Les liturgistes modernes, Benoît XVI et la
fonction sociale du dimanche |
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Rome, le 03 décembre 2007 -
(E.S.M.) - La question qui se pose maintenant
pour le chrétien, observe Benoît XVI, est la suivante : était-il
opportun de mettre en danger la grande fonction sociale du sabbat, de
briser l'ordre sacré d'Israël, au profit d'une communauté de disciples
que, pourrait-on dire, seule la figure de Jésus définit ?
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Les épis
arrachés par les disciples le jour du sabbat -
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Les liturgistes modernes, Benoît XVI et la
fonction sociale du dimanche
II. La Torah du Messie
1)
II a été dit - Et moi je vous dis :
Benoît XVI
2) (suite)
La querelle du
sabbat
Suivons le dialogue de Neusner - le Juif croyant - avec Jésus et commençons
par le sabbat. Pour Israël, rapporte Benoît XVI, observer scrupuleusement le sabbat est
l'expression centrale de son existence en tant que vie dans l'alliance avec
Dieu. Même la lecture superficielle des Évangiles permet de savoir que la
querelle concernant ce qui doit être fait ou non pendant le sabbat est au
centre de la discussion que Jésus mène avec le peuple d'Israël de son temps.
L'interprétation courante consiste à dire que Jésus a rompu avec une
pratique légaliste bornée pour gratifier Israël d'une conception plus
généreuse et plus libérale, ouvrant ainsi la porte à une pratique
raisonnable et conforme à chaque situation. On en veut pour preuve la phrase
suivante : « Le sabbat a été fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le
sabbat » (Mc 2, 27), où l'on
trouve une conception anthropocentrique de toute la réalité, de laquelle
ressortirait de manière évidente une interprétation « libérale » des
commandements. C'est justement des querelles autour du sabbat que l'on
déduit l'image d'un Jésus libéral. Sa critique du judaïsme de son temps
serait la critique que fait l'homme libéral et raisonnable d'un légalisme
figé, dont le fond n'est plus qu'hypocrisie et qui réduit la religion à
n'être plus qu'un système asservissant de préceptes en fin de compte
déraisonnables, qui empêcheraient l'homme de développer son action et sa
liberté. Il va de soi que cette interprétation ne pouvait guère susciter une
image très sympathique du judaïsme. Il est vrai que la critique moderne, à
commencer par celle de la Réforme, voyait « l'élément juif » ainsi conçu être
présent dans le catholicisme.
Quoi qu'il en soit, ce qui est débattu ici, c'est Jésus — qui était-il
réellement et que voulait-il vraiment ? —, ainsi que
la question de la réalité du judaïsme et du christianisme : Jésus a-t-il été
en réalité un rabbi libéral ? un précurseur du libéralisme chrétien ? Le
Christ de la foi et, par conséquent, toute la foi de l'Église ne
seraient-ils donc qu'une grosse erreur ?
Neusner écarte ce type d'interprétation avec une célérité surprenante, et il
peut le faire parce qu'il pointe le véritable objet du litige de façon tout
à fait convaincante. À propos de la discussion concernant les disciples qui
arrachent les épis, il se contente de dire : « Ce qui m'inquiète, par
conséquent, n'est pas le fait que les disciples aient violé le commandement
d'observer le sabbat. Ce serait absurde et passerait à côté de l'essentiel
(Ibid., P- 87). » Certes, quand
nous lisons la querelle sur les guérisons accomplies le jour du sabbat et
les récits sur la tristesse et la colère du Seigneur causées par la dureté
de cœur des représentants de l'interprétation dominante du sabbat, nous
voyons que, dans ces débats, ce sont les questions fondamentales concernant
l'homme et la bonne façon d'honorer Dieu qui sont en jeu. A cet égard, même
cet aspect du conflit n'est sûrement pas que « banal ». Neusner a pourtant
raison quand il voit le nœud du conflit dans la réponse que fait Jésus à
propos de la querelle des épis arrachés un jour de sabbat.
Jésus défend la façon dont les disciples apaisent leur faim en invoquant
d'abord David, qui avait mangé les pains de l'offrande dans la maison de
Dieu avec ses compagnons, « or, cela n'était permis ni à lui, ni à ses
compagnons, mais aux prêtres seulement. »
(Mt 12, 4). Après quoi il poursuit : « Ou bien encore,
n'avez-vous pas lu dans la Loi que le jour du sabbat, les prêtres, dans le
Temple, manquent au repos du sabbat sans commettre aucune faute ? Or, je
vous le dis : il y a ici plus grand que le Temple. Si vous aviez
compris ce que veut dire cette parole : C'est la miséricorde que je désire,
et non les sacrifices (Os 6, 6 ; cf. 1 S
15, 22), vous n'auriez pas condamné ceux qui n'ont commis aucune
faute. Car le Fils de l'homme est maître du sabbat
»
(Mt 12, 4-8). Neusner commente : «
Lui (Jésus) et ses disciples peuvent faire ce qu'ils font le jour du sabbat
parce qu'ils ont pris la place des prêtres dans le Temple : le sanctuaire
s'est déplacé. Il est désormais constitué par le cercle du Maître et de ses
disciples
(Ibid., P- 86s). »
II est temps, averti Benoît XVI, de s'arrêter un instant afin de voir
ce que le sabbat
signifiait pour Israël, et ainsi de comprendre les enjeux de cette querelle.
