, ou de jouer des instruments.
Une musique qui n'inspire pas
On pourrait citer mille raisons ayant mené à cette situation (il serait
facile de blâmer la musique enregistrée et les médias) ; mais la raison la
plus évidente est rarement citée : la musique qui a été offerte aux gens, et
qui a envahi tout le fonds du répertoire liturgique, ne les a pas encouragés
à acquérir les compétences indispensables à la production de belle musique.
Où était le défi ? Quand la trivialité domine, l'idéal disparaît !
Le résultat de tout cela est une évaporation générale
de la sensibilité esthétique, ainsi que de la culture religieuse.
À nouveau, lorsque j'entends mes amis protestants décrire la situation qui
est la leur – il est particulièrement douloureux de se rendre compte que
nous les catholiques avons cinq ou dix ans d'avance dans le déclin musical
–, nous pouvons leur dire deux ou trois choses, par exemple leur
décrire ce qu'est la liturgie dans des paroisses où l'on trouve seulement
une poignée de chanteurs dans des assemblées de plusieurs centaines de
personnes. Ce n'est pas seulement que « les catholiques ne chantent pas »
(apparemment, de nombreux en sont incapables), mais qu'on déplore un manque
cruel d'aptitude au chant, de capacité à trouver la note et de la tenir, de
savoir ce que signifie qu'une mélodie monte ou descend, de connaissance
rudimentaire du rythme. Toutes ces compétences musicales ont été
littéralement sapées par plusieurs décennies de déclin artistique.
Musicalement, c'est comme de vivre dans un monde sans lecteurs où les
grandes œuvres de la littérature restent sur les étagères sans plus jamais
être lues, et où personnes ne sait qu'en faire !
Des musiques différentes pour des temps différents
?
Bien sûr, un moyen de traiter le problème de la musique liturgique est de
changer les idéaux, cela nous permet de nier même qu'il y ait un problème.
De toute façon, qui se fiche de tous ces vieux trucs de Palestrina ?
D'ailleurs était-ce vraiment bon, ou était-ce ce qu'on savait faire de mieux
à l'époque ? N'était-ce pas juste de la musique pour les élites ? Qui a
encore du temps à consacrer à cela ? Peut-être cela convenait-il à ces
époques de foi et d'ignorance, mais notre monde rationnel et prospère
demande quelque chose de complètement différent. C'est comme le chant
grégorien, ce truc était parfait dans un monde de misère, de maladie, et de
peste noire ; nous vivons désormais dans de resplendissantes cités et nous
passons nos heures de loisir dans des salles de fitness. Temps différents,
musiques différentes !
Les temps sont-ils vraiment différents ? Les apparences, évidemment, sont
différentes. Mais les cœurs et les âmes, auxquels la liturgie doit parler le
plus directement, sont les mêmes – une foi universelle
(en tous les lieux et en toutes les époques) émanant d'une nature humaine
universelle, aidée d'une forme artistique universelle, dirigée vers une
adoration universelle de Dieu.
J'ai tendance à penser que de nombreuses attaques
contre le trésor historique de musique sacrée se résument à ces
rationalisations chimériques. Il est important de réagir contre ceci,
mais l'on doit d'abord reconnaître que nous avons un problème. Alors,
seulement, nous pouvons envisager de l'attaquer.
Dépasser l'illettrisme musical
Quel est le facteur le plus important qui nous aidera à surmonter cette
illettrisme massif ? Avons-nous besoin de formation avant d'aborder la
musique sérieuse, ou avons-nous d'abord besoin de voir, d'entendre, de
toucher cette musique, dans l'espoir qu'elle nous incite à améliorer nos
compétences propres ? La relation entre ces deux facteurs – ressources
internes et externes – est complexe.
La métaphore de la « culture bande dessinées » peut nous éclairer sur
la manière de procéder. Comment pourrions-nous passer des BD à la vraie
littérature sans d'abord posséder des livres de bonne qualité – même si nous
ne savons pas encore comment les lire ? Nous avons
besoin d'œuvres dignes et belles, nous incitant à relever le défi. Nous
devons avoir devant nous l'idéal et le but à atteindre. Nous devons
ensuite apprendre à apprécier ceux qui savent lire, et leur demander de lire
pour nous, puis de nous apprendre à lire.
La question est que nous devons faire face à ce problème de l'illettrisme
musical. Ceux qui pensent : « Je constitue une partie du problème ; je n'y
connais rien en musique », devraient savoir que ce n'est pas nécessairement
vrai. Certes, tout le monde de peut pas être un chanteur ou un musicien
accompli, pas plus que tout le monde ne peut chercher à l'être. Mais, j'aime
l'idée d'une culture musicale universelle où les non-musiciens doivent tout
autant y tenir leur rôle : celui d'auditeurs méditatifs et engagés. En même
temps, j'ai tendance à penser que les gens sous-estiment le plus souvent
leur potentiel musical (bien plus fréquemment qu'ils ne le surestiment).
À quiconque voudrait apprendre la musique sacrée catholique, je suggérerais
que la meilleure fondation à mettre en place est celle du
chant grégorien : il nous apprend la manière de
naviguer vocalement entre tons et demi-tons sur une échelle musicale, il
nous enseigne les hauteurs et le rythme, ainsi que bien des notions de base
de la théorie musicale.
N'oublions pas la contribution inégalée de l'Église catholique – et des
musiciens catholiques – à la culture musicale occidentale. Nous pouvons à
nouveau en prendre la tête. D'abord en rehaussant le niveau d'exigence pour
nous-mêmes, et ensuite en montrant la voie aux autres.
Jeffrey Tucker
Article paru dans le numéro d'avril 2008 de la revue Adoremus.
Jeffrey Tucker est rédacteur en chef de Sacred Music, le journal publié par
l'Association américaine de musique liturgique. Web :
www.musicasacra.com
Sources : www.adoremus.org
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.06.2008 -
T/Musique sacrée |