Faire de l'œcuménisme avec les
lefebvristes coûte cher |
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Rome, le 02 juin 2010 -
(E.S.M.)
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Dialoguer avec eux, c'est risquer d'être accusé de trahir le concile Vatican
II. Le pape s'y essaie et un théologien allemand recommence à le critiquer.
Mais, pendant ce temps-là, beaucoup de groupes traditionnalistes se sont
déjà réconciliés avec l’Église
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Faire de l'œcuménisme avec les lefebvristes coûte cher
par Sandro Magister
Le 02 juin 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Dans deux jours Benoît XVI va partir en voyage à
destination de
Chypre. Ce sera la première fois qu’un pape se rendra dans
cette île. Il est invité et il sera accueilli par l’Église orthodoxe locale.
Jean-Paul II lui-même n’y était pas parvenu.
Cette visite sera une énième preuve que l’œcuménisme du pape Joseph
Ratzinger a produit en peu d’années des progrès sans précédents en Orient,
avec le vaste monde de l'orthodoxie.
Mais il y a un autre dossier œcuménique sur lequel travaille Benoît XVI.
C’est celui des fidèles de l’archevêque Marcel Lefebvre, qui sont toujours,
à l’heure actuelle, en situation de schisme vis-à-vis de l’Église de Rome
parce qu’ils refusent l’intégralité du concile Vatican II.
*
Au début de 2009, la décision prise par le pape de lever l’excommunication
frappant les quatre évêques ordonnés illicitement par Lefebvre (photo) –
décision qui a été mal communiquée et mal comprise dans et en dehors de
l’Église – a provoqué un ouragan de malentendus et de polémiques.
Pour faire la lumière sur le sens de son geste, Benoît XVI a écrit, le 10
mars de l’an dernier, une
Lettre aux évêques. Dans cette lettre il a
expliqué que la levée de l’excommunication était un appel "au repentir et au
retour à l’unité". Et il a réaffirmé que la démarche de réconciliation
restait encore entièrement à accomplir, parce que le différend était de
nature doctrinale et qu’il portait sur l'acceptation du concile Vatican II
et sur le magistère postconciliaire des papes.
Pour confirmer cette nature doctrinale du différend, le pape a associé
étroitement la commission pontificale "Ecclesia Dei" – chargée de dialoguer
avec les lefebvristes et avec d’autres groupes similaires – à la
congrégation pour la doctrine de la foi.
Dans cette même lettre aux évêques, Benoît XVI a expliqué que l’appel à
l’unité de foi était valable pour tous les chrétiens. Et que cela n’avait
donc pas de sens "de laisser aller à la dérive loin de l’Église" les 491
prêtres, les 215 séminaristes, les 6 séminaires, les 88 écoles, les 2
instituts universitaires, les 117 moines, les 164 religieuses et les
milliers de fidèles qui composent la communauté lefebvriste.
Mais le pape a également souligné, avec regret, que se manifeste dans
l’Église, contre les lefebvristes, une intolérance qui s’en prend aussi bien
à eux qu’à ceux qui "osent s’approcher d’eux".
Benoît XVI lui-même est une cible de cette intolérance. Il a écrit aux
évêques que, en raison de ses efforts pour réconcilier les lefebvristes avec
l’Église, "certains groupes ont ouvertement accusé le pape de vouloir
revenir en arrière, au temps d’avant le concile Vatican II".
Ces critiques sont récemment revenues à la surface, y compris sous des
formes théologiquement sophistiquées. On peut citer comme exemple un savant
commentaire d’Eberhard Schockenhoff, professeur de théologie morale à
l’université de Fribourg-en-Brisgau, publié dans le numéro d’avril 2010 de "Stimmen
der Zeit", revue des jésuites allemands, et intégralement traduit en italien
dans le dernier numéro de la revue "Il Regno".
Professeur de théologie morale à l’université de Fribourg-en-Brisgau,
Schockenhoff a été le disciple et l’assistant de Walter Kasper, aujourd’hui
cardinal et président du conseil pontifical pour l'unité des chrétiens.
