Carlo Martini, l'antépape de Benoît XVI
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Rome, le 03 novembre 2008 -
(E.S.M.)
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Dans son dernier livre-interview, publié d’abord en Allemagne et maintenant
en Italie, le cardinal Carlo Maria Martini se définit non comme un antipape
– c’est ainsi que les médias le dépeignent souvent – mais comme "un antépape,
un précurseur et un préparateur pour le Saint-Père Benoît XVI".
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Le cardinal Carlo Maria
Martini
Carlo Martini, l'antépape de Benoît XVI !
Le Jésus du cardinal Martini n'aurait jamais écrit "Humanæ Vitæ"
Le 03 novembre 2008 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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C'est un Jésus qui lutte contre l'injustice. Et donc aussi contre les
"mensonges" et les "torts" de l'encyclique de Paul VI
(Humanae
Vitae) qui a interdit la
contraception artificielle. C'est ce qu'écrit l'ancien archevêque de Milan
dans son dernier livre. Mais au même moment, dans un autre livre, deux
chercheuses présentent autrement l'esprit de ce document.
En tout cas, si l’on s’en tient au contenu du livre, le cardinal Martini
apparaît très éloigné, sur bien des points, du pape actuel et de ses récents
prédécesseurs.
Si l’on compare, par exemple, le "Jésus
de Nazareth" de Benoît XVI au Jésus
que décrit le cardinal Martini dans ce livre, la distance est
impressionnante. C’est ce qu’explique très bien le jésuite allemand qui
interviewe le cardinal, le père Georg Sporschill, qui ne cache pas à qui va
sa préférence :
"Le livre du pape Benoît XVI est une profession de foi en Jésus. Le cardinal Martini
nous présente Jésus dans une autre perspective. Jésus est l'ami du publicain
et du pécheur. Il écoute les demandes de la jeunesse. Il apporte le
désordre. Avec nous, il lutte contre l'injustice".
Il en est bien ainsi. Le cardinal présente le Sermon sur la Montagne comme
une charte des droits des opprimés. La justice est "l'attribut fondamental
de Dieu" et "le critère de distinction" selon lequel Il nous juge. L'enfer
"existe et il est déjà sur terre": dans la prédication de Jésus, il était
"un avertissement" incitant à ne pas produire trop d’enfer ici-bas. Le
purgatoire est, lui aussi, "une image" développée par l’Église, "une
représentation humaine qui montre comment on peut être préservé de l'enfer".
L’espérance finale est "que Dieu nous accueille tous", quand la justice
cèdera le pas à la miséricorde.
Comme toujours, le mode d’expression de Martini est le clair-obscur, le
nuancé, et cela dès le titre du livre, "Conversations nocturnes à Jérusalem.
Sur le risque de la foi". A propos du célibat du clergé, par exemple, il dit
et ne dit pas. De même à propos des femmes prêtres. Ou de l'homosexualité.
Ou du préservatif. Même quand il critique la hiérarchie de l’Église il ne
nomme ni les gens ni les choses.
Mais, cette fois, il y a une exception. Un chapitre du livre prend pour
cible explicite l'encyclique "Humanae
Vitae" (1968) de Paul VI sur le mariage
et la procréation. Martini l'accuse d'avoir créé "un tort grave" en
interdisant la contraception artificielle : "beaucoup de gens se sont
éloignés de l’Église et elle s’est éloignée des gens".
Martini reproche à Paul VI d'avoir caché délibérément la vérité, laissant
aux théologiens et pasteurs le soin de réparer ensuite les dégâts en
adaptant les règles à la pratique :
"J’ai bien connu Paul VI. Par l'encyclique il voulait exprimer son respect
de la vie humaine. Il a expliqué son intention à des amis en utilisant une
comparaison : il ne faut pas mentir, mais il est parfois impossible de faire
autrement; soit il faut cacher la vérité, soit on ne peut éviter de dire un
mensonge. C’est aux moralistes d’expliquer où commence le péché, surtout
dans les cas où existe un devoir plus grand que la transmission de la vie".
