Alors que l'on débat à Rome, le
Québec a déjà été pris d'assaut |
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Rome, le 08 octobre 2008 -
(E.S.M.)
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C’est justement l’archevêque de Québec, le cardinal Marc Ouellet, que Benoît
XVI a chargé d’ouvrir et de conclure les travaux. De plus, le cardinal Ouellet est l’un des témoins les plus avertis
et les plus critiques de la métamorphose qui, en quelques décennies, a fait
du très catholique Québec une terre de mission.
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Le pape Benoît XVI
Alors que l'on débat à Rome, le Québec a déjà été pris d'assaut
Le 08 octobre 2008 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- C'était la région la plus catholique d'Amérique du Nord, c'est aujourd'hui
la plus sécularisée. Terre d'origine du cardinal Ouellet, rapporteur général
au synode des évêques sur la Parole de Dieu, c'est aussi pour Benoît XVI une
nouvelle terre de mission
Dimanche dernier, dans l’Homélie de la messe d’ouverture du synode des
évêques consacré aux Écritures Saintes, Benoît XVI a rappelé que, dès le
début de l’annonce de l’Évangile, "des communautés chrétiennes sont apparues
et ont été florissantes avant de disparaître, ne laissant aujourd’hui de
traces que dans les livres d’histoire".
Et d’ajouter :
"La même chose ne pourrait-elle pas se produire à notre époque ? Des nations
autrefois riches de foi et de vocations sont en train de perdre leur
identité, sous l’influence délétère et destructrice d’une certaine culture
moderne".
On devine que, parmi ces nations qui furent vigoureusement chrétiennes et ne
le sont plus aujourd’hui, le pape Joseph Ratzinger pense au Canada, et plus
exactement au Québec.
C’est justement l’archevêque de Québec, le cardinal Marc Ouellet, que Benoît
XVI a chargé d’ouvrir et de conclure les travaux du
Synode par deux discours
généraux. De plus, le cardinal Ouellet est l’un des témoins les plus avertis
et les plus critiques de la métamorphose qui, en quelques décennies, a fait
du très catholique Québec une terre de mission.
Le Québec est la plus vaste province du
Canada – cinq fois la taille de l’Italie – mais compte moins de huit
millions d’habitants. On y parle le français. Jusqu’au milieu du XXe siècle,
l’empreinte catholique y était encore très marquée. Ses fleuves et ses
villages portent des noms de saints, les églises sont très nombreuses, les
écoles et les hôpitaux sont presque tous nés de l’initiative religieuse. Les
vocations étaient elles aussi florissantes.
A partir des années 60, cependant, on a assisté à une chute verticale. Sans
bruit, une "révolution tranquille" a fait du Québec un avant-poste de la
sécularisation. Aujourd’hui, moins de 5% des catholiques vont à la messe le
dimanche. Il y a peu de mariages religieux, les funérailles sont
majoritairement civiles, les baptêmes se font de plus en plus rares.
Les lois codifient cette situation au nom d’un fondamentalisme laïciste qui
est parvenu, cette année, à imposer à toutes les écoles publiques et privées
du Québec – une première mondiale – un cours obligatoire "d’éthique et de
culture des religions". Il est interdit aux enseignants qui en sont chargés
de se présenter comme croyants et appartenant à une communauté de croyants.
Pendant le cours, des informations sont données sur les principales
religions du monde et l’on discute de sujets controversés comme l’avortement
ou l’euthanasie, avec l’obligation de ne prendre position ni dans un sens ni
dans l’autre.
"C’est la dictature du relativisme appliquée dès l’école primaire", a
protesté le cardinal Ouellet. Mais sa voix reste isolée. Si 80% des familles
continuent de demander l’enseignement de la religion catholique, une seule
école, la Loyola High School de Montréal, a présenté un recours devant la
cour suprême contre le cours obligatoire désormais imposé par la loi.
Georges Leroux, le philosophe de l’Université de Montréal qui a conçu le
nouveau cours, affirme "qu’il est désormais temps de transmettre la culture
religieuse non plus comme croyance mais comme histoire, comme patrimoine
universel de l’humanité".