Dans son commentaire, Schockenhoff écrit, non sans raison, que le véritable
différend entre l’Église de Rome et les lefebvristes ne porte pas sur la
messe en latin mais sur la doctrine de Vatican II, notamment en ce qui
concerne l'ecclésiologie et la liberté de conscience et de religion.
Mais il écrit aussi que Rome a tort d’inventer des interprétations
restrictives des textes conciliaires pour les proposer aux lefebvristes dans
l’espoir que ceux-ci les accepteront. Parce que, d’après Schockenhoff, c’est
précisément ce qui serait en train de se produire, lors des rencontres à
huis clos organisées par la commission pontificale "Ecclesia Dei".
Rome – écrit Schockenhoff – voudrait arracher une acceptation verbale de la
liberté de conscience et de religion, c’est-à-dire des points fondamentaux
de la culture moderne, justement à des gens comme les lefebvristes qui sont
les ennemis les plus irréductibles de la modernité. Mais faire cela, c’est
chercher "la quadrature du cercle", c’est-à-dire l’impossible. Personne ne
croira jamais à la sincérité d’une telle réconciliation, même dans le cas où
elle ferait l’objet d’un document signé.
Dans sa dénonciation du "funambulisme herméneutique" grâce auquel l’Église
de Rome voudrait parvenir à une réconciliation avec les lefebvristes en
portant gravement atteinte à l’interprétation correcte du concile,
Schockenhoff cite à plusieurs reprises le théologien Ratzinger et sa
"conception platonico-augustinienne de la conscience" : une conception "trop
différente" - écrit-il - de celle de la déclaration conciliaire "Dignitatis
Humanae" sur la liberté religieuse.
L’essai de Ratzinger qu’il cite date de 1992. Mais, inexplicablement,
Schockenhoff ne cite pas un texte beaucoup plus pertinent et plus récent du
même Ratzinger, devenu pape entre temps.
Ce texte capital est la partie finale du mémorable discours sur
l’interprétation du concile Vatican II adressé par Benoît XVI à la curie
romaine le 22 décembre 2005.
Expliquant comment interpréter correctement le concile, Benoît XVI montre
que celui-ci a effectivement apporté des nouveautés par rapport au passé,
mais toujours dans la continuité du "patrimoine le plus profond de
l’Église".
Et le pape cite justement, comme exemple de cet entrelacement réussi entre
nouveauté et continuité, les thèses conciliaires sur la liberté de religion,
c’est-à-dire le principal point de rupture entre l’Église et les
lefebvristes.
Depuis ce discours, il est clair que, pour Benoît XVI, les lefebvristes ne
pourront se réconcilier avec l’Eglise que s’ils acceptent en totalité ce qui
est dit dans la déclaration "Dignitatis humanae" dans l'interprétation qu’en
a donné le pape lui-même et non pas dans une autre interprétation plus
restrictive, ou "platonico-augustinienne".
On trouvera ci-dessous le long passage qui concluait ce discours prononcé
par Benoît XVI le 22 décembre 2005.
Il sera suivi d’une note détaillée du père Giancarlo Rocca, responsable du
"Dictionnaire des instituts de perfection", relative aux groupes
traditionnalistes qui ont été jusqu’à présent ramenés à l’obéissance par la
commission pontificale "Ecclesia Dei", celle-là même qui s’occupe des lefebvristes. Cette note a été publiée dans "L'Osservatore Romano" du 11 mai
2010.
