|
Benoît XVI : L'unique vrai prêtre du monde
|
Le 13 mars 2023 -
(E.S.M.)
-
Nous ne glorifions pas Dieu en lui apportant soi-disant du nôtre -
comme si tout ne lui appartenait pas déjà - mais en acceptant ses
dons et en le reconnaissant ainsi comme l'unique Seigneur. Nous
l'adorons lorsque nous renonçons à la fiction d'un domaine où nous
pourrions nous comporter comme des partenaires indépendants en face
de Lui, alors qu'en fait nous ne pouvons exister qu'en Lui et par
Lui. Le sacrifice chrétien ne consiste pas à donner à Dieu une chose
qu'il ne posséderait pas sans nous, mais à nous rendre totalement
réceptifs et à nous laisser saisir totalement par Lui. Laisser Dieu
agir en nous, voilà le sacrifice chrétien.
|
|
Benoît XVI -
Pour agrandir l'image
►
Cliquer
THEOLOGIE
II. «A souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, a
été enseveli»
a) Justice et Grâce
Quelle place occupe exactement la croix dans la foi en
Jésus reconnu comme Christ ? Tel est le problème auquel nous
confronte encore une fois cet article du Credo.
Les réflexions précédentes
nous ont pratiquement fourni tous les éléments pour une réponse ; il nous
faut maintenant essayer de les synthétiser. La conscience chrétienne a été
sur ce point très largement marquée, comme nous l'avons déjà constaté, par
une présentation extrêmement rudimentaire de
la théologie de la satisfaction d'Anselme de Cantorbéry,
dont nous avons
exposé les grandes lignes dans un autre contexte. Pour un très grand nombre
de chrétiens, et surtout pour ceux qui ne connaissent la foi que d'assez
loin, la croix se situerait à l'intérieur d'un mécanisme de droit lésé et
rétabli. Ce serait la manière dont la justice de Dieu infiniment offensée
aurait été à nouveau réconciliée par une satisfaction infinie. Aussi la
croix paraît-elle exprimer une attitude de Dieu exigeant une équivalence
rigoureuse entre le « Doit » et l' « Avoir »; et en même temps on garde le
sentiment que cette équivalence et cette compensation reposent malgré tout
sur une fiction. On donne d'abord en secret de la main
gauche ce que l'on reprend solennellement de la main droite.
La « satisfaction infinie
» que Dieu semble exiger prend ainsi un aspect
doublement inquiétant. Certains textes de
dévotion semblent suggérer que la foi
chrétienne en la croix se représente un Dieu dont la justice inexorable a
réclamé un sacrifice humain, le sacrifice de son propre Fils. Et l'on se
détourne avec horreur d'une justice dont la sombre colère enlève toute
crédibilité au message de l'amour.
Autant cette image est répandue, autant elle est fausse.
La Bible ne présente pas la Croix comme partie d'un mécanisme de droit lésé
; la croix y apparaît tout au contraire comme
l'expression d'un amour radical qui se donne entièrement ; c'est un
événement dans lequel quelqu'un est ce qu'il fait, et fait ce qu'il est ;
c'est l'expression d'une vie tout entière pour les autres. Pour celui qui y
regarde de plus près, la théologie scripturaire de la croix traduit une
véritable révolution par rapport aux idées d'expiation et de rédemption dans
l'histoire des religions en dehors du christianisme; il faut cependant
reconnaître que dans la conscience chrétienne postérieure, cette révolution
a de nouveau été largement neutralisée et a rarement été reconnue dans toute
son ampleur. Dans les grandes religions, l'expiation signifie habituellement
le rétablissement des rapports avec Dieu, qui ont été troublés, au moyen
d'actions expiatoires de la part des hommes. Presque toutes les religions
gravitent autour du problème de l'expiation ; elles surgissent de la
conscience que l'homme a de sa culpabilité devant Dieu ; elles constituent
une tentative pour mettre fin à ce sentiment de culpabilité, pour surmonter
la faute par des œuvres d'expiation que l'on offre à Dieu.
L'œuvre d'expiation par laquelle les hommes essayent
d'apaiser la divinité et de la rendre favorable est au cœur de l'histoire
des religions.
Dans le Nouveau Testament, les choses se présentent de
façon plutôt inverse. Ce n'est pas l'homme qui s'approche de Dieu pour lui
apporter une offrande compensatrice, c'est Dieu qui
vient à l'homme pour lui donner. Par l'initiative de la puissance de
son amour, Dieu rétablit le droit lésé, en justifiant
l'homme injuste par sa miséricorde créatrice, en revivifiant celui
qui était mort. Sa justice est grâce ; elle est justice active, qui
«réajuste» l'homme courbé, qui le redresse, le rend droit. Telle est la
révolution que le christianisme a apportée dans l'histoire des religions. Le
Nouveau Testament ne dit pas que les hommes se réconcilient Dieu, comme nous
devrions en fait nous y attendre, puisque ce sont eux qui ont commis la
faute et non pas Dieu. Le Nouveau Testament affirme au contraire que c'est «
Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde » (5 Co 2,
19).
