Benoît XVI nous enseigne une
théologie aussi discrète que profonde et solide |
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Cité du Vatican, le 15 février 2008 -
(E.S.M.) - En ce qui concerne la
parenté entre l’enseignement du pape Benoît XVI et les thèses d’"Ingresso
alla bellezza", les propos que le pape a tenus lors de sa rencontre du 7
février avec le clergé de Rome sont tout à fait révélateurs.
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Le pape
Benoît XVI nous enseigne une théologie aussi discrète que profonde et solide
Tout le monde au spectacle du "théâtre sacré des cieux". Un théologien sert
de guide
Le théologien est Enrico Maria Radaelli. Son dernier livre, intitulé "Ingresso
alla bellezza", est la preuve qu'il existe toujours une grande théologie
catholique sous le pontificat du théologien Joseph Ratzinger
par Sandro Magister
Cette année, Benoît XVI a demandé au bibliste
.Albert Vanhoye - qu’il définit
comme un "grand exégète" et qu’il a créé cardinal - de prêcher les exercices
spirituels du Carême à la curie.
L’année dernière, le pape avait fait appel pour cela au cardinal
cardinal Biffi, un
autre théologien qu’il estime particulièrement.
L’un des ouvrages de théologie les plus importants de ces dernières années
est celui de Leo Scheffczyk, "Le monde de la foi catholique. Vérité et
forme", publié récemment en plusieurs langues. Scheffczyk, mort en 2005,
avait lui aussi été fait cardinal. Son livre débute par une interview de
Benoît XVI.
Autant de signes qui témoignent du maintien d’une théologie catholique de
qualité sous le pontificat du pape théologien Joseph Ratzinger.
Cette théologie est aussi discrète qu’elle est profonde et solide. Le bruit
entoure des œuvres plus excitantes mais confuses, comme le livre de Vito
Mancuso "L'anima e il suo destino".
A l’écart de cette agitation, mais avec beaucoup de prévoyance, la maison
d’édition Jaca Book est par exemple en train de publier en Italie les
imposantes "opera omnia" du plus grand spécialiste mondial en théologie
médiévale, Inos Biffi, professeur émérite aux facultés de théologie de Milan
et de Lugano. Il n’a aucun lien de parenté avec le cardinal homonyme, mais
ce dernier le considère comme un ami et, sans l’ombre d’un doute, comme le
plus grand théologien italien vivant.
En ce qui concerne son éditeur, Inos Biffi est en très bonne compagnie.
Avant lui, Jaca Book a publié les œuvres complètes de deux autres géants de
la théologie catholique du XXe siècle: Henri de Lubac et Hans Urs von
Balthasar.
Les "opera omnia" d’un troisième grand théologien de la seconde moitié du
XXe siècle, Bernard J.F. Lonergan, sont en cours de publication chez un
autre éditeur, Città Nuova.
Mais il y a plus. La théologie catholique est aussi en train de mettre à son
actif de nouveaux auteurs et de nouveaux livres de premier ordre.
C’est le cas d’Enrico Maria Radaelli avec son essai "Ingresso alla bellezza".
La thèse centrale d’"Ingresso alla bellezza" est que le Fils de Dieu n’a
pas un seul "nom" mais deux. Il est "Logos" mais aussi "Imago". Il est verbe
mais aussi image, visage, reflet de la pensée divine. Il est vérité mais
aussi beauté du vrai.
"Ingresso alla bellezza" est donc une voie royale pour entrer dans le
mystère du Dieu trinitaire et incarné. La beauté est l’apparition de la
vérité invisible. Et, à l’inverse, ce qui est indicible dans les mystères
divins se manifeste dans les splendeurs de la liturgie, de l’art, de la
musique, de la poésie. Sur la couverture du livre figure une peinture de
Lorenzo Lotto représentent un jeune Apollon dormant aux frontières du
mystère, accompagné de Muses mimant les sublimes réalités.
