Ci-dessus moteur de recherche


ACCUEIL

BENOÎT XVI

LÉON XIV

CHRIST MISERICORDIEUX

L'EVANGILE DU JOUR

LA FAMILLE

TEXTES DU VATICAN

JEAN PAUL II

FARNESE LOUIS-CHARLES

ACTUALITE DE L'EGLISE

CATECHESES

LITURGIE

LES JEUNES

FIDELES LAICS

JOUR DU SEIGNEUR

SERVANTS DE MESSE

SPIRITUALITE

THEOLOGIE

VOCATIONS

VOYAGE APOSTOLIQUE

GALERIE PHOTOS

TV VATICAN

MEDITATIONS

QUI SOMMES NOUS

NOUS CONTACTER
 
BIBLIOTHEQUE
.
STATISTIQUES
 
Ouverture du site
19 Avril 2005
 

Dieu a été mis à la porte.

Comme nous l'avons publié hier, Benoît XVI a nommé le 1er décembre un nouveau théologien à la Maison pontificale. Nous voulons rendre un respectueux hommage au travail du cardinal Cottier  qui, durant presque quinze ans, a accompli avec une rigueur professionnelle et un dévouement missionnaire le délicat travail de "correcteur d’épreuves" sui generis qu’on lui a attribué. ( Les nominations les plus significatives de Benoît XVI, en 2005 )

 

 

On dit qu’une fois, un peu par provocation, un journaliste a demandé au cardinal Cottier quelle impression cela lui faisait de vivre ici, «au cœur de la dernière monarchie absolue encore existante». «Je suis républicain», a répondu tout simplement celui-ci. Car aider le successeur de Pierre à jouer son rôle est une affaire d’hommes libres, non de courtisans. C’est ce dont témoigne toute la vie de ce Suisse de quatre-vingt deux ans qui a vu de près beaucoup d’événements et de situations – exaltants ou tourmentés, réconfortants ou désolants – vécus par l’Église depuis la Seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Et qui, depuis presque quinze ans, accomplit avec une rigueur professionnelle et un dévouement missionnaire le délicat travail de correcteur d’épreuves sui generis qu’on lui a attribué (c’est lui qui relit presque tous les textes signés par le Pontife régnant et qui leur donne le nihil obstat . « Je n’écris rien des textes du Pape. Je ne fais que corriger », dit-il)


