Quelle place les Pères de l'Eglise
occupent-ils dans la pensée de Benoît XVI ? |
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ROME, le 07 décembre 2006 -
(E.S.M.) - Quelle place les
Pères de l'Eglise occupent-ils dans la pensée du pape Benoît XVI ?
Marie-Anne Vannier, docteur en philosophie et en théologie, donne
des éléments de réponse à cette question.
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Les Pères de l'Eglise chrétienne
Quelle place les Pères de l'Eglise occupent-ils dans la pensée de Benoît XVI
?
Les Pères sont des
lecteurs assidus des Écritures dont ils ont mémorisé de nombreux
passages. C’est dans la méditation de la Parole de Dieu qu’ils
approfondissent leur connaissance du Christ et qu’ils risquent
une parole inédite au sujet du mystère de la piété,
parole tout à la fois fidèle à la tradition et novatrice, cherchant, avec
retenue et modestie, à exprimer de manière toujours plus précise la foi
apostolique. Cette parole est dite pour le bien des communautés chrétiennes
dont ils ont la charge. Les Pères sont des pasteurs
qui prennent très au sérieux la mission à laquelle ils ont été ordonnés. Ce
souci du peuple de Dieu, et notamment de ses membres les plus faibles,
traverse toute la littérature patristique.
Le Pape Benoît
XVI est un grand lecteur des Pères de l’Eglise. Il serait préférable de lui
laisser la parole pour le dire. Nous ne le pouvons, malheureusement, pas.
Le nom même qu’il a choisi : celui de Benoît serait-il là
pour le rappeler ? Sans doute ce nom a-t-il une acception plus large, comme
le pape l’a expliqué lui-même lors de l’Audience générale du 27 avril 2005 :
Il a "choisi le nom de Benoît en référence à Benoît XV, qui a guidé l’Eglise
dans la période difficile de la première guerre mondiale. Sur ses traces il
désire participer à la réconciliation et à l’harmonie entre les peuples.
Mais le nom de Benoît évoque aussi le père du monachisme occidental,
co-patron de l’Europe, particulièrement vénéré dans son pays, surtout en
Bavière. Saint Benoît a inscrit dans sa Règle de ne rien mettre au-dessus du
Christ. Nous lui demanderons donc de nous aider à rester le regard fixé sur
le Christ". Le pape Benoît XVI s’est donc d’emblée situé dans la ligne de
saint Benoît né à Nursie vers 480. Il est ancré
dans le Christ, soucieux de la construction de l’Europe, chantre de la paix.
Sa référence au patron occidental de l’Europe le situe
aussi par rapport aux deux patrons orientaux, Cyrille et Méthode, et
s’inscrit dans sa recherche de l’unité des chrétiens.
Avant même son pontificat, il avait expliqué sa conception de la
patristique, qui est l’expression même de l’Eglise indivise. Ainsi
écrivait-il : "La fréquentation des Pères n’est pas un simple travail de
catalogue de musées du passé. Les Pères sont le passé commun de tous les
chrétiens et c’est dans la redécouverte de cette communauté que réside
l’espérance pour l’avenir de l’Eglise, son devoir – notre vie
d’aujourd’hui". C’est en chrétien et en ecclésiologue qu’il les comprend
comme nos Pères dans la foi et nos frères dans la vie de l’Esprit, eux qui
nous apprennent ce qu’est la communauté chrétienne. Parmi les Pères, il en
est un qu’il privilégie, c’est saint Augustin,
auquel il a consacré son premier travail et auquel il revient constamment.
(Permettez-moi de retourner à mon ami
Augustin: ►
Benoît XVI)
Son expérience du Concile ne fera que renforcer son
ancrage patristique, d’autant que le concile s’est appuyé clairement sur
l’Écriture et les Pères. Ami des deux frères Rahner, Hugo, le patrologue et
Karl, le dogmatiste, le théologien Joseph Ratzinger dégage, avec eux,
l’actualité des Pères et s’oriente vers l’ecclésiologie : l’étude de
l’Eglise. Il joue un rôle actif dans la rédaction du second chapitre de
Lumen Gentium sur le peuple de Dieu et
écrit quelque temps après un ouvrage sur la question, ouvrage qu’il est en
train de revoir pour en donner une nouvelle édition, actualisée. Comme les
autres Pères conciliaires, il prend ses sources dans l’Écriture et dans la
tradition vivante des Pères qui l’ont éclairée. Benoît XVI garde cette
perspective jusqu’aujourd’hui, comme on peut le voir, par exemple, dans sa
récente homélie pour la Vigile pascale, où il retient le meilleur de la
théologie de la Résurrection et du baptême des Pères et l’actualise pour
donner son message pascal qu’il exprime en ces termes : "La vie nous vient
d’être aimée par Celui qui est la Vie ; elle nous vient du fait de vivre –
avec Lui - et d’aimer – avec Lui. C’est moi, mais ce n’est plus moi". C’est
la création nouvelle qui vient de l’amour et de la relation au Christ
ressuscité. Tout comme dans la récente Encyclique, Dieu est amour, Benoît
XVI part de l’amour premier de Dieu.
