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Benoît XVI : Musique et liturgie
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Le 10 février 2025 -
E.S.M.
- L'histoire de la musique liturgique
présente un parallélisme frappant avec celle de l'image
sacrée. Alors qu'en Orient le christianisme byzantin
restait fidèle à la tradition de la musique vocale
monodique, dans les régions slaves, sans doute sous
l'influence de l'Occident, le chant monodique s'amplifia
jusqu'à la polyphonie, donnant naissance à cette
tradition de chœurs d'hommes qui, par la dignité sacrale
de leur chant et leur puissance contenue, touchent au
cœur et font de l'Eucharistie une authentique fête de la
foi.
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Benoît XVI : Musique et liturgie
La place qu'occupait la musique dans la religion biblique se mesure très
simplement au fait que les mots «chanter» ou «chant» apparaissent 309 fois
dans l'Ancien Testament et 36 fois dans le Nouveau. Ils sont parmi les mots
les plus utilisés de la Bible. Dans la rencontre de l'homme avec Dieu, la
parole ne suffit plus : une part de lui-même s'éveille et se met à chanter.
Son monde personnel paraît soudain trop étroit pour ce qu'il voudrait
exprimer, si bien qu'il invite la Création entière à chanter avec lui:
Éveille-toi, ma gloire. Éveille-toi, harpe, cithare, que j'éveille l'aurore.
Je veux te louer chez les peuples, Seigneur ; jouer pour toi dans les pays;
grand jusqu'aux deux est ton amour, jusqu'aux nues, ta vérité (Ps 57 [56],
9-11).
Le chant apparaît pour la première fois dans la Bible à la
fin du passage de la mer Rouge. Israël, alors définitivement libéré de
l'esclavage, vient d'éprouver de façon bouleversante la puissance de Dieu.
De même que Moïse reçoit le don de vie à l'instant où il est sauvé des eaux,
de même Israël, lui aussi «sauvé des eaux», vit alors d'une vie nouvelle,
reçue directement de la main de Dieu. Et [Israël] eut foi en Yahvé et en
Moïse, son serviteur (Ex 14, 3l), une réaction aussitôt suivie d'une
seconde, qui monte dans un jaillissement irrépressible: Alors Moïse, et les
enfants d'Israël avec lui, entonnèrent, en l'honneur de Yahvé, le chant que
voici [...] (15, l). Chaque année, les chrétiens reprennent ce chant lors de
la vigile pascale, un chant devenu le leur puisqu'ils se savent, eux aussi,
« sauvés des eaux» et libérés par la puissance de Dieu. Dans l'Apocalypse de
Jean, libération et chant de louange sont également liés. Alors que les
derniers ennemis du peuple de Dieu ont fait leur entrée sur la scène de
l'histoire (la trinité satanique: la Bête, son image et le chiffre de son
nom) et que tout semble perdu pour le saint Israël de Dieu devant la
supériorité en nombre de Adversaire, la vision de la victoire apparaît au
prophète: Et je vis [...] ceux qui ont triomphé [...] debout près de cette
mer de cristal. S'accompagnant sur les harpes de Dieu, ils chantent le
cantique de Moïse, le serviteur de Dieu, et le cantique de l'Agneau (Ap 15,
2-3). Ce paradoxe dépasse encore le précédent: face à ces monstres
gigantesques - aujourd'hui dotés de leur pouvoir médiatique et de leur
puissance technologique - c'est l'Agneau immolé qui l'emporte. Ainsi
retentit encore, pour la dernière fois, le chant de Moïse, devenu maintenant
le chant de l'Agneau.
C'est dans ce contexte de grande tension historique que prend
naissance le chant liturgique d'Israël, pour lequel le passage de la mer
Rouge restera toujours le thème fondamental de sa louange de Dieu.
