Benoît XVI invite à avancer dans
l’œcuménisme avec les orthodoxes |
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Le 08 novembre 2008 -
(E.S.M.)
- Les relations entre l’Église orthodoxe russe et l’Église
catholique de France, ainsi que les visites du patriarche Alexis II en
France et du cardinal André Vingt-Trois en Russie, reflètent la tendance
générale qui caractérise aujourd’hui les rapports entre les catholiques
et les orthodoxes, exprime le métropolite Cyrille de Smolensk et de
Kaliningrad.
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Le métropolite Cyrille
de Smolensk et de Kaliningrad
Benoît XVI invite à avancer dans l’œcuménisme avec les orthodoxes
« Une occasion unique de travailler ensemble »
Métropolite Cyrille
Le 08 novembre - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Le cardinal André Vingt-Trois était invité en
Russie du 26 au 30 octobre par le patriarcat de Moscou, où il a
notamment rendu hommage aux martyrs de l’Église orthodoxe russe durant la
période communiste. Après la
Visite du patriarche Alexis II à Paris à l’automne 2007, ces événements
marquent un net rapprochement avec l’Église orthodoxe russe, au moment même
où le pape Benoît XVI invite à avancer dans l’œcuménisme avec les orthodoxes
et espère pouvoir se rendre à Moscou. Pour nous expliquer ce contexte
nouveau, nous remercions chaleureusement le métropolite Cyrille de Smolensk
et de Kaliningrad, président du département des relations extérieures du
patriarcat de Moscou, d’avoir accepté
de répondre à nos questions. Entretien exclusif.
La Nef – Il y a depuis un an un rapprochement entre
l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique de France : pourquoi ce
rapprochement, que peut-on en attendre ?
Métropolite Cyrille – Je crois que les relations entre l’Église orthodoxe
russe et l’Église catholique de France, ainsi que les visites du patriarche
Alexis II en France et du cardinal André Vingt-Trois en Russie, reflètent la
tendance générale qui caractérise aujourd’hui les rapports entre les
catholiques et les orthodoxes. Nombreuses sont les questions posées dans la
vie de la société contemporaine où les positions de l’Église orthodoxe et de
l’Église catholique se rejoignent. C’est pourquoi je suis convaincu qu’une
réelle coopération entre les orthodoxes et les catholiques est aujourd’hui
indispensable pour que nous puissions donner une réponse convaincante et
efficace aux défis du monde contemporain.
La visite du patriarche Alexis II en France au mois d’octobre de l’année
dernière a révélé l’intérêt et le soutien que les catholiques français
portent à l’orthodoxie russe. Ils furent très nombreux à venir, avec des
sentiments de sincère fraternité, à la cathédrale Notre-Dame de Paris pour
assister, aux côtés du patriarche Alexis, à la prière devant la Couronne
d’épines du Seigneur. Nous en avons été très touchés.
De ce fait, les relations entre l’Église orthodoxe russe et l’Église
catholique de France ont une importance et une signification particulières.
Regardez à quel point les chemins historiques de nos Églises se ressemblent.
La France est le premier pays occidental où l’Église catholique fut
confrontée à un athéisme militant et à une sécularisation antichrétienne qui
préparèrent, entre autres facteurs, la Révolution de 1789, suivie d’une
terreur effroyablement sanglante. L’Église catholique y fut cruellement
persécutée. De nombreux catholiques français, notamment au sein du clergé,
ont perdu la vie à cause de leur foi.
Au XXe siècle, ce fut le tour de l’Église orthodoxe russe de passer à
travers le feu des épreuves et des persécutions. La Révolution d’octobre
1917 déclencha des persécutions contre l’Église qui ont dépassé, par leur
ampleur, celles des premiers siècles de l’histoire du christianisme. La
majeure partie des églises et des monastères a été détruite ou profanée. Des
milliers d’évêques, de prêtres, de moines, de moniales et de simples fidèles
subirent d’atroces souffrances dans les camps ou furent exécutés. L’apogée
de ces persécutions d’une violence inouïe fut atteint dans les années 1920
et 1930. Plus tard, d’une façon peut-être moins sanglante, mais toujours
aussi obstinée, l’État soviétique a continué à brimer l’Église et à
l’empêcher de témoigner ouvertement du Christ, tout en déployant, de son
côté, une propagande athée très agressive.
Ainsi, nos deux Églises savent ce que signifie la sécularisation. Elles ont
affronté l’athéisme dans ses manifestations extrêmes. Grâce à cette
expérience, elles peuvent apporter au monde d’aujourd’hui un témoignage
particulièrement convaincant. Je crois que cette convergence dans
l’expérience historique de l’Église orthodoxe russe et de l’Église
catholique de France leur offre une occasion unique de travailler et de
témoigner ensemble. Il suffirait donc de peu pour que l’Église catholique de
France devienne un véritable pont entre l’orthodoxie russe et l’Église
catholique dans son ensemble.
