Benoît XVI à nouveau pris pour cible
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Rome, le 10 septembre 2009 -
(E.S.M.)
- Le journal des évêques italiens est attaqué et son directeur a
démissionné. Mais les hiérarchies de l'Eglise sont divisées. Et "Avvenire"
est aussi pris pour cible par des amis. Qui appartiennent à la
secrétairerie d'état
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Le Journal de la CEI
Benoît XVI à nouveau pris pour cible ?
"Avvenire" a deux lecteurs qui ne sont pas d'accord entre eux:
l'épiscopat et le Vatican
Le 10 septembre 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
-
Dans la lettre, datée du 3 septembre, par laquelle il a démissionné de ses
fonctions de directeur d’"Avvenire", le journal de la conférence des évêques
d’Italie, Dino Boffo a critiqué la formation de "territoires
ecclésiastiques" qui se font la guerre, excités par son cas.
Benoît XVI a été encore plus direct, il y a quelques mois, dans une lettre
aux évêques : "Si vous vous mordez et vous dévorez mutuellement, prenez
garde : vous allez vous détruire les uns les autres".
Il y a entre les hautes hiérarchies de l’Eglise des divisions et des
oppositions, qui explosent parfois et provoquent des dégâts : c’est un fait
incontesté et bien connu. A propos de la politique italienne, la principale
divergence se manifeste aujourd'hui entre les deux rives du Tibre : d’un
côté la secrétairerie d’état du Vatican, de l’autre la conférence des
évêques.
"Avvenire" est le quotidien des évêques. Mais l'attaque lancée contre
la vie privée de son directeur, Boffo, par le quotidien "il Giornale",
appartenant au frère du premier ministre Silvio Berlusconi, a été jugée et
vécue de manière opposée de part et d’autre du Tibre.
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Selon la secrétairerie d’état, la vraie attaque était et est autre chose.
Elle est menée par un pouvoir anticatholique qui a pour fer de lance "la
Repubblica", le grand journal de la gauche laïque, et pour cible d’abord
le pape et accessoirement son secrétaire d’état, le cardinal Tarcisio
Bertone.
Le matin du 28 août, Bertone est bien plus irrité par un article du
théologien Vito Mancuso dans "la Repubblica" que par le déchaînement,
au même moment, de la campagne d’"il Giornale" contre Boffo et ses
critiques contre le premier ministre. Mancuso accuse Bertone de s’asseoir
avec servilité à la table d’Hérode – il va rencontrer Berlusconi, d’après
son programme pour ce jour-là – au lieu de critiquer sa vie de débauche avec
le courage d’un saint Jean-Baptiste.
Quelques heures plus tard, en effet, au début de l’après-midi de ce 28 août,
"L'Osservatore Romano" paraît avec, en première page, une note bien
visible contre l'article de "la Repubblica", signée par sa commentatrice de
pointe, Lucetta Scaraffia. Mais il ne consacre à l'offensive d’"il
Giornale" contre le directeur d’"Avvenire" que deux lignes en
pages intérieures, tirées d’un communiqué de la CEI, bien que la rencontre
entre Bertone et Berlusconi ait été annulée entre temps à cause de cette
agression et pas pour d’autres raisons.
Les jours suivants, en pleine tempête contre Boffo, le cardinal Bertone s’en
tient fermement à cette lecture des faits.
Selon lui, le vrai sommet de l'agression contre l’Eglise se situe au 1er
septembre, sous la forme d’un titre de "la Repubblica" affirmant que
Benoît XVI était intervenu en personne pour soutenir Boffo et donc ses
critiques contre Berlusconi.
En effet, le premier et unique communiqué officiel du Vatican sur l’affaire
Boffo sort quelques heures plus tard, justement pour démentir l’intervention
du pape dans la mêlée. Le communiqué confirme que seul Bertone a exprimé sa
solidarité à Boffo, le pape s’étant – selon un communiqué parallèle de la
CEI – limité à téléphoner au cardinal Angelo Bagnasco, président de la
conférence des évêques, pour lui demander "des informations et une
évaluation de la situation actuelle" et lui exprimer, ainsi qu’aux
évêques italiens "son estime, sa gratitude et sa bienveillance".
Si l’on feuillette "L'Osservatore Romano", le journal dont le
professeur Giovanni Maria Vian est le directeur et le cardinal Bertone
l’éditeur de référence, il semble que la semaine de la passion de Boffo se
soit écoulée presque sans laisser de traces. Sa démission y a été annoncée
le 3 septembre sur une colonne en 22 lignes, à la page 7, sous le titre
aseptisé : "Bureau national pour les communications sociales de la CEI",
dont le communiqué était présenté succinctement.
