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Quelques réflexions du Cardinal Sarah sur le monde postmoderne
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Le 14 septembre 2023 -
E.S.M.
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De puissants groupes médiatiques possèdent maintenant une
large responsabilité dans la construction de l'image d'une Église
arriérée et obscurantiste. Il s'agit d'un procès en sorcellerie
d'autant plus grave que lorsque l'Église, pour donner un exemple
d'actualité, combat certaines recherches comme les travaux sur les
cellules souches, elle s'exprime en arguant d'un corpus éthique
particulièrement étayé et en prenant en compte les découvertes les
plus récentes.
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Le Cardinal Sarah -
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La recherche scientifique et l'Église peuvent-elles donc aller dans le
même sens ?
Certes, puisque la vérité est une. Dans certains cas, des
hommes d'Église ont pu être imprudents et irrespectueux à l'égard des
scientifiques.
Dans son discours aux participants à la session plénière de l'Académie
pontificale des sciences, le 31 octobre 1992, Jean-Paul II a reconnu
clairement les erreurs commises au sujet de Galilée. Son propos était
d'autant plus fondé qu'il n'hésitait pas à souligner combien Galilée était
sorti de son domaine en confondant lui-même, comme la plupart de ses
adversaires, « l'approche scientifique des phénomènes naturels et la
réflexion sur la nature, d'ordre philosophique, qu'elle appelle généralement
». Jean-Paul II expliquait ainsi : « C'est pourquoi il a refusé la
suggestion qui lui était faite de présenter comme une hypothèse le système
de Copernic, tant qu'il n'était pas confirmé par des preuves irréfutables.
C'était pourtant là une exigence de la méthode expérimentale dont il fut le
génial initiateur. Ensuite, la représentation géocentrique du monde était
communément admise dans la culture du temps comme pleinement concordante
avec l'ensemble de la Bible dont certaines expressions, prises à la lettre,
semblaient constituer des affirmations de géocentrisme. Le problème que se
posèrent donc les théologiens de l'époque est celui de la compatibilité de
l'héliocentrisme et de l'Ecriture. Ainsi la science nouvelle, avec ses
méthodes et la liberté de recherche qu'elle suppose, obligeait les
théologiens à s'interroger sur leurs propres critères d'interprétation de
l'Écriture. La plupart n'ont pas su le faire. Paradoxalement, Galilée,
croyant sincère, s'est montré plus perspicace sur ce point que ses
adversaires théologiens. "Si l'écriture ne peut errer, écrit-il à Benedetto
Castelli, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent, et de
plusieurs façons." On connaît aussi sa lettre à Christine de Lorraine (1615)
qui est comme un petit traité d'herméneutique biblique. [...] La majorité
des théologiens ne percevaient pas la distinction formelle entre l'Ecriture
sainte et son interprétation, ce qui les conduisit à transposer indûment
dans le domaine de la doctrine de la foi une question de fait relevant de
l'investigation scientifique. » Benoît XVI a également traité de Galilée
dans un grand
discours à la Curie romaine, le 22 décembre 2005. (n.d.l.r. :Commentaires
en succinct)
En fait, il n'est pas honnête d'opérer une généralisation en
fonction d'exemples déterminés. Car les opposants les plus farouches de
l'Église sont parvenus à créer un mythe, comme si cette dernière employait
toutes ses forces à combattre la science ! De
puissants groupes médiatiques possèdent maintenant une large responsabilité
dans la construction de l'image d'une Église arriérée et obscurantiste.
Il s'agit d'un procès en sorcellerie d'autant plus grave que lorsque
l'Église, pour donner un exemple d'actualité, combat certaines recherches
comme les travaux sur les cellules souches, elle s'exprime en arguant d'un
corpus éthique particulièrement étayé et en prenant en compte les
découvertes les plus récentes.
En fait, l'Église s'est souvent impliquée dans un grand
nombre de recherches scientifiques, soit de manière institutionnelle, soit
en la personne de nombreux chercheurs, chrétiens ou non ; son attitude est
toujours motivée par le bien de l'homme et l'amélioration de ses conditions
de vie, en particulier sur le plan médical.
