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Un État unique pour Juifs et Arabes. Le plan B de l’Église
catholique
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Le 14 octobre 2024 -
E.S.M.
- En prenant la parole le 28 septembre
devant l’assemblée générale des Nations-Unies, le
cardinal-secrétaire d’État
Pietro Parolin a réaffirmé une énième fois que « la seule
solution praticable » pour assurer la paix entre Israël et les
Palestiniens « est celle à deux États, avec un statut spécial pour
Jérusalem ».
S.M.
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Un État unique pour Juifs et Arabes. Le plan B de l’Église catholique
Le 14 octobre 2024 -
E.S.M. -
En prenant la parole le 28 septembre devant l’assemblée générale des
Nations-Unies, le cardinal-secrétaire d’État
Pietro Parolin a réaffirmé une énième fois que « la seule
solution praticable » pour assurer la paix entre Israël et les
Palestiniens « est celle à deux États, avec un statut spécial pour
Jérusalem ».
Il faut en réalité remonter trente ans en arrière, aux accords d’Oslo de
1993 et ensuite à l’échec de Camp David de 2000, pour trouver la seule
fenêtre historique pendant laquelle la solution à deux États semblait encore
réalisable. Parce qu’ensuite, elle est devenue sans cesse plus improbable,
jusqu’à ne plus subsister aujourd’hui que dans les déclarations des
gouvernements qui continuent à l’invoquer, tel un rituel creux.
Il en va de même pour le Saint-Siège. Dans les déclarations officielles,
rien n’a changé depuis qu’il a approuvé la décision de l’ONU de diviser la
Terre Sainte en deux États en 1947, un État Juif et un autre
arabo-palestinien, avec un statut spécial pour Jérusalem.
Mais entretemps, dans les hautes sphères de l’Église catholique, on
examine depuis un certain temps une solution différente, une sorte de plan
B. Il serait tout aussi difficile à mettre en œuvre mais, en perspective, il
est considéré comme le seul à pouvoir résoudre le problème : non pas deux
mais un seul État, avec des droits égaux pour tous, Juifs, Arabes, musulmans
et chrétiens.
Cette même solution a été mentionnées publiquement pour la première fois
par les évêques catholiques de Terre Sainte – parmi lesquels figure le
Patriarche latin de Jérusalem Pierbattista Pizzaballa – dans une
déclaration du 20 mai 2019 :
« Toutes les déclarations actuelles sur la solution à deux États ne sont
que vaine rhétorique dans la situation actuelle. Par le passé, nous avons
vécu ensemble sur cette terre, pourquoi ne pourrions-nous pas y vivre
ensemble à l’avenir aussi ? La condition fondamentale pour une paix juste et
durable est que tous ceux qui habitent cette Terre Sainte jouissent d’une
égalité totale. Voilà notre vision pour Jérusalem et pour tout le territoire
appelé Israël et Palestine, se trouvant entre le fleuve Jourdain et la mer
Méditerranée ».
Cette solution a été débattue à plusieurs reprises dans « La Civiltà
Cattolica » – la revue des jésuites de Rome publiée systématiquement sous le
contrôle préalable des autorités vaticanes – par un spécialiste en la
matière qui est personnage particulier : David M. Neuhaus, issu d’une
famille allemande ayant émigré en Afrique du Sud dans les années 1930, né à
Johannesburg en 1962, envoyé en Israël à son adolescence pour étudier et là,
fasciné par sa rencontre avec des moniales venues de Russie, baptisé à 25
ans dans l’Église catholique avant d’entrer dans la Compagnie de Jésus,
d’abord aux États-Unis, puis en Égypte, mais qui est toujours resté Juif et
Israélien et qui a même été, entre 2009 et 2017, vicaire du patriarcat latin
de Jérusalem pour les catholiques de langue hébraïque en Israël, ainsi que
professeur à l’Institut biblique pontifical de Jérusalem.
On ne compte pas moins de six articles, dont un publié tout récemment,
dans lesquels Neuhaus plaide non pas pour deux États séparés, mais pour un
État unique pour tous.
*
Le
premier article est daté du 19 septembre 2020 et est intitulé « Popolo
di Israele, terra di Israele, Stato di Israele ».