      Pardonnez-moi la banalité de cette question: en quoi consiste le métier de théologien du Pape ?
      GEORGES COTTIER: C’est une figure qui existe depuis le Moyen Âge. À part les trois ou quatre cas exceptionnels de papes franciscains qui ont choisi des théologiens franciscains, dans tous les autres cas la charge a toujours été confiée à des dominicains. C’est la raison pour laquelle je me trouve ici. Dans les siècles passés, quand la cour pontificale se déplaçait pendant de longues périodes, comme lorsqu’elle allait à Orvieto ou à Viterbe, ces théologiens, appelés Maîtres du Sacré Palais , donnaient probablement des leçons de théologie à toute la cour. Le travail consiste maintenant à relire presque tous les textes du Saint-Père, à l’exception des textes diplomatiques, pour porter sur eux un jugement théologique. Le Pape se fait aider par un bon nombre de collaborateurs et il faut être attentif à beaucoup de choses. D’abord, il faut veiller à l’harmonisation des textes. Si les textes viennent d’une source différente, il faut leur redonner la marque du style du Pape. Il faut aussi garantir la clarté des textes car tout ce que dit ou écrit le Pape doit pouvoir être compris par tous les fidèles et ne pas donner lieu à des malentendus . En outre, le Pape doit lui aussi dans son magistère s’en tenir à certains critères. Il n’est pas bon, par exemple, que le Pape se prononce sur des sujets qui font encore l’objet d’une discussion théologique. En effet, s’il intervient sur un sujet, cela veut dire que, sur ce sujet, il n’y a plus de discussion. Le travail ne manque donc pas.
      Quels sont les documents les plus importants qu’il vous a été donné de superviser?
      COTTIER: Si je reviens aux premières années, le premier grand texte que j’ai eu entre les mains a été l’encyclique sociale Centesimus annus . Et puis l’encyclique Ut unum sint sur l’œcuménisme, l’encyclique morale Veritatis Splendor et la
Fides et ratio et aussi le Catéchisme de l’Église catholique qui, pour moi, est l’un des plus beaux fruits de ce pontificat (Jean-Paul II) et dont on n’a pas encore épuisé la richesse. C’est pourquoi un résumé de ce texte, sous forme de questions et de réponses, va être bientôt publié. (c'est évidemment le Compendium dont parlait le cardinal))
      Lequel de ces documents a-t-il connu la genèse la plus laborieuse ?
      COTTIER: Je me rappelle un très long travail pour la Veritatis splendor , dont j’ai vu au moins cinq versions. Le Pape nous réunissait en de longues sessions de travail pour relire les épreuves successives.
      Pouvez-vous nous parler d’un cas où vous avez eu à corriger un texte du Pape?
      COTTIER: Je me rappelle l’un des premiers textes que j’ai visionnés. C’était le discours pour une œuvre de bienfaisance reçue par le Pape. Je ne la connaissais pas et je ne me rappelle même plus son nom. Le schéma du discours du Pape avait été un peu préparé par ses membres. Dans le texte, le Pape se félicitait avec eux d’avoir proclamé un dimanche pour leur œuvre. Bref, le Pape devenait presque un sponsor publicitaire de cette initiative. Chose que j’ai jugé bon d’éviter, non pas tant pour des raisons de stricte doctrine, mais pour des raisons de simple prudence.
      À propos de sponsorisations pontificales , il semble que quelqu’un ait cherché à en obtenir une pour le célèbre film de Mel Gibson sur la Passion du Christ.
      COTTIER: J’ai été invité à une projection avant que le film ne sorte dans les circuits cinématographiques, mais j’ai décidé de ne pas y aller. La souffrance physique du Christ a été effroyable, comme celle de tous les condamnés à la croix, qui, à l’époque, étaient très nombreux. Mais en lui, vrai Dieu et vrai homme, dans son âme, en vertu de sa personne divine unie au Père, il y avait la souffrance propre du serviteur de Dieu dont parle le prophète Isaïe. Ce mystère de la souffrance sui generis du Christ, je ne vois pas comment on peut la représenter dans la fiction cinématographique. Il y a dans la technique du film une immédiateté que je ne vois pas dans la peinture ou dans la sculpture. Car le peintre garde une certaine distance et, dans cette distance, peut s’insérer la prière et la méditation. La peinture reflète et respecte mieux le mystère. Je confesse que l’immédiateté du cinéma est pour moi un problème.
      Et pourtant, tout une série d’organismes et de représentants du monde catholique se sont mobilisés et regroupés autour de ce film .
      COTTIER: J’ai su que le cardinal Lustiger a dit: je préfère l’image au film. Et à l’image je préfère le sacrement…
       Revenons à votre travail. Les innombrables interventions du Pape suscitent l’émulation dans les Palais vaticans. Documents, instructions, vademecum qui sortent à jet continu.
      COTTIER: Certains évêques disent qu’ils n’ont même pas le temps de lire toute ce qui est publié par le Saint-Siège et par les dicastères romains. Je mettrais à part la position du Pape. Les écrits de Jean Paul II occupent toute cette armoire. Pour ceux de Paul VI, ces deux étagères suffisent [il indique les recueils de textes rangés dans son bureau]. Si on revient en arrière à Pie XI, il y a très peu de textes officiels. Pour les audiences et les rencontres publiques, Pie XI n’écrivait presque jamais rien d’officiel. Il improvisait. Mais maintenant, ce n’est plus possible. Ne serait-ce que parce qu’il y a toujours, dissimulé quelque part, un magnétophone; et puis les journaux reproduiraient les paroles du Pape en fonction de leur propre interprétation, obligeant éventuellement le Saint Siège à des démentis en cas de signalisations inexactes. C’est pourquoi, même quand le Pape reçoit un petit groupe, il faut qu’il y ait un texte, éventuellement bref, mais qui soit officiel et qui fasse autorité. La spontanéité certes en souffre. Or s’il y a quelqu’un de spontané, c’est bien l’actuel Pontife (Jean-Paul II) et ce mécanisme doit être pour lui aussi une espèce de pénitence. Mais il ne peut s’y soustraire, et nous non plus. Il y a de plus une pression qui s’exerce à laquelle il faut faire face. Jusqu’aux années Soixante, les gens voyageaient beaucoup moins. Maintenant tout le monde vient à Rome, tous les congrès veulent une audience du Pape…
      Mais, justement, le Pape n’est pas le seul à produire …
      COTTIER: Le Concile a mené à la création de nouveaux dicastères romains, lesquels étaient très peu nombreux auparavant. Tous les dicastères, avec des motifs plus ou moins bons, tiennent à produire des documents, à l’occasion volumineux. On a l’impression d’être envahi par une masse de papiers qui finit parfois par masquer les contenus dont la valeur est souvent grande. C’est une question de rythme de digestion, si vous me permettez cette image triviale. C’est une question sur laquelle il faut s’interroger et qu’il faut repenser. Est-ce une évolution normale? Du reste, tout le monde est amené à affronter, devant le développement des media, des problèmes nouveaux. Ces problèmes doivent être affrontés dans l’Église aussi .