L'Église ne veut pas absolutiser les résultats de la science
comme faisant l'objet .de nouveaux dogmes. Il existe des recherches
scientifiques qui posent de graves problèmes moraux pour l'avenir même de
l'homme et sa dignité, ou pour le respect de la vie. Les papes, aidés
notamment ces dernières décennies par l'Académie pontificale des sciences et
par de nombreux catholiques du monde entier, travaillent pour que les
gouvernements établissent des bornes éthiques à certains programmes de
recherche. L'Église se doit de dire jusqu'où nous pouvons aller, et la
science a l'obligation de respecter le bien de la personne humaine ; elle ne
peut ruiner l'être même de l'homme au nom d'une marche infinie vers le
progrès.
L'Eglise croit-elle au progrès ou bien à l'espérance ?
Elle encourage les deux... Elle
est favorable au progrès s'il favorise le bien réel de l'homme ; quant à
l'espérance, elle naît de la foi : c'est, comme disait Péguy, la «
foi qui aime ».
En fait, le progrès n'est pas l'espérance du Ciel. Celui-ci
semble aimanté par des préoccupations essentiellement matérielles. L'homme
aspire à une vie meilleure, à une domination sur la nature, à des techniques
plus sophistiquées, à des communications plus rapides, à une économie plus
performante. .. Ce qui est erroné, c'est de s'enfermer dans une vision
matérialiste et d'absolutiser le progrès. Dans les sociétés occidentales, et
dans de nombreuses grandes villes du monde, un progrès spirituel qui ouvre à
l'espérance est trop souvent quasiment interdit.
Le Christ seul permet la réalisation
pleine et entière de l'homme. Jésus fait entrer l'homme qui croit en lui
dans la communion trinitaire. Le vrai progrès permet à l'être humain
d'assumer ses origines en retrouvant Dieu ; c'est la marche vers le Père. Le
vrai progrès porte nos regards, nos efforts et notre espérance vers les
choses de l'éternité !
L'homme n'est pas heureux en accumulant les biens matériels ;
il est épanoui s'il configure toute sa vie à l'enseignement du Christ. La
richesse peut conduire à la solitude et à la tristesse, alors que
le Christ donne toujours la joie. Le progrès sans Dieu est un faux bonheur.
Le pape François considère que la « misère spirituelle » est
le plus grand drame de l'homme moderne.
Dans son message de carême pour l'année 2014, il écrit ceci : « La misère morale n'est pas moins
préoccupante. Elle consiste à se rendre esclave du vice et du péché. Combien
de familles sont dans l'angoisse
parce que quelques-uns de leurs membres — souvent des jeunes — sont
dépendants de l'alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie ! Combien
de personnes ont perdu le sens de la vie, sont sans perspectives pour
l'avenir et ont perdu toute espérance ! Et combien de personnes sont
obligées de vivre dans cette misère à cause de conditions sociales injustes,
du manque de travail qui les prive de la dignité de ramener le pain à la
maison, de l'absence d'égalité dans les droits à l'éducation et à la santé.
Dans ces cas, la misère morale peut bien s'apparenter à un début de
suicide. Cette forme de
misère, qui est aussi cause de ruine économique, se rattache toujours à la
misère spirituelle qui nous frappe lorsque nous nous éloignons de Dieu et
refusons son amour. Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous
tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à
nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l'échec. Seul Dieu nous sauve
et nous libère vraiment. L'Évangile est l'antidote véritable à la misère
spirituelle : le chrétien est appelé à porter en tout lieu cette annonce
libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe, selon
laquelle Dieu est plus grand que notre péché et nous aime gratuitement,
toujours, et selon laquelle nous sommes faits pour la communion et pour la
vie éternelle. Le Seigneur nous invite à être des hérauts joyeux de ce
message de miséricorde et d'espérance ! Il est beau d'expérimenter la joie
de répandre cette bonne nouvelle, de partager ce trésor qui nous a été
confié pour consoler les cœurs brisés et donner l'espérance à tant de frères
et de sœurs qui sont entourés de ténèbres. Il s'agit de suivre et d'imiter
Jésus qui est allé vers les pauvres et les pécheurs comme le berger est allé
à la recherche de la brebis perdue, et il y est
allé avec tout son amour.