Dans ce dernier, le P. Neuhaus prend acte de la protestation des Juifs
contre « la réticence persistante de l’Église à reconnaître explicitement le
sens théologique de la revendication juives sur la terre et l’État
d’Israël », une revendication fondée sur la promesse de la terre que Dieu
leur a faite dans la Bible.
Il accrédite la thèse selon laquelle les Juifs considèrent l’État
d’Israël comme partie intégrante de leur identité. Mais dans le même temps,
la foi dans le Christ a universalisé la tradition biblique de la terre
promise et donnée, elle en a étendu les frontières au-delà de toute limite.
Et ces deux visions doivent se comprendre et s’intégrer mutuellement, à plus
forte raison pour guérir « les multiples formes de discrimination, de
marginalisation et d’exclusion dont les ‘non-juifs’ continuent à être
victimes dans l’État Juif ».
En effet, ceux-là également « ont droit à la parole, non seulement sur la
scène politique, mais également dans le débat théologique sur la terre et
sur l’État d’Israël ».
Et ceci parce que « quel que soit le cadre que l’on définisse pour une
résolution du conflit israélo-palestinien – qu’il s’agisse de deux États
vivant côte à côte ou d’un État unique pour tous -, le principe ultime d’une
solution durable est l’égalité de la personne humaine en droits et en
devoirs. »
*
Dans son
deuxième article, daté du 19 novembre 2022, il aborde encore plus
directement le cœur de la question, déjà explicitée dans son titre :
« Ripensare la ripartizione della Palestina ? ».
Avant toute chose, le P. Neuhaus fait remarquer que ce sont les Arabes
qui avaient immédiatement rejeté la répartition en deux États approuvée par
l’ONU en 1947. La guerre a éclaté et Israël en est sorti vainqueur, avant de
s’adjuger les trois quarts du territoire, que 700.000 Palestiniens ont été
contraints de fuir et leurs descendants, encore plus nombreux, s’entassent
toujours dans des camps de réfugiés en Cisjordanie, à Gaza, au Liban, en
Syrie et en Jordanie.
On a donné à cet exode forcé le nom arabe de Nakba : une « catastrophe »
à laquelle seule une patrie sûre pourrait apporter un remède, tout comme
l’État d’Israël a constitué un abri sûr pour les Juifs après la Shoah.
Mais « aujourd’hui, la solution à deux États est-elle encore
d’actualité ? », se demande le P. Neuhaus. Et sa réponse est négative. Parce
que « si l’on observe la réalité sur le terrain après des décennies
d’invasion israélienne des territoires occupés après la guerre de 1967, avec
la construction continue de colonies juives, de routes israéliennes et
d’autres infrastructures, la solution des deux États semble aujourd’hui peu
réaliste ».
La conséquence que tire le P. Neuhaus de cet état des lieux, c’est qu’au
niveau politique et diplomatique « l’attention est lentement en train de se
déplacer vers un changement de vocabulaire » dont le mot-clé est « égalité
».
Autrement dit, « étant donné que l’éventualité d’un partage – dans une
réalité où Israël a pratiquement annexé une grande partie des territoires
occupés pendant la guerre de 1967 – semble chaque jour plus douteuse, le
moment pourrait être venu de renforcer la conscience de la nécessité d’une
lutte pour l’égalité entre Palestiniens et Israéliens, quel que soit le
cadre politique vers lequel la situation puisse évoluer ».
*
Le
troisième article, du 6 mai 2023, s’intitule « Les Juifs de culture
arabe », il dresse un portrait historique fascinant de « l’époque où un Juif
pouvait également être un Arabe », tout en faisant partie intégrante de la
société, dans de nombreux pays musulmans qui s’étendaient du Maroc à l’Irak
jusqu’à l’Iran, la Turquie et l’Asie Centrale, avant d’en être chassé à la
suite de la naissance de l’État d’Israël.
Aujourd’hui, en Israël – fait remarquer le P. Neuhaus -, les postes-clés
des formations politiques sont quasiment tous aux mains de Juifs originaires
d’Europe orientale et centrale, ceux qu’on appelle les « ashkénazes ». Mais
il faut se souvenir que ceux qui sont issus du monde musulman, les
« mizrahim », également appelés « séfarades », constituent une partie
importante de la société. Et ils ont une approche plus ouverte au monde
arabe.