"DANS CE PROCESSUS DE NOUVEAUTÉ DANS LA CONTINUITÉ..."
par Benoît XVI
[...] Le Concile devait définir de façon nouvelle le rapport entre l'Eglise
et l'époque moderne. Ce rapport avait déjà connu un début très problématique
avec le procès fait à Galilée. Il s'était ensuite totalement rompu lorsque
Kant définit la "religion dans les limites de la raison pure" et lorsque,
dans la phase radicale de la Révolution française, se répandit une image de
l'Etat et de l'homme qui ne voulait pratiquement plus accorder aucun espace
à l'Église et à la foi. L'opposition de la foi de l'Église avec un
libéralisme radical, ainsi qu'avec des sciences naturelles qui prétendaient
embrasser à travers leurs connaissances toute la réalité jusque dans ses
limites, dans l'intention bien déterminée de rendre superflue "l'hypothèse
de Dieu", avait provoqué de la part de l'Église, au XIXe siècle, sous Pie
IX, des condamnations sévères et radicales de cet esprit de l'époque
moderne. Apparemment, il n'existait donc plus aucun espace possible pour une
entente positive et fructueuse, et les refus de la part de ceux qui se
sentaient les représentants de l'époque moderne étaient également
énergiques.
Entre temps, toutefois, l'époque moderne avait elle aussi connu des
développements. On se rendait compte que la révolution américaine avait
offert un modèle d'État moderne différent de celui théorisé par les
tendances radicales apparues dans la seconde phase de la Révolution
française. Les sciences naturelles commençaient, de façon toujours plus
claire, à réfléchir à leurs limites, imposées par leur méthode elle-même,
qui, tout en réalisant des choses grandioses, n'était toutefois pas en
mesure de comprendre la globalité de la réalité.
Ainsi, les deux parties commençaient progressivement à s'ouvrir l'une à
l'autre. Dans la période entre les deux guerres mondiales et plus encore
après la Seconde Guerre mondiale, des hommes d'État catholiques avaient
démontré qu'il peut exister un État moderne laïc, qui toutefois, n'est pas
neutre en ce qui concerne les valeurs, mais qui vit en puisant aux grandes
sources éthiques ouvertes par le christianisme. La doctrine sociale
catholique, qui se développait peu à peu, était devenue un modèle important
entre le libéralisme radical et la théorie marxiste de l'État. Les sciences
naturelles, qui professaient sans réserve une méthode propre dans laquelle
Dieu n'avait pas sa place, se rendaient compte toujours plus clairement que
cette méthode ne comprenait pas la totalité de la réalité et ouvraient donc
à nouveau les portes à Dieu, conscientes que la réalité est plus grande que
la méthode naturaliste et que ce qu'elle peut embrasser.
On peut dire que s'étaient formés trois cercles de questions qui, à présent,
à l'heure du concile Vatican II, attendaient une réponse.
Tout d'abord, il fallait définir de façon nouvelle la relation entre foi et
sciences modernes ; cela concernait d'ailleurs non seulement les sciences
naturelles mais également les sciences historiques car, selon une certaine
école, la méthode historique-critique réclamait le dernier mot sur
l'interprétation de la Bible et, prétendant à l'exclusivité totale de sa
propre compréhension des Écritures Saintes, s'opposait sur des points
importants à l'interprétation que la foi de l'Église avait élaborée.
En second lieu, il fallait définir de façon nouvelle le rapport entre Église
et État moderne, qui accordait une place aux citoyens de diverses religions
et idéologies, se comportant envers ces religions de façon impartiale et
assumant simplement la responsabilité d'une coexistence ordonnée et
tolérante entre les citoyens et de leur liberté d'exercer leur religion.
Cela était lié, en troisième lieu, de façon plus générale au problème de la
tolérance religieuse - une question qui exigeait une nouvelle définition du
rapport entre foi chrétienne et religions du monde. En particulier, face aux
récents crimes du régime national-socialiste et plus généralement dans le
cadre d'un regard rétrospectif sur une longue histoire difficile, il fallait
évaluer et définir de façon nouvelle le rapport entre l'Église et la foi
d'Israël.