Unis à Lui, nous pouvons ouvrir courageusement de nouveaux chemins
d'évangélisation et de promotion humaine. »
Vous dénoncez souvent le drame moderne de l'égalitarisme forcené,
idéologique ou sociétal. Que voulez-vous dire ?
Le communisme soviétique a montré à quel point il pouvait
conduire l'humanité au malheur en promettant une égalité absolue. Dans mon
pays, nous avons vécu un véritable enfer sous Sékou Touré, qui prétendait
réaliser les promesses de Marx avec la lutte des classes. Le mythe de
l'égalité se traduisait par une dictature sanguinaire. Dieu a voulu que les
êtres humains fussent complémentaires, pour s'aider et se porter
mutuellement. L'égalité n'est pas une création de Dieu.
Aujourd'hui, la théorie du genre semble s'amuser avec ce même
combat illusoire pour l'égalité. Le rêve, la chimère et les paradis
artificiels se transformeront très vite en cauchemar. L'homme et la femme
forment une unité dans l'amour ; la négation de leurs différences est une
utopie destructrice, une pulsion de mort née dans un monde coupé de Dieu.
L'égalitarisme est une idéologie qui prospère sur l'oubli du
religieux. Toutes les idéologies finissent par disparaître, à l'image du
communisme. Ainsi, la chute des idéologies est inéluctable dans la mesure où
elles ne sont que de simples produits de l'homme sans Dieu. Mais à quel prix
!
En avril 2014, le pape François a dénoncé les dérives iniques
de l'idéologie égalitaire du genre pour le développement de l'enfant. Devant
une délégation du Bureau international catholique de l'enfance, il affirmait
sans ambages, avec le langage direct qui est le sien, « le droit des enfants
à grandir dans une famille, avec un père et une mère capables de créer un
environnement adapté à leur développement et à leur maturation affective ».
Il ajoutait que « les enfants et les jeunes ne sont pas des cobayes de
laboratoire ! Les horreurs de la manipulation éducative que nous avons
connues sous les grandes dictatures génocidaires du XXe siècle n'ont pas
disparu ; elles conservent leur actualité sous des apparences différentes et
des propositions qui, sous prétexte de modernité, poussent les enfants et
les jeunes à marcher sur le chemin dictatorial de la "pensée unique". Il y a
un peu plus d'une semaine, un grand éducateur me disait : "Parfois, on ne
sait pas si avec ces projets — en se référant à des projets concrets
d'éducation - on envoie un enfant à l'école ou dans un camp de rééducation."
Travailler pour les droits humains présuppose de garder toujours vivante la
formation anthropologique, d'être bien préparés à la réalité de la personne
humaine, et de savoir répondre aux questions et aux défis lancés par les
cultures contemporaines et par la mentalité diffusée à travers les mass
média. Il ne s'agit assurément pas de nous réfugier — en nous cachant - dans
des milieux protégés qui, de nos jours, sont incapables de donner vie et
sont liés à des cultures déjà dépassées... Non, cela ne va pas. Il s'agit
d'affronter avec les valeurs positives de la personne humaine les nouveaux
défis que nous lance la nouvelle culture. En ce qui vous concerne, il s'agit
d'offrir à vos dirigeants et à vos agents une formation permanente sur
l'anthropologie de l'enfant, car c'est là que les droits et les devoirs ont
leur fondement. De celle-ci dépend l'organisation des projets éducatifs, qui
bien évidemment doivent continuer à progresser, à mûrir et à s'adapter aux
signes des temps, en respectant toujours l'identité humaine et la liberté de
conscience ».
Ainsi, quand une avocate des droits des femmes, dans
l'enceinte même de l'ONU, en octobre 2014, interpelle des membres du
Planning familial international pour dénoncer la distribution de
contraceptifs périmés, dangereux pour la santé, aux femmes africaines,
pauvres et sans défense, elle rejoint pleinement le combat du pape François.
En abandonnant Dieu, l'homme perd la raison et devient
aveugle. La recherche idéologique de l'égalité est un chemin irréel qui
nourrit les pires tragédies.