Dieu s'est reposé le septième jour, nous dit le récit de la création. « Ce
jour-là, nous fêtons la création », conclut Neusner avec raison
(Ibid., P- 86s).
Et il poursuit : « Ne pas travailler le jour du sabbat est
plus qu'accomplir un rite avec une obéissance scrupuleuse. C'est une façon
d'imiter Dieu
(Ibid. , P- 78).
» Est donc partie intégrante du sabbat, non seulement, sur
le mode négatif, le fait de s'abstenir de toute activité extérieure, mais,
positivement cette fois, le « repos » qui doit aussi trouver une expression
spatiale : « Pour observer le sabbat, il faut donc rester chez soi. Le
renoncement à tout travail ne suffit pas, il faut également se reposer, et
cela signifie, sur le plan social, que le cercle familial et domestique est
rétabli un jour par semaine, cercle à l'intérieur duquel chacun est chez soi
et où tout est à sa place
(Ibid. , P- 84).
» Le sabbat n'est pas seulement une affaire de religiosité
personnelle, c'est le noyau d'un ordre social : « Ce jour fait de l'éternel
Israël ce qu'il est, le peuple qui se repose le septième jour de sa
création, comme Dieu l'avait fait après la création du monde
(Ibid., P- 77).
»
Dans ce contexte, il serait sans doute opportun d'amorcer une réflexion sur
notre société contemporaine et de considérer combien il serait salutaire que
les familles puissent passer une journée ensemble et fassent de leur maison
le foyer et le lieu de l'accomplissement de la communion dans le repos de
Dieu. Mais interdisons-nous ici ce genre de considérations et restons-en au
dialogue entre Jésus et Israël, qui est aussi un dialogue entre Jésus et
nous, comme l'est aujourd'hui notre dialogue avec le peuple juif.
Le thème du « repos » comme élément constitutif du sabbat permet à Neusner
de faire référence au cri de jubilation de Jésus, qui, dans l'Évangile selon
Matthieu, précède l'épisode des épis arrachés par les disciples. Il s'agit
de ce qu'on appelle le cri d'allégresse messianique, qui commence ainsi : «
Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as
caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits...(Mt 11, 25-30). » Dans notre
interprétation classique, ces deux textes évangéliques apparaissent
complètement différents l'un de l'autre : l'un parle de la divinité de
Jésus, l'autre de la querelle du sabbat. Chez Neusner, il apparaît
clairement que les deux textes sont étroitement liés, car il s'agit dans les
deux cas du mystère de Jésus, du « Fils de l'homme », du « Fils » par
excellence.
Voici les phrases qui précèdent immédiatement l'épisode du sabbat : « Venez
à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous
procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je
suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est
facile à porter, et mon fardeau, léger »
(Mt 11, 28-30). D'ordinaire, on en donne une interprétation
moralisante à partir de la conception d'un Jésus libéral : comparée au «
légalisme juif », la conception libérale de la Loi qui est celle de Jésus
faciliterait la vie. Dans la pratique, cette
interprétation n'est guère convaincante, étant donné que suivre le Christ
n'est pas très facile - du reste Jésus n'avait jamais affirmé cela. Mais
alors ?
Neusner nous montre qu'il ne s'agit pas d'une forme de moralisme, mais d'un
texte hautement théologique ou, pour être plus précis, d'un texte
christologique. Le thème du repos et le thème conjoint de la peine et du
fardeau rattachent le texte à la question du sabbat. Le repos dont il s'agit
a désormais un lien avec Jésus. L'enseignement de Jésus concernant le sabbat
apparaît désormais dans l'harmonie ainsi établie entre le cri d'allégresse
et les paroles qui font du Fils de l'homme le maître du sabbat. Voici la
synthèse qu'en donne Neusner : « Mon joug est léger, je vous donne du repos.
Le Fils de l'homme est vraiment maître du sabbat. Car le Fils de l'homme est
désormais le sabbat d'Israël et c'est ainsi que nous agissons comme Dieu
(Ibid., P- 90).
»
A présent, Neusner peut affirmer encore plus clairement qu'auparavant : « II
n'est donc pas surprenant que le Fils de l'homme devienne maître du sabbat !
