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Renonciation de
Benoît XVI, qui va reprendre les clés de Pierre ?
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Le 14 février 2013 -
(E.S.M.)
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La renonciation de Benoît XVI. Ses derniers actes. Le conclave imminent et
les successeurs possibles. Les nouveautés et les inconnues d'une décision
qui n'a pas de précédents dans l'Histoire.
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Le pape Benoît XVI et
son Secrétaire Mgr Georg Gaenwein
Renonciation de
Benoît XVI, qui va reprendre les clés de Pierre ?
par Sandro Magister
Le 14 février 2013 - E.
S. M. -
Au soir d’un jeudi quelconque de carême, le 28
février à 20 heures, Joseph Ratzinger fera donc ce pas qu’aucun de ces
prédécesseurs n’avait osé franchir. Il déposera sur la chaire de Pierre les
clés du royaume des cieux. Qu’un autre sera appelé à reprendre.
Il y a dans ce geste la force d’une révolution qui n’a pas d’équivalent,
même dans les siècles lointains. À partir de maintenant, l’Église s’avance
en terrain inconnu. Elle va devoir élire un nouveau pape alors que le
précédent est toujours en vie, que ses paroles résonnent encore, que ses
décisions continuent à s’appliquer et que son programme d’action attend
encore d’être exécuté.
Les cardinaux qui, dans la matinée du lundi 11 février, avaient été
convoqués dans la salle du consistoire pour la canonisation des 800
chrétiens d’Otrante qui furent martyrisés par les Turcs il y a six siècles
ont été stupéfaits lorsque, à la fin de la cérémonie, ils ont entendu Benoît
XVI leur annoncer, en latin, qu’il renonçait au pontificat.
C’est à eux que reviendra, au milieu du Carême, la tâche de choisir son
successeur. Le nouvel élu célèbrera sa première messe sur la place
Saint-Pierre le 24 mars, dimanche des Rameaux, le jour où Jésus entra dans
Jérusalem, monté sur une ânesse et acclamé aux cris de "béni soit celui qui
vient au nom du Seigneur".
*
Ce sont 117 cardinaux qui, au milieu du mois de mars, s’enfermeront en
conclave, autant que ceux qui, il y a huit ans de cela, élurent Joseph
Ratzinger pape au quatrième tour de scrutin par plus des deux tiers des
voix, en ce qui fut l’une des élections les plus rapides et les moins
discutées de l’Histoire.
Mais, cette fois-ci, ce sera tout à fait différent. L'annonce de la
démission les a pris par surprise, comme un voleur dans la nuit, sans qu’un
long crépuscule du pontificat leur ait donné la possibilité, comme ce fut le
cas pour Jean-Paul II, d’arriver au conclave en ayant déjà suffisamment
réfléchi à leurs choix.
En 2005, l’éventualité d’une élection de Ratzinger n’est pas apparue à
l'improviste, elle était déjà mûre depuis deux ans au moins et toutes les
autres possibilités étaient tombées l'une après l’autre. En revanche,
aujourd’hui, la situation est tout à fait différente. Et un élément inédit
s’ajoute à la difficulté de distinguer les choix possibles : la présence du
pape démissionnaire.
Le conclave est une machine électorale unique au monde. Affinée au cours du
temps, elle en est arrivée, au siècle dernier, à produire des résultats
stupéfiants, portant au pontificat des hommes d’une qualité nettement plus
élevée que le niveau moyen du collège cardinalice qui, d’une fois à l’autre,
les a élus.
Pour citer le cas le plus spectaculaire, l'élection de Karol Wojtyla en 1978
fut un coup de génie qui restera pour toujours dans les livres d’histoire.
Et celle de Ratzinger, en 2005, ne lui fut pas inférieure, comme l’ont
confirmé les huit ans ou presque de son pontificat, qui ont été marqués par
la distance infranchissable existant entre la grandeur de l’élu et la
médiocrité de bon nombre de ceux qui l’avaient élu.
De plus, les conclaves ont souvent été caractérisés par la capacité du
collège cardinalice à imprimer des changements de cap à la papauté.
L’histoire des derniers papes est également instructive à cet égard.
Elle ne constitue pas une longue série grise, répétitive et ennuyeuse. Elle
est caractérisée par une succession d’hommes et d’événements marqués chacun
par une forte originalité. L'annonce inattendue du concile par le pape Jean
XXIII à un groupe de cardinaux réunis à Saint-Paul-hors-les-Murs n’a
certainement pas été moins surprenante et moins révolutionnaire que
l’annonce de sa démission faite par Benoît XVI, il y a quelques jours, à un
autre groupe de cardinaux stupéfaits.