Vous pensez donc que l'homme moderne se perd dans des divertissements
trompeurs pour ne pas regarder en face les vrais problèmes ?
Une société sans Dieu, qui tient pour lettre morte un
questionnement spirituel, masque la vacuité de son matérialisme en trompant
le temps pour mieux oublier l'éternité. Plus la matière étend son emprise,
plus l'homme se plaît dans des divertissements sophistiqués, narcissiques et
pervers ; plus l'homme oublie Dieu, et plus il s'observe lui-même. En se
regardant, il voit les déformations et la laideur que ses débauches ont
incrustées sur son visage. Alors, pour se donner l'illusion qu'il demeure
encore l'être lumineux de la splendeur originelle de la créature de Dieu, il
se maquille. Mais le mal caché ressemble à la braise vive sous la cendre.
Sans Dieu, l'homme construit son enfer sur terre. Les
divertissements et les plaisirs peuvent devenir de véritables fléaux pour
l'âme quand ils sombrent dans la pornographie, la drogue, la violence et
toutes les perversions possibles.
Il y a une grande tristesse à prétendre vouloir se permettre
des plaisirs sans limites, alors que la plus belle joie est de rester
simplement avec Dieu, en le laissant nous draper de lumière et de pureté.
Dans ses Pensées, Biaise Pascal écrit sur le
divertissement : « Quand je m'y suis mis quelquefois à considérer les
diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s'exposent
dans la Cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions,
d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai dit souvent que tout
le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas
demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre,
s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller
sur la mer ou au siège d'une place. On n'achète une charge à l'armée si cher
que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne
recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu'on
ne peut demeurer chez soi avec plaisir. [...] Le divertissement est une
chose si nécessaire aux gens du monde qu'ils sont misérables sans cela.
Tantôt un accident leur arrive, tantôt ils pensent à ceux qui leur peuvent
arriver, ou même quand ils n'y penseraient pas et qu'ils n'auraient aucun
sujet de chagrin, l'ennui de son autorité privée ne laisse pas de sortir du
fond du cœur où il a une racine naturelle et remplir tout l'esprit de son
venin. Le conseil qu'on donnait à Pyrrhus de prendre le repos qu'il allait
chercher par tant de fatigues recevait bien des difficultés. Dire à un homme
qu'il soit en repos, c'est lui dire qu'il vive heureux. C'est lui conseiller
d'avoir une condition toute heureuse et laquelle puisse considérer à loisir,
sans y trouver sujet d'affliction. Aussi les hommes qui sentent
naturellement leur condition n'évitent rien tant que le repos, il n'y a rien
qu'ils ne fassent pour chercher le trouble. Ainsi on se prend mal pour les
blâmer ; leur faute n'est pas en ce qu'ils cherchent le tumulte. S'ils ne le
cherchaient que comme un divertissement, mais le mal est qu'ils le
recherchent comme si la possession des choses qu'ils recherchent les devait
rendre véritablement heureux, et c'est en quoi on a raison d'accuser leur
recherche de vanité de sorte qu'en tout cela et ceux qui blâment et ceux qui
sont blâmés n'entendent la véritable nature de l'homme. La vanité : le
plaisir de la montrer aux autres. »
Selon le philosophe, n'ayant pu guérir la mort, la misère et
l'ignorance, les hommes se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point
penser. Cette définition du divertissement est en fait liée à plusieurs
concepts pascaliens : la misère, car c'est pour l'oublier qu'on se divertit
; la vanité, parce qu'il n'y a pas pire preuve de vanité que ce remède aux
maux humains ; le souverain bien, car c'est l'ignorance de son vrai bien qui
pousse l'homme à la poursuite de biens illusoires.
Le divertissement a une double origine. Il rappelle la
diversion de Montaigne, qui consiste à savoir détourner la pensée des maux
dont l'on souffre pour mieux les supporter ; mais il s'inspire aussi de
l'idée augustinienne selon laquelle l'homme est capable d'écarter sa pensée
de sa fin dernière et de Dieu. Saint Augustin a raison : la recherche des
différents plaisirs est liée à l'abandon de Dieu.