Le P. Neuhaus cite au début de l’article un épisode révélateur qui s’est
produit quelques semaines auparavant : la dévastation par des colons Juifs
de la ville d’Huwara, proche de Naplouse dans la Palestine occupée par
Israël, en représailles du meurtre de deux israéliens. Au sein de la
coalition gouvernementale, écrit-il, la plupart justifiaient cette action
cruelle. Mais parmi ceux qui la condamnaient sévèrement, on retrouvait
surtout les membres du parti Juif ultra-orthodoxe Shas, expression directe
des « mizrahim », résolument à droite, mais « dont les membres ont parfois
surpris les observateurs politiques par leur modération et leur ouverture
au dialogue avec les Arabes en général et les Palestiniens en particulier ».
Tout ceci pour mettre en évidence le fait que, tout comme il fut une
époque où de nombreux Juifs faisaient « partie intégrante du monde arabe »,
on trouve en Israël aujourd’hui encore des gens qui « offrent la perspective
d’un avenir dans lequel les Juifs pourraient vivre aux côtés des Arabes dans
une paix juste et une égalité réconciliée ».
*
Le
quatrième article est également le premier après le massacre du 7
octobre 2023 perpétré par le Hamas. Il porte la date du 2 mars de cette
année et est intitulé : « Israël, où vas-tu ? ».
Le P. Neuhaus analyse surtout la crise dans laquelle Israël est tombé, la
« pire crise depuis sa fondation », une crise qui éclate au plus fort de la
radicalisation de l’affrontement « entre judaïsme et démocratie »,
c’est-à-dire « entre deux visions de l’États : d’un côté un État juif, conçu
comme une patrie pour tous les Juifs du monde ; de l’autre un État
démocratique, conçu comme le Pays de tous ses citoyens, qu’ils soient juifs
ou non-juifs, surtout arabes ». Un affrontement dans lequel, avant le 7
octobre, « la menace palestinienne semblait appartenir au passé ».
Le 7 octobre n’est pas seulement venu démentir cette dernière illusion,
il a également fait surgir « la question terrible de savoir si l’État
d’Israël était vraiment le refuge sûr qu’il paraissait être pour les Juifs
fuyant la violence dans un monde où ils avaient été une minorité
marginalisée et souvent persécutée ».
Mais qu’est-ce qui a bien pu conduire à cet état de crise ? Comme déjà
dans l’article précédent, le P. Neuhaus répond que « les principaux
protagonistes sont tous issus des élites sionistes ashkénazes qui ont dominé
l’histoire d’Israël depuis 1948 ». Une élite dans laquelle le monde
conceptuel « est entièrement centré sur un État juif pour un peuple juif ».
Alors qu’en réalité, la société Israélienne est diversifiée. Elle est
également constituée de « vastes périphéries qui constituent une partie
substantielle de la population ». Et c’est de ces périphéries que pourrait
émerger « une créativité si nécessaire aujourd’hui pour aider Israël à
apporter des réponses aux questions existentielles intérieures et
extérieures ».
On retrouve parmi ces minorités les citoyens Arabes d’Israël,
principalement des musulmans mais aussi des chrétiens et des druzes, qui
sont les descendants des non-juifs restés à l’intérieur des frontières du
nouvel État d’Israël après sa fondation en 1948.
Ils sont environ deux millions à jouir sur papier « des mêmes droits
politiques que tous les citoyens israéliens », mais dans les faits, ils sont
« exclus en grande partie des instances décisionnaires ».
Il faut également y ajouter les « mizrahim », les Juifs issus des pays
arabes dont nous avons déjà parlé dans l’article précédent. Ils vivent
actuellement une renaissance culturelle qui accentue « l’affinité entre eux
et le monde arabe qui les entoure : une affinité susceptible de suggérer la
possibilité d’un vivre-ensemble ».
*
Le
cinquième article date du 18 mai 2024 et s’intitule: « Dialogo ebraico-cattolico
all’ombra della guerra a Gaza ».
