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19 Avril 2005
 

Quelques réflexions du Cardinal Sarah sur le monde postmoderne

Le 14 septembre 2023 - E.S.M. -  De puissants groupes médiatiques possèdent maintenant une large responsabilité dans la construction de l'image d'une Église arriérée et obscurantiste. Il s'agit d'un procès en sorcellerie d'autant plus grave que lorsque l'Église, pour donner un exemple d'actualité, combat certaines recherches comme les travaux sur les cellules souches, elle s'exprime en arguant d'un corpus éthique particulièrement étayé et en prenant en compte les découvertes les plus récentes.

Le Cardinal Sarah - Pour agrandir l'image ► Cliquer  

La recherche scientifique et l'Église peuvent-elles donc aller dans le même sens ?

    Certes, puisque la vérité est une. Dans certains cas, des hommes d'Église ont pu être imprudents et irrespectueux à l'égard des scientifiques. Dans son discours aux participants à la session plénière de l'Académie pontificale des sciences, le 31 octobre 1992, Jean-Paul II a reconnu clairement les erreurs commises au sujet de Galilée. Son propos était d'autant plus fondé qu'il n'hésitait pas à souligner combien Galilée était sorti de son domaine en confondant lui-même, comme la plupart de ses adversaires, « l'approche scientifique des phénomènes naturels et la réflexion sur la nature, d'ordre philosophique, qu'elle appelle généralement ». Jean-Paul II expliquait ainsi : « C'est pourquoi il a refusé la suggestion qui lui était faite de présenter comme une hypothèse le système de Copernic, tant qu'il n'était pas confirmé par des preuves irréfutables. C'était pourtant là une exigence de la méthode expérimentale dont il fut le génial initiateur. Ensuite, la représentation géocentrique du monde était communément admise dans la culture du temps comme pleinement concordante avec l'ensemble de la Bible dont certaines expressions, prises à la lettre, semblaient constituer des affirmations de géocentrisme. Le problème que se posèrent donc les théologiens de l'époque est celui de la compatibilité de l'héliocentrisme et de l'Ecriture. Ainsi la science nouvelle, avec ses méthodes et la liberté de recherche qu'elle suppose, obligeait les théologiens à s'interroger sur leurs propres critères d'interprétation de l'Écriture. La plupart n'ont pas su le faire. Paradoxalement, Galilée, croyant sincère, s'est montré plus perspicace sur ce point que ses adversaires théologiens. "Si l'écriture ne peut errer, écrit-il à Benedetto Castelli, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent, et de plusieurs façons." On connaît aussi sa lettre à Christine de Lorraine (1615) qui est comme un petit traité d'herméneutique biblique. [...] La majorité des théologiens ne percevaient pas la distinction formelle entre l'Ecriture sainte et son interprétation, ce qui les conduisit à transposer indûment dans le domaine de la doctrine de la foi une question de fait relevant de l'investigation scientifique. » Benoît XVI a également traité de Galilée dans un grand discours à la Curie romaine, le 22 décembre 2005.  (n.d.l.r. :Commentaires en succinct)
    En fait, il n'est pas honnête d'opérer une généralisation en fonction d'exemples déterminés. Car les opposants les plus farouches de l'Église sont parvenus à créer un mythe, comme si cette dernière employait toutes ses forces à combattre la science ! De puissants groupes médiatiques possèdent maintenant une large responsabilité dans la construction de l'image d'une Église arriérée et obscurantiste. Il s'agit d'un procès en sorcellerie d'autant plus grave que lorsque l'Église, pour donner un exemple d'actualité, combat certaines recherches comme les travaux sur les cellules souches, elle s'exprime en arguant d'un corpus éthique particulièrement étayé et en prenant en compte les découvertes les plus récentes.
    En fait, l'Église s'est souvent impliquée dans un grand nombre de recherches scientifiques, soit de manière institutionnelle, soit en la personne de nombreux chercheurs, chrétiens ou non ; son attitude est toujours motivée par le bien de l'homme et l'amélioration de ses conditions de vie, en particulier sur le plan médical.
    L'Église ne veut pas absolutiser les résultats de la science comme faisant l'objet .de nouveaux dogmes. Il existe des recherches scientifiques qui posent de graves problèmes moraux pour l'avenir même de l'homme et sa dignité, ou pour le respect de la vie. Les papes, aidés notamment ces dernières décennies par l'Académie pontificale des sciences et par de nombreux catholiques du monde entier, travaillent pour que les gouvernements établissent des bornes éthiques à certains programmes de recherche. L'Église se doit de dire jusqu'où nous pouvons aller, et la science a l'obligation de respecter le bien de la personne humaine ; elle ne peut ruiner l'être même de l'homme au nom d'une marche infinie vers le progrès.