En revanche l’illustration qui figure en haut de cette page est l’œuvre d’un
peintre du XVIIe siècle, le Baciccia. C’est un détail des fresques de la
coupole et de la voûte de l’église du Gesù, à Rome, dediée au Très Saint Nom
de Jésus, c’est-à-dire, théologiquement, justement au double nom de "Logos"
et "Imago". C’est de la vision de ce "théâtre sacré des cieux " que
s’inspire un article de l’auteur d’"Ingresso alla bellezza", Enrico Maria
Radaelli, publié dans "l’Osservatore Romano" du 4-5 février 2008.
L’article est reproduit ci-dessous dans son intégralité. Il résume très bien
l’esprit et le contenu du livre, qui va de la théologie proprement dite à la
philosophie, des Saintes Ecritures à la liturgie, de l’histoire à la
linguistique, de l’art à la musique. Les pages consacrées au Caravage ou à
Monteverdi sont – parmi d’autres – mémorables.
Radaelli n’est pas un théologien académique. Il n’a pas reçu les ordres
sacrés. Il ne fait pas partie des effectifs des universités pontificales. Il
est cependant le disciple de l’un des plus grands esprits catholiques du XXe
siècle, le Suisse Romano Amerio, comme lui simple laïc sans chaire
universitaire. L’un et l’autre ont critiqué et critiquent sévèrement les
dérives sécularisantes de l’Eglise au siècle dernier, les confusions dans le
domaine de l’œcuménisme et du rapport entre les religions, les
"dévastations" dans le domaine liturgique. Mais toujours dans l’obéissance
au magistère hiérarchique et à cette Grande Tradition sans le souffle de
laquelle – nous enseigne Benoît XVI – il n’y a pas de théologie catholique
digne de ce nom.
En ce qui concerne la parenté entre l’enseignement de Benoît XVI et les
thèses d’"Ingresso alla bellezza", les propos que le pape a
tenus lors de sa
rencontre du 7 février avec le clergé de Rome sont tout à fait révélateurs.
Répondant à la question d’un prêtre pratiquant la peinture, le pape a dit:
"L'Ancien Testament interdisait toute image; il devait le faire dans un
monde plein de divinités. Il vivait dans le grand vide qui était également
représenté par l'intérieur du temple, où, à la différence d’autres temples,
il n’y avait aucune image, mais seulement le trône vide de la Parole, la
présence mystérieuse du Dieu invisible, non défini par nos images.
"Mais ensuite ce Dieu mystérieux [il se fait chair en Jésus,] apparaît avec
un visage, un corps, une histoire humaine qui est, en même temps, une
histoire divine. Une histoire qui continue dans l’histoire des saints, des
martyrs, des saints de la charité et de la parole, qui sont toujours une
explication, une continuation dans le Corps du Christ de sa vie divine et
humaine, et elle nous donne les images fondamentales dans lesquelles – au
delà des images superficielles qui cachent la réalité – nous pouvons ouvrir
les yeux sur la Vérité elle-même. A cet égard je trouve excessive la période
iconoclaste de l’après-Concile [Vatican II], qui avait toutefois un sens,
parce qu’il était peut-être nécessaire de se libérer d’une superficialité de
l’excès d’images.
"Maintenant revenons à la connaissance de Dieu qui s’est fait homme. Comme
nous le dit la lettre aux Ephésiens, Il est la vraie image. Et dans cette
vraie image nous voyons – au delà des apparences qui cachent la vérité – la
Vérité elle-même: Qui me voit voit le Père'. En ce sens, nous pouvons
retrouver un art chrétien et aussi les grandes représentations essentielles
du mystère de Dieu dans la tradition iconographique de l’Eglise. Nous
pourrons ainsi redécouvrir l'image vraie, [...] la présence de Dieu dans la
chair".