Mais Vian a été beaucoup loquace dans une interview au "Corriere della
Sera" du 31 août. Il ressortait clairement de ses propos que la
secrétairerie d’état du Vatican était mécontente d’"Avvenire", des
"imprudences et exagérations" de sa critique du gouvernement et de sa
censure des débauches privées du premier ministre. Sur ce dernier sujet "L'Osservatore
Romano" n’a jamais écrit un mot, par choix délibéré.
Cette volonté de "sérénité institutionnelle" dans les rapports avec
les gouvernements en place, quels qu’ils soient, de gauche ou de droite, est
une constante de la diplomatie vaticane envers tous les états du monde,
dictée par le réalisme politique.
Mais le gouvernement central de l’Eglise catholique est une chose, les
effervescentes Eglises nationales, avec leurs évêques, leur clergé, leurs
fidèles, en sont une autre.
***
Sous la présidence du cardinal Camillo Ruini, la conférence des évêques
d’Italie avait pris en charge, en plein accord avec Jean-Paul II et son
successeur Benoît XVI, la conduite des relations avec le monde politique,
obtenant d’indéniables succès. "Avvenire", dirigé par Boffo, était l'organe
de pointe du leadership de Ruini.
Mais après le départ de Ruini, le cardinal Bertone a voulu diriger lui-même
la politique de l’Eglise en Italie et l’a écrit noir sur blanc dans une
lettre du 25 mars 2007 au nouveau président de la CEI, le cardinal Bagnasco.
Les évêques n’ayant pas du tout accepté d’être dépouillés de leur autorité,
il y a depuis lors entre le Vatican et la CEI des frictions allant parfois
jusqu’au conflit ouvert.
Mais, entre temps, la CEI a changé. Elle n’est plus l’équipe ordonnée
qu’elle était à l’apogée de Ruini.
Fidèle continuateur de celui-ci, le cardinal Bagnasco n’a pas la même
autorité. On a vite constaté que le nouveau secrétaire de la CEI, l’évêque
Mariano Crociata, n’était pas à la hauteur de son rôle. L'actuelle CEI a de
multiples têtes et de nombreuses voix, souvent discordantes. Raison de plus
pour que, depuis le Vatican, Bertone développe ses ambitions de direction.
Il y est encouragé par les politiques, qui voient en lui un interlocuteur
plus sûr que cette CEI qui se montre pleine d’incertitudes et de confusion.
Confusion notamment dans sa réaction à l'offensive lancée contre "Avvenire"
et son directeur. Depuis le début de la polémique en Italie sur la vie
privée du premier ministre Berlusconi, il y a plusieurs mois, le journal
dirigé par Boffo s’était mis à naviguer dans une tempête. Les pressions des
lecteurs et, plus encore, celles d’une partie de cet éditeur collectif
qu’est l'épiscopat italien, ont forcé Boffo à faire ce qu’il n’aurait jamais
fait si Ruini avait été aux commandes : des sermons contre l'immoralité
privée du premier ministre. Des sermons mesurés, respectueux, dosés avec
soin, mais qui mécontentaient beaucoup de gens, parce qu’ils étaient trop ou
trop peu vigoureux selon les points de vue. A la secrétairerie d’état, bien
sûr, l'imprudence "moraliste" du journal de la CEI paraissait n’annoncer que
des ennuis, ce que les terribles représailles d’"il Giornale"
allaient confirmer.
Vécue par la CEI comme une attaque contre la ligne de Ruini, l'offensive
anti-Boffo a donc vu, au premier rang des défenseurs de l’agressé, d’abord
le cardinal Ruini et son successeur Bagnasco, puis l'armée de cette "Eglise
du peuple" que Boffo a en effet su présenter et représenter de manière
extraordinaire pendant ses 15 ans à la tête du journal.
Mais parmi les cardinaux, les évêques et le clergé, certains se sont tenus à
l’écart ou ont tout de suite demandé la démission de Boffo, bien que les
accusations initiales contre lui se soient vite révélées largement
infondées. Boffo lui-même a donné prise aux soupçons en tardant plusieurs
jours à rédiger une défense détaillée, avant de démissionner par choix très
personnel, contre la volonté du président de la CEI et indépendamment de
toute sollicitation du pape, qui n’a jamais existé.
D’ici la fin septembre, les dirigeants de la CEI nommeront son successeur.
Ce sera probablement Domenico Delle Foglie, un véritable pro-Ruini. Un choix
dû, entre autres, au fait que, paradoxalement, ni les anti-Ruini ni le
cardinal Bertone n’ont un autre candidat à proposer.
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Un article qui donne la toile de fond et les
antécédents de la démission de Dino Boffo
►
L'Eglise, Obama et Berlusconi. La confusion au
pouvoir
►
Cacophonie entre l'Eglise et le gouvernement
de Berlusconi
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 10.09.2009 -
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