A noter que les lois les plus éloignées de la doctrine de l’Église ont été
votées au Québec par des majorités non pas radicales mais modérées. La loi
sur l’enseignement obligatoire "d’éthique et de culture des religions" a
elle-même été approuvée par un gouvernement conservateur, dont font partie
des catholiques.
En outre, la révolution culturelle qui a changé le visage du Québec n’est
plus "tranquille". Elle s’est faite récemment plus hostile et plus méprisante
envers ceux qui lui résistent. Dans le numéro du 3 octobre d’"Avvenire", le
cardinal Ouellet a déclaré:
"J’ai eu récemment une preuve de cette aversion quand j’ai écrit aux médias
une lettre ouverte où, entre autres, je demandais pardon au nom de l’Église
canadienne pour les erreurs que nous avions commises dans le passé. Les
réactions à cette lettre ont été très hostiles".
Le cardinal Ouellet a décrit et analysé le cas typique du Québec dans un
article du dernier numéro de "Vita e Pensiero", la revue de l’Université
Catholique de Milan. Un article d’autant plus intéressant qu’il est paru à
la veille d’un synode des évêques précisément consacré à savoir "comment
rendre l’annonce de l’Évangile plus efficace à notre époque".
Voici l’article :
Où va le Québec ? A propos de la foi et de la laïcité
Par Marc Ouellet
Je commencerai par dire que je suis convaincu que la crise des valeurs et la
recherche de sens sont des problèmes profonds et urgents au Québec, au point
d’avoir des répercussions graves sur la santé publique, ce qui entraîne des
coûts considérables pour le système de santé. Depuis 400 ans, la société du
Québec repose sur deux piliers – la culture française et la religion
catholique – qui forment l’armature de base grâce à laquelle les autres
composantes de son actuelle identité plurielle ont été intégrées. Mais cette
armature est fragilisée par l’affaiblissement de l’identité religieuse de la
majorité francophone.
Le débat actuel concerne directement la religion et les relations entre les
communautés culturelles, mais le vrai problème ne porte pas sur
l'intégration des immigrés, rendue plus difficile par leurs demandes à
caractère religieux. Les statistiques montrent que les demandes d’asile pour
motif religieux sont rares. Cela signifie qu’il faut chercher ailleurs la
raison des tensions actuelles et n’attribuer la responsabilité de la
profonde crise de la société au Québec ni à ceux qui sont venus y chercher
un refuge ni à leur religion jugée envahissante. Les réfugiés et les
immigrés nous apportent souvent la richesse de leur témoignage et de leurs
valeurs culturelles, qui s’ajoutent aux valeurs propres de la société
québécoise. L'accueil, le partage et la solidarité doivent donc rester des
attitudes de base envers les immigrés et leurs besoins humains et religieux.
Le vrai problème, pour reprendre l'expression assez vague qui favorise la
diffusion du slogan à la mode "La religion en privé ou à l’Église mais pas
en public", n’est plus celui de la "place de la religion dans l’espace
public". D’ailleurs, qu’est-ce que l’espace public ? La rue, le parc, les
médias, l’école, la commune, le parlement national ? Faut-il faire
disparaître de l’espace public les monuments élevés à Mgr François de Laval
et au cardinal Taschereau ? Faut-il interdire le souhait de "Joyeux Noël"
dans les enceintes parlementaires et le remplacer par "Bonnes Fêtes", pour
être plus corrects ? Les symboles religieux caractéristiques de notre
histoire et donc constitutifs de notre identité collective sont-ils devenus
une gêne, de mauvais souvenirs à mettre dans un tiroir ? Faut-il les faire
disparaître de l’espace commun pour satisfaire une minorité laïciste
radicale qui est la seule à s’en plaindre, au nom de l'égalité absolue des
citoyens et des citoyennes ?
