Benoît XVI "progressiste" ? |
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Le 10 juin 2008 -
(E.S.M.)
- Vendredi dernier, un site catholique a réagi très rapidement
au discours prononcé par le Saint-Père Benoît XVI aux évêques de
Malaisie, Brunei et Singapour, en visite ad limina. Yves Daoudal replace
heureusement les propos du pape dans leur cadre, ce qui est
indispensable, et il le fait avec brio.
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Le pape Benoît XVI
entouré des évêques de Malaisie, Brunei et Singapour, en visite ad limina.
Benoît XVI "progressiste" ?
Réactions à des propos sur l'apport positif des Lumières lors de la visite
ad limina d'évêques exerçant leur ministère en terre d'islam
(9/6/2008)
Voir ici : Les deux côtés des Lumières
D'après un article de
beatriceweb.eu
Vendredi dernier, un forum a réagi très rapidement, et avec une
vive hostilité, pour ne pas dire plus, au discours prononcée par le
Saint-Père Benoît XVI aux évêques de Malaisie, Brunei et Singapour, en visite ad
limina.
Ou, pour être précis, à la synthèse qu'en avait fait le site Zenit sous le
titre, pas si mal vu "Le
pape explique les aspects positifs et négatifs des Lumières".
Cela a donné immédiatement des propos très étriqués, écrits par des
personnes qui
n'avaient pas lu le texte original, et surtout avaient omis de s'intéresser
au contexte : nous préférons ne pas les reproduire et vous invitons à
les découvrir ►Ici
Yves Daoudal replace heureusement les propos du Saint-Père Benoît XVI dans leur cadre,
ce qui est indispensable, et il le fait avec talent.
Il commence par rappeler ce point essentiel:
« ... il est nécessaire de souligner que ce discours n’est pas un
enseignement pontifical destiné à l’Église universelle, mais une allocution
aux évêques de Malaisie, de Brunei et de Singapour. Autrement dit à des
pasteurs de communautés catholiques ultra-minoritaires dans des pays
massivement musulmans.
Ce discours est, de façon très insistante et appuyée, un appel à
l’évangélisation. Puisque "le christianisme est considéré dans vos contrées
comme une importation étrangère, ajoute le pape, prenez exemple sur la façon
dont saint Paul a prêché la bonne nouvelle aux Athéniens". (Rappelons-nous
que saint Paul ne leur a pas dit exactement : Convertissez-vous à l’Évangile
qui est la seule vraie religion, sinon je vous envoie l’inquisition, parce
que les fausses religions n’ont aucun droit…) »
Puis il revient sur un des thèmes du discours de
Ratisbonne, évoqué par Benoît XVI lui-même lors des
vœux à la Curie en décembre 2006, qu'il cite dans ce
discours:
« Dans un dialogue à intensifier avec l'Islam, nous devrons garder à
l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec une grande
urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux
chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican
II a apporté des solutions concrètes pour l'Église catholique au terme d'une
longue et difficile recherche.»
Et Yves Daoudal de conclure avec beaucoup de réalisme et de sagesse :
« Si l’on s’imagine qu’on va convertir les Malais en leur disant que seule
la religion catholique a des droits et que les autres religions sont des
fausses religions qui n’en ont aucun, car l’erreur n’a aucun droit, autant
rester chez soi, ou calfeutré dans sa chapelle intégriste…»
A propos d’une mauvaise dépêche de Zenit -
Lu sur le site de
Yves Daoudal
L’agence, a publié hier une
dépêche intitulée
: « Le pape explique les aspects positifs et négatifs des Lumières », et qui
commence ainsi : « La liberté religieuse constitue, selon Benoît XVI, un
héritage positif du Siècle des Lumières, la dictature du positivisme, en
revanche, un danger réel. » Toute la dépêche balance ainsi, par citations du
pape, entre les aspects positifs des Lumières, et ses aspects négatifs.
Inutile de dire que cela a suscité de vives réactions parmi les
traditionalistes, comme en témoignent les commentaires du
Forum
catholique, où plusieurs concluent immédiatement à l’hérésie de Benoît
XVI, les plus modérés constatant seulement que nous avons là la preuve que
le pape est « libéral ».