Comment découvrir le visage de l’Eternel dans un édifice sacré
"L'Osservatore Romano", 4-5 février 2008
par Enrico Maria Radaelli
J’ai levé les yeux et je me suis aussitôt trouvé comme au paradis: des
saints et encore des saints, des anges, de puissants archanges, des
chérubins, des séraphins joyeux, roses, rapides; une fête radieuse, des
groupes lointains ou proches; parmi les nuages, des papes pleins de
noblesse, de jeunes martyrs, des docteurs sévères, des vierges en extase,
des ermites austères. Ils étaient tous là, hommes et anges innombrables,
éparpillés dans l’air des cieux jusqu’à en atteindre les cercles les plus
élevés. Je voyais les anciens patriarches et Jean-Baptiste, Marie-Madeleine,
les Apôtres, la splendeur de la Vierge et, au centre, le cœur éblouissant de
la vie: l'éternelle Trinité.
Je n’étais pas "hors de moi", mais sous la voûte de la coupole de l’église
du Jésus, à Rome, en train de contempler la grande fresque du Baciccia qui
s’appelle justement "La vision du Ciel", l’une des plus belles et des plus
riches de toutes celles qui sont disséminées dans la cité des Papes.
Je n’étais donc pas dans un ravissement mystique, mais dans cette admirable
extase de masse à laquelle, depuis deux mille ans, les fidèles accèdent par
l’adoration, au moment où, pendant les divins mystères, un Dieu descend
vraiment et – comme le dit Romano Amerio – ce Dieu, on le prend vraiment.
Depuis deux mille ans, dans les catacombes ou les cathédrales, la liturgie
trinitaire qui se déroule dans les cieux descend au milieu de ses troupeaux
sous la forme des saintes Espèces. La liturgie descend et le Christ se
matérialise, prêtre et victime. Et l’Eglise, avec sa sagesse d’épouse du
Christ et de mère de ceux qui sont appelés aux mystères sacrés, permet aux
fidèles d’en être toujours informés. Non seulement elle leur enseigne la
doctrine la plus sûre, mais elle amène aussi leurs sens à toucher presque la
réalité qui leur est donnée, à les mettre, comme disait sœur Elisabeth de
la Trinité, "face à face, même dans les ténèbres" avec la Gloire de Dieu.
C’est à cause de cette nécessité intime et religieuse que, très rapidement,
les murs et les voûtes des locaux sacrés destinés à l'Eucharistie - d'abord
ceux qui étaient cachés dans les catacombes, puis les temples païens
reconvertis pour le culte rendu à la Trinité et enfin tous les édifices
sacrés de toutes tailles et de toutes configurations, éparpillés partout où
le christianisme s’était répandu - s’étendent et donnent de l’espace aux
saints. C’est pour cela qu’ils disparaissent sous des broderies d’étoiles et
s’ouvrent pour faire place au glorieux passé de l’Eglise militante, comme
avec les cortèges de vierges et de martyrs des basiliques de Ravenne, mais
aussi à l’avenir, déjà présent secrètement, de l’Eglise triomphante, aux
ciels joyeux des coupoles que nous voyons, pour signifier, à travers la
représentation picturale, leur descente réelle bien que cachée.
Ce qui avait été réellement reçu dans les cœurs, c’était ce qu’il y avait
autour des cœurs: la réalité invisible sur l'autel était visible autour de
l'autel et les fidèles pardonnaient la délicate illusion suggérée par les
artistes. Ils étaient conscients que les yeux voyaient des cieux "simulés"
-
qui suggéraient des réalités déjà vivantes secrètement - mais pas "faux",
c’est-à-dire qu’ils ne présentaient pas des réalités erronées. C’était donc
des cieux "annonciateurs" de réalités à venir, tandis que leurs bouches
recevaient des cieux "véritables" et que leurs cœurs s’ouvraient à une
réalité déjà présente dans toute sa divinité et dans toute son humanité.
La réalité eucharistique, autour de laquelle se réunissent les peuples en
faisant Ekklesia, rassemblement des appelés, Eglise, demande tout de suite à
être enseignée et, en même temps, à être rendue visible. Si c’était
nécessaire, l’Eglise écrirait avec de l’or pur - comme elle le faisait déjà,
jadis, dans les manuscrits médiévaux - les caractères des pages de doctrine,
pour faire ressortir la grandeur, la supériorité suprême, et même la
divinité qu’elles sous-tendent.