Il s'agit là de thèmes de grande portée - ce furent les thèmes de la seconde
partie du concile - sur lesquels il n'est pas possible de s'arrêter plus
amplement dans ce contexte. Il est clair que, dans tous ces secteurs dont
l'ensemble forme une unique question, pouvait ressortir une certaine forme
de discontinuité et que, dans un certain sens, s'était effectivement
manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois établies les
diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs
exigences, il apparaissait que la continuité des principes n'était pas
abandonnée - un fait qui peut échapper facilement au premier abord. C'est
précisément en cet ensemble de continuité et de discontinuité à divers
niveaux que consiste la nature de la véritable réforme.
Dans ce processus de nouveauté dans la continuité, nous devions apprendre à
comprendre plus concrètement qu'auparavant que les décisions de l'Eglise en
ce qui concerne les faits contingents - par exemple, certaines formes
concrètes de libéralisme ou d'interprétation libérale de la Bible - devaient
nécessairement être elles-mêmes contingentes, précisément parce qu'elles se
référaient à une réalité déterminée et en soi changeante.
Il fallait apprendre à reconnaître que, dans de telles décisions, seuls les
principes expriment l'aspect durable, demeurant en arrière-plan et en
motivant la décision de l'intérieur. En revanche les formes concrètes ne
sont pas aussi permanentes, elles dépendent de la situation historique et
peuvent donc être soumises à des changements. Ainsi, les décisions de fond
peuvent demeurer valables, tandis que les formes de leur application dans
des contextes nouveaux peuvent varier.
Ainsi, par exemple, si la liberté de religion est considérée comme une
expression de l'incapacité de l'homme à trouver la vérité, et par
conséquent, devient une exaltation du relativisme alors, de nécessité
sociale et historique, elle est élevée de façon impropre au niveau
métaphysique et elle est ainsi privée de son véritable sens, avec pour
conséquence de ne pas pouvoir être acceptée par celui qui croit que l'homme
est capable de connaître la vérité de Dieu, et, sur la base de la dignité
intérieure de la vérité, est lié à cette connaissance.
Il est, en revanche, totalement différent de considérer la liberté de
religion comme une nécessité découlant de la coexistence humaine et même
comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut être imposée de
l'extérieur, mais qui doit être adoptée par l'homme uniquement à travers le
processus de la conviction.
Le concile Vatican II, reconnaissant et faisant sien à travers le Décret sur
la liberté religieuse un principe essentiel de l'État moderne, a repris à
nouveau le patrimoine plus profond de l'Église.
Celle-ci peut être consciente de se trouver ainsi en pleine harmonie avec
l'enseignement de Jésus lui-même (cf. Mt 22, 21), comme également avec
l'Église des martyrs, avec les martyrs de tous les temps. L'Église antique,
de façon naturelle, a prié pour les empereurs et pour les responsables
politiques, en considérant cela comme son devoir (cf. 1 Tm 2, 2) ; mais,
tandis qu'elle priait pour les empereurs, elle a en revanche refusé de les
adorer et, à travers cela, elle a rejeté clairement la religion d'État. Les
martyrs de l'Église primitive sont morts pour leur foi en le Dieu qui
s'était révélé en Jésus-Christ et précisément ainsi, ils sont morts
également pour la liberté de conscience et pour la liberté de professer sa
foi, - une profession qui ne peut être imposée par aucun État, mais qui ne
peut en revanche être adoptée que par la grâce de Dieu, dans la liberté de
la conscience.
Une Église missionnaire, qui sait qu'elle doit annoncer son message à tous
les peuples, doit nécessairement s'engager au service de la liberté de la
foi. Elle veut transmettre le don de la vérité qui existe pour tous et elle
assure dans le même temps aux peuples et à leurs gouvernements qu'elle ne
veut pas détruire leur identité et leurs cultures, mais qu'elle leur apporte
au contraire une réponse que, au fond d'eux-mêmes, ils attendent, - une
réponse avec laquelle la multiplicité des cultures ne se perd pas, mais avec
laquelle croît au contraire l'unité entre les hommes et ainsi la paix entre
les peuples également.