Mais, dans les prochaines semaines, il va se passer quelque chose qui ne
s’était jamais produit auparavant. Les cardinaux devront décider ce qu’il
faut confirmer ou innover par rapport au pape précédent, alors que celui-ci
sera vivant. Tout le monde se souvient avec admiration du respect avec
lequel Ratzinger traitait même les gens qui étaient pour lui des adversaires
: il a toujours manifesté pour le cardinal Carlo Maria Martini, le plus
autorisé de ses opposants, une admiration profonde et sincère. Mais, en
dépit de sa promesse de se retirer dans la prière et dans l’étude, presque
cloîtré, il sera difficile d’éviter que sa présence, même silencieuse, ne
pèse sur les cardinaux convoqués au conclave, puis sur le nouvel élu. Il est
indiscutablement plus facile de parler avec liberté et franchise d’un pape
monté au ciel que d’un ancien pape présent sur la terre.
*
Jusqu’au 28 février, l'agenda de Benoît XVI ne subira pas de modifications.
Après le rite de l’imposition des cendres et une "lectio" qu’il prononcera
devant les prêtres de Rome et qui sera consacrée au concile Vatican II, il
se montrera le dimanche lors de l'Angélus, il donnera, le mercredi,
l’audience générale, il fera les exercices spirituels en écoutant les
prédications du cardinal Gianfranco Ravasi, il recevra les évêques de
Ligurie venus en visite "ad limina" sous la conduite du cardinal Angelo
Bagnasco et, pour le même motif, ceux de Lombardie qui auront à leur tête le
cardinal Angelo Scola.
Et il se pourrait que, en la personne de l’un ou l’autre de ces deux
cardinaux, il salue le futur pape.
En Italie, en Europe et en Amérique du Nord, l’Église traverse des années
difficiles, une période de déclin général. Mais avec, ici ou là, des regains
de vitalité et d’influence sur la sphère publique, parfois inattendus comme
cela a été le cas en France récemment. Encore une fois, donc, les cardinaux
électeurs pourraient porter leur choix sur un prélat provenant de cette
zone, qui, en tout état de cause, continue à détenir le leadership
théologique et culturel sur toute l’Église. Et justement l'Italie pourrait
revenir dans la course, après le pontificat d’un Polonais et celui d’un
Allemand.
Parmi les cardinaux italiens, Scola, 71 ans, paraît être celui qui a le plus
de chances. Il a reçu une formation en théologie dans le cénacle de "Communio",
la revue internationale dont Ratzinger fut l’un des fondateurs. Il a été le
disciple de Mgr Luigi Giussani, fondateur de Communion et Libération. Il a
été recteur de l’université du Latran, qui est celle de l’Église de Rome. Il
a été patriarche de Venise, où il a montré des capacités réelles de
gouvernement et où il a créé le Marcianum, un centre théologique et culturel
conçu, ainsi que sa revue "Oasis", pour la rencontre entre l'Occident et
l'Orient chrétien et musulman. Depuis près de deux ans, il est archevêque de
Milan. Et il a introduit dans cette ville un style pastoral très attentif
aux "éloignés", faisant distribuer, aux carrefours et aux stations de métro,
des invitations aux messes célébrées à la cathédrale et portant une
attention particulière aux divorcés remariés, qui sont encouragés à
s’approcher de l’autel pour recevoir non pas la communion mais une
bénédiction spéciale.
En dehors de Scola, le cardinal Bagnasco, 70 ans, archevêque de Gênes et
président de la conférence des évêques d’Italie, pourrait aussi figurer
parmi les choix possibles.
On peut mentionner l'actuel patriarche de Venise, Francesco Moraglia, 60
ans, étoile montante de l'épiscopat italien, pasteur à la forte vie
spirituelle, très aimé par les fidèles. Son point faible est qu’il n’est pas
cardinal. Rien n’interdit d’élire quelqu’un qui ne fait pas partie du sacré
collège, mais même Giovanni Battista Montini, qui avait beaucoup d’atouts et
dont l’élection comme pape avait déjà été envisagée en 1958 après la mort de
Pie XII, dut attendre d’avoir reçu la pourpre avant d’être élu en 1963 et de
prendre le nom de Paul VI.