Les croyants et les incroyants portent en eux leur croyance ou leur
incroyance partout où ils vont. Ils sont appelés à vivre ensemble, à
s’accepter et à se respecter mutuellement, à n’imposer leur croyance ou leur
incroyance ni en privé ni en public. Retirer tout signe religieux d’un lieu
public qu’une tradition bien définie identifie culturellement à sa dimension
religieuse, n’est-ce pas promouvoir l'absence de croyance comme seule valeur
qu’on ait le droit d’affirmer ? La présence du crucifix au parlement
national, à la mairie et aux carrefours n’est le signe d’aucune religion d’État.
C’est un signe identifiant et culturel lié à l’histoire concrète d’un peuple
qui a droit à la continuité de ses institutions et de ses symboles. Ce
symbole n’est pas d’abord un signe confessionnel, mais le témoignage de
l'héritage culturel de toute une société marquée par sa vocation historique
de berceau de l'évangélisation de l'Amérique du Nord. Le gouvernement de la
province canadienne du Québec a précisément repoussé, il y a peu de temps,
une proposition tendant à retirer le crucifix de la salle du parlement.
Le vrai problème du Québec n’est donc pas la présence de signes religieux ou
l'apparition de nouveaux signes religieux qui envahiraient l’espace public.
Le vrai problème du Québec, c’est le vide spirituel créé par une rupture
religieuse et culturelle, par la forte perte de mémoire qui conduit à la
crise de la famille et de l'éducation, qui laisse les citoyennes et les
citoyens désorientés, démotivés, instables et attirés par des valeurs
passagères et superficielles. Ce vide spirituel et symbolique mine de
l’intérieur la culture du Québec, disperse ses énergies vitales et génère
l'insécurité et le manque d’enracinement et de continuité avec les valeurs
évangéliques et sacramentelles qui l'ont nourrie dès l’origine.
Un peuple dont l’identité s’est fortement construite, au fil des siècles,
sur la foi catholique ne peut se vider de sa substance, du jour au
lendemain, sans de graves conséquences à tous les niveaux. De là le désarroi
des jeunes, la chute vertigineuse des mariages, le très faible taux de
natalité et le nombre effrayant d’avortements et de suicides, pour ne citer
que quelques unes des conséquences qui s’ajoutent à la situation précaire
des seniors et de la santé publique. Enfin ce vide spirituel et culturel est
entretenu par une rhétorique anticatholique truffée de clichés que l’on
retrouve hélas trop souvent dans les médias.
Cela favorise une vraie culture du mépris et de la honte vis-à-vis de notre
héritage religieux, cela détruit l'âme du Québec. Aujourd’hui il faut se
demander: "Québec, qu’as-tu fait de ton baptême ?" et freiner le
fondamentalisme laïciste imposé par le biais des fonds publics, pour
retrouver un meilleur équilibre entre tradition et innovation créatrice au
service du bien commun. Il faut réapprendre le respect de la religion qui a
forgé l'identité de la population et le respect de toutes les religions,
sans céder à la pression des intégristes laïcs qui demandent que la religion
soit exclue de l’espace public.
Le Québec est mûr pour une nouvelle évangélisation en profondeur, qui se
dessine dans certains milieux à travers d’importantes initiatives
catéchétiques ou des efforts communautaires de retour aux sources de notre
histoire. Un renouveau spirituel et culturel est possible si le dialogue
entre l’État, la société et l’Église reprend son cours, de façon
constructive et respectueuse de notre identité collective désormais
pluraliste.
* * *
Dans le cadre d’un débat sur les "accommodement raisonnables", on ne peut
négliger le changement radical que la province du Québec vient d’introduire
à propos de la place de la religion à l’école.
Ce changement provoque le désarroi et la colère de nombreux parents qui se
voient privés, au nom d’une dernière réforme et de la modernisation du
système scolaire québécois, de l’un de leurs droits acquis. Sans tenir
compte de la primauté du droit des parents et de leur volonté clairement
exprimée de garder la liberté de choisir entre enseignement confessionnel et
enseignement moral, l’État supprime l'enseignement confessionnel et impose
un cours obligatoire d’éthique et de culture religieuse dans les écoles tant
publiques que privées.