D’une certaine manière, la Vérité et la Beauté comportent toutes les deux un
besoin: la Vérité, celui de pénétrer complètement dans les cœurs, la
Beauté, celui de briller dans toute sa splendeur sur les murs.
L'inspiration qui a conduit à donner aux édifices sacrés la forme d’une
croix provient directement de la sacralité de l'Eucharistie. En effet les
fidèles ont presque l’impression de s’introduire directement dans le bois de
la croix et dans le corps même du Christ - auquel ils accéderont
véritablement - comme s’il était vraisemblable qu’ait lieu cette entrée
mystique dans le sacrement ecclésial, avant-goût d’éternité.
Au XVe siècle, Filippo Brunelleschi ajoute aux murs, dont la disposition en
forme de croix renvoie physiquement au mystère de l'incarnation, la
représentation architecturale de l'autre mystère, encore plus grand, la
Trinité. A la cathédrale Santa Maria del Fiore de Florence, il réinvente la
coupole en tant que "lieu cosmique" par le croisement approprié des bras
longitudinal et transversal de la basilique chrétienne à l’endroit précis où
bat le cœur du Christ, là où s’accomplit le Sacrifice. Il donne ainsi à
l’église la possibilité d’inculquer à ses fidèles d’autres pensées,
nécessaires et élevées: là où le Très-Haut descend sur l'autel, "levez les
yeux", ô fidèles, et "vous verrez" tout ce qui, à travers l'autel, est entré
dans votre cœur.
En ayant recours à la coupole, comme le feront par la suite tous les
architectes, grands et moins grands, de la Renaissance et de l’âge baroque,
cet architecte de génie permet à l’église de suggérer aux chrétiens une
métaphore. Cette métaphore - peut-être la plus accomplie et la plus profonde
que, parmi les vestiges de l’art, l’on puisse trouver de la Trinité, tout du
moins telle que celle-ci est décrite notamment dans les textes de saint
Augustin et de saint Thomas d’Aquin - permet d’illustrer avec la plus grande
vraisemblance l’indicible et sublime mystère où bat le cœur du Christ. Le
cœur du Christ bat en fait pour le Père, ce Père qui l’a engendré "avant
l’aurore" (Psaume 109, 3), ce Père pour lequel il se donne en sacrifice pour
faire couler les torrents de sa miséricorde – qui sont en réalité lui-même:
le Christ.
Que disent en effet de la Trinité ces grands docteurs de l’Eglise? Saint
Thomas, en l’occurrence, fait figurer dans le "De Trinitate" de sa "Summa
Theologiæ" (I, 27-43) la formulation la plus accomplie de toutes les vérités
écrites par les saints théologiens sur ce sujet. Il nous offre ainsi la
synthèse la plus complète et en quelque sorte la plus compréhensible pour
nous, pour conclure que la très sainte Trinité est semblable à un esprit qui
pense et aime par ses opérations.
Saint Augustin fait référence à la même analogie, en particulier dans son
"De Trinitate", X, 10, 18, dont s’inspirera d’ailleurs l’autre docteur,
saint Thomas. Naturellement, le mystère trinitaire s’élève au-delà de toute
image, au moins parce que ce qui est assimilé à un esprit est en réalité une
Personne. Cela vaut aussi pour une pensée, autre Personne, et pour leur
"souffle" lui-même, qui est la Troisième personne. Mais l’analogie proposée
par les deux docteurs reste au moins utile "pour comprendre – résume
Battista Mondin dans son ‘Dizionario enciclopedico del pensiero di san
Tommaso d’Aquino’ – comment l’existence simultanée de trois individus
distincts et de même nature est possible en Dieu, sans tomber dans le
polythéisme".