Ici, le P. Neuhaus revient à nouveau sur la question de l’État d’Israël
comme constitutif de l’identité juive, « en tant que lieu physique du pacte
entre les Juifs et Dieu ».
« Il convient toutefois de rappeler – écrit-il – que cette terre est
également la patrie des Palestiniens. Il y a aujourd’hui en Israël-Palestine
sept millions de Juifs israéliens et sept millions d’Arabes palestiniens ».
D’où la solution à deux États qui, si elle se réalisait, « faciliterait
certainement les relations entre Israël et la Communauté internationale, le
Saint-Siège y compris ».
Quant à savoir si cette solution est réalisable ou pas, on vient de voir
que le P. Neuhaus en doutait fortement. Il estime qu’il est plus porteur de
regarder au-delà, avec un dialogue entre Israéliens et Palestiniens, ainsi
qu’entre juifs, musulmans et chrétiens, qui se déroulerait dans l’esprit de
l’accolade
survenue à Vérone, le 18 mai 2024, en présence du Pape, entre l’Israélien
Maoz Inon, dont les parents avaient été tués par le Hamas le 7 octobre,
et le Palestinien Aziz Sarah, dont le frère est tombé sous les coups de
l’armée israélienne.
Et il conclut : « Israéliens et Palestiniens ne pourraient-ils aspirer à
un tel horizon, à la fin des hostilités et à la construction d’un avenir
commun sur une terre appelée à être sainte, en Israël-Palestine ? ».
*
Le
sixième et dernier article jusqu’à présent est daté du 21 septembre
dernier et s’intitule : « Gli ultraortodossi in Israele ».
Le P. Neuhaus analyse avec talent le profil complexe de ce courant du
judaïsme. En Israël, les ultra-orthodoxes sont ceux qui connaissent la
croissance démographique la plus rapide, ils sont près d’un million et demi
et, dans les écoles, un enfant sur quatre est issu de leurs rangs. Ils sont
convaincus que « il n’est pas possible qu’un État juif puisse assurer aux
Juifs la sécurité et le bien-être », parce que c’est l’étude de la Torah qui
passe avant l’État et les lois séculières. Ils pensent toujours vivre
« comme en exil, contrairement à la conviction religieuse sioniste selon
laquelle l’État d’Israël serait le début de la rédemption ».
Il n’est donc pas étonnant que les ultra-orthodoxes se positionnent en
tant qu’alternative à l’establishment politique et religieux ashkénaze. Et
en effet, leur expression politique la plus notable, le parti appelé Shas
fondé en 1984 par le rabbin d’origine irakienne Ovadia Yosef, est composé de
« misrahim » issus des pays arabes et musulmans. Le P. Neuhaus écrit à leur
sujet qu’ils sont fortement opposés tant au service militaire qu’à « un
agenda de gauche sur les questions sociales, comme l’égalité de genre, le LGBT, etc. »,
mais qu’ils s’opposent également au fanatisme d’extrême-droite
et « qu’ils soutiennent en revanche les négociations de paix avec les
Palestiniens et le monde arabe, ainsi que le compromis territorial ».
En résumé, conclut le P. Neuhaus : « Aujourd’hui, en Israël, la
communauté ultra-orthodoxe est un composant vital et en croissance au sein
de la société. Son histoire démontre qu’il est non seulement en mesure de
surprendre, mais également de défier les élites du gouvernement israélien et
les idéologies dominantes. Elle pourrait bien jouer un rôle important dans
le drame qui est en train de se jouer en Israël, en Palestine et dans le
Moyen-Orient ».
*
En attendant, la guerre continue et elle s’étend toujours davantage sur
plusieurs fronts. Israël combat pour défendre son existence même face à des
ennemis, au premier rang desquels l’Iran, qui veulent son anéantissement. Et
même au sein de la population israélienne, ils sont de moins en moins
nombreux à croire aux deux États pour deux peuples.
Mais la chance du peuple Juif, c’est d’être une société complexe et
créative, comme le Juif chrétien Neuhaus l’a mis en lumière à de si
nombreuses reprises. Une société à laquelle Dieu a promis et donné une terre
appelée à être hospitalière à l’orphelin, à la veuve, à l’étranger et au
Palestinien.
Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire
L’Espresso.
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Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 14.10.2024
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