Le concile Vatican II, avec la nouvelle définition de la relation entre la
foi de l'Église et certains éléments essentiels de la pensée moderne, a
revisité ou également corrigé certaines décisions historiques, mais dans
cette apparente discontinuité, il a en revanche maintenu et approfondi sa
nature intime et sa véritable identité. L'Église est, aussi bien avant
qu'après le concile, la même Église une, sainte, catholique et apostolique,
en chemin à travers les temps ; elle poursuit "son pèlerinage à travers les
persécutions du monde et les consolations de Dieu", annonçant la mort du
Seigneur jusqu'à ce qu'Il vienne (cf. Lumen gentium, n° 8).
Ceux qui espéraient qu'à travers ce "oui" fondamental à l'époque moderne,
toutes les tensions se seraient relâchées et que l'"ouverture au monde"
ainsi réalisée aurait tout transformé en une pure harmonie, avaient
sous-estimé les tensions intérieures et les contradictions de l'époque
moderne elle-même ; ils avaient sous-estimé la dangereuse fragilité de la
nature humaine qui, dans toutes les périodes de l'histoire et dans toute
constellation historique, constitue une menace pour le chemin de l'homme.
Ces dangers, avec les nouvelles possibilités et le nouveau pouvoir de
l'homme sur la matière et sur lui-même, n'ont pas disparu, mais ils prennent
en revanche de nouvelles dimensions : un regard sur l'histoire actuelle le
démontre clairement.
Mais à notre époque, l'Église demeure un "signe de contradiction" (Lc 2, 34)
- ce n'est pas sans raison que le pape Jean-Paul II, alors qu'il était
encore cardinal, avait donné ce titre aux exercices spirituels prêchés en
1976 au pape Paul VI et à la curie romaine. Le concile ne pouvait avoir
l'intention d'abolir cette contradiction de l'Évangile à l'égard des dangers
et des erreurs de l'homme. En revanche, son intention était certainement
d'écarter les contradictions erronées ou superflues, pour présenter à notre
monde l'exigence de l'Évangile dans toute sa grandeur et sa pureté.
Le pas accompli par le concile vers l'époque moderne, qui a été présenté de
façon assez imprécise comme une "ouverture au monde", appartient en
définitive au problème éternel du rapport entre foi et raison, qui se
représente sous des formes toujours nouvelles.
La situation que le concile devait affronter est sans aucun doute comparable
aux événements des époques précédentes. Saint Pierre, dans sa première
Lettre, avait exhorté les chrétiens à être toujours prêts à rendre raison (apologia)
à quiconque leur demanderait le logos, la raison de leur foi (cf. 3, 15).
Cela signifiait que la foi biblique devait entrer en discussion et en
relation avec la culture grecque et apprendre à reconnaître à travers
l'interprétation la ligne de démarcation, mais également le contact et
l'affinité qui existait entre elles dans l'unique raison donnée par Dieu.
Lorsqu'au XIIIe siècle, par l'intermédiaire des philosophes juifs et arabes,
la pensée aristotélicienne entra en contact avec le christianisme médiéval
formé par la tradition platonicienne et que la foi et la raison risquèrent
d'entrer dans une opposition inconciliable, ce fut surtout saint Thomas
d'Aquin qui joua le rôle de médiateur dans la nouvelle rencontre entre foi
et philosophie aristotélicienne, plaçant ainsi la foi dans une relation
positive avec la forme de raison dominante à son époque.
Le douloureux débat entre la raison moderne et la foi chrétienne qui, dans
un premier temps, avait connu un début difficile avec le procès fait à
Galilée, connut assurément de nombreuses phases, mais avec le concile
Vatican II arriva le moment où une nouvelle réflexion était nécessaire. Dans
les textes conciliaires, son contenu n'est certainement tracé que dans les
grandes lignes, mais cela a déterminé la direction essentielle, de sorte que
le dialogue entre religion et foi, aujourd'hui particulièrement important, a
trouvé son orientation sur la base du concile Vatican II.