En dehors de l'Italie, le collège cardinalice semble avoir tendance à porter
ses regards vers l’Amérique du Nord.
Dans cette partie du monde, un profil qui peut correspondre aux attentes est
celui du Canadien Marc Ouellet, 69 ans, multilingue. Il a lui aussi reçu sa
formation théologique dans le cénacle de "Communio" et il a été pendant de
nombreuses années missionnaire en Amérique latine, avant de devenir
archevêque du Québec, c’est-à-dire de l’une des régions les plus
sécularisées de la planète. Il est aujourd’hui préfet de la congrégation
vaticane qui sélectionne les nouveaux évêques dans le monde entier.
En plus d’Ouellet, deux Américains du Nord recueillent des opinions
favorables au sein du collège cardinalice. Ce sont Timothy Dolan, 63 ans, le
dynamique archevêque de New-York et président de la conférence des évêques
des États-Unis, et Sean O'Malley, 69 ans, l’archevêque de Boston.
Toutefois il n’est pas du tout exclu que le prochain conclave décide
d’abandonner l’Ancien Monde et de s’intéresser aux autres continents.
Si l'Amérique latine et l'Afrique, où réside pourtant la plus grande partie
des catholiques, ne semblent pas offrir de personnalités de grande envergure
capables d’attirer des votes, il n’en est pas de même pour l'Asie.
Sur ce continent, qui s’apprête à devenir le nouvel axe du monde, l’Église
catholique joue elle aussi son avenir. Aux Philippines, seul pays d’Asie où
les catholiques soient majoritaires, brille un cardinal jeune et cultivé,
l'archevêque de Manille Luis Antonio Tagle, sur lequel se porte de plus en
plus l’attention.
En tant que théologien et historien de l’Église, Tagle a été l’un des
auteurs de la monumentale histoire du concile Vatican II publiée par la
progressiste "école de Bologne". Mais, en tant que pasteur, il a montré un
équilibre de vision et une rectitude doctrinale que Benoît XVI lui-même a
beaucoup appréciés. Mais ce qui frappe surtout, c’est sa manière d’exercer
son ministère épiscopal, en vivant de manière sobre et en se mêlant aux
humbles, avec beaucoup de passion missionnaire et de charité.
Son point faible pourrait être son âge, 56 ans, c’est-à-dire un an de moins
que Wojtyla lorsque celui-ci fut élu pape. Mais ici entre en ligne de compte
la nouveauté que constitue la démission de Benoît XVI. Après le geste que
celui-ci vient d’accomplir, la jeunesse ne sera plus un obstacle empêchant
d’être élu pape.
UN PARI SURNATUREL
La renonciation de Benoît XVI au pontificat n’est pour lui ni une défaite ni
une capitulation. "L’avenir est à nous, l’avenir est à Dieu", a-t-il déclaré
contre les prophètes de malheur lors de sa dernière sortie publique avant
l'annonce de sa démission, le soir du vendredi 8 février, au séminaire de
Rome.
Et, il y a de cela deux hivers, parlant justement de l’éventualité de sa
démission dans l’avenir, il avait lancé cet avertissement: "On ne peut pas
s’échapper au moment du danger et dire : que quelqu’un d’autre s’en occupe.
On peut démissionner à un moment où la situation est calme, ou bien lorsque,
tout simplement, on n’a plus la force d’agir".
Par conséquent si maintenant le pape Joseph Ratzinger a décidé en conscience
que sa journée d’"humble ouvrier dans la vigne du Seigneur" était arrivée à
son terme, c’est tout simplement parce qu’il a constaté que les deux
conditions étaient réalisées : il y a un moment de calme et la vigueur
nécessaire pour "bien administrer" lui fait défaut, en raison du poids des
ans.
En effet, une trêve semble être intervenue après les nombreuses tempêtes qui
se sont succédé au cours des huit ans ou presque de son pontificat. Une
trêve qui a cependant laissé intactes les positions de pouvoir qui, à la
curie, alimentent les difficultés depuis de nombreuses années.
Ce sont les deux derniers secrétaires d’état, les cardinaux Angelo Sodano et
Tarcisio Bertone, dont aucun n’est innocent, qui vont gouverner pendant
l'interrègne entre un pape et l’autre, le premier en tant que doyen du
collège cardinalice, le second en tant que camerlingue. Mais ensuite l’un et
l’autre quitteront définitivement la scène. En ce qui concerne les autres
dirigeants de la curie, le "spoils system" qui entre en vigueur,
conformément au droit canonique, à chaque changement de pontificat,
débarrassera le nouveau pape, s’il le souhaite, des mauvais administrateurs
de la précédente équipe.