Il ne faut pas oublier que nos Églises connurent autrefois une coopération
très fructueuse. Comme vous le savez, après la Révolution de 1917, les
meilleurs représentants de la pensée théologique et philosophique russe ont
émigré en France. De même, un siècle et demi auparavant, c’est la Russie qui
avait accueilli de nombreux religieux français expulsés de leur pays par la
Révolution et la Terreur. Les fidèles de l’Église orthodoxe russe ont fondé
à Paris l’institut de théologie orthodoxe Saint-Serge où de grandes
personnalités ont enseigné. Le retour des théologiens catholiques français à
l’héritage patristique et aux sources de la foi chrétienne s’est fait en
échange étroit et simultanément avec celui des théologiens russes présents à
Paris. Il suffit de rappeler les liens qui existaient entre Vladimir Lossky
d’une part et les pères Yves Congar ou Henri de Lubac d’autre part.
Aujourd’hui, nos deux Églises pourraient de nouveau établir et développer
une coopération concrète dans le domaine de la formation théologique. Au
mois d’avril dernier, le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe a pris la
décision d’ouvrir un séminaire de notre patriarcat en région parisienne.
Nous fûmes touchés par la bienveillance avec laquelle ce projet fut reçu par
les évêques d’Île-de-France.
Pourriez-vous préciser les objectifs de ce nouveau
séminaire ?
Ce sera le premier séminaire de l’Église orthodoxe russe en Europe
occidentale. Paris a été choisi en raison des profonds liens spirituels et
culturels qui existent entre nos deux pays et nos Églises. Le séminaire aura
pour objectif de former des membres du clergé pour le patriarcat de Moscou.
Tout en offrant un cadre canonique orthodoxe aux séminaristes, il leur
donnera la possibilité de découvrir la spiritualité française, l’expérience
des autres Églises, d’apprendre les langues européennes et d’avoir ainsi une
vision plus large des défis posés aujourd’hui à notre Église. Nous espérons
que l’existence d’un séminaire russe en France, formant des futurs acteurs
du dialogue interecclésial, renforcera les liens entre les chrétiens
d’Europe orientale et d’Europe occidentale.
Comment s’inscrit ce dialogue entre le patriarcat de Moscou et l’Église de
France dans le contexte plus général du dialogue œcuménique entre
catholiques et orthodoxes ? Et plus précisément, où en est le dialogue entre
Moscou et Rome ? Une visite du pape à Moscou est-elle prochainement
envisageable ?
L’Église russe souhaite aujourd’hui développer des relations avec l’Église
catholique romaine dans tous les domaines et à tous les niveaux, y compris
par le biais du dialogue panorthodoxe avec les catholiques. Mais je suis
convaincu que ce dialogue est impossible en dehors de relations bilatérales
de l’Église catholique avec chacune des Églises orthodoxes. Le développement
de tels contacts directs serait la plus efficace contribution à cette œuvre
commune.
En ce qui concerne les relations bilatérales entre Moscou et Rome, vous avez
raison de parler de « dialogue » et non de « pourparlers » ou de «
négociations ». En effet, ces derniers sont menés entre des États ou des
forces politiques pour permettre aux deux partis de parvenir à des résultats
avantageux. Les Églises, elles, cultivent un dialogue qui fait partie de
leur vie. Dans ce dialogue, elles poursuivent non pas des objectifs
immédiats, mais cherchent à bâtir à long terme des relations fondées sur le
respect mutuel, le désir de se mieux connaître mutuellement et de travailler
ensemble dans les domaines qui exigent une parole chrétienne unifiée face à
de nombreux problèmes.
Nous pouvons d’ailleurs faire des pas en direction les uns des autres sans
attendre que tous les problèmes entre Moscou et Rome soient résolus. Il nous
faut établir une plus grande confiance mutuelle, parvenir à dissiper tous
les malentendus concernant la mission catholique en Russie et dans les
autres pays de la CEI où la majeure partie de la population se réclame de
l’Église orthodoxe russe. Il nous reste à apaiser les relations complexes
entre les orthodoxes et les gréco-catholiques en Ukraine. De tels progrès ne
pourront que faciliter la rencontre entre le patriarche de Moscou et le pape de Rome. Le patriarche Alexis II a toujours souligné que l’Église orthodoxe
russe n’a jamais écarté la possibilité d’une telle rencontre. Nous
souhaitons cependant qu’elle soit très bien préparée et qu’elle aboutisse à
des résultats concrets et visibles. Il ne suffit pas de créer un beau sujet
pour les médias.
Vous avez publié l’an dernier la traduction française
de la doctrine sociale : quels sont selon vous les points de rencontre les
plus importants avec la doctrine sociale de l’Église catholique, à quels
défis contemporains répondent-ils ?
Les Fondements de la doctrine sociale de l’Église orthodoxe russe, publiés
en français par les Éditions du Cerf et le Centre Istina, partagent beaucoup
de choses avec le Compendium de la
Doctrine
sociale de l'Église catholique.
C’est tout à fait naturel, dans la mesure où, dans l’élaboration de leur
enseignement social, nos Églises se sont laissé guider par les principes de
l’Écriture Sainte et d’une commune tradition apostolique. Bien sûr, autant
que je puisse en juger, la doctrine sociale catholique s’est beaucoup
inspirée également de la pensée aristotélicienne dans son interprétation
thomiste. Il s’agit notamment de la distinction, inconnue de la théologie
orthodoxe, entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel des choses.