A présent, ce dialogue doit être développé avec une grande ouverture
d'esprit, mais également avec la clarté dans le discernement des esprits
qu'à juste titre, le monde attend de nous précisément en ce moment. Ainsi,
aujourd'hui, nous pouvons tourner notre regard avec gratitude vers le
concile Vatican II : si nous le lisons et que nous l'accueillons guidés par
une juste herméneutique, il peut être et devenir toujours plus une grande
force pour le renouveau toujours nécessaire de l'Eglise. [...]
UN BILAN DE VINGT-DEUX ANS DE TRAVAIL DE LA COMMISSION "ECCLESIA DEI"
par Giancarlo Rocca
La commission pontificale "Ecclesia Dei" a été créée le 2 juillet 1988 par
le motu proprio homonyme de Jean-Paul II. L'objectif initial était de
faciliter le retour dans la pleine communion de l’Église de prêtres,
séminaristes, religieux, religieuses, groupes et individus qui, n’approuvant
pas la réforme liturgique instaurée par le concile Vatican II, s’étaient
liés à la fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre,
mais n’avaient pas approuvé le geste qu’il avait accompli en 1988 en
consacrant quelques évêques.
Par la suite, "Ecclesia Dei" a élargi ses compétences, se mettant au service
de tous ceux qui, même s’ils n’ont pas de liens avec les groupes de Mgr
Lefebvre, désirent conserver la liturgie latine antérieure pour la
célébration des sacrements et en particulier de l'eucharistie. En pratique,
"Ecclesia Dei" a été chargée de garder et préserver la valeur de la liturgie
latine de l’Église telle qu’elle avait fixée par la réforme de Jean XXIII en
1962.
Le chemin parcouru par "Ecclesia Dei" au cours de ces presque 22 ans est
remarquable.
En 1988, année de sa fondation, elle a accordé l’approbation pontificale à
la fraternité sacerdotale Saint-Pierre et à la fraternité Saint-Vincent-Ferrier.
La première avait été fondée tout de suite après le schisme de 1988 et avait
eu comme premier supérieur l’abbé Joseph Bisig, ancien assistant général de
la fraternité Saint-Pie-X avec Mgr Lefebvre.
La seconde avait été créée en 1979 par le père Louis-Marie de Blignières,
qui avait estimé que la déclaration conciliaire "Dignitatis humanae" sur la
liberté religieuse était contraire à l’enseignement traditionnel de
l’Église, puis, après une étude plus approfondie, s’était convaincu que
Vatican II ne représentait pas une rupture.
D’autres approbations pontificales d’instituts ont suivi :
– l'abbaye Sainte-Madeleine, fondée en 1970 par le père Gérard Calvet, un
moine bénédictin de la congrégation de Subiaco (1989) ;
– l'abbaye Notre-Dame-de-l’Annonciation, située au Barroux, en France,
fondée en 1979 comme branche féminine de l'abbaye Sainte-Madeleine fondée
par le père Calvet (1989) ;
– les Mères de la Sainte Croix, dont la maison généralice se trouve en
Tanzanie, et qui ont été fondées en 1976 par sœur Maria Stieren, des
bénédictines missionnaires de Tutzing, et par le père Cornelio Del Zotto,
des frères mineurs (1991) ;
– les Serviteurs de Jésus et Marie, fondés en 1988 par un prêtre, ancien
jésuite, le père Andreas Hönisch, et dont le siège se trouve actuellement en
Autriche (1994) ;
– les Chanoinesses Régulières de la Mère de Dieu, fondées en France en 1971
et associées aux Chanoines Réguliers de la Mère de Dieu (2000) ;
– les Missionnaires de la Sainte Croix, dont la maison généralice se trouve
en Tanzanie, fondés en 1976 et qui sont l’équivalent masculin des Mères de
la Sainte Croix (2004) ;
– l'Institut Saint-Philippe-Néri, fondé en 2003 par l’abbé Gerald Goesche et
dont le siège se trouve à Berlin, en Allemagne (2004) ;
– l'Institut du Bon-Pasteur, fondé la même année en France par l’abbé
Philippe Laguérie et certains prêtres ayant quitté la fraternité sacerdotale
Saint-Pie X (2006) ;
– l'Oasis de Jésus Prêtre, fondée en 1965 par le père Pedro Muñoz Iranzo et
dont le siège se trouve à Argentona, en Espagne (2007) ;
– l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, fondé par Mgr Gilles Wach en
1988 et dont le siège se trouve à Sieci, Florence (2008) ;
– les Adoratrices du Cœur Royal de Jésus-Christ Souverain Prêtre, fondées en
2000 et dont le siège se trouve à Sieci, Florence, qui constituent la
branche féminine de l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre (2008).