    Devant une si grande quantité de déclarations pontificales, la question se pose à nouveau de savoir quelle autorité il faut accorder et quel assentiment il faut donner à chacune des interventions.
      COTTIER: Il faut se rappeler le paragraphe 25 de la constitution
LUMEN GENTIUM , où il est dit que, selon la matière traitée, on peut reconnaître dans toute déclaration le degré auquel le pape engage son autorité. Par exemple, dans l’encyclique Evangelium Vitae là où on parle d’avortement et d’euthanasie, il ne s’agit pas d’une définition infaillible au sens propre, le Pape parle en tant que représentant d’autorité du magistère de l’Église. L’autorité de l’Église est engagée dans ces questions-là. Il s’agit du magistère ordinaire.
      Sur ces questions, circule dans l’imaginaire collectif un grand nombre d’équivoques. Par exemple sur l’infaillibilité du pape.
      COTTIER: Je me rappelle une discussion que j’ai eue à Genève avec un pasteur protestant qui confondait l’infaillibilité avec l’impeccabilité . Comme si la primauté de Pierre préservait le pape des conséquences du péché originel. Le pape est un homme comme les autres: pour retourner dans la grâce de Dieu, pour lui comme pour tout le monde, la seule voie est le sacrement de la confession. Ce sont des évidences, mais la confusion est telle désormais qu’elles apparaissent comme des nouveautés extraordinaires .
      Et alors il est peut-être bon de les répéter.
      COTTIER: L’intervention du charisme d’infaillibilité ne se produit que dans des circonstances précises. Comme cela a été défini par le Concile Vatican I, la tâche du Pape n’est pas de présenter de nouvelles doctrines, mais de garder, d’exposer et de défendre ce qui est déjà contenu, serait-ce de manière implicite, dans le depositum apostolique, à savoir les vérités révélées qui sont objet de foi. Et la révélation s’est achevée avec la mort du dernier apôtre. L’assistance de l’Esprit Saint est absolue dans l’exposition fidèle de la foi des apôtres et garantit l’infaillibilité des définitions. Le pape ne déclare pas infaillibles ses idées ou opinions personnelles
      Cela comporte une certaine réduction de terrain …
      COTTIER: Il n’y a de définitions infaillibles qu’en matière de foi et de morale. Si le pape, par exemple, pose un diagnostic sur un problème qui a trait à la culture ou à la politique, l’infaillibilité ne peut certes pas être invoquée.
       On entre là dans le domaine des décisions prudentielles .
      COTTIER: Pie XI se demandait en parlant des conséquences des Accords du Latran: «Qu’en sera-t-il demain? Nous ne le savons pas». Dans les fluctuations de l’histoire, une décision qui peut sembler opportune, pourrait quelque temps après ne plus l’être. On en déduit parfois que l’Église se contredit. Mais le plus souvent on saisit le désir des pasteurs de déchiffrer ce que La Pira, après Jean XXIII et le Concile Vatican II , appelait les «signes des temps».
       Votre maître Journet a écrit à ce sujet de très belles pages, par exemple dans Théologie de l’Église…
      COTTIER: Il explique dans ce livre que l’assistance divine promise à l’Église «se limite parfois à assurer son existence physique et empirique», sans lui épargner ni les épreuves, ni les hésitations, ni les erreurs de gouvernement. C’est pourquoi il trouvait compréhensible la liberté avec laquelle des historiens comme Ludwig von Pastor, «à qui n’ont pas manqué les approbations pontificales, ont pu eux-mêmes, rétrospectivement, juger heureuse ou désastreuse la politique des papes».
       Dans cette perspective, n’est-il pas légitime et utile de faire la distinction entre la primauté du successeur de Pierre – telle que l’a voulue Jésus-Christ et telle qu’elle a été définie par l’Église – et les interprétations qui ont été données dans le cours de l’histoire, à l’intérieur même de l’Église, et qui lisent la primauté en termes d’hégémonie mondaine?
      COTTIER: Un regard critique sur ce qui se passe dans l’Église n’est pas forcément destructeur. L’Église a toujours enseigné qu’être pape ou évêque est un service. Mais quand l’autorité du pape sur l’Église était contestée par les princes catholiques eux-mêmes, il arrivait que l’on sente le besoin d’affirmer que les ministères ecclésiaux étaient des pouvoirs légitimes comme les autres. Et il y a peut-être encore des restes de cette confusion dans les apparences .