Non parce qu'il fait une interprétation libérale des restrictions du
sabbat... Jésus n'avait rien d'un réformateur rabbinique désireux de
"faciliter" la vie aux hommes... Non, il ne s'agit nullement d'alléger un
fardeau... C'est l'autorité de Jésus qui est en jeu...(Ibid.,
P- 89) » « Maintenant le Christ est sur la montagne, maintenant il
prend la place de la Torah
(Ibid., P- 91).
» L'entretien du Juif croyant avec Jésus touche ici le
point décisif. Et d'interroger, avec cette timidité qui l'honore, non pas
Jésus lui-même, mais le disciple de Jésus : « "Ton maître, le Fils de
l'homme, est-il vraiment le maître du sabbat ?" Et je demande une nouvelle
fois : "Ton maître est-il Dieu ?"
(Ibid., P- 92).
»
Voilà donc mis au jour le véritable nœud de la querelle. Jésus se conçoit
lui-même comme la Torah, comme la
Parole de Dieu en personne. Le majestueux prologue de l'Évangile de Jean - «
Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès
de Dieu, et le Verbe était Dieu » - ne dit rien d'autre que ce qu'affirme
Jésus dans le Sermon sur la montagne et dans les Évangiles synoptiques. Le
Jésus du quatrième Évangile et le Jésus des synoptiques sont une seule et
même personne : le vrai Jésus « historique ».
Le cœur des divergences à propos du sabbat concerne la question du Fils de
l'homme, la question de Jésus Christ lui-même. Nous voyons une fois encore à
quel point Harnack, et à sa suite l'exégèse libérale, se trompait, quand il
pensait que le Fils, que le Christ, n'avait pas sa place dans l'Évangile de
Jésus : en réalité il en est toujours le centre.
Mais il nous faut maintenant considérer un autre aspect du problème,
constate Benoît XVI, qui
apparaîtra beaucoup plus nettement à propos du quatrième commandement : ce
qui choque le rabbin Neusner dans le message de Jésus à propos du sabbat, ce
n'est pas seulement le caractère central de Jésus lui-même. Il le souligne
très clairement et, tout compte fait, ne le met pas en question. Ce qu'il
met en question, c'est la conséquence qui en ressort pour la vie concrète
d'Israël : le sabbat perd son importante fonction sociale. Le sabbat fait
partie des éléments essentiels qui assurent la cohésion d'Israël en tant
qu'Israël. Dès lors que Jésus est mis au centre, cette structure sacrée se
brise, et un élément essentiel de la cohésion du peuple se trouve menacé.
La prétention de Jésus lui-même a pour conséquence que la communauté des
disciples de Jésus est le nouvel Israël. Cela ne trouble-t-il pas forcément
celui à qui l'« éternel Israël » tient à cœur ? La question de la prétention
de Jésus à être lui-même la Torah et le Temple en personne a aussi
un rapport avec le thème d'Israël - la question de la communauté vivante du
peuple -, dans lequel la Parole de Dieu se réalise. Dans la majeure partie
du livre de Neusner, c'est justement ce second aspect qui est souligné,
comme nous allons le voir à présent.
La question qui se pose maintenant pour le chrétien,
observe Benoît XVI, est la suivante :
était-il opportun de mettre en danger la grande fonction sociale du sabbat,
de briser l'ordre sacré d'Israël, au profit d'une communauté de disciples
que, pourrait-on dire, seule la figure de Jésus définit ? Cette question ne
pourrait et ne peut se clarifier que dans le développement de la communauté
des disciples, c'est-à-dire de l'Église. Mais ce n'est pas le moment de
l'approfondir. La résurrection de Jésus eut lieu « le premier jour de la
semaine », si bien que, pour les chrétiens, ce « premier jour » - le début
de la Création - devint désormais le « jour du Seigneur », vers lequel se
rassemblèrent les éléments essentiels du sabbat vétérotestamentaire, à
travers la communion dans le repas avec Jésus.
Qu'à cette occasion l'Église ait aussi repris la fonction sociale du sabbat,
toujours dans la perspective du « Fils de l'homme », trouva une confirmation
éclatante lorsque Constantin, avec sa réforme juridique d'inspiration
chrétienne, associa notamment à cette journée des libertés pour les esclaves
et introduisit donc, dans le système juridique fondé sur les principes
chrétiens, le jour du Seigneur comme jour de la liberté et du repos.
Je
trouve extrêmement inquiétant que des liturgistes modernes veuillent de
nouveau écarter cette fonction sociale du dimanche,
enracinée dans la
continuité de la Torah d'Israël, en la qualifiant d'égarement constantinien.
Mais là, on est naturellement confronté au problème du rapport entre foi et
ordre social,
entre foi et politique, qui va solliciter toute notre attention dans la
prochaine section.
donc à suivre... :
3) La famille, le peuple et la
communauté des disciples de Jésus
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"Jésus de Nazareth"
Sources: www.vatican.va
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(E.S.M.) 03.12.2007 - BENOÎT XVI
- T/J.N. |