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Cardinal Sarah: L'Évangile n'est pas un slogan
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Le 03 mai 2023 -
E.S.M.
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L'Évangile n'est pas un slogan. Il en va de même de notre
action pour apaiser la souffrance des hommes ; il ne s'agit pas de
parler, de discourir, mais de travailler humblement, et d'avoir un
profond respect pour les pauvres. Par exemple, je me rappelle m'être
révolté en entendant la formule publicitaire d'un organisme
caritatif catholique, qui n'était pas loin d'insulter les pauvres :
«.Battons-nous pour une pauvreté zéro »...
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Cardinal SARAH-
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Comment définir la nature de Cor unum, dicastère auquel vous avez
consacré plusieurs années de votre vie, dans sa lutte contre toutes les
misères ? En outre, pourquoi parlez-vous si souvent du rapport étroit entre
Dieu et les pauvres ?
L'Évangile n'est pas un slogan.
Il en va de même de notre action pour apaiser la souffrance des hommes ; il
ne s'agit pas de parler, de discourir, mais de travailler humblement, et
d'avoir un profond respect pour les pauvres. Par exemple, je me rappelle
m'être révolté en entendant la formule publicitaire d'un organisme caritatif
catholique, qui n'était pas loin d'insulter les pauvres
: «.Battons-nous
pour une pauvreté zéro
»... Pas un saint — et Dieu seul connaît le si grand nombre de saints de la
charité que l'Église a engendrés en deux mille ans — n'a osé parler ainsi de
la pauvreté et des pauvres.
Jésus lui-même n'a eu aucune prétention de ce type. Ce slogan
ne respecte ni l'Évangile ni le Christ.
Depuis l'Ancien Testament, Dieu est
avec les pauvres ; et les Saintes Ecritures
ne cessent d'ovationner « les pauvres de Yahvé ». Le pauvre se sent
dépendant de Dieu ; ce lien constitue le fondement de sa spiritualité. Le
monde ne l'a pas favorisé, mais tout son espoir, son unique lumière, est en
Dieu. L'exhortation du psaume 107 est particulièrement significative : «
Qu'ils rendent grâce à Dieu de son Amour, de ses merveilles pour les fils
d'Adam ! Il rassasia l'âme avide, l'âme affamée, il la combla de biens.
Habitants d'ombre et de ténèbre, captifs de la misère et des fers [...] Mais
Dieu relève le pauvre de sa misère, il multiplie comme un troupeau les
familles. »
La pauvreté est une valeur biblique confirmée par le Christ,
lequel s'exclame avec force : « Heureux les pauvres en esprit, car le
Royaume de Dieu est à eux » (Mt 5, 3). Saint Paul dit également que Jésus
Christ, « notre Seigneur, de riche qu'il était s'est fait pauvre pour vous
enrichir de sa pauvreté » (2 Co 8, 9).
Oui, la pauvreté est une valeur chrétienne. Le pauvre est
celui qui sait que, par lui-même, il ne peut pas vivre. Il a besoin de Dieu
et des autres pour être, s'épanouir et grandir. A contrario, les
riches n'attendent rien de personne. Ils peuvent subvenir à leurs besoins
sans faire appel ni à leurs prochains, ni à Dieu. En ce sens, la richesse
peut conduire à une grande tristesse et à une vraie solitude humaine, ou à
une misère spirituelle effroyable. Si un homme a besoin, pour manger et se
soigner, de se tourner vers l'autre, il en découle forcément une grande
dilatation du cœur. Voilà pourquoi les pauvres sont les plus proches de Dieu
et vivent une grande solidarité entre eux ; ils puisent à cette source
divine la capacité d'être attentif à l'autre.
L'Église ne doit pas se battre contre la pauvreté, mais
elle
doit livrer bataille contre la misère, et notamment la misère sur les fronts
les plus douloureux de l'humanité. Il s'agissait d'un combat exigeant pour
apporter les premiers secours à ceux qui n'ont plus rien, ni nourriture, ni
vêtements, ni médicaments. Dans ma prière, je pense souvent à la misère de
la solitude, et à ceux qui n'ont aucune considération humaine.
L'humanité n'a jamais été aussi riche, mais elle atteint des
sommets de misère morale et spirituelle ahurissants, à cause de la pauvreté
de nos relations interpersonnelles et de la globalisation de l'indifférence.
Dans la lutte contre la misère, il y a cette dimension fondamentale qui
consiste à redonner à l'homme sa vocation d'enfant de Dieu et la joie
d'appartenir à la famille de Dieu. Si nous n'incluons pas l'aspect
religieux, nous tombons dans une philanthropie, ou dans une action
humanitaire laïque qui oublie l'Evangile.
Voilà bien la distinction entre la
chanté chrétienne et l'action des organisations civiles ; la différence,
c'est le Christ !
Le Fils de Dieu aime les pauvres ; d'autres prétendent les
éradiquer. Quelle utopie mensongère, irréaliste, presque tyrannique ! Je
suis toujours ébloui et émerveillé lorsque
Gaudium et Spes
déclare : «
L'esprit de pauvreté et de charité est, en effet, la gloire et le signe de
l'Église du Christ.