      Voici un exemple: le fidèle qui lit les propositions condamnées par le Sillabus peut être amené à croire que nier le pouvoir temporel des papes équivaut à nier la primauté de Pierre.
      COTTIER: Et, au contraire, au temps du Concile Vatican II, le cardinal Montini, qui était archevêque de Milan, a pu déclarer que la fin de l’État pontifical a été pour l’Église une libération. Mais Montini, s’il s’était trouvé dans les circonstances de Pie IX, aurait peut-être été aussi tourmenté que lui. Car Pie IX tout simplement, en tant que personne, ne se sentait pas le droit de renoncer à l’État pontifical. Un État qui n’était pas sa propriété privée mais qu’il avait hérité de ses prédécesseurs. Parfois Dieu nous libère de certains poids d’une manière douloureuse.
    Éliminer dans ce domaine les équivoques dans lesquelles la papauté est confondue avec une sorte d’ imperium sacré pourrait favoriser, entre autres, les rapports œcuméniques avec ce que l’on appelle parfois les Églises sœurs. Par où commencer?
      COTTIER: Il ne faut jamais oublier que le magistère est un service et, en tant que tel, un instrument. La finalité de l’Église est le salut du m onde . La fonction du magistère dans l’Église, qui commence avec la garde de la vérité révélée et avec la conduite quotidienne du peuple de Dieu, se justifie en vue de cette fin. Et cela détermine les critères et les modalités de l’exercice de l’ auctoritas dans l’Église. Mais je profite de cette question pour dire que l’expression Églises sœurs ne me convainc pas . L’Église est une. C’est une autre chose de parler d’ Églises locales . L’utilisation de cette expression est correcte . Quand Paul VI, évêque de Rome, rencontre Athênagoras, évêque de Constantinople, ce sont deux chefs d’Églises locales qui se rencontrent. Le pape Jean Paul II souligne lui aussi le fait qu’il est pape en tant qu’évêque de Rome. Il y a quelque temps, il a même parlé en romanesco [langue populaire de Rome]!
       Votre itinéraire humain et chrétien est très peu curial . Commençons par l’époque de votre jeunesse: la France occupée, les revues catholiques censurées, et vous, avec quelques amis, vous faites une petite résistance …
      COTTIER: Genève est proche de la France. Nous sommes de culture française. L’occupation de la France a été un choc terrible. Je terminais mes études au lycée. Avec l’un de mes meilleurs amis nous lisions le Temps présent , une revue catholique qui était auparavant liée aux dominicains et dont la rédaction s’était repliée à Lyon après l’occupation. Son directeur était Stanislas Fumet. Nous l’avons invité à Genève. Il nous a parlé de la vie en France, de la censure et de tout le reste. Il nous a incités à prendre des initiatives. Nous avons commencé à publier des textes libres qui étaient interdits en France. Il en est sorti une très belle collection, les Cahiers du Rhône . Fumet avait une grande dévotion au sanctuaire de la Salette. Une fois, après y avoir été autorisés, nous avons réussi à organiser un pèlerinage à ce sanctuaire et nous nous y sommes rencontrés.
       Qui est-ce qui a le plus contribué à votre vocation dominicaine, saint Thomas ou saint Dominique?
      COTTIER: Peut-être plus saint Thomas. J’étais à l’Université. J’avais une tante religieuse dominicaine et cela a beaucoup compté. Puis Journet m’a fait connaître l’œuvre de Maritain . J’étais en contact aussi avec le père Domenach, un juif converti, grand ami de Journet, qui était à Fribourg. Ma vocation a mûri dans ce milieu et à travers ces rencontres.
      Dans un bref portrait que fait de vous M. Chenaux, il est écrit que cette génération a été marquée par la condamnation qu’a faite Pie XI de l’Action française, le mouvement qui voulait restaurer la société sur la base des valeurs chrétiennes.
      COTTIER: C’est un choc qui a marqué surtout la génération précédant la mienne et qui laisse des traces encore aujourd’hui. Beaucoup de catholiques favorables à Pétain étaient des anciens de l’Action française. Maritain lui aussi est passé par là. Sa femme Raïssa explique dans ses mémoires que leur père spirituel, le père Clerissac, en faisait presque un devoir religieux. Cela semblait un choix évident. La situation était par certains aspects semblable à celle d’aujourd’hui. Un moment de confusion . Les gens ne savent plus où nous sommes, la morale est en pleine décadence, et l’on propose les contenus chrétiens comme les facteurs d’un ordre éthique . Beaucoup de gens adhéraient à cette perspective. Le groupe de Lefebvre, aujourd’hui encore, marche sur les traces de l’Action française.