Néanmoins, toutes les idées fondamentales sont les mêmes.
À mon avis, la principale convergence entre nos deux doctrines sociales
réside dans le fait que, pour nos Églises, Dieu et ses commandements doivent
être au centre de la vie sociale de l’homme. L’Écriture Sainte nous enseigne
que Dieu n’est pas seulement la source, mais aussi la finalité de la
création. C’est pourquoi, dans son activité, l’homme ne peut rester
indifférent ou neutre par rapport aux lois données par Dieu au genre humain
dès l’origine et pour le bonheur de l’homme. La dimension sociale de sa vie
ne peut pas être coupée des principes spirituels et éthiques posés au
fondement de l’existence humaine. Si c’est le cas, l’homme et la société
dans laquelle il vit, se dégradent inévitablement : ils se détruisent
progressivement de l’intérieur. La vie sociale, politique, économique, la
recherche scientifique, comme tous les autres aspects de la vie d’une
personne humaine, ne peuvent être privés des valeurs éthiques. Le fondement
éthique est la source du bonheur, la condition de la croissance juste et
harmonieuse de la personne. C’est ce que rappellent les doctrines sociales
de l’Église orthodoxe russe et de l’Église catholique qui voient tous les
aspects de la vie sociale de l’homme à travers le prisme de la tradition
chrétienne.
Dans ce domaine, nos Églises peuvent déployer, à mon avis, une coopération
très fructueuse. La défense commune de la dignité authentique de la personne
humaine, des valeurs chrétiennes de la famille et de la vie sociale, des
principes moraux dans la bioéthique est aujourd’hui, plus que jamais,
urgente et, je dirais même, indispensable.
Quel est pour vous l’apport de Soljénitsyne qui vient
de nous quitter ? Il est connu pour avoir contribué à révéler l’horreur du
communisme soviétique, mais il s’est aperçu que le matérialisme de
l’Occident n’était pas non plus un bon modèle…
Le ministère prophétique d’Alexandre Soljénitsyne a, pendant des décennies,
aidé de nombreuses personnes à découvrir la voie vers la vraie liberté dans
une vie guidée par des repères éthiques. Ses œuvres littéraires, brillantes
par le style et la connaissance de l’histoire, ont effectivement révélé au
monde les souffrances infligées par les autorités athées et leurs
persécutions contre la foi et l’Église. Partout où il a vécu – en Union
Soviétique, à l’étranger ou dans la Russie contemporaine – Alexandre
Soljénitsyne a toujours dénoncé le mensonge et l’injustice, donné à la
société et au pouvoir civil des conseils avisés sur la façon de rendre
l’avenir meilleur. En tant que chrétien orthodoxe, Soljénitsyne s’est
toujours préoccupé de l’œuvre de Dieu et a pris une part active aux
discussions sur les rapports entre l’Église et la société. Pour tout cela,
de nombreux évêques, prêtres et laïcs de notre Église lui sont infiniment
reconnaissants. J’en fais partie.
La liturgie orthodoxe n’a pas connu de brutale réforme
comme celle du rite latin catholique en 1969. Comment évolue votre liturgie,
y a-t-il des pressions pour la faire évoluer et dans quel sens
(compréhension, langue du pays…) ?
En effet, l’évolution de la liturgie orthodoxe est due non pas à des
réformes hiérarchiques, mais à une pratique vivante dans différents
contextes culturels. Au cours des dernières années, l’Église orthodoxe russe
a reconnu à plusieurs reprises la nécessité de prendre des mesures pour
rendre la liturgie plus compréhensible aux fidèles, surtout dans un souci
missionnaire. Mais cette question exige une approche extrêmement prudente,
car les opinions, à ce sujet, sont divergentes. Dans le domaine liturgique,
la précipitation et la pression hiérarchique sont inacceptables. Il faut
faire preuve de bon sens pastoral et tenir compte des souhaits et des
opinions de tous les fidèles.
Comment percevez-vous le
Motu Proprio
Summorum Pontificum (2007) de
Benoît XVI ?
Bien que cette question soit interne à l’Église catholique romaine,
j’aimerais répondre que, personnellement, je vois dans cette décision du
pape Benoît XVI la manifestation d’un profond et
authentique respect de la tradition liturgique de son Église. En tant
qu’évêque de l’Église orthodoxe, pour laquelle la liturgie est le centre et
l’apogée de la vie chrétienne, je voudrais partager la conviction suivante :
l’Eucharistie, pendant laquelle le chrétien communie aux saints et
redoutables Mystères du Christ, en s’unissant à Dieu lui-même, doit être
célébrée avec la piété et la beauté que ce sacrement mérite. La forme de
cette célébration ne doit pas être un obstacle, mais un guide vers la
meilleure compréhension de la grandeur de ce mystère.
Propos recueillis par Christophe
Geffroy et Jacques de Guillebon
Traduction française du
hiéromoine Alexandre Siniakov
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Source :
La Nef n°198
de novembre 2008
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 08.11.2008 -
T/Oecuménisme |