En effet, poursuit le cardinal, "après l'encyclique Humanæ Vitæ, les évêques
autrichiens, allemands, et beaucoup d’autres évêques ont pris, quand ils
disaient leur préoccupation, une orientation que l’on pourrait poursuivre
aujourd’hui ". Une orientation qui exprime "une nouvelle culture de la
tendresse et une approche de la sexualité plus libre de préjugés".
Mais après Paul VI est venu Jean-Paul II, qui "a suivi la voie d’une
application rigoureuse" des interdits de l'encyclique. "Il ne voulait pas
que des doutes naissent à ce sujet. Il paraît qu’il avait même pensé à une
déclaration qui aurait bénéficié du privilège de l'infaillibilité
pontificale".
Et après Jean-Paul II est venu Benoît XVI. Martini ne le cite pas, ne semble
pas lui faire confiance, mais il risque cette prévision:
"Le pape ne retirera probablement pas l'encyclique, mais il peut en écrire
une autre qui en soit la continuation. Je suis fermement convaincu que la
direction de l’Église peut indiquer une voie meilleure qu'Humanæ Vitæ.
Savoir reconnaître ses erreurs et l’étroitesse de ses vues d’hier est un
signe de grandeur d'âme et de sûreté de soi. L’Église regagnera de la
crédibilité et de la compétence".
Voilà ce que dit Martini. Mais si l’on se limite à lire son dernier livre,
on n’apprend rien sur la lettre et encore moins sur l’esprit de cette
encyclique très contestée.
A cet égard, le discours du pape Benoît XVI sur "Humanæ Vitæ,"
le 10 mai 2008, est bien
plus instructif. Évoquant son contenu, il a déclaré que "40 ans après sa
publication, cet enseignement manifeste sa vérité intacte, mais aussi la
prévoyance avec laquelle le problème a été traité".
Il est encore plus intéressant, pour comprendre dans quel contexte proche ou
lointain "Humanae
Vitae" a pris forme, de lire un livre publié en Italie peu
avant celui du cardinal Martini.
Son titre est : "Deux en une seule chair. Église et sexualité dans
l’histoire". Les auteurs sont des chercheuses, toutes deux militantes
féministes dans les années 70 et historiennes, l'une laïque et l'autre
catholique: Margherita Pelaja et Lucetta Scaraffia.
Cette dernière consacre un long chapitre à "Humanæ Vitæ", dont elle
reconstruit la genèse, le contenu et les développements. En voici la partie
finale :
Et la méthode des époux Billings arriva
par Lucetta Scaraffia
Si Paul VI n’a pas réussi à se faire comprendre, écouter, par les "hommes de
notre temps", c’est que ses paroles n’ont pas réussi à franchir le mur de
déception et de protestation dressé dès le début contre "Humanæ Vitæ", même
parmi les catholiques. Le dialogue des innovateurs déçus et de l’Église
ressemble, si on le relit aujourd’hui, à un dialogue de sourds, au point que
cette encyclique reste, parmi celles du XXe siècle, celle que l’Église
elle-même évoque le moins, presque comme un incident pénible, à oublier.
Malgré cela, le magistère de l’Église a repris, dans les années suivantes,
les thèses de l’encyclique. Celle-ci condamne fermement l’intervention
humaine dans la procréation, ce que, du reste, Jean XXIII avait déjà annoncé
sans ambiguïté dans l’encyclique "Mater
et magistra" de 1961. Ce sera un
précédent important pour la morale catholique non seulement en matière de
contrôle des naissances, mais aussi de techniques de fécondation
artificielle et de manipulation d’embryons qui se développeront à la fin du
XXe siècle. La conception de la loi naturelle qui y est exprimée – une
conception plutôt personnaliste mais en tout cas liée à l’idée que la nature
humaine doit être respectée parce qu’elle a été créée par Dieu à son image
et à sa ressemblance – sera reprise et développée par Jean-Paul II.
En effet l’un des plus pertinents et courageux défenseurs de l’encyclique a
été le cardinal Karol Wojtyla, qui avait déjà été l’un des consultants de
Paul VI. Wojtyla était d’ailleurs l’un des rares cardinaux à s’être occupé
de morale sexuelle, dans un livre intitulé "Amour et responsabilité", publié
en polonais en 1960 puis traduit en d’autres langues européennes. Dans son
livre, Wojtyla aborde des sujets comme "analyse du mot jouir", "libido et
néo-malthusianisme", "analyse de la sensualité" et "chasteté et rancœur"
avec une clarté et une liberté de langage à laquelle la tradition catholique
n’était certes pas habituée.