»
Nous devons être précis dans le choix des mots.
Le langage de
l'ONU et de ses agences, qui veulent supprimer la pauvreté, qu'elles
confondent avec la misère,
n'est pas celui de l'Église du Christ. Le Fils de
Dieu n'est pas venu parler aux pauvres avec des slogans idéologiques !
L'Eglise doit bannir de son langage les slogans. Car ils ont abruti et
détruit des peuples dont la conscience essayait de rester libre.
Ne craignez-vous pas d'être incompris en opérant ce type de distinction ?
C'est manquer à la charité que de fermer les yeux. C'est
manquer à la charité que de se taire devant la confusion des mots et des
slogans !
Il ne faut pas craindre d'affirmer que le combat de l'Église
pour soulager les détresses humaines est inséparable de l'Évangile. Notre
lutte n'en sera que plus forte. Si vous lisez attentivement le texte latin
de
Gaudium et Spes
, vous noterez immédiatement cette distinction. Alors, me
prendra-t-on pour un naïf ? Je peux certes me tromper. Il n'est pas toujours
simple de reconnaître un pauvre d'un escroc qui dissimule sa richesse sous
ses haillons... Pourtant, si j'écoute vraiment les enseignements de Jésus,
je préfère être volé que de manquer à la charité.
Je me souviens d'une histoire que j'ai vécue au début de mon
ministère d'évêque à Conakry. Une femme originaire de Côte d'Ivoire est
venue me voir à ma résidence pour m'expliquer qu'elle avait été victime d'un
vol. J'étais assez bousculé car je devais préparer une conférence et je
m'apprêtais à voyager pour Abidjan. Elle pleurait car sa mission consistait
à acheter des pagnes pour les rapporter dans son pays. Une bonne partie de
la somme d'argent appartenait à des amies qui lui avaient demandé de faire
les mêmes achats pour elles. En ne ramenant rien, elle craignait d'être
soupçonnée d'avoir détourné l'argent à des fins personnelles. J'ai demandé à
la procure épiscopale de lui donner une somme qui permettrait de la
tranquilliser. Le lendemain, j'ai retrouvé à l'aéroport cette femme qui
prenait l'avion comme moi. Elle m'avait certifié qu'elle n'avait plus rien ;
à l'évidence, elle m'avait trompé. Mais si je n'avais pas répondu à ses
pleurs, je ne répondais pas à l'appel du Christ qui nous demande d'aider
ceux qui sont dans la détresse. J'avais la certitude d'avoir agi selon les
mots de saint Paul : « La charité croit tout, espère tout, supporte tout. »
À cette femme, il revenait de faire face à sa conscience. En fait, il ne
faut pas que le discernement sur les intentions des autres nous empêche de
vivre la charité. Au Ciel, nous serons jugés sur la charité, comme disait
saint Jean de la Croix. N'oublions jamais les mots de l'Évangile de Matthieu
: « Amen, je vous le dis, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces
petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,
45).
En Amérique latine, la théologie de la libération voulait précisément
aider les plus pauvres dans des sociétés très inégalitaires. Comprenez-vous
ce mouvement ?
J'ai entendu parler de la théologie de la libération alors
que j'étais encore en Afrique. Au début de mes lectures, je trouvais
intéressante cette manière de mettre les pauvres au centre de l'attention.
Dans mon pays, et dans bien d'autres régions africaines, nous vivions des
drames économiques similaires aux pays latinos. Pourtant, en Afrique, nous
étions plus dans une recherche culturelle dans la mesure où nous voulions
comprendre la meilleure manière de lier notre héritage traditionnel au
christianisme. Pour autant, la théologie de la libération n'a pas été sans
exercer un certain charme.
Personnellement, quand j'ai compris les origines
marxistes de certains tenants de cette théologie, j'ai pris immédiatement
des distances.
Je voyais trop dans mon pays les conséquences de l'idéologie
communiste. La théorie de la lutte des classes était au cœur de la politique
de Sékou Touré. Cette vision funeste des réalités sociales a été à l'origine
de bien des malheurs de la
Guinée. En prétendant aider ceux qui sont dans la misère, sans promouvoir
leur liberté et leur responsabilité, on ne faisait qu'accentuer la détresse
de la population. Je ne voyais pas comment le mot même de lutte pouvait
devenir le centre de la doctrine chrétienne.
La bataille de l'Eglise réside dans la conversion des cœurs.
Cette dernière n'est possible que s'il existe un terreau humain prêt à être
ensemencé par la grâce de Dieu. Finalement, en Afrique, la théologie de la
libération a gardé un écho limité. Je dirais même que les déviations de
cette théologie ne correspondaient pas à l'âme africaine.
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Sources : Extraits de la deuxième partie "Dieu
ou rien" - Entretien du cardinal Sarah avec Nicolas Diat -
E.S.M
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(E.S.M.) 03.05.2023
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