    Mais il y a aujourd’hui aussi un vaste front qui exalte le christianisme comme matrice culturelle de l’Occident. Il suffit de penser aux théoriciens néo-conservateurs qui influencent la géopolitique des États-Unis. Ne nous trouvons-nous pas, sous une forme plus raffinée, devant le retour de catégories semblables à celles de l’Action française?
      COTTIER: L’Action française était un problème typiquement catholique, de la France catholique. La principale racine culturelle de certaines théories sur la mission historique des États-Unis est sûrement un certain fondamentalisme protestant teinté d’eschatologie, dans lequel on cultive une vision géopolitique qui a pour perspective la fin des temps et pour lequel l’une des clefs du problème est le rôle de l’État d’Israël. Une idéologie politico-religieuse très forte qui a, sans aucun doute, pesé. Mais il y a aussi en Europe des exaltations du christianisme comme facteur de civilisation qui ne me convainquent pas. J’ai été frappé par la polémique sur le crucifix qui s’est déroulée en Italie, ces mois derniers. On a dit, et certains catholiques l’ont fait , que la croix est d’une extrême importance même pour les non-croyants, comme symbole culturel. Eh bien non! Cette croix est la croix de Jésus! Que le christianisme ait aussi des conséquences culturelles, nous sommes tous d’accord sur ce point . Mais le catholicisme n’est pas un fait culturel . Il y a une forme de conservatisme qui crée la confusion.
      Cela me fait penser à une idée que vous avez déjà exprimée en 1969, dans un article sur Nova et Vetera: la religion comme instrumentum regni est l’autre face de la religion comme opium du peuple.
       COTTIER: Maurras, l’un des fondateurs de l’Action française, était un positiviste. Il exaltait le catholicisme comme la religion des Français . Ce qui l’intéressait, c’était la France, non le catholicisme ni l’Église. C’est une attitude que nous trouvons aussi dans la philosophie des Lumières. Voltaire envoyait ses domestiques à la messe. Il pensait que la religion était utile pour que le peuple se tienne tranquille. C’est là la conception d’un Maurras et aussi d’un Mussolini qui avait lu Maurras. Mais Dieu a été mis à la porte . Le Christ n’est pas intéressant . Il ne faut être naïf. Il est facile de voir qui nie explicitement Dieu. Mais celui qui se sert de lui l’offense gravement. Et il est plus insidieux.
      Venons-en à votre amitié avec Jacques Maritain. Comment l’avez-vous connu?
      COTTIER: De 1946 à 1952, j’étais à Rome, à l’Angelicum, où je suivais les cours de théologie et de philosophie. À l’époque, Maritain était ambassadeur de France près le Saint-Siège. Je connaissais ses œuvres. Je suis entré en contact avec lui (présenté par Journet). Je me rappelle un repas au Palais Taverna où Maritain avait aussi comme hôte le père Garrigou-Lagrange qui avait critiqué pour des questions politiques le philosophe thomiste, lequel en avait beaucoup souffert.
       Qu’est-ce qui, dans l’approche philosophique de Maritain, vous semble le plus utile à proposer à nouveau aujourd’hui?
      COTTIER: La capacité, qui est propre à toute la tradition thomiste et que reprend Maritain, à établir des distinctions. Renoncer à distinguer ce qui est distinct mène à la confusion et nie ce que l’on voulait éventuellement défendre au départ. Si tout est grâce, il n’y a plus de grâce . L’un des dangers, que je remarque, par exemple, dans la théologie des religions, c’est d’attribuer de manière univoque tout le religieux à l’Esprit Saint. Il y a des valeurs humaines religieuses très respectables, mais cela ne veut pas dire qu’elles sont salvifiques. Elles sont d’un ordre différent de la grâce du Christ, laquelle sauve. Il se peut que parfois la distinction entre grâce et nature ait été mal présentée, comme si la grâce était superposée à la nature. Ce qui n’a jamais été la pensée de Thomas. La grâce opère de l’intérieur de la nature . Mais la nature a sa réalité propre.  