Des approbations de droit diocésain sont actuellement en cours pour les Fils
du Très Saint Rédempteur, fondés en 1988 et dont le siège se trouve en
Écosse, et pour la Fraternité du Christ Prêtre et de Sainte Marie Reine,
dont le siège se trouve à Tolède, en Espagne.
Beaucoup d’autres fondations –comprenant un seul monastère ou un seul
couvent de religieuses – célèbrent la liturgie selon le rite de 1962 : il
est impossible d’en dresser la liste. Mais il faut rappeler ici le chemin
parcouru par le diocèse de Campos au Brésil, dont l’évêque, proche des
positions de Mgr Lefebvre, a démissionné en 1981 parce qu’il avait atteint
la limite d’âge et a ensuite fait partie de la société sacerdotale
Saint-Jean-Marie-Vianney. En 2002 cette société est rentrée dans la
communion de l’Église et a été érigée en administration apostolique
personnelle – limitée au territoire du diocèse de Campos – pour les fidèles
attachés à la tradition tridentine. Dans cette nouvelle administration
apostolique, l'Institut du Cœur Immaculé de Marie, fondé en 1976, a reçu en
2008 l'approbation de droit diocésain.
Comme on le voit, il y a déjà un nombre non négligeable d’instituts qui ont
obtenu l'approbation pontificale, avec la possibilité de suivre le rite
traditionnel de l’Église. Pris individuellement, il s’agit de petits
instituts, mais autour desquels gravite un certain nombre de fidèles.
Le groupe le plus nombreux semble être celui de la Fraternité Sacerdotale
Saint-Pierre, qui compte une trentaine de maisons aux États-Unis, une
vingtaine en France et quelques autres en Autriche, en Allemagne, au Canada,
en Suisse et en Belgique. À Rome, en 2008, une paroisse personnelle destinée
aux fidèles qui préfèrent le rite de Pie V a été confiée à la fraternité :
l’église de la Trinité des Pèlerins a été désignée comme leur centre. Les
autres instituts sont de moindre importance, sauf l'Institut du Christ-Roi
Souverain Prêtre, présent dans une cinquantaine de diocèses avec quelque 70
prêtres.
En tout cas, il est difficile d’évaluer le nombre de ceux qui, d’une manière
ou d’une autre, relèvent de la commission "Ecclesia Dei". On parle d’environ
370 prêtres, 200 religieuses, une centaine de religieux non prêtres, environ
300 séminaristes et quelques centaines de milliers de fidèles.
Comme le montrent ces données, "Ecclesia Dei" a parfois accordé avec
beaucoup de rapidité l'approbation pontificale à des instituts qui
désiraient rentrer dans l’Église. Cette manière de procéder apparaît
clairement si l’on fait la comparaison avec la pratique de la congrégation
pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, qui
attend plusieurs années avant d’accorder l'approbation pontificale à un
institut.
La manière d’approuver ces institutions est également significative et elle
est clairement exprimée dans les documents correspondants.