C'est là quelque chose de vraiment inouï et nouveau,
le point de départ de l'existence chrétienne et le centre de la théologie
néotestamentaire de la croix : Dieu n'attend pas que les coupables viennent
d'eux-mêmes pour se réconcilier avec Lui, il va au-devant d'eux et les
réconcilie. En cela se manifeste la vraie direction du mouvement de
l'incarnation, de la croix.
Ainsi, dans le Nouveau Testament, la croix apparaît avant
tout comme un mouvement de haut en bas. Elle n'est pas l'œuvre de
réconciliation que l'humanité offre au Dieu courroucé, mais
l'expression de l'amour insensé de Dieu qui se livre,
qui s'abaisse pour sauver l'homme ; elle est sa
venue auprès de nous, et non l'inverse. A partir de cette révolution
dans l'idée d'expiation, et donc dans l'axe même de la réalité religieuse,
le culte chrétien et toute l'existence chrétienne reçoivent eux aussi une
nouvelle orientation. L'adoration dans le christianisme consiste
d'abord dans l'accueil reconnaissant de
l'action salvifique de Dieu. C'est pourquoi l'expression essentielle du
culte chrétien s'appelle à bon droit Eucharistie, action de grâces. Dans ce
culte, ce ne sont pas des actions humaines qui sont offertes à Dieu ;
il consiste plutôt en ce que l'homme se laisse combler.
Nous ne glorifions pas Dieu en lui apportant
soi-disant du nôtre - comme si tout ne lui appartenait pas déjà -
mais en acceptant ses dons et en le reconnaissant ainsi comme l'unique
Seigneur. Nous l'adorons lorsque nous renonçons à la fiction d'un domaine où
nous pourrions nous comporter comme des partenaires indépendants en face de
Lui, alors qu'en fait nous ne pouvons exister qu'en Lui et par Lui.
Le sacrifice chrétien ne consiste pas à donner à Dieu une chose qu'il ne
posséderait pas sans nous, mais à nous rendre totalement réceptifs et à nous
laisser saisir totalement par Lui. Laisser Dieu agir en nous, voilà le
sacrifice chrétien.
b) La croix : adoration et sacrifice
II est vrai que tout n'est pas encore dit par là. En
lisant le Nouveau Testament du commencement à la fin, on est tout de même
obligé de se demander si malgré tout il ne décrit pas l'œuvre d'expiation de
Jésus comme un sacrifice offert au Père, si la croix n'est pas présentée
comme le sacrifice offert par le Christ à son Père dans l'obéissance. Dans
toute une série de textes, la croix apparaît bien comme le mouvement
ascendant de l'humanité vers Dieu, de sorte que nous voyons resurgir tout ce
que nous venons d'écarter. En effet, avec la seule ligne descendante, on ne
saurait comprendre toutes les donnée du Nouveau Testament. Mais alors
comment concevoir la relation entre les deux lignes ? Faudra-t-il en
éliminer une en faveur de l'autre ? Et si nous voulions le faire, quel
critère aurions-nous pour justifier notre choix ? Il est évident que nous ne
saurions procéder ainsi : ce serait prendre arbitrairement notre propre
opinion comme critère de la foi.
Pour progresser, il nous faut élargir la question et
essayer de découvrir le point de départ de l'interprétation néotestamentaire
de la croix. Il faut tout d'abord se dire qu'au départ la croix de Jésus est
apparue aux disciples comme la fin, l'échec de son entreprise. Ils avaient
cru avoir trouvé en lui le roi dont personne ne pourrait jamais triompher et
voilà qu'ils étaient devenus, contre leur attente, les compagnons d'un homme
exécuté. Certes, la résurrection leur donna l'assurance que Jésus était tout
de même roi, mais il leur fallut beaucoup de temps
pour comprendre à quoi servait la croix. La clé de la réponse leur
fut fournie par l'Écriture, c'est-à-dire par l'Ancien Testament auquel ils
empruntèrent les images et les concepts pour essayer d'expliquer
l'événement. Ils recoururent donc aussi aux textes et aux prescriptions
liturgiques de l'Ancien Testament, convaincus que tout ce qui était dit là
trouvait son accomplissement en Jésus, et même que c'était à partir de Jésus
seulement que l'on pouvait réellement comprendre ce dont il s'agissait en
réalité dans ces textes. C'est ainsi que nous trouvons entre autres dans le
Nouveau Testament une explication de la croix à partir des idées de la
théologie cultuelle de l'Ancien Testament.