L'Eglise croit-elle au progrès ou bien à l'espérance ?

     Elle encourage les deux... Elle est favorable au progrès s'il favorise le bien réel de l'homme ; quant à l'espérance, elle naît de la foi : c'est, comme disait Péguy, la « foi qui aime ».
    En fait, le progrès n'est pas l'espérance du Ciel. Celui-ci semble aimanté par des préoccupations essentiellement matérielles. L'homme aspire à une vie meilleure, à une domination sur la nature, à des techniques plus sophistiquées, à des communications plus rapides, à une économie plus performante. .. Ce qui est erroné, c'est de s'enfermer dans une vision matérialiste et d'absolutiser le progrès. Dans les sociétés occidentales, et dans de nombreuses grandes villes du monde, un progrès spirituel qui ouvre à l'espérance est trop souvent quasiment interdit.
    Le Christ seul permet la réalisation pleine et entière de l'homme. Jésus fait entrer l'homme qui croit en lui dans la communion trinitaire. Le vrai progrès permet à l'être humain d'assumer ses origines en retrouvant Dieu ; c'est la marche vers le Père. Le vrai progrès porte nos regards, nos efforts et notre espérance vers les choses de l'éternité !
    L'homme n'est pas heureux en accumulant les biens matériels ; il est épanoui s'il configure toute sa vie à l'enseignement du Christ. La richesse peut conduire à la solitude et à la tristesse, alors que le Christ donne toujours la joie. Le progrès sans Dieu est un faux bonheur.
    Le pape François considère que la « misère spirituelle » est le plus grand drame de l'homme moderne. Dans son message de carême pour l'année 2014, il écrit ceci : « La misère morale n'est pas moins préoccupante. Elle consiste à se rendre esclave du vice et du péché. Combien de familles sont dans l'angoisse parce que quelques-uns de leurs membres — souvent des jeunes — sont dépendants de l'alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie ! Combien de personnes ont perdu le sens de la vie, sont sans perspectives pour l'avenir et ont perdu toute espérance ! Et combien de personnes sont obligées de vivre dans cette misère à cause de conditions sociales injustes, du manque de travail qui les prive de la dignité de ramener le pain à la maison, de l'absence d'égalité dans les droits à l'éducation et à la santé. Dans ces cas, la misère morale peut bien s'apparenter à un début de suicide. Cette forme de misère, qui est aussi cause de ruine économique, se rattache toujours à la misère spirituelle qui nous frappe lorsque nous nous éloignons de Dieu et refusons son amour. Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l'échec. Seul Dieu nous sauve et nous libère vraiment. L'Évangile est l'antidote véritable à la misère spirituelle : le chrétien est appelé à porter en tout lieu cette annonce libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe, selon laquelle Dieu est plus grand que notre péché et nous aime gratuitement, toujours, et selon laquelle nous sommes faits pour la communion et pour la vie éternelle. Le Seigneur nous invite à être des hérauts joyeux de ce message de miséricorde et d'espérance ! Il est beau d'expérimenter la joie de répandre cette bonne nouvelle, de partager ce trésor qui nous a été confié pour consoler les cœurs brisés et donner l'espérance à tant de frères et de sœurs qui sont entourés de ténèbres. Il s'agit de suivre et d'imiter Jésus qui est allé vers les pauvres et les pécheurs comme le berger est allé à la recherche de la brebis perdue, et il y est allé avec tout son amour. Unis à Lui, nous pouvons ouvrir courageusement de nouveaux chemins d'évangélisation et de promotion humaine. »

Vous dénoncez souvent le drame moderne de l'égalitarisme forcené, idéologique ou sociétal. Que voulez-vous dire ?