Pour les
chrétiens, le véritable Exode est la résurrection du Christ : il a en effet
traversé la « mer Rouge » de la mort, est descendu dans le monde des ombres et
a fait voler en éclats les portes de l'enfer. La signification de l'Exode se
retrouve dans le baptême, qui nous unit au Christ dans sa descente aux
Enfers, dans son ascension au Ciel, et nous fait entrer dans la communauté
de la vie nouvelle. Épreuve puis libération, telle est la double réalité de
l'Exode. Au lendemain de l'explosion de joie qui suit leur délivrance, les
Israélites découvrent le désert et ses menaces, qui les accompagneront bien
après l'entrée dans la Terre promise. Ces terreurs sont toutefois suivies de
l'intervention toujours renouvelée de la puissance de Dieu, qui à son tour
donne lieu au chant de Moïse - preuve que Dieu n'est pas un Dieu du passé,
mais un Dieu du présent et de l'avenir. Certes, dans chaque chant qui
s'élève, résonne la conscience de la précarité de ce salut, éveillant le
désir d'un chant nouveau et définitif, d'un salut que ne suivrait nulle
angoisse - et que la louange seule accompagnerait. Dans la réalité inaugurée
par la résurrection du Christ, les chrétiens, rassemblés au sein de la «
nouvelle Alliance », connaissent le salut définitif et chantent à présent le
cantique définitif, même si l'«entre-deux» que nous avons évoqué dans la
première partie - l'«image» qui a remplacé l'ombre mais n'est pas encore
devenue pleine réalité - est ce qui caractérise encore le christianisme. Le
chant définitif est sans doute entonné, mais cela ne nous empêche pas
d'avoir à supporter les multiples souffrances de l'histoire, d'en recueillir
toute la douleur et de la déposer en offrande, transmuée en chant de
louanges.
Voilà posé le fond théologique du chant liturgique. Voyons
maintenant sa dimension concrète. En plus des différents témoignages que
nous fournit l'Ecriture sur le chant individuel, le chant du peuple d'Israël
et la musique du Temple, le livre des Psaumes sera notre principale source
d'information. En l'absence de toute notation musicale, il ne nous est pas
possible de reconstruire la « musique sacrée » d'Israël ; le livre des
Psaumes nous donne néanmoins une idée de la richesse instrumentale et de la
variété des formes de musique vocale pratiquées en Israël. Chants ou
prières, les psaumes déploient tout l'éventail de l'expérience humaine.
Deuil, plainte, accusation même, angoisse, espoir, confiance,
reconnaissance, joie - la vie entière se reflète dans ce dialogue avec Dieu.
Ces chants jaillissent soit d'une misère dont aucune puissance terrestre ne
semble pouvoir nous délivrer, Dieu devenant le seul refuge, soit d'une
confiance qui sait que, même au plus profond des ténèbres, l'épisode de la
mer Rouge est une promesse définitive. Il est frappant d'observer que la
plainte provoquée par une détresse sans issue s'achève presque toujours dans
la confiance, comme si elle anticipait l'acte salvateur de Dieu. Les
psaumes, souvent issus d'expériences très personnelles de souffrance ou
d'exaucement, n'en tirent pas moins leur substance du sol commun des actes
accomplis par Dieu pour son peuple et débouchent toujours dans la prière
commune d'Israël. On pourrait ainsi considérer ces «chants nouveaux» comme
de multiples variantes du chant unique de Moïse.
Le chant de l'Église, entre continuité et renouveau, suit le
même schéma évolutif que la forme de la liturgie, le bâtiment de l'église et
l'iconographie sacrée. Le psautier devient très naturellement le livre de
prières de l'Église naissante, une Église dont les prières montent vers Dieu
dans les chants. Bien évidemment, on prie maintenant le
psautier avec le Christ. Dans
son canon, Israël avait attribué la plupart des psaumes au roi David, leur
conférant ainsi un fondement théologique et une place dans l'histoire
sacrée. Pour les chrétiens - le Christ étant le véritable David - il allait
de soi que David, dans l'Esprit Saint, avait prié par Celui et avec Celui
qui devait être son fils en même temps que le Fils de Dieu. Grâce à cette
clé, les chrétiens investirent la prière d'Israël avec la conscience d'en
faire un chant nouveau. Une interprétation trinitaire des psaumes était
ainsi donnée : l'Esprit Saint, inspirateur du chant et de la prière de
David, l'avait fait parler du Christ, par la bouche même du Christ Cela nous
permet, à travers les psaumes, de parler au Père par le Christ, dans
l'Esprit Saint. Cette interprétation des psaumes à la fois pneumatologique
et christologique s'applique aussi bien au texte qu'à l'élément musical :
c'est l'Esprit Saint qui apprend à chanter à David, et par lui à Israël puis
à l'Eglise, car le chant qui dépasse le langage ordinaire est un événement
pneumatique. La musique de l'Eglise, à l'origine, est un « charisme », un
don de l'Esprit, c'est la véritable « glossolalie », la langue nouvelle
issue de l'Esprit. C'est elle qui donne lieu à la « sobre ivresse» de la
foi. «Ivresse», parce que toutes les possibilités de la pure rationalité ont
été dépassées, mais ivresse « sobre », parce que le Christ et l'Esprit vont
de pair, et que ce langage ivre reste totalement sous la discipline du
Logos, dans une nouvelle rationalité qui, au-delà de toute parole, est au
service de la Parole primordiale, fondement de toute intelligence. Nous
reviendrons sur cette question.