Sa définition de la tendance sexuelle s’oppose à "un esprit hypnotisé par
l’ordre biologique" et fait une large place à la personne humaine dans son
ensemble: "La tendance sexuelle est la source de ce qui se produit en
l’homme, des divers événements qui ont lieu dans sa vie sensorielle ou
affective sans participation de sa volonté. Cela prouve qu’elle fait partie
de l’être humain dans son ensemble et pas seulement de l’une de ses sphères
ou facultés. Imprégnant tout l’homme, elle a le caractère d’une force, qui
se manifeste non seulement à travers ce qui se produit dans le corps de
l’homme, dans ses sens ou ses sentiments, sans participation de la volonté,
mais aussi à travers ce qui s’y forme avec le concours de celle-ci".
Le futur pape critique le concept freudien de libido pour sa corrélation
étroite "avec l’attitude utilitariste", qui confère à l’acte sexuel un sens
purement égocentrique: "La sensualité à elle seule n’est donc pas l’amour et
elle peut même devenir très facilement le contraire de l’amour".
Mais il ne condamne pas pour autant la sexualité ou le corps: "Il faut
préciser qu’il existe une différence entre l’amour charnel et l’amour du
corps, parce que le corps, en tant qu’élément de la personne, peut aussi
être objet d’amour et pas seulement de concupiscence".
En conclusion, après avoir dénoncé l’erreur d’une culture qui "refuse de
reconnaître la grande valeur de la chasteté pour l’amour" il s’attache à
réfuter l’idée, de plus en plus répandue, que "le manque de rapports sexuels
est mauvais pour la santé de l’être humain en général, et pour celle de
l’homme en particulier. On ne connaît pas une seule maladie qui puisse
confirmer la vérité de cette thèse", alors que "les névroses sexuelles sont
surtout dues aux excès dans la vie sexuelle et se manifestent quand
l’individu ne se conforme pas à la nature et à ses processus".
Ce livre montre que Wojtyla, avant même l’encyclique, avait vu le danger –
contre lequel "Humanæ Vitæ" allait mettre en garde – de laisser le problème
de l’acte conjugal et de la procréation hors de la sphère éthique et
d’enlever ainsi à l’homme la responsabilité d’actions profondément
enracinées dans sa structure personnelle. Dans l’article publié dans "L’Osservatore
Romano" du 5 janvier 1969 pour défendre l’encyclique, il reprend
l’interprétation personnaliste de l’acte conjugal et soutient qu’il n’y a
pas identité entre l’amour conjugal et son expression privilégiée, l’acte
sexuel : "Cet amour s’exprime aussi dans la continence – y compris périodique
– parce que l’amour est capable de renoncer à l’acte conjugal, mais qu’il ne
peut renoncer au don authentique de la personne".
Dix ans plus tard, peu avant d’être élu pape, Wojtyla écrit à nouveau sur
l’encyclique. Il cherche à expliquer "la vision intégrale de l’homme" dont
parle Paul VI et à montrer ce qui fait la "dignité de la personne": l’homme
n’est pas un être divisé parce que "l’être et la valeur doivent constituer
ensemble le principe herméneutique de l’homme". L’homme et la femme doivent
donc vivre l’acte conjugal dans la vérité : cette vérité intérieure de l’acte
qui est indiquée par le texte de l’encyclique.