L'homme qui ignore Dieu et qui transforme ses instincts en
mesures divines de toutes choses court à sa ruine. Nous sommes aujourd'hui
confrontés à l'un des derniers stades de la civilisation du divertissement.
L'alternative est simple ; si l'humanité se réforme, elle vivra, mais si la
fuite en avant perdure, la civilisation deviendra un enfer.
Vous pourriez dire qu'une société qui rejette Dieu finit toujours par
chercher des formes de supplétifs dans des rites magiques et des
superstitions diverses ? Votre expérience personnelle ne vous a-t-elle pas
fait connaître une société traditionnelle encore largement construite sur
des fondements païens sans espérance chrétienne ?
Depuis longtemps, je pense que la superstition naît de la
peur et que la vraie sérénité vient de Dieu. Si nous ne connaissons pas
notre Père, ou si personne ne nous l'a enseigné, il existe une situation
d'angoisse plus ou moins prégnante. Pour atténuer la peur, des rites, des
êtres ou des objets se trouvent investis de puissances sacrées. Le paganisme
peut prendre place dans des sociétés traditionnelles ou des pays modernes :
les manifestations restent identiques. Pour juguler la dépression, le rite
devient un tranquillisant.
En Afrique, le paganisme reposait souvent sur des sacrifices
d'animaux offerts à des forces invisibles, ou sur la vénération des arbres
et des montagnes sacrés, supposés porter la présence des divinités et des
génies. Dès lors, les cultes cherchent à adoucir la violence des forces
négatives. Mais la superstition laisse les personnes dans l'angoisse,
l'ignorance et le doute. En Guinée, j'ai pu me rendre compte que la peur
issue de l'animisme se transmettait de génération en génération ; elle était
devenue culturelle. Et même des chrétiens, sauvés de la mort et de la peur
par Jésus, ont du mal à se libérer du paganisme.
Il en résulte un continuum irrationnel où la société se perd
constamment en libations et en sacrifices de toutes sortes pour apaiser les
esprits. Si l'homme s'ouvre à la connaissance de Dieu, la superstition tend
à disparaître. Je n'ignore pas que beaucoup de chrétiens peuvent rester liés
par d'anciennes peurs. L'animisme reste puissant, qui voit les esprits régir
le monde. Certains chrétiens, affaiblis par une foi superficielle, peuvent
être tentés d'offrir des sacrifices païens aux esprits pour s'attirer leurs
faveurs.
Le second type de superstition est lié à l'abandon de Dieu.
Lorsque l'homme se détourne de ses racines fondamentales, il lui est
nécessaire de s'abandonner à d'autres forces. Paradoxalement, les sociétés
matérialistes modernes reposent sur des croyances magiques. Les hommes
fabriquent de faux dieux. La recherche de puissance sans Dieu génère une
plus grande perméabilité à la soif d'illusions libératrices. Dans ce
contexte, il n'est pas indistinct que les premières paroles de Jean-Paul II
après son élection, répétant l'invitation de Jésus — « N'ayez pas peur ! »
-, cherchent à rapprocher l'homme de Dieu pour lui redonner sa vraie
liberté.
Dans beaucoup de vos réflexions, vous dénoncez la montée de la violence —
symbolique ou physique - contre les chrétiens...
Il s'agit d'une réalité traversant toute l'histoire du
christianisme, qui commence avec le Christ lui-même, dès sa naissance,
jusqu'au jour de sa crucifixion. Les apôtres ont été l'objet de grandes
violences. Le Fils de Dieu avait annoncé à ses disciples qu'ils ne seraient
jamais en paix sur cette terre. L'unique manière de remporter ce grand
combat est l'union à Dieu. Les chrétiens ne parviendront pas à surmonter les
défis lancés par le monde en faisant appel à des outils politiques, aux
droits de l'homme ou au respect de la liberté religieuse. Le seul roc
véritable du baptisé, c'est la prière et la rencontre avec Jésus Christ. Les
hommes forts dans la prière sont insubmersibles. Jésus a initié son
ministère public par quarante jours de prière dans le désert et il a achevé
sa vie par un cri qui est une prière ultime : « Père, pardonne-leur, ils ne
savent pas ce qu'ils font. »
La violence contre les chrétiens n'est pas simplement
physique ; elle est aussi politique, idéologique et culturelle : « Ne
craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme ;
craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l'âme et le
corps » (Mt 10, 28). Tant de chrétiens, au Nigeria, au Pakistan, au
Moyen-Orient et ailleurs, subissent quotidiennement, avec courage et pour
être fidèles au Christ, ce martyre physique, sans jamais abdiquer la liberté
de l'âme.