    Le communisme soviétique a montré à quel point il pouvait conduire l'humanité au malheur en promettant une égalité absolue. Dans mon pays, nous avons vécu un véritable enfer sous Sékou Touré, qui prétendait réaliser les promesses de Marx avec la lutte des classes. Le mythe de l'égalité se traduisait par une dictature sanguinaire. Dieu a voulu que les êtres humains fussent complémentaires, pour s'aider et se porter mutuellement. L'égalité n'est pas une création de Dieu.
    Aujourd'hui, la théorie du genre semble s'amuser avec ce même combat illusoire pour l'égalité. Le rêve, la chimère et les paradis artificiels se transformeront très vite en cauchemar. L'homme et la femme forment une unité dans l'amour ; la négation de leurs différences est une utopie destructrice, une pulsion de mort née dans un monde coupé de Dieu.
    L'égalitarisme est une idéologie qui prospère sur l'oubli du religieux. Toutes les idéologies finissent par disparaître, à l'image du communisme. Ainsi, la chute des idéologies est inéluctable dans la mesure où elles ne sont que de simples produits de l'homme sans Dieu. Mais à quel prix !
    En avril 2014, le pape François a dénoncé les dérives iniques de l'idéologie égalitaire du genre pour le développement de l'enfant. Devant une délégation du Bureau international catholique de l'enfance, il affirmait sans ambages, avec le langage direct qui est le sien, « le droit des enfants à grandir dans une famille, avec un père et une mère capables de créer un environnement adapté à leur développement et à leur maturation affective ». Il ajoutait que « les enfants et les jeunes ne sont pas des cobayes de laboratoire ! Les horreurs de la manipulation éducative que nous avons connues sous les grandes dictatures génocidaires du XXe siècle n'ont pas disparu ; elles conservent leur actualité sous des apparences différentes et des propositions qui, sous prétexte de modernité, poussent les enfants et les jeunes à marcher sur le chemin dictatorial de la "pensée unique". Il y a un peu plus d'une semaine, un grand éducateur me disait : "Parfois, on ne sait pas si avec ces projets — en se référant à des projets concrets d'éducation - on envoie un enfant à l'école ou dans un camp de rééducation." Travailler pour les droits humains présuppose de garder toujours vivante la formation anthropologique, d'être bien préparés à la réalité de la personne humaine, et de savoir répondre aux questions et aux défis lancés par les cultures contemporaines et par la mentalité diffusée à travers les mass média. Il ne s'agit assurément pas de nous réfugier — en nous cachant - dans des milieux protégés qui, de nos jours, sont incapables de donner vie et sont liés à des cultures déjà dépassées... Non, cela ne va pas. Il s'agit d'affronter avec les valeurs positives de la personne humaine les nouveaux défis que nous lance la nouvelle culture. En ce qui vous concerne, il s'agit d'offrir à vos dirigeants et à vos agents une formation permanente sur l'anthropologie de l'enfant, car c'est là que les droits et les devoirs ont leur fondement. De celle-ci dépend l'organisation des projets éducatifs, qui bien évidemment doivent continuer à progresser, à mûrir et à s'adapter aux signes des temps, en respectant toujours l'identité humaine et la liberté de conscience ».
    Ainsi, quand une avocate des droits des femmes, dans l'enceinte même de l'ONU, en octobre 2014, interpelle des membres du Planning familial international pour dénoncer la distribution de contraceptifs périmés, dangereux pour la santé, aux femmes africaines, pauvres et sans défense, elle rejoint pleinement le combat du pape François.
    En abandonnant Dieu, l'homme perd la raison et devient aveugle. La recherche idéologique de l'égalité est un chemin irréel qui nourrit les pires tragédies.