La réalisation la plus systématique de cette tentative se
rencontre dans l'épître aux Hébreux, où la mort de Jésus en croix est mise
en relation avec le rite et la théologie de la fête juive de la
réconciliation, et où elle est présentée comme la véritable fête cosmique de
la réconciliation. On pourrait résumer la pensée de l'Épître de la manière
suivante : tout l'appareil sacrificiel de l'humanité, tous les efforts dont
le monde est rempli, pour se réconcilier Dieu par le culte et les rites, étaient condamnés à rester œuvre humaine inefficace et
vaine, car ce que Dieu veut, ce ne sont ni boucs, ni taureaux, ni
aucune autre offrande rituelle. On peut sacrifier à Dieu des hécatombes
d'animaux sur toute la surface du globe ; Dieu n'en a que faire, car tout
cela lui appartient de toute façon, et l'on n'apporte rien au Maître de
l'univers en brûlant cela à sa gloire. « Je ne prendrai pas de ta maison un
taureau, ni de tes bergeries des brebis. Car tout fauve des forêts est à
moi, les animaux sur mes montagnes par milliers ; je connais tous les
oiseaux des cieux, toute bête des champs est pour moi. Si j'ai faim, je
n'irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu. Vais-je manger
la chair des taureaux, le sang des boucs, vais-je le boire ?
Offre à Dieu un sacrifice d'actions de grâces...
» (Ps 50 [49], 9-14). L'auteur de la lettre aux Hébreux se place dans
la ligne spirituelle de ce texte et d'autres semblables. Il souligne de
façon encore plus radicale l'inefficacité de ces tentatives rituelles. Ce ne
sont pas des taureaux et des boucs qui intéressent Dieu, mais l'homme ;
la seule adoration véritable, ce ne peut être que le
« oui »
inconditionnel de l'homme. Tout appartient à Dieu, mais il a concédé
à l'homme la liberté de dire « oui
» ou «
non », d'aimer ou de
refuser ; l'adhésion libre de l'amour, telle est la seule chose que
Dieu doive attendre ; voilà l'adoration et le « sacrifice » qui seuls
peuvent avoir un sens. Or, ce « oui
» donné à
Dieu et par lequel l'homme se restitue lui-même à Dieu, ne peut être
remplacé par le sang des boucs et des taureaux. L'Évangile ne dit-il pas : «
Et que peut donner l'homme en échange de sa propre vie ? » (Mc 8,
37). Il n'y a qu'une réponse : rien ne saurait
être donné en compensation de l'homme lui-même.
Or comme tout le culte pré-chrétien repose sur l'idée de
substitution, de représentation, cherchant à remplacer ce qui est
irremplaçable, il devenait nécessairement vain et inefficace. La lettre aux
Hébreux peut se risquer, à la lumière de la foi au Christ, à établir ce
bilan totalement négatif de l'histoire des religions ; et de le proclamer
dans un monde plein de sacrifices devait apparaître comme une impiété
monstrueuse. L'Épître peut se permettre de publier sans ménagements l'échec
total des religions, parce qu'elle sait que dans le Christ l'idée de
substitution, de représentation a reçu un sens nouveau. Lui qui, par sa
situation religieuse juridique était un simple laïc et n'avait pas de
fonction dans le service cultuel d'Israël, était en fait - ainsi le dit le
texte - l'unique vrai prêtre du monde.
Sa mort qui, sous l'angle historique, constitue un événement purement
profane - l'exécution d'un homme, condamné comme criminel politique - cette
mort était en réalité l'unique liturgie de l'histoire
du monde, la liturgie cosmique ; ce n'est pas dans le cadre
circonscrit du jeu liturgique, dans le Temple, mais publiquement, à la face
du monde, que Jésus, passant par le voile de la mort, est entré dans le vrai
temple, devant la face de Dieu lui-même, pour lui offrir non des choses, du
sang d'animaux ou autres offrandes du même genre, mais
sa propre personne (He 9, 13 ss).
Notons cette inversion
fondamentale, qui appartient au thème central de l'épître : ce qui aux yeux
des hommes était un pur événement profane, est en fait le véritable culte de
l'humanité, car celui qui l'a offert, a brisé le cadre du jeu liturgique et
en a fait une réalité : il s'est offert lui-même. Il a enlevé aux hommes
leurs offrandes pour y substituer sa propre personne offerte en sacrifice,
son propre Moi. Si le texte affirme malgré tout que Jésus a accompli la
réconciliation par son sang (9, 12), celui-ci n'est pas à comprendre
comme un don matériel, comme un moyen d'expiation mesuré quantitativement;
il n'est que l'expression concrète d'un amour dont il est dit qu'il va
jusqu'au bout (Jn 13, 1), l'expression de la radicalité de sa
donation et de son service ; il traduit le fait que le Christ n'a apporté ni
plus ni moins que lui-même. Le geste d'un amour qui donne tout, voilà ce qui
seul constitue, d'après la lettre aux Hébreux, la véritable réconciliation
du monde. C'est pourquoi l' heure » de la croix est le jour de la
réconciliation cosmique, la vraie et définitive réconciliation. Il n'y a
plus d'autre culte, il n'y a plus d'autre prêtre que celui qui offre ce
culte : Jésus-Christ.
►
Les
lecteurs qui désirent consulter les derniers articles publiés par le
site
Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, peuvent cliquer
sur le lien suivant
► E.S.M.
sur Google actualité |
Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 13.03.2023
|