On pourra apprécier encore mieux l'œuvre maternelle de l’Eglise quand
celle-ci, après avoir développé convenablement l’analogie sur le plan
théologique, en mettant au travail ses esprits les plus distingués et les
plus saints, la transposera des livres aux murs grâce à l’influence qu’elle
aura sur ses artistes. Alors l’Eglise ressemblera à une
Bibliothèque-Pinacothèque Ambrosienne sans limites, où les livres et les
tableaux sont rassemblés en un ensemble unique; la Trinité pourra être
adorée non seulement dans les livres, mais aussi quand les hommes lèveront
les yeux vers l'ensemble des nombreuses coupoles qui caractérisent le
panorama de Rome, vers les courbes puissantes de la coupole de Saint-Pierre,
ou quand un curé de village lèvera les yeux vers l'humble coupole de sa
petite église de campagne.
Mais essayons de comprendre la relation entre la coupole et le mystère
trinitaire et, au préalable, comment celui-ci a été expliqué par saint
Thomas.
Un esprit qui comprend - dit saint Thomas - génère ou émet une pensée, qui
est le "logos", le "verbum". L’esprit est le principe - avant lequel il n’y
a rien d’autre - de la pensée qui en émane; c’est pourquoi la Personne
divine par qui est généré le Fils Unique s’appelle "Père": parce qu’un
esprit a la paternité de la pensée qui en provient.
Mais la pensée - ce qui naît de l’esprit - serait en soi non pas une pensée
mais un rien si elle ne reflétait pas en soi l’esprit dont elle procède, si
elle n’en reflétait pas la nature. Il n’y aurait pas de pensée si celle-ci
n’était pas l’image parfaite de l’esprit dont elle émane.
C’est ainsi que, à côté du "Logos" ou "Verbum", émerge avec force le concept
d’"Imago": le nom, le miroir, le visage. Ce n’est que grâce à lui qu’est
parfaitement soutenue la ressemblance entre le Fils et le Père. Comme
l’explique saint Thomas: "Le Fils procède comme Verbe et le concept de verbe
implique la ressemblance de forme avec le sujet dont il procède [et qui est
le Père]" ("Summa Theologiae" I, 35, 2).
Dans le cas de la Trinité, la pensée générée par l’esprit du Père est la
pensée qui dit tout de l’esprit dont elle naît et dont elle est le reflet
fidèle et complet. C’est la pensée de l'"être", en conformité avec ce que
Dieu dit de Lui-même quand, à la question de savoir qui Il est, quel est son
Nom, Il répond: "Je suis Celui qui suis" (Exode 3, 14). L’esprit est la
réalité forte de l'être et la pensée générée par l’esprit exprime l'"être",
c’est-à-dire qu’elle en est le Verbe, elle est la Parole infinie, positive,
forte, de "Je suis Celui qui suis".
Cela se comprend mieux si l’on revient à notre coupole, que nous pouvons
aussi trouver assez semblable, notamment, à une tête d’homme. La coupole se
dresse haut dans le ciel, se courbant vers le centre, vers la lanterne d’où
elle reçoit la lumière. Ses pierres répercutent leurs forces le long de ses
nervures. Celles-ci les répercutent puissamment vers le bas, de telle sorte
que, recevant plus bas, sous la tour de croisée, les poussées contraires des
bras des nefs sur lesquelles repose la tour, elles soient corrigées dans
leur trajectoire et restent à l’intérieur de la zone d’appui. Il faut le
noter, parce que toute cette puissante construction en vient ainsi à
constituer en quelque sorte l’équivalent architectural de ce qui, dans la
Trinité est donné par la personne du Père: la puissante permanence de
l'"Etre". Ce n’est pas un hasard. En effet, depuis toujours, la pierre a été
appelée par l’homme à témoigner de la solide fermeté de l'éternité; il
suffit de penser, par exemple, à toutes les fois où Jacob dresse de grandes
pierres pour assurer que là, à tels endroits précis, le Seigneur qui lui a
parlé sera rappelé "pour toujours".