Vous pensez donc que l'homme moderne se perd dans des divertissements trompeurs pour ne pas regarder en face les vrais problèmes ?

    Une société sans Dieu, qui tient pour lettre morte un questionnement spirituel, masque la vacuité de son matérialisme en trompant le temps pour mieux oublier l'éternité. Plus la matière étend son emprise, plus l'homme se plaît dans des divertissements sophistiqués, narcissiques et pervers ; plus l'homme oublie Dieu, et plus il s'observe lui-même. En se regardant, il voit les déformations et la laideur que ses débauches ont incrustées sur son visage. Alors, pour se donner l'illusion qu'il demeure encore l'être lumineux de la splendeur originelle de la créature de Dieu, il se maquille. Mais le mal caché ressemble à la braise vive sous la cendre.
    Sans Dieu, l'homme construit son enfer sur terre. Les divertissements et les plaisirs peuvent devenir de véritables fléaux pour l'âme quand ils sombrent dans la pornographie, la drogue, la violence et toutes les perversions possibles.
    Il y a une grande tristesse à prétendre vouloir se permettre des plaisirs sans limites, alors que la plus belle joie est de rester simplement avec Dieu, en le laissant nous draper de lumière et de pureté.
    Dans ses Pensées, Biaise Pascal écrit sur le divertissement : « Quand je m'y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s'exposent dans la Cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d'une place. On n'achète une charge à l'armée si cher que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. [...] Le divertissement est une chose si nécessaire aux gens du monde qu'ils sont misérables sans cela. Tantôt un accident leur arrive, tantôt ils pensent à ceux qui leur peuvent arriver, ou même quand ils n'y penseraient pas et qu'ils n'auraient aucun sujet de chagrin, l'ennui de son autorité privée ne laisse pas de sortir du fond du cœur où il a une racine naturelle et remplir tout l'esprit de son venin. Le conseil qu'on donnait à Pyrrhus de prendre le repos qu'il allait chercher par tant de fatigues recevait bien des difficultés. Dire à un homme qu'il soit en repos, c'est lui dire qu'il vive heureux. C'est lui conseiller d'avoir une condition toute heureuse et laquelle puisse considérer à loisir, sans y trouver sujet d'affliction. Aussi les hommes qui sentent naturellement leur condition n'évitent rien tant que le repos, il n'y a rien qu'ils ne fassent pour chercher le trouble. Ainsi on se prend mal pour les blâmer ; leur faute n'est pas en ce qu'ils cherchent le tumulte. S'ils ne le cherchaient que comme un divertissement, mais le mal est qu'ils le recherchent comme si la possession des choses qu'ils recherchent les devait rendre véritablement heureux, et c'est en quoi on a raison d'accuser leur recherche de vanité de sorte qu'en tout cela et ceux qui blâment et ceux qui sont blâmés n'entendent la véritable nature de l'homme. La vanité : le plaisir de la montrer aux autres. »
    Selon le philosophe, n'ayant pu guérir la mort, la misère et l'ignorance, les hommes se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser. Cette définition du divertissement est en fait liée à plusieurs concepts pascaliens : la misère, car c'est pour l'oublier qu'on se divertit ; la vanité, parce qu'il n'y a pas pire preuve de vanité que ce remède aux maux humains ; le souverain bien, car c'est l'ignorance de son vrai bien qui pousse l'homme à la poursuite de biens illusoires.
    Le divertissement a une double origine. Il rappelle la diversion de Montaigne, qui consiste à savoir détourner la pensée des maux dont l'on souffre pour mieux les supporter ; mais il s'inspire aussi de l'idée augustinienne selon laquelle l'homme est capable d'écarter sa pensée de sa fin dernière et de Dieu. Saint Augustin a raison : la recherche des différents plaisirs est liée à l'abandon de Dieu.
    L'homme qui ignore Dieu et qui transforme ses instincts en mesures divines de toutes choses court à sa ruine. Nous sommes aujourd'hui confrontés à l'un des derniers stades de la civilisation du divertissement. L'alternative est simple ; si l'humanité se réforme, elle vivra, mais si la fuite en avant perdure, la civilisation deviendra un enfer.