La persécution est plus raffinée, quand elle ne détruit pas
physiquement, mais démolit l'enseignement de Jésus et de l'Église, et donc
les fondements de la foi, en égarant les cœurs. Par la violence, certains
veulent amollir et dépersonnaliser les chrétiens, pour les dissoudre dans
une société liquide, sans religion et sans Dieu. Il n'y a pas de plus grand
mépris que l'indifférence. Cette guerre sournoise relève d'une haine
diabolique contre Jésus Christ, et contre ses vrais témoins. J'entends
encore l'écho puissant de la voix de Jean-Paul II à Lyon, nous prévenant du
danger d'un environnement qui peut nous emprisonner dans l'amnésie, nous
détourner de la foi et nous laisser sans défense face aux vapeurs rampantes
de l'idolâtrie : « Certes, aujourd'hui, vous n'êtes pas livrés aux bêtes, on
ne cherche pas à vous mettre à mort à cause du Christ. Mais ne faut-il pas
reconnaître qu'une autre forme d'épreuve atteint subrepticement les
chrétiens ? Des courants de pensée, des styles de vie et parfois même des
lois opposées au vrai sens de l'homme et de Dieu minent la foi chrétienne
dans la vie des personnes, des familles et de la société. Les chrétiens ne
sont pas maltraités, ils jouissent même de toutes les libertés, mais le
risque n'est-il pas réel de voir leur foi comme emprisonnée par un
environnement qui tend à la reléguer dans le domaine de la seule vie privée
de l'individu ? Une indifférence massive chez beaucoup à l'égard de
l'Évangile et du comportement moral qu'il exige n'est-elle pas une manière
de sacrifier aujourd'hui petit à petit à ces idoles que sont l'égoïsme, le
luxe, la jouissance et le plaisir recherchés à tout prix et sans limites ?
Cette forme de pression ou de séduction pourrait tuer l'âme sans attaquer le
corps. L'esprit du mal qui s'opposait à nos martyrs est toujours à l'œuvre.
Avec d'autres moyens, il continue de chercher à détourner de la foi. »
En Occident, cette violence est de plus en plus sournoise,
d'autant qu'elle se garde de dévoiler son vrai visage. Dans l'Évangile de
Jean, les Paroles du Christ sont nettes : « Si le monde vous hait, sachez
qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui
est à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, mais que je vous ai
choisis dans le monde, c'est pour cela que le monde vous hait. Souvenez-vous
de la Parole que je vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son
maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; s'ils ont
observé ma Parole, ils observeront aussi la vôtre. Mais ils vous feront tout
cela à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent point celui qui m'a
envoyé. Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse pas parlé, ils
n'auraient point de péché ; mais maintenant, ils n'ont point d'excuse pour
leur péché. Celui qui me hait, hait aussi mon Père. Si je n'avais pas fait
parmi eux les œuvres qu'aucun autre n'a faites, ils n'auraient point de
péché ; mais maintenant ils les ont vues, et ils ont haï et moi et mon Père.
Mais c'est afin que la parole qui est écrite dans leur Loi soit accomplie :
Ils m'ont haï sans cause» (Jn 15, 18-25).
Désormais, les raffinements du mal sont sans cesse plus
insidieux. L'homme qui s'endort un instant doit prendre garde de ne pas
tomber dans un piège si agréable qu'il n'en est que plus redoutable.
Au terme de cette réflexion, comment comprendre l'évolution de la
sécularisation moderne ?