Quand, en 2002, elle a érigé la société sacerdotale Saint-Jean-Marie-Vianney
en administration apostolique personnelle, la congrégation pour les évêques
lui a accordé la possibilité de célébrer l’eucharistie, les autres
sacrements et la liturgie des heures selon le rite codifié par Pie V et avec
les adaptations introduites jusqu’en 1963 sous le pontificat de Jean XXIII.
Lorsqu’elle a approuvé en 2008 l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, la
commission "Ecclesia Dei" l’a présenté comme une société de prêtres se
proposant de célébrer "decore ac sanctitate cultus liturgici secundum formam
extraordinariam Ritus Romani".
Et toujours en 2008 la commission a accordé à l'abbaye trappiste de
Mariawald, en Allemagne, un retour complet à la liturgie en usage dans
l'ordre trappiste jusqu’en 1963-1964.
La différence de régime apparaît de manière encore plus évidente si l’on
tient compte du fait que ces instituts, dont la liste figure dans l'Annuaire
Pontifical, dépendent uniquement d’"Ecclesia Dei", même si, pour leur
érection en instituts de droit pontifical, le préfet de la congrégation pour
les instituts de vie consacrée et pour les sociétés de vie apostolique doit
être entendu.
Deux documents de Benoît XVI ont précisé le champ d’action de la commission
"Ecclesia Dei" et la vie de ceux qui se sentent attachés à l’ancien rite de
l’Église.
Dans le motu proprio "Summorum Pontificum" du 7 juillet 2007, le pape
affirme que le missel de Paul VI est l’expression ordinaire de la prière de
l’Église catholique de rite latin, tandis que celui qui a été publié par
Jean XXIII en est l’expression extraordinaire. Les deux formes de l’unique
rite latin ne sont donc plus considérées comme se remplaçant réciproquement.
Par conséquent, l'usage du missel romain dans l’édition de 1962 est
libéralisé et réglementé selon les dispositions normatives de "Summorum
Pontificum". Tous les prêtres qui le désirent peuvent célébrer selon
l’ancien rite sans avoir besoin de quelque permission que ce soit. Et les
instituts religieux peuvent eux aussi célébrer en suivant le missel romain
antérieur, avec l’accord de leurs supérieurs s’il s’agit d’une célébration
habituelle ou permanente. L'effet de ces mesures, certainement voulu, est de
ne pas opposer au missel qui remonte à Pie V celui de Paul VI ou vice versa
– et d’en faire un élément de friction – mais de les considérer comme deux
formes de l'unique rite.
Le second document est la lettre apostolique motu proprio "Ecclesiæ
unitatem" du 2 juillet 2009, par laquelle le pape a associé étroitement la
commission "Ecclesia Dei" à la congrégation pour la doctrine de la foi.
Cette mise à jour de sa structure vise à adapter la commission pontificale à
la nouvelle situation résultant de la levée de l’excommunication – le 21
janvier 2009 – des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre. Parce que les
problèmes relatifs à la réduction de la séparation de la fraternité
sacerdotale Saint-Pie X sont de nature essentiellement doctrinale, Benoît
XVI a décidé d’étendre les compétences d’"Ecclesia Dei", en la subordonnant
directement à la congrégation pour la doctrine de la foi.
(Extrait de "L'Osservatore Romano" du 11 mai 2010).
Le texte intégral du discours prononcé par Benoît XVI le 22 décembre 2005,
relatif à l'interprétation du concile Vatican II :
Discours
Et la lettre adressée par le pape aux évêques le 10 mars 2009 à la suite de
la levée de l’excommunication des lefebvristes :
"Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde: vous
allez vous détruire les uns les autres"
L'article d’Eberhard Schockenhoff publié dans le numéro d’avril 2010 de
"Stimmen der Zeit", revue des jésuites allemands :
Versöhnung mit der Piusbruderschaft- Der Streit um die authentische
Interpretation des Konzils
Et sa traduction en italien dans la revue "Il Regno", numéro 10 de 2010 :
Lefebvriani.
Riconciliazione- Il conflitto sull'interpretazione autentica del Vaticano II
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 02.06.2010 -
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