Vous pourriez dire qu'une société qui rejette Dieu finit toujours par chercher des formes de supplétifs dans des rites magiques et des superstitions diverses ? Votre expérience personnelle ne vous a-t-elle pas fait connaître une société traditionnelle encore largement construite sur des fondements païens sans espérance chrétienne ?

    Depuis longtemps, je pense que la superstition naît de la peur et que la vraie sérénité vient de Dieu. Si nous ne connaissons pas notre Père, ou si personne ne nous l'a enseigné, il existe une situation d'angoisse plus ou moins prégnante. Pour atténuer la peur, des rites, des êtres ou des objets se trouvent investis de puissances sacrées. Le paganisme peut prendre place dans des sociétés traditionnelles ou des pays modernes : les manifestations restent identiques. Pour juguler la dépression, le rite devient un tranquillisant.
    En Afrique, le paganisme reposait souvent sur des sacrifices d'animaux offerts à des forces invisibles, ou sur la vénération des arbres et des montagnes sacrés, supposés porter la présence des divinités et des génies. Dès lors, les cultes cherchent à adoucir la violence des forces négatives. Mais la superstition laisse les personnes dans l'angoisse, l'ignorance et le doute. En Guinée, j'ai pu me rendre compte que la peur issue de l'animisme se transmettait de génération en génération ; elle était devenue culturelle. Et même des chrétiens, sauvés de la mort et de la peur par Jésus, ont du mal à se libérer du paganisme.
    Il en résulte un continuum irrationnel où la société se perd constamment en libations et en sacrifices de toutes sortes pour apaiser les esprits. Si l'homme s'ouvre à la connaissance de Dieu, la superstition tend à disparaître. Je n'ignore pas que beaucoup de chrétiens peuvent rester liés par d'anciennes peurs. L'animisme reste puissant, qui voit les esprits régir le monde. Certains chrétiens, affaiblis par une foi superficielle, peuvent être tentés d'offrir des sacrifices païens aux esprits pour s'attirer leurs faveurs.
    Le second type de superstition est lié à l'abandon de Dieu. Lorsque l'homme se détourne de ses racines fondamentales, il lui est nécessaire de s'abandonner à d'autres forces. Paradoxalement, les sociétés matérialistes modernes reposent sur des croyances magiques. Les hommes fabriquent de faux dieux. La recherche de puissance sans Dieu génère une plus grande perméabilité à la soif d'illusions libératrices. Dans ce contexte, il n'est pas indistinct que les premières paroles de Jean-Paul II après son élection, répétant l'invitation de Jésus — « N'ayez pas peur ! » -, cherchent à rapprocher l'homme de Dieu pour lui redonner sa vraie liberté.

Dans beaucoup de vos réflexions, vous dénoncez la montée de la violence — symbolique ou physique - contre les chrétiens...