Parfois, j'ai le sentiment que la partie occidentale du monde
entend définitivement tout enfermer dans le siècle, dans un rejet agressif
des relations transcendantales. La séparation devient si radicale entre la
Terre et le Ciel que le religieux devient un objet étrange, une île perdue
où vivraient des individus d'une autre époque. Cette attitude oligarchique
des promoteurs de l'athéisme non seulement relève de données simplistes mais
est dangereuse.
La dimension de l'homme demeure double, céleste et terrestre.
Il est constitué pour cette vie, et pour l'au-delà. Ici-bas, il est
important d'harmoniser les deux, en apportant des réponses aux besoins
corporels et spirituels, sans négliger ni les uns ni les autres. Une société
qui oublie Dieu a faim sans le savoir des nourritures spirituelles dont
l'homme ne peut se passer. C'est pourquoi le processus de sécularisation qui
ramène le religieux à la portion congrue entraîne une division de l'homme,
en le privant de l'un de ses poumons. L'homme est sur la Terre comme au Ciel
; mais les seules racines de l'homme sont au Ciel ! Sans ses ramifications,
l'humain perd sa force. En avril 2014, lors d'une homélie de sa messe du
matin à Sainte-Marthe, le pape François est parti du dialogue entre Moïse et
Dieu, sur le mont Sinaï, pour aborder la grande question de la prière : « Sa
prière est une vraie lutte avec Dieu, explique François, une lutte du chef
du peuple pour sauver son peuple, le peuple de Dieu. Moïse parle librement
devant le Seigneur et nous montre comment prier, sans peur, librement, et
même avec insistance. »
La prière doit être une « négociation avec Dieu », avec « des
arguments », conseillait François. Pour lui, « la prière nous change le cœur
et nous fait mieux comprendre qui est notre Dieu ». Ainsi, il est important
de parler normalement avec Lui, comme avec un ami, ne pas hésiter même à «
gronder un peu le Seigneur en lui disant "Mais tu m'avais promis cela et tu
ne l'as pas fait..." », parler en face à face. Quand Moïse descend de la
montagne, il en revient changé, car il croyait que le Seigneur allait
détruire et punir son peuple pour son idolâtrie du veau d'or. Aussi le pape
ajoute : « Comme Moïse cherche à convaincre Dieu pendant sa prière, il se
souvient de sa promesse, il retrouve alors la mémoire de son peuple et
trouve ainsi la miséricorde de Dieu. Il a compris que Dieu est
miséricordieux, et qu'il sait pardonner. » Moïse redescend plein d'énergie
en se disant qu'il connaît mieux le Seigneur. C'est donc dans la prière que
Moïse trouve la force de conduire son peuple vers la Terre promise.
La prière est revigorante parce qu'elle est une lutte avec
Dieu, comme celle de Jacob, qui dure toute la nuit jusqu'au lever de
l'aurore. Si nous tenons ferme, nous aurons la même expérience : « Quelqu'un
lutta avec lui. Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à
l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il
luttait avec lui. » Puis il donne un nouveau nom à Jacob et le bénit (Gn
32, 23-33). Saint Paul, lui aussi, considère la prière comme une lutte :
« Épaphras, votre compatriote, vous salue ; ce serviteur du Christ Jésus ne
cesse de lutter pour vous dans ses prières, afin que vous teniez ferme,
parfaits et bien établis dans tous les vouloirs divins » (Col 4, 12).
L'apôtre est certain que le travail spirituel n'a aucune portée s'il ne se
trouve pas soutenu par la prière d'intercession. Et aux Romains, mais à nous
également, Saint Paul écrit : « Je vous le demande, frères, par notre
Seigneur Jésus Christ et la charité de l'Esprit, luttez avec moi dans les
prières que vous adressez à Dieu pour moi, afin que j'échappe aux incrédules
de Judée et que le secours que je porte à Jérusalem soit agréé par les
saints » (Rm 15, 30-31).
Sur le même sujet :
Cardinal Sarah: La contagion de la sainteté peut seule transformer l'Église
de l'intérieur
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Sources : Extraits de la deuxième partie "Dieu
ou rien" - Entretien du cardinal Sarah avec Nicolas Diat -
E.S.M
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 00.08.2023
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