Dans sa puissance, la voûte de la coupole est donc le Père et elle est comme
le Père. Et elle l’est puissamment, transformant le ciel en une immensité
soutenue par des piliers colossaux. Et voici que, encore comme le Père, la
voûte de la coupole fait jaillir de la puissance des pierres la fresque des
cieux, c’est-à-dire qu’elle émet le Fils, elle génère sur l’étendue infinie
de son "être" la Pensée qui reflète le Père et sa puissance. Comment la
génère-t-elle? Par la manifestation la plus exhaustive de son essence,
c’est-à-dire de tout ce que le Père contemple en lui-même. Ce que nous
voyons, presque comme si nous étions dans l’Esprit du Père, c’est le Logos,
c’est la vision de la Gloire de Dieu comme Dieu la voit en lui-même. Cela se
produit par une sorte de transsudation de figures et de couleurs provenant
des pierres de la coupole - voilà l'action de l’Esprit Saint - parce que les
pierres de la coupole "parlent", et révèlent en quoi consiste la béatitude
de son firmament céleste.
Structure architecturale et fresques ne font qu’un, puisque la coupole émet
et produit presque les fresques et que celles-ci expriment et manifestent la
voûte de la coupole. On voit les fresques, pas la coupole, comme lorsque
Jésus dit: "Qui Me voit voit le Père" (Jean 14, 9). Qui voit le "Logos",
"Imago" et Fresque du Père, voit le Père qui l'a généré, voit la divine
Coupole que l'Etre donne à lui-même et à son émanation intellectuelle.
L'analogie de la coupole met en œuvre avec force ce qui constitue
certainement l’une des découvertes théologiques les plus significatives de
saint Thomas d'Aquin, qui n’a pourtant jamais été creusée, par la suite,
dans ses très remarquables implications scientifiques et philosophiques. Je
parle du second Nom du Fils, "Imago", que saint Thomas, s’appuyant sur la
base pertinente que constituent les Saintes Ecritures (Jean 14, 9;
Colossiens, 1, 15; Hébreux 1, 3), place avec autorité à côté du premier nom,
"Logos", de la même façon que la représentation d’une pensée se place à côté
de cette pensée, l’aspect d’un concept à côté du concept, l'expression d’une
notion à côté de la notion. En effet comment une pensée pourrait-elle
s’exprimer – c’est-à-dire, étymologiquement, "se presser hors d’elle-même" –
si ce n’est à travers son aspect, son effigie, son image? En fait, on peut
même déduire de saint Thomas qu’une pensée n’existerait même pas si elle ne
s’exprimait pas dans une représentation: ce serait du noir, un gribouillis,
un bruit.
A notre époque de relativisme, de faiblesse et de dissociation de l'art et
de la religion, le fait que le Fils ait deux Noms et non pas un seul,
c’est-à-dire que le Fils soit autant l’"Imago" que le "Verbum" du Père,
permet de rétablir un lien fort, surnaturel, entre Beauté et Vérité.
La comparaison de la coupole n’est certes pas satisfaisante à tous égards.
Elle semble être néanmoins la meilleure représentation que l’on puisse
associer à la Trinité en architecture et – ce n’est pas un hasard – elle
indique avec une force expressive sans égale la catholicité d’un bâtiment.
Ce serait donc aussi un geste à caractère nettement religieux que de
réinventer la coupole selon des modalités actuelles, puisque nous disposons
aujourd’hui de beaucoup de matériaux élastiques presque faits exprès pour se
plier aux exigences que j’appellerai "trinitaires". L'important est que la
coupole conserve son caractère sacré de "théâtre des Cieux", que soit
respecté le nombre d’or - mesure quasi sacrée, en raison de son étroite
relation au "Logos" -, que soit exalté le mystère doré de la Trinité, dont
la sublime liturgie peut inspirer l’art le plus magnifique. Un véritable art
"trinoliturgique", pour rendre à la Vérité la Beauté divine la plus
appropriée.
Le livre:
Enrico Maria Radaelli, "Ingresso alla bellezza", Fede & Cultura, Verona,
2007, pp. 404, euro 30,00.
Sources: La chiesa.it
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.02.2008 - BENOÎT XVI |