La lecture du
texte intégral du discours du pape (qui n’est pas long, selon son
habitude) donne un tout autre son de cloche.
D’abord, il est nécessaire de souligner que ce discours n’est pas un
enseignement pontifical destiné à l’Eglise universelle, mais une allocution
aux évêques de Malaisie, de Brunei et de Singapour. Autrement dit à des
pasteurs de communautés catholiques ultra-minoritaires dans des pays
massivement musulmans.
Ce discours est, de façon très insistante et appuyée, un appel à
l’évangélisation. Puisque le christianisme est considéré dans vos contrées
comme une importation étrangère, ajoute-t-il, prenez exemple sur la façon
dont saint Paul a prêché la bonne nouvelle aux Athéniens. (Rappelons-nous
que saint Paul ne leur a pas dit exactement : Convertissez-vous à l’Evangile
qui est la seule vraie religion, sinon je vous envoie l’inquisition, parce
que les fausses religions n’ont aucun droit…)
A la suite de cet appel pressant à enraciner la foi catholique dans ces
peuples, Benoît XVI ajoute : « Vous devez vous assurer que l’Evangile du
Christ ne se confonde en aucune manière dans leur esprit avec les principes
issus des Lumières. » « Au contraire, ajoute-t-il, au contraire, en disant
la vérité dans l’amour (Eph 4, 15), vous pouvez
aider vos concitoyens à distinguer le bon grain de l’Evangile de l’ivraie du
matérialisme et du relativisme. »
C’est alors, mais alors seulement (comment pourrait-on oublier qu’il s’agit
du pape qui fustige assidûment le relativisme), que viennent les phrases «
litigieuses » (mais nulle part traduites telles qu’elles sont) :
« (Ainsi) vous pouvez les aider à répondre aux urgents défis posés par les
Lumières, familiers à la chrétienté occidentale depuis plus de deux siècles,
mais qui commencent seulement maintenant à avoir un impact significatif dans
les autres parties du monde. En résistant à la « dictature de la raison
positiviste », qui cherche à exclure Dieu du débat public, on peut accepter
les « vraies conquêtes des Lumières », spécialement en matière de droits
humains et de liberté religieuse et de sa pratique (cf.
Allocution aux membres de la Curie romaine lors des traditionnels
échanges de vœux de Noël, 22 décembre 2006). En mettant l’accent
sur le caractère universel des droits humains, fondés sur la dignité de la
personne humaine créée à l’image de Dieu, vous accomplissez une importante
tâche d’évangélisation, car cet enseignement constitue un aspect essentiel
de l’Evangile. »
Le pape ajoute immédiatement : « En agissant ainsi, vous suivez les pas de
saint Paul, qui savait comment exprimer l’essentiel de la foi et de la
pratique chrétiennes d’une façon assimilable par les communautés païennes
auxquelles il était envoyé. »
Ces propos posent éventuellement deux problèmes, étroitement liés. Qu’en
est-il des Lumières et de l’Evangile ? Quel est le sens de la « liberté
religieuse » ?
En ce qui concerne les Lumières, nous sommes quant à nous, Français,
focalisés sur l’aspect très anti-chrétien de Voltaire, et même athée de
Diderot ou D’Holbach. Le pape est allemand, et se réfère à l’Aufklärung, qui
est quelque peu différent, tout en ayant les mêmes bases : l’émancipation de
l’homme par la raison. Mais c’est précisément là qu’on retrouve un des
thèmes majeurs de la réflexion de Ratzinger-Benoît XVI.
Rappelons la définition de l’Aufklärung par Kant :
« L’Aufklärung, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il
est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de
son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de
cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de
l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en
servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de
te servir de ton propre entendement! Voilà la devise de l’Aufklärung. »
Ce propos est à double sens.
A l’époque, il veut dire que le chrétien doit se libérer de ses tutelles
ecclésiastiques et penser par lui-même (sans imaginer qu’en procédant ainsi
le chrétien – ce qui est le cas de tous les convertis – peut précisément
découvrir que la « tutelle » ecclésiastique est la condition de sa liberté).