C’est là pour lui une expérience fondamentale, celle-là même de tout
chrétien, à laquelle il rend attentif, tout comme les Pères de l’Eglise
l’ont fait pour leurs contemporains. Pensons, par exemple, aux célèbres
homélies de saint Augustin sur l’Évangile et sur la Première Épître de St.
Jean.
DE SA MAÎTRISE DE THÉOLOGIE A L’ENCYCLIQUE DIEU EST
AMOUR
Justement ce choix de la référence aux Pères n’est pas nouveau dans la vie
du pape Benoît XVI. C’est, au contraire, le creuset même de sa pensée. Il
avait choisi, pour son premier travail de théologien, sa maîtrise en
théologie le thème suivant : Volk und Haus Gottes in Augustins Lehre von der
Kirche ("Peuple et maison de Dieu dans la conception augustinienne de
l’Eglise"). Or, cette maîtrise qui, pour beaucoup, n’est qu’un passage
obligé, a été pour le jeune Joseph Ratzinger couronnée de succès. Soutenue
en juin 1951 à la Faculté de Théologie de Munich, elle a été primée, publiée
dans la collection des Etudes théologiques de Munich et a été considérée
comme thèse inaugurale. Or, elle l’est véritablement, tant pour les études
augustiniennes qui s’y réfèrent aujourd’hui encore comme à une véritable
thèse, que pour l’auteur lui-même qui, dans sa récente Encyclique
Dieu est amour, n’a pas été sans reprendre
certains éléments de son premier travail, en particulier toute sa réflexion
sur la dilectio, la caritas, l’unitas. Il est vrai
qu’il avait en saint Augustin, cet évêque d’Hippone du Ve siècle, un guide
solide. Sans doute à 24 ans, le jeune théologien ne faisait-il qu’esquisser
les grandes lignes de sa pensée à venir, mais force est de reconnaître que
cette première étude l’amène à dégager l’essentiel de la foi chrétienne,
grâce à une étude solide de l’œuvre d’Augustin. C’est du mystère de l’amour
de Dieu, comme mystère central du christianisme, dont il traite. A le lire,
on note une remarquable pénétration de l’ecclésiologie d’Augustin, à partir
des concepts de foi, de peuple de Dieu, d’amour, de l’Eglise, comprise comme
maison de Dieu, du rôle de l’Esprit Saint, du rapport de l’Eglise au monde.
C’est à la fois une contribution importante aux études augustiniennes
(l’article "Eglise" de L’Encyclopédie Augustin s’y réfère encore) et l’écho
de l’expérience de la foi de Joseph Ratzinger.