Cela vaut pour l’extérieur. Mais vous remarquez aussi de la confusion à l’intérieur de la religion catholique?
      COTTIER: Oui, un certain panchristisme , par exemple, ne me semble pas approprié. Un système théologique qui absorbe toute la réalité dans le Christ finit par faire du Christ une sorte de postulat métaphysique de l’affirmation de valeurs humaines. Et il nous rend incapables de dialoguer sérieusement, même au niveau des droits de l’homme. Et puis, dire que tous les hommes sont déjà du Christ, qu’ils le sachent ou non, peut rendre la mission inutile.
       Cela peut en même temps exprimer une tendance à l’intolérance et à l’hégémonie. «L’idée que nous sommes tous chrétiens sans le savoir me semble un impérialisme religieux», a dit un jour Ratzinger. Cette interview date d'avant l'élection de Benoît XVI
      COTTIER: On ne naît pas chrétien. On naît juif, on naît musulman. On devient chrétien par le baptême et par la foi. C’est pourquoi le christianisme est sans arme. Une absence d’arme divine. Car, à la différence de ce qui peut se passer dans d’autres religions, on ne fabrique pas les chrétiens, par le seul fait de les mettre au monde. Chaque enfant doit personnellement faire le pas, personne ne peut le faire à sa place. Le milieu, la catéchèse, peuvent l’aider. Mais aucune situation sociologique ne peut remplacer l’attrait qui est un don de la grâce, qui fait adhérer la liberté personnelle.
      Vous avez passé une bonne partie de votre vie à étudier Marx. Comment êtes-vous arrivé au philosophe de Trèves?
      COTTIER: Mes supérieurs m’ont demandé quand j’ai eu terminé mes études ecclésiastiques, de faire une thèse à l’Université de Genève où avait été ouvert un nouveau couvent de notre Ordre. Beaucoup de mes camarades d’étude avaient été pris par le communisme. On n’arrive plus à imaginer aujourd’hui la fascination qu’a exercée sur les esprits le communisme après la guerre. Et puis cela m’intéressait de comprendre le rapport entre le marxisme et l’athéisme. J’ai concentré toutes mes études sur cette question.
       Et qu’avez-vous découvert?
      COTTIER: J’ai compris que la racine de l’athéisme de Marx était tout entière dans Hegel. Comme l’a dit Karl Löwith, la philosophie de Hegel est une imposante «christologie gnostique». Hegel, au moment même où il exalte au maximum l’importance culturelle du christianisme pour le chemin de la civilisation, nie la foi des apôtres en Jésus. Dans l’horizon qui est le sien, le Christ n’intéresse que comme idée, comme modèle divin. Il ne sait que faire de Jésus comme personnage historique, sensible. Kierkegaard, qui pour moi est un grand de la philosophie, avait compris tout cela.
       Vous avez connu aussi dans ces années l’expérience des prêtres ouvriers. Vous étiez en effet l’ami de l’un d’eux, Jacques Loew…
      COTTIER: Loew, à l’é­poque, était un dominicain. Magdaleine Delbrel et les Petits frères de Charles de Foucauld étaient proches de lui, à St-Maximin. C’est là que je l’ai connu. Puis j’ai fréquenté sa mission ouvrière. Il m’interrogeait sur mes connaissances du marxisme. Les autorités de l’Ordre l’ont frappé de façon exagérée, sans un discernement suffisant. Certains prêtres ouvriers s’étaient jetés dans l’activisme syndical , ils avaient pris la carte du parti. Certains éléments particuliers ont compromis la cause. Mais il avait, lui, toujours distingué l’engagement missionnaire de l’engagement politique. Et son idée d’aller dans les milieux déchristianisés, de participer à la vie ordinaire des gens, me semble aujourd’hui encore une attitude missionnaire. Ils vivaient comme des gens pauvres. C’étaient de vrais travailleurs.