Aucun pays européen n’a jamais adopté une orientation aussi radicale, qui
révolutionne les convictions et la liberté religieuse des citoyens. De là le
profond malaise, le sentiment d'impuissance de nombreuses familles face à un
État tout-puissant qui paraît ne pas craindre l'influence de l’Église et
peut donc imposer sa loi sans conditionnements supérieurs. Le sort le plus
scandaleux est celui des écoles catholiques privées, que le jeu des
subventions gouvernementales force à marginaliser leur enseignement
confessionnel au profit du cours imposé par l’État partout et à tous les
niveaux.
L'opération de recentrage de la formation éthique et religieuse du citoyen
par le biais de ce cours obligatoire réussira-t-elle à préserver un minimum
de points de référence pour assurer une vite commune harmonieuse ? J’en
doute, je suis même sûr du contraire, parce que cette opération est faite au
prix de la liberté religieuse des citoyens et surtout de celle de la
majorité catholique. De plus elle est fondée exclusivement sur une
"connaissance" des croyances et rites de six ou sept religions. Je doute que
des enseignants vraiment peu préparés à relever ce défi puissent enseigner
avec une neutralité totale et de manière critique des notions qui sont
encore moins compréhensibles pour eux que leur propre religion. Il faut être
très ingénu pour croire que ce miracle d’enseignement culturel des religions
produira un nouveau petit Québécois, pluraliste, expert en relations inter-religieuses et critique envers toutes les croyances. Le moins que l’on
puisse dire est que la soif de valeurs spirituelles sera bien loin d'être
étanchée et qu’une dictature du relativisme risque de rendre encore plus
difficile la transmission de notre héritage religieux.
La culture rurale du Québec a placé des croix un peu à tous les carrefours.
Ces "croix de chemin" invitent à prier et à réfléchir au sens de la vie.
Quel choix s'impose maintenant à notre société pour que l’État prenne des
décisions éclairées et vraiment respectueuses de la conscience religieuse
des individus, des groupes et des Églises ? Malgré certaines déviances dues
aux incitations récurrentes mais limitées du fanatisme, la religion reste
une source d'inspiration et une force de paix dans le monde et dans notre
société, à condition qu’elle ne soit pas manipulée par des intérêts
politiques ou persécutée dans ses aspirations légitimes.
La réforme impose que la loi soumette les religions au contrôle et aux
intérêts de l’État, mettant fin aux libertés religieuses acquises depuis des
générations. Cette loi ne sert pas le bien commun et ne pourra pas être
imposée sans être perçue comme une violation de la liberté religieuse des
citoyens et des citoyennes. Il ne serait pas raisonnable de la conserver
telle qu’elle a été promulguée, parce qu’elle instaurerait un légalisme
laïciste étroit qui exclut la religion de l’espace public. Les deux piliers
de notre identité culturelle nationale, la langue et la religion, sont
historiquement et sociologiquement appelés à s’épauler ou à s’écrouler
ensemble. Le moment où une nouvelle alliance entre la foi catholique et la
culture émergente redonnera à la société du Québec plus de confiance en
elle-même et de foi en l'avenir n’est-il pas arrivé ?
Depuis toujours le Québec vit de l'héritage d’une tradition religieuse forte
et positive, exempte de grands conflits et caractérisée par le partage,
l'accueil de l’étranger et la compassion envers les plus démunis. Il faut
protéger et entretenir cet héritage religieux fondé sur l'amour qui est une
force d’intégration sociale bien plus efficace que la connaissance abstraite
de quelques notions superficielles sur six ou sept religions. En ce moment,
ce qui est le plus important, c’est que la majorité catholique se réveille,
reconnaisse ses véritables besoins spirituels et renoue avec ses pratiques
traditionnelles pour être à la hauteur de la mission qui est la sienne
depuis l’origine.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

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Sources : Source
: Sandro Magister
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 08.10.2008 -
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