En presque huit ans de pontificat, Benoît XVI a fait preuve de résolution et
de clairvoyance dans sa manière d’indiquer les objectifs et de tenir
fermement le gouvernail. Mais, sur la barque de Pierre, l'équipage ne lui a
pas toujours été fidèle.
Il en a été ainsi quand il a dicté une ligne de conduite rigoureuse pour
combattre le scandale de la pédophilie au sein du clergé, ayant à faire face
à des applications hypocrites et tardives.
Il en a été de même quand il a exigé un nettoyage et de la transparence dans
les bureaux financiers de l’Église, qui n’en ont pas tenu compte.
Il en a été ainsi lorsqu’il a découvert qu’il était trahi par son majordome
de confiance, qui a révélé ses secrets et dérobé ses papiers les plus
personnels.
Mais il y a plus. Le pape Ratzinger s’est battu avant tout et surtout pour
raviver la foi de l’Église, pour corriger les dérives en matière de
doctrine, de morale, de sacrements et de commandements. Et là encore il
s’est souvent trouvé seul, combattu, incompris.
En somme la réforme entreprise par Benoît XVI est une réforme inachevée. En
donnant sa démission, il a reconnu qu’il n’était pas en mesure de la
conduire plus loin avec ses faibles forces. Et il s’en est remis au conclave
pour que celui-ci élise un nouveau pape qui ait l'énergie nécessaire pour
mener à bien cette entreprise.
Il fait là un pari surnaturel qui rappelle celui de son prédécesseur
Jean-Paul II au cours des dernières et douloureuses années de sa vie.
*
Parmi les analystes de l’Église, c’est le professeur Pietro De Marco, de
l'université de Florence, qui a saisi avec le plus de finesse la
signification de l'audacieuse renonciation de Benoît XVI.
Il semble qu’il y ait une différence abyssale entre le pape actuel et son
prédécesseur Jean-Paul II qui, au lieu de donner sa démission, a voulu
jusqu’au bout "rester sur la croix". Mais ce n’est pas le cas.
Le pape Karol Wojtyla a voulu tirer du charisme de son corps malade un
profit spirituel pour l’Église qui compense et au-delà l’inefficacité
croissante de son gouvernement.
Tandis que Benoît XVI affronte un risque symétrique : il confie le
gouvernement de l’Église, c’est-à-dire son "bien", aux forces entières de
celui qui lui succèdera, plutôt qu’aux bienfaits spirituels qu’il aurait
obtenus s’il avait continué à s’en remettre à sa faiblesse, en restant à son
poste.
Le charisme de Jean-Paul II et la rationalité de Benoît XVI sont les deux
faces inséparables des deux derniers pontificats, la clé de chacun d’eux
étant le geste qui l’a conclu.
Il est donc insensé de voir dans la démission du pape actuel l'aube d’une
nouvelle façon d’agir qui obligera les futurs pontifes à démissionner en
raison de leurs infirmités ou du poids des ans, éventuellement sous
l'arbitrage d’un jury visible ou invisible composé de médecins, d’évêques,
de canonistes et de psychologues.
La décision d’un pape de donner sa démission ou de rester à son poste
jusqu’au bout est toujours et uniquement prise par lui, selon l’organisation
de l’Église. Sa renonciation, Benoît XVI l'a décidée "en conscience devant
Dieu" et il ne l’a soumise à personne. Il l’a simplement annoncée.
Et maintenant il a tout remis entre les mains impondérables du prochain
conclave et du futur pontife. Commentaire de De Marco :
"L’enjeu, pour ce qui tient au jugement humain, est énorme. Mais j’ai
confiance en ceci : de même que le risque pris souverainement par Jean-Paul
II de gouverner l’Église avec son être souffrant a obtenu le miracle de
l’élection du pape Benoît XVI, de même le risque, tout aussi radical, que
prend Benoît XVI en remettant la conduite de l’Église au Christ pour que
celui-ci en confie le poids à un nouveau pape plein de force permettra
d’avoir un autre pontife qui sera à la hauteur de l’Histoire".
►Le pape Benoît XVI renonce à poursuivre son Pontificat - 11.02.2013
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 14.02.2013-
T/International |