Conscient du malaise qui a accompagné l’apparition d’"Humanæ Vitæ", malaise
encore vivant dix ans plus tard, Wojtyla réalise, à peine devenu pape, le
projet de Paul VI de convoquer un synode sur la famille, qui a lieu en
septembre 1980. Il a l’occasion, au cours de l’assemblée synodale, de
reprendre les thèses de l’encyclique contestée, qu’il présente comme
prophétiques, et de présenter ce qui deviendra les propositions de
l’exhortation apostolique "Familiaris
Consortio" qu’il publiera en 1982. Il
y développe de manière personnaliste les arguments de l’encyclique : l’amour
implique l’homme tout entier; la sexualité "n’est pas quelque chose de
purement biologique, mais concerne la personne humaine en ce qu’elle a de
plus intime"; le mariage a un caractère sacré parce qu’il touche à l’essence
la plus profonde de l’homme, le point où il est lié à Dieu. Le vocabulaire
des fins du mariage est définitivement écarté, tandis que la conception de
la sexualité présentée par le document est pleinement humaine, liée à la
personne qui ne peut jamais être utilisée comme objet. Dans ce contexte, le
corps acquiert une positivité complète, il est lié à l’esprit dans l’unité:
le principe personnaliste implique que toutes les dimensions de l’être
humain participent de la dignité personnelle et soient donc objet de respect
et jamais considérées comme de purs instruments. Pour Jean-Paul II, la
sexualité, intimement liée à la personne, est le signe corporel du don total
de la personne dans sa mise en relation avec une autre personne.
L’attention que le pape porte à ce thème est aussi prouvée par
ses catéchèses, à partir de mai 1984, sur "l’amour humain dans le plan de Dieu".
Il cherche à y mettre en relation la vérité et l’éthique, en réexaminant les
racines de la conception du corps dans la tradition des Écritures.
C’est aussi pendant le pontificat de Jean-Paul II qu’a eu lieu le virage de
la recherche scientifique souhaité par Paul VI dans "Humanæ Vitæ" : la
découverte d’une méthode de régulation des naissances fondée sur la période
mensuelle d’infertilité, facile à appliquer et sûre. Mais, dans le monde
développé, la nouvelle n’a pas dépassé les milieux catholiques et, même là,
elle n’a pas été assez diffusée dans des pays occidentaux comme l’Italie,
alors qu’elle a connu un vif succès dans le Tiers-Monde.
En effet, dans les pays occidentaux, les méthodes naturelles ont continué à
être considérées comme non seulement tout à fait inefficaces mais aussi
incommodes et difficiles à appliquer. Du reste, elles ont une autre
caractéristique, dont on ne parle pas, qui a contribué à les faire dénigrer:
leur gratuité. Aucune société pharmaceutique n’avait intérêt à financer des
recherches sur cette forme de contrôle des naissances qu’il valait mieux
couvrir de ridicule et discréditer.
Mais un couple de médecins australiens de Melbourne – Evelyn et John
Billings, lui issu d’une longue lignée catholique irlandaise, elle convertie
au catholicisme lors de son mariage – a consacré sa vie à cette recherche et
obtenu dès 1964 des résultats importants. Contrairement à celle des
températures ou à la méthode Ogino expérimentées jusqu’alors, la nouvelle
méthode naturelle qui porte leur nom n’est pas compliquée et peu efficace
mais simple et sûre. C’est même une méthode simplissime, sans coûts, fondée
sur la connaissance de son corps que toute femme doit être préparée à avoir.
Ceux qui se souviennent des campagnes féministes en faveur de la découverte
de l’appareil génital féminin – dans les années 70 on conseillait aux femmes
de prendre un miroir et d’explorer leur sexe – jugeront la méthode Billings
parfaite: à travers la connaissance d’elle-même, la femme contrôle sa
capacité à procréer, sans recours à des médecins ou à des médicaments, de
manière tout à fait autonome. Or les féministes l’ont toujours traitée avec
mépris.
Mais, entre-temps, la méthode Billings s’est répandue dans le monde : le
couple australien a pu fonder des centres même en Chine, où le gouvernement
a tout de suite compris l’utilité d’une méthode gratuite et sans effets
collatéraux sur la santé des femmes, et en Inde, où la méthode a été
enseignée par mère Teresa de Calcutta et ses sœurs. Le peu d’enthousiasme
que la méthode semble susciter dans les riches et modernes pays occidentaux
s’explique peut-être aussi quand on voit quel modèle de comportement sexuel
ils jugent souhaitable: la méthode Billings présuppose en effet une fidélité
de couple, une sexualité vécue ensemble et impliquant la responsabilité des
deux partenaires, ce qui est très loin du mythe de la totale liberté
sexuelle et de la séparation entre sexualité et procréation qui s’est
enraciné dans les sociétés occidentales.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
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Source
: Sandro Magister
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 03.11.2008 -
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