Aujourd’hui, ce propos prend un tout autre sens si on l’applique aux pays
d’islam. Il se trouve que le pape parle précisément à des évêques en pays
d’islam, et qu’il cite explicitement un passage de son allocution à la Curie
romaine. Dont voici le texte :
« A
Ratisbonne, le dialogue entre les religions ne fut évoqué que de façon
marginale et sous un double point de vue. La raison sécularisée n'est pas en
mesure d'entrer dans un véritable dialogue avec les religions. Si elle
demeure fermée face à la question sur Dieu, cela finira par conduire à
l'affrontement entre les cultures. L'autre point de vue concernait
l'affirmation selon laquelle les religions doivent se rencontrer dans le
cadre de leur devoir commun de se placer au service de la vérité et donc de
l'homme. (…) Dans un dialogue à intensifier avec l'Islam, nous devrons
garder à l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec
une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée
aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile
Vatican II a apporté des solutions concrètes pour l'Eglise catholique au
terme d'une longue et difficile recherche. Il s'agit de l'attitude que la
communauté des fidèles doit adopter face aux convictions et aux exigences
qui s'affirment dans la philosophie des Lumières. D'une part, nous devons
nous opposer à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la
vie de la communauté et de l'organisation publique, privant ainsi l'homme de
ses critères spécifiques de mesure. D'autre part, il est nécessaire
d'accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les
droits de l'homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice,
en y reconnaissant les éléments essentiels également pour l'authenticité de
la religion. De même que dans la communauté chrétienne, il y a eu une longue
recherche sur la juste place de la foi face à ces convictions - une
recherche qui ne sera certainement jamais conclue de façon définitive -
ainsi, le monde musulman également, avec sa tradition propre, se trouve face
au grand devoir de trouver les solutions adaptées à cet égard. Le contenu du
dialogue entre chrétiens et musulmans consistera en ce moment en particulier
à se rencontrer dans cet engagement en vue de trouver les solutions
appropriées. Nous chrétiens, nous sentons solidaires de tous ceux qui,
précisément sur la base de leur conviction religieuse de musulmans,
s'engagent contre la violence et pour l'harmonie entre foi et religion,
entre religion et liberté. »
Il y a ici, me semble-t-il, un double mouvement.
D’une part, l’Eglise catholique a pris en compte le fait que l’Occident
n’était plus une chrétienté, et que l’Eglise est présente dans des pays
étrangers à la chrétienté, où elle est minoritaire, elle a donc cherché à
définir les principes permettant la liberté de l’Eglise dans ce monde
nouveau, à partir du droit naturel : la dignité de la personne humaine.
(C’est
Dignitatis Humanae.)
D’autre part, l’Eglise entend se servir de l’argument de la raison (qui pour
elle est le Logos divin) dans le monde musulman. Ce qui en effet consiste
d’une certaine façon à introduire les Lumières (l’Aufklärung) dans l’islam,
comme le prônent quelques intellectuels musulmans (très minoritaires). Or,
en découvrant la raison, les musulmans découvriront le Logos, à savoir le
Christ.
Mon opinion est que nous devons d’abord connaître tel qu’il est cet
enseignement de Benoît XVI, et l’accueillir favorablement parce qu’il s’agit
du pape. Mon opinion est aussi que cette construction intellectuelle est
remarquable, et qu’elle est peut-être extrêmement importante pour l’avenir.
La seule objection que je ferais (mais peut-être n’est-ce pas vraiment une
objection, c’est simplement un autre point de vue qui n’est pas
contradictoire), c’est que les musulmans qui se convertissent le font parce
qu’ils découvrent l’Amour de Dieu, et non au terme d’un raisonnement sur la
foi et la raison.
Quoi qu’il en soit, il est vain de se référer aux anciennes réactions
pontificales aux Lumières. Si l’on s’imagine qu’on va convertir les Malais
en leur disant que seule la religion catholique a des droits et que les
autres religions sont des fausses religions qui n’en ont aucun, car l’erreur
n’a aucun droit, autant rester chez soi, ou calfeutré dans sa chapelle
intégriste… (Source
Yves Daoudal )
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 10.06.2008 -
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