Il y montre qu’Augustin n’aborde pas la question de l’amour dans ses
premières œuvres, qui sont davantage les Dialogues philosophiques, mais que
cette question intervient à partir du De moribus ecclesiae catholicae et
de moribus manichaeorum (I, 8, 13), en 387-388, pour manifester le sens
de l’existence chrétienne, qui a été la sienne à travers les méandres de sa
conversion. Augustin y expliquait ainsi le verset : "'Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu'. Dis-moi dans quelle mesure je dois aimer, car dans l’amour de mon
Seigneur, je crains de faillir par excès ou par défaut. 'Tu aimeras,
répond-il, de tout ton cœur'. Ce n’est pas assez. 'De toute ton âme'. Ce
n’est pas assez encore. 'De tout ton esprit'. Que veux-tu de plus ? Si je
voyais quelque chose de plus, je le voudrais encore. Nous venons d’apprendre
ce que nous devons aimer et dans quelle mesure nous devons l’aimer : c’est
là que doivent tendre tous nos efforts, tel doit être le but de nos
desseins. Notre souverain bien, c’est Dieu, ne
restons pas en deçà, ne cherchons rien au-delà, le premier est dangereux, le
second est inutile". Il y a là tout un programme pour le jeune
théologien Ratzinger, programme qu’il a fait sien et où il n’a pas disjoint
le double commandement d’amour. Au contraire, Benoît XVI a rappelé que
l’amour du prochain est le plus sûr chemin pour
l’amour de Dieu. Dans L’Encyclique
Deus Caritas Est (n. 16 à 18), il
reprend la question et montre le caractère indissociable du double
commandement d’amour à partir de la Première Épître de saint Jean. A la
suite de saint Augustin, mais cette fois des Confessions (III, 6, 11), il
explique que "l’histoire d’amour entre Dieu et l’homme consiste justement
dans le fait que cette communion de volonté grandit dans la communion de
pensée et de sentiment, et ainsi notre vouloir et la volonté de Dieu
coïncident toujours plus : la volonté de Dieu n’est plus pour moi une
volonté étrangère, que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais
elle est ma propre volonté, sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu
est plus intime à moi-même que je ne le suis à moi-même" (n. 17, p. 49). Il
y a là toute une densité existentielle que l’on n’avait pas dans son premier
ouvrage et qui passe aussi par la relecture d’Eckhart.
Dans ce livre, toutefois, il avait montré, en un deuxième temps, tout comme
dans L’Encyclique Dieu est amour que l’Eglise est le véritable lieu de la
caritas. Ainsi écrivait-il que "celui qui est dans l’Eglise catholique a de
manière évidente la caritas. Cependant, cette participation extérieure et
visible ne suffit pas. Elle doit correspondre à une vérité intérieure, celle
de la nouvelle naissance dans le baptême" (1), ce qui l’a amené à étudier la
théologie augustinienne du baptême et à conclure que la caritas n’est autre
que la grâce du salut du Christ et le don de l’Esprit Saint, autant dire que
la caritas, c’est l’amour trinitaire. Or, c’est justement dans cette
perspective de la création nouvelle qu’il se situe dans L’Encyclique. Il n’y
reprend pas la théologie du baptême, mais la suppose acquise, ce qui invite
aussi à relire ses écrits sur le mystère pascal où se réactualise le sens
même du baptême.
Dans sa première étude, il s’attache essentiellement à la dimension
trinitaire de l’amour, telle qu’Augustin l’avait mise en évidence, et il
emprunte d’ailleurs à l’évêque d’Hippone sa phrase célèbre du livre VIII du
De Trinitate, où répondant à l’un de ses contemporains qui se plaignait de
ne pas voir la Trinité, il disait : "Tu vois la
Trinité quand tu vois la charité" (n. 19). Sans doute y a-t-il là
tout un programme à redécouvrir pour nous qui vivons à
une époque où on ne parle plus beaucoup de la Trinité,
alors que c’est le mystère central de notre foi,
la communion d’amour du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, l’originalité
aussi du christianisme comme monothéisme trinitaire. C’est là une réalité à
laquelle le pape Benoît XVI, attentif au dialogue interreligieux est loin
d’être indifférent, même s’il ne la développe pas beaucoup dans l’Encyclique.
Comme il avait terminé sa maîtrise de théologie par deux chapitres sur les
rapports entre l’Eglise et l’État, thème important on le sait chez Augustin,
l’auteur de la Cité de Dieu, dans L’Encyclique Dieu est amour, il dépasse
les considérations théoriques pour s’attacher à la doctrine sociale de
l’Eglise, qui "ne veut pas conférer à l’Eglise un pouvoir sur l’État. Elle
ne veut même pas imposer à ceux qui ne partagent pas sa foi des perspectives
et des manières d’être qui ne lui appartiennent pas" (n. 28). Comme
Augustin, le pape Benoît XVI ne préconise pas que la Cité de Dieu remplace
la cité des hommes, mais il envisage un tertium quid, une situation
intermédiaire, où les chrétiens "ne peuvent renoncer à l’activité
multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle,
qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien
commun" (n. 29). C’est, alors, qu’il fait ressortir l’originalité de la
caritas chrétienne, qui n’est autre que "la
dynamique de l’amour suscité par l’Esprit du Christ" et qui
transfigure la cité terrestre pour qu’advienne le Royaume.
(fin de la première partie)
2ème partie:
L’Eglise, affirme Benoît XVI, ne doit pas principalement
parler d’elle-même mais de Dieu
Sources:
théologia.fr
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 07.12.2006 - BENOÎT XVI |