La Bible d'Israël connaissait deux motifs principaux de chanter devant Dieu:
la détresse et la joie, l'oppression et le salut. La relation de l'homme à
Dieu était probablement trop empreinte de crainte révérencielle pour
permettre à quiconque de considérer ces chants comme des chants d'amour. Il
est vrai que la confiance en Dieu qui marque profondément ces textes porte
au fond d'elle-même l'amour ; mais il s'agit d'un amour farouche, caché
précisément. L'association de l'amour et du chant est apparue dans l'Ancien
Testament de façon relativement étrange, par le biais du Cantique des
cantiques, qui est en soi un recueil de chants d'amour tout à fait humains.
Le choix de
l'intégrer au Canon révèle qu'on en fit très tôt déjà une interprétation
plus large. Si l'on a pu considérer ces poèmes d'amour, les plus beaux d'Israël, comme des paroles inspirées de l'Écriture sainte, c'est que l'on
y voyait en filigrane le mystère d'amour de Dieu et d'Israël. Dans la langue des prophètes, le culte des dieux étrangers était assimilé à une «
fornication » (dans un sens très concret, puisque les rites de fertilité incluaient la prostitution sacrée). À l'inverse, l'élection d'Israël leur apparaît comme une histoire d'amour entre Dieu et son peuple, scellée par
l'Alliance. C'est donc à travers le vocabulaire caractéristique de celle-ci
- fiançailles, mariage, etc. - que l'amour humain a pu servir de métaphore
aux actes de Dieu en Israël. Jésus reprend cette tradition dans une de ses
premières paraboles, où il se présente comme l'époux. Quand on lui demande
pourquoi ses disciples ne jeûnent pas, contrairement à ceux de Jean et aux
pharisiens, il répond: « Sied-il aux compagnons de l'époux de jeûner pendant
que l'époux est avec eux? Tant qu'ils ont l'époux avec eux, il ne leur sied
pas de jeûner. Viendront des jours où l'époux leur sera enlevé; et alors ils
jeûneront, en ce jour-là » (Mc 2, 19-20). C'est là une prophétie de la
Passion mais aussi l'annonce des Noces, un thème récurrent dans les
paraboles de Jésus. A travers la Passion, tout se dirige vers les Noces de
l'Agneau, qui constituent le centre de l'Apocalypse. Comme ces Noces se
présentent sous la forme d'une liturgie céleste qui semble depuis toujours
anticiper la liturgie terrestre, les chrétiens ont vu dans l'Eucharistie la
venue de l'Epoux et l'anticipation des noces de Dieu avec l'homme.
La
communion sacramentelle correspond à l'union de l'homme et de la femme dans
le mariage : de même qu'ils ne seront « qu'une seule chair
», de même nous
tous, dans la communion, devenons « un pneuma », ne faisons qu'un avec
Jésus. Le mystère nuptial de l'union de Dieu avec l'homme qu'annonçait
l'Ancien Testament se réalise dans le sacrement du corps et du sang du
Christ, de façon très concrète, à travers sa Passion (voir Ep 5, 29-32; 1 Co
6, 17; Ga 3, 28). Le chant de l'Église sort des profondeurs de l'amour pour
Dieu : « Cantare amantis est», dit saint Augustin, chanter est le propre de
celui qui aime. Et ce chant a, lui aussi, une dimension trinitaire: parce
que l'Esprit Saint, dans la
Trinité, est l'amour, il est à l'origine du chant. Esprit du Christ, nous
entraînant dans l'amour du Christ, il nous conduit au Père.
Laissons là ces considérations théoriques et tournons-nous
vers des questions plus pratiques. L'expression « chanter », dans les psaumes,
tire sa racine étymologique du tronc commun des langues orientales anciennes
et désigne un chant soutenu par un instrument (probablement à cordes). Le
chant était accompagné d'un texte, doté d'un thème et psalmodié sans
variations mélodiques, si ce n'est au début et à la fin. La Bible des
Septante a traduit le mot hébreu zamir par psallein, qui signifie en grec «
pincer » (en particulier un instrument à cordes). Ce terme désigna dès lors
le jeu musical spécifique du culte juif, puis celui du chant de l'Église.