    Il s'agit d'une réalité traversant toute l'histoire du christianisme, qui commence avec le Christ lui-même, dès sa naissance, jusqu'au jour de sa crucifixion. Les apôtres ont été l'objet de grandes violences. Le Fils de Dieu avait annoncé à ses disciples qu'ils ne seraient jamais en paix sur cette terre. L'unique manière de remporter ce grand combat est l'union à Dieu. Les chrétiens ne parviendront pas à surmonter les défis lancés par le monde en faisant appel à des outils politiques, aux droits de l'homme ou au respect de la liberté religieuse. Le seul roc véritable du baptisé, c'est la prière et la rencontre avec Jésus Christ. Les hommes forts dans la prière sont insubmersibles. Jésus a initié son ministère public par quarante jours de prière dans le désert et il a achevé sa vie par un cri qui est une prière ultime : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. »
    La violence contre les chrétiens n'est pas simplement physique ; elle est aussi politique, idéologique et culturelle : « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme ; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l'âme et le corps » (Mt 10, 28). Tant de chrétiens, au Nigeria, au Pakistan, au Moyen-Orient et ailleurs, subissent quotidiennement, avec courage et pour être fidèles au Christ, ce martyre physique, sans jamais abdiquer la liberté de l'âme.
    La persécution est plus raffinée, quand elle ne détruit pas physiquement, mais démolit l'enseignement de Jésus et de l'Église, et donc les fondements de la foi, en égarant les cœurs. Par la violence, certains veulent amollir et dépersonnaliser les chrétiens, pour les dissoudre dans une société liquide, sans religion et sans Dieu. Il n'y a pas de plus grand mépris que l'indifférence. Cette guerre sournoise relève d'une haine diabolique contre Jésus Christ, et contre ses vrais témoins. J'entends encore l'écho puissant de la voix de Jean-Paul II à Lyon, nous prévenant du danger d'un environnement qui peut nous emprisonner dans l'amnésie, nous détourner de la foi et nous laisser sans défense face aux vapeurs rampantes de l'idolâtrie : « Certes, aujourd'hui, vous n'êtes pas livrés aux bêtes, on ne cherche pas à vous mettre à mort à cause du Christ. Mais ne faut-il pas reconnaître qu'une autre forme d'épreuve atteint subrepticement les chrétiens ? Des courants de pensée, des styles de vie et parfois même des lois opposées au vrai sens de l'homme et de Dieu minent la foi chrétienne dans la vie des personnes, des familles et de la société. Les chrétiens ne sont pas maltraités, ils jouissent même de toutes les libertés, mais le risque n'est-il pas réel de voir leur foi comme emprisonnée par un environnement qui tend à la reléguer dans le domaine de la seule vie privée de l'individu ? Une indifférence massive chez beaucoup à l'égard de l'Évangile et du comportement moral qu'il exige n'est-elle pas une manière de sacrifier aujourd'hui petit à petit à ces idoles que sont l'égoïsme, le luxe, la jouissance et le plaisir recherchés à tout prix et sans limites ? Cette forme de pression ou de séduction pourrait tuer l'âme sans attaquer le corps. L'esprit du mal qui s'opposait à nos martyrs est toujours à l'œuvre. Avec d'autres moyens, il continue de chercher à détourner de la foi. »
    En Occident, cette violence est de plus en plus sournoise, d'autant qu'elle se garde de dévoiler son vrai visage. Dans l'Évangile de Jean, les Paroles du Christ sont nettes : « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, mais que je vous ai choisis dans le monde, c'est pour cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la Parole que je vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; s'ils ont observé ma Parole, ils observeront aussi la vôtre. Mais ils vous feront tout cela à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent point celui qui m'a envoyé. Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse pas parlé, ils n'auraient point de péché ; mais maintenant, ils n'ont point d'excuse pour leur péché. Celui qui me hait, hait aussi mon Père. Si je n'avais pas fait parmi eux les œuvres qu'aucun autre n'a faites, ils n'auraient point de péché ; mais maintenant ils les ont vues, et ils ont haï et moi et mon Père. Mais c'est afin que la parole qui est écrite dans leur Loi soit accomplie : Ils m'ont haï sans cause» (Jn 15, 18-25).
    Désormais, les raffinements du mal sont sans cesse plus insidieux. L'homme qui s'endort un instant doit prendre garde de ne pas tomber dans un piège si agréable qu'il n'en est que plus redoutable.

Au terme de cette réflexion, comment comprendre l'évolution de la sécularisation moderne ?