       Votre fréquentation du marxisme explique aussi votre participation active aux fameux dialogues organisés après le Concile par le Secrétariat pour les non-croyants.
      COTTIER: Je n’ai jamais été séduit par le marxisme. Un de mes amis, qui était dans la diplomatie française et qui était en Russie au moment de la guerre, m’avait raconté la réalité terrible du communisme et ce récit m’a vacciné pour toujours. Mais les régimes communistes semblaient alors destinés à durer. Le dialogue avec les marxistes s’est vraiment débloqué quand sont apparues les premières crises internes du communisme, On s’est rendu compte alors que les communistes n’étaient pas tous semblables. Les Allemands de l’Est, par exemple, étaient plus durs, les Hongrois plus disponibles. À Strasbourg – l’époque de Gorbatchev était déjà commencée –, ils ont commencé à s’ouvrir. C’était très intéressant, on voyait qu’ils se posaient des questions existentielles sincères.
      En raison toujours de vos compétences dans le domaine du marxisme, vous avez participé activement aussi au débat sur la théologie de la libération.
      COTTIER: La théologie de la libération était alors fortement contaminée par des thèmes marxistes . Une contamination qui risquait de réduire tout l’espérance chrétienne à des interprétations politiques et sociologiques. Il est intéressant de voir l’évolution du père Gutierrez, qui est maintenant devenu un auteur spirituel d’Amérique latine totalement original. Alors qu’au début ils subissaient tous l’influence des auteurs européens.
       En 1984 et en 1986, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a publié les deux fameuses instructions sur la théologie de la libération. Ne s’est-on pas acharné, ces années-là, outre mesure contre cette tendance théologique?
      COTTIER: Beaucoup d’entre eux s’étaient jetés sur le marxisme sans esprit critique. Une correction était nécessaire. Mais le fruit de ce débat a été l’option préférentielle pour les pauvres. La dialectique a donné naissance à cette synthèse positive .
       Dernière question: en tant que président de la Commission historico-théologique instituée pour le Jubilé de l’an 2000, vous avez coordonné le travail préparatoire pour la demande de pardon pour les fautes du passé, demande voulue par le Pape pour le Carême de la dernière Année sainte. Que pensez-vous de cette demande de pardon qui suscite encore dans l’Église des controverses?
      COTTIER: Certains ont dit que se manifestait là un esprit de nouveauté excessif. Mais l’Église a toujours su que le péché existe. Nous faisons au début de chaque messe notre mea culpa pour nos péchés. Tout ce qui se fait au nom de l’Église n’est pas Église. Ce discernement et la demande de pardon, je les considère comme les points les plus importants sur lesquels a insisté le pontificat de Jean-Paul II .   

Propos recueillis par par Gianni Valente (avant la nomination du pape Benoît XVI)

30 DAYS In the Church and the world international monthly edited by Giulio Andreotti

 

 

Propos attribués au cardinal Cottier: Humour.

Je ne viens pas ici pour porter la confusion, ni pour occasionner des disputes. Les traditionalistes aiment se battre, surtout les Français . (Rires). Les Français ont un esprit belliqueux, ils aiment chercher les points de désaccord. C'est bon de se battre ! Mais il faut construire pour l'Eglise. Il ne faut pas se battre tout le temps sinon on fait la guerre entre soi comme du temps de Vercingétorix, juste pour faire la guerre.

  Eucharistie, Sacrement de la Miséricorde. 0401061 - EGLISE

 

 » Sélection des derniers articles  
page précédente haut de page page suivante