Nous le trouvons mentionné au début de chaque psaume, souvent suivi d'une
indication qui doit faire référence à un mode d'exécution bien précis, mais
dont le sens nous reste obscur. La foi biblique a ainsi élaboré, en harmonie
avec son essence, une forme de culture musicale qui servira de modèle à
toutes les formes ultérieures d'acculturation.
La question des limites de cette acculturation se posa très
vite à la chrétienté primitive, et de façon très concrète. Avec le psautier,
les communautés chrétiennes issues de la synagogue avaient adopté la manière
de chanter d'Israël. Mais bientôt apparurent de nouveaux hymnes, de nouveaux
chants, d'origine chrétienne. D'abord le Benedictus et le Magnificat,
encore imprégnés de l'Ancien Testament, puis des textes entièrement centrés
sur le Christ, principalement le prologue de Jean (1, 1-18), l'hymne de
l'épître aux Philippiens (2, 6-11) et le chant de la première épître à
Timothée (3, 16). La première épître aux Corinthiens nous fournit des
informations intéressantes sur le déroulement de la liturgie chrétienne
primitive : Lorsque vous vous assemblez, chacun peut avoir un cantique [psalmon],
un enseignement, une révélation, un discours en langues, une interprétation.
Que tout se passe de manière à édifier (14, 26). Grâce à Pline, et aux
informations qu'il transmettait à l'empereur, nous savons qu'au début du IIe
siècle le Gloria appartenait au noyau de la liturgie chrétienne. Ces hymnes
chrétiens stimulèrent la création de nouvelles mélodies, et avec elles de nouvelles modulations du chant. Le développement de la foi chrétienne se
traduisit aussi par l'apparition de nouveaux cantiques « pneumatiques »,
considérés par l'Église comme des dons de l'Esprit.
Cet enthousiasme exposa la jeune Église à certains dangers.
Dans le double mouvement qui l'entraîna à se détacher de ses racines
sémitiques et à se rapprocher du monde grec, le christianisme s'ouvrit à la
mystique grecque du logos, à sa poésie et à sa musique. Par le biais des
hymnes notamment, le gnosticisme exerça une forte tentation sur la foi
nouvelle, au péril de la dissoudre dans une mystique indéfinie. On comprend
que cette tentation mortelle, qui menaçait de désagréger le christianisme de
l'intérieur, ait contraint les autorités ecclésiastiques à une décision
radicale pour réaffirmer l'identité de la foi nouvelle et son enracinement
dans la figure historique de Jésus-Christ. Le 59e canon du concile de
Laodicée bannit du culte tant les compositions personnelles que les écrits
non canoniques et le 15e canon réserva le chant des psaumes au chœur des
psalmistes exclusivement. C'est ainsi que les hymnes composés par les
premiers chrétiens furent presque entièrement perdus, et que l'on s'en tint
à nouveau au chant purement vocal, repris de la synagogue. On peut regretter
ce choix que la défense d'un bien plus grand rendit nécessaire. L'apparente
pauvreté culturelle à laquelle il conduisit sauva en fait l'identité de la
foi biblique. En même temps, il ouvrit au christianisme un vaste champ
culturel, qui lui serait resté fermé s'il n'avait su rejeter une fausse
acculturation.
L'histoire de la musique liturgique présente un parallélisme
frappant avec celle de l'image sacrée. Alors qu'en Orient le christianisme
byzantin restait fidèle à la tradition de la musique vocale monodique, dans
les régions slaves, sans doute sous l'influence de l'Occident, le chant
monodique s'amplifia jusqu'à la polyphonie, donnant naissance à cette
tradition de chœurs d'hommes qui, par la dignité sacrale de leur chant et
leur puissance contenue, touchent au cœur et font de l'Eucharistie une
authentique fête de la foi. En Occident, la psalmodie traditionnelle atteint
une telle perfection dans le chant grégorien que celui-ci devint le modèle
de référence permanent de la musica sacra. Le Moyen Âge tardif développa la
polyphonie et réintroduisit les instruments dans le culte. À bon escient
d'ailleurs, puisque, l'Église n'est pas issue de la synagogue exclusivement
mais intègre également, à la lumière de la Pâque du Christ, la réalité du
Temple.
A suivre
►
Benoît XVI et les fondements de la musica sacra chrétienne
Complément de lecture :
Le pape Benoît XVI veut il mettre fin aux abus?
Benoît XVI en faveur de la renaissance de la grande musique sacrée
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 10.02.2025
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