    Parfois, j'ai le sentiment que la partie occidentale du monde entend définitivement tout enfermer dans le siècle, dans un rejet agressif des relations transcendantales. La séparation devient si radicale entre la Terre et le Ciel que le religieux devient un objet étrange, une île perdue où vivraient des individus d'une autre époque. Cette attitude oligarchique des promoteurs de l'athéisme non seulement relève de données simplistes mais est dangereuse.
    La dimension de l'homme demeure double, céleste et terrestre. Il est constitué pour cette vie, et pour l'au-delà. Ici-bas, il est important d'harmoniser les deux, en apportant des réponses aux besoins corporels et spirituels, sans négliger ni les uns ni les autres. Une société qui oublie Dieu a faim sans le savoir des nourritures spirituelles dont l'homme ne peut se passer. C'est pourquoi le processus de sécularisation qui ramène le religieux à la portion congrue entraîne une division de l'homme, en le privant de l'un de ses poumons. L'homme est sur la Terre comme au Ciel ; mais les seules racines de l'homme sont au Ciel ! Sans ses ramifications, l'humain perd sa force. En avril 2014, lors d'une homélie de sa messe du matin à Sainte-Marthe, le pape François est parti du dialogue entre Moïse et Dieu, sur le mont Sinaï, pour aborder la grande question de la prière : « Sa prière est une vraie lutte avec Dieu, explique François, une lutte du chef du peuple pour sauver son peuple, le peuple de Dieu. Moïse parle librement devant le Seigneur et nous montre comment prier, sans peur, librement, et même avec insistance. »
    La prière doit être une « négociation avec Dieu », avec « des arguments », conseillait François. Pour lui, « la prière nous change le cœur et nous fait mieux comprendre qui est notre Dieu ». Ainsi, il est important de parler normalement avec Lui, comme avec un ami, ne pas hésiter même à « gronder un peu le Seigneur en lui disant "Mais tu m'avais promis cela et tu ne l'as pas fait..." », parler en face à face. Quand Moïse descend de la montagne, il en revient changé, car il croyait que le Seigneur allait détruire et punir son peuple pour son idolâtrie du veau d'or. Aussi le pape ajoute : « Comme Moïse cherche à convaincre Dieu pendant sa prière, il se souvient de sa promesse, il retrouve alors la mémoire de son peuple et trouve ainsi la miséricorde de Dieu. Il a compris que Dieu est miséricordieux, et qu'il sait pardonner. » Moïse redescend plein d'énergie en se disant qu'il connaît mieux le Seigneur. C'est donc dans la prière que Moïse trouve la force de conduire son peuple vers la Terre promise.
    La prière est revigorante parce qu'elle est une lutte avec Dieu, comme celle de Jacob, qui dure toute la nuit jusqu'au lever de l'aurore. Si nous tenons ferme, nous aurons la même expérience : « Quelqu'un lutta avec lui. Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. » Puis il donne un nouveau nom à Jacob et le bénit (Gn 32, 23-33). Saint Paul, lui aussi, considère la prière comme une lutte : « Épaphras, votre compatriote, vous salue ; ce serviteur du Christ Jésus ne cesse de lutter pour vous dans ses prières, afin que vous teniez ferme, parfaits et bien établis dans tous les vouloirs divins » (Col 4, 12). L'apôtre est certain que le travail spirituel n'a aucune portée s'il ne se trouve pas soutenu par la prière d'intercession. Et aux Romains, mais à nous également, Saint Paul écrit : « Je vous le demande, frères, par notre Seigneur Jésus Christ et la charité de l'Esprit, luttez avec moi dans les prières que vous adressez à Dieu pour moi, afin que j'échappe aux incrédules de Judée et que le secours que je porte à Jérusalem soit agréé par les saints » (Rm 15, 30-31).

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Sources : Extraits de la deuxième partie  "Dieu ou rien" - Entretien du cardinal Sarah avec Nicolas Diat -  E.S.M
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 00.08.2023

 

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