Benoît XVI a un père, Romano Guardini |
 |
Rome, le 01 octobre 2008 -
(E.S.M.)
-
Avant d’analyser en profondeur la vision que Benoît XVI a de Guardini,
arrêtons-nous sur l'étonnant entrelacement biographique des deux
personnalités.
|
Le pape Benoît XVI - Pour
agrandir l'image ►
Cliquer
Benoît XVI a un père, Romano Guardini
Le 01 octobre 2008 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
-
Le jeune Ratzinger l'a eu comme maître et, depuis, il n'a jamais cessé de
s'inspirer de sa pensée. Quarante ans après la disparition du grand
intellectuel italo-allemand, une analyse de son influence sur le pape actuel,
Benoît XVI.
Il y a quarante ans jour pour jour, mourait à
Munich Romano Guardini (1885-1968), philosophe et théologien italo-allemand,
que sa biographe Hanna-Barbara Gerl définit comme "un père de l’Église du
XXe siècle".
Les livres de Guardini ont nourri la partie la plus vivante de la pensée
catholique du XXe siècle. L’un de ses élèves sortait de l’ordinaire, il est
aujourd’hui pape. C’est Joseph Ratzinger qui, étudiant d’à peine 20 ans, a
pu non seulement lire mais aussi écouter celui qu’il a choisi comme son
grand "maître".
En tant que théologien, cardinal et même pape, Ratzinger a avoué plusieurs
fois vouloir poursuivre la route tracée par Guardini. Dès les premières
lignes de "Jésus de Nazareth", il déclare avoir à l’esprit un classique de
son maître: "Le Seigneur". En outre, dans "L’Esprit de la liturgie", il
montre dès le titre qu’il s’inspire d’un chef-d’œuvre du même Guardini,
"L’Esprit de la liturgie".
Pour le quarantième anniversaire de sa mort, des conférences, séminaires et
congrès lui seront consacrés en Italie, en Allemagne et dans d’autres pays,
afin d’analyser son extraordinaire contribution à la pensée philosophique et
théologique.
Mais l’un des thèmes les plus intéressants à explorer est l’entrelacement
entre la biographie et la pensée de Guardini et celles du pape actuel.
C’est ce que fait dans l’essai qui suit l’un des plus grands experts en la
matière, Silvano Zucal, professeur de philosophie à l’Université de Trente
et responsable de l’édition critique intégrale des œuvres de Guardini,
publiée en Italie par Morcelliana.
L’article est paru dans le dernier numéro de "Vita e Pensiero", la revue de
l’Université Catholique de Milan.
Ratzinger et Guardini, une rencontre décisive
par Silvano Zucal
Dans cet essai Benoît XVI a un père, Romano Guardini
En réalité, Ratzinger estime que la voix de Guardini est encore actuelle et
qu’il faut en tout cas la rendre à nouveau audible. Non seulement le penseur
italo-allemand a écrit beaucoup de livres, traduits en de nombreuses
langues, mais il a réussi en son temps à marquer toute une génération, celle
à laquelle le pape estime appartenir.
Avant d’analyser en profondeur la vision que Benoît XVI a de Guardini,
arrêtons-nous sur l'étonnant entrelacement biographique des deux
personnalités.
Le voyage de Benoît XVI à
Vérone, le 19 octobre 2006, a permis une sorte de
"rencontre" entre les deux hommes. Rappelons en effet que Guardini est né le
17 février 1885 à Vérone. Et c’est avec beaucoup d’émotion que le pape a
reçu en cadeau à Vérone une reproduction de l’acte de baptême de Guardini,
qui avait eu lieu dans l’église de San Nicolò all'Arena. Il y a en ce sens
un curieux croisement de destins entre Romano Guardini et Joseph Ratzinger.
Guardini a quitté l’Italie quand il était encore bébé. Il est devenu
"allemand" par sa formation intellectuelle et spirituelle. Après avoir
enseigné de 1923 à 1939 à Berlin, puis repris son activité après la guerre à
Tübingen, entre 1945 et 1948, il a enseigné à Munich, sans interruption, la
"christliche Weltanschauung", la vision chrétienne du monde. Il est mort
dans ce qui était devenu sa ville d’élection, en 1968.
Ratzinger a suivi un chemin exactement inverse. Après avoir enseigné la
dogmatique et la théologie fondamentale à l’Institut supérieur de Freising,
il a poursuivi son activité à Bonn (1959-1969), la ville où Guardini avait
été formé et avait fait ses débuts, puis à Münster (1963-1966) et enfin à
Tübingen où il passe trois ans (1966-1969) comme Guardini. A partir de 1969,
Ratzinger enseigne la dogmatique et l’histoire du dogme à l’université de
Ratisbonne. Le 25 mars 1977, Paul VI le nomme archevêque de Munich et
Freising. Comme pour Guardini, Munich semblait être la dernière étape pour
Benoît XVI.
Mais leurs routes se sont séparées. Le philosophe véronais est parti pour
toujours vers le Nord, dans ce Munich qu’il aimait beaucoup parce qu’il y
voyait une sorte de ville-synthèse où son âme italienne aussi pouvait se
sentir chez elle. Au contraire le théologien allemand a vu son destin se
dessiner au Sud et il n’est plus retourné chez lui, même lorsque le désir de
retrouver sa Bavière natale se faisait fort et semblait réalisable. Rome et
l’Italie sont devenues sa "patrie" spirituelle définitive.
Si leurs itinéraires se sont croisés puis éloignés, ces deux figures
extraordinaires ont aussi eu l’occasion de se rencontrer en personne.
Ratzinger a été non seulement lecteur de Guardini mais aussi, quelquefois,
"auditeur", comme le grand théologien Hans Urs von Balthasar l’avait été à
Berlin. Entre 1946 et 1951, alors que Ratzinger étudie à l’Institut
supérieur de philosophie et de théologie de Freising, tout près de la
capitale bavaroise, puis à l’Université de Munich, Guardini joue ce rôle de
leader intellectuel et spirituel reconnu de tous à l’université et dans l’Église
de Munich. Guardini a indiscutablement fasciné Ratzinger, alors âgé d’un peu
plus de vingt ans, et marqué son profil intellectuel. En 1952, lorsqu’il
commence à enseigner dans cet Institut de Freising où il avait été étudiant,
l’écho des cours de Guardini parvenait clairement dans la petite ville, qui
absorbait tout ce qui se passait dans la proche capitale bavaroise dans les
domaines culturel et intellectuel. Et le lien intellectuel entre le futur
pape et le "maître" Guardini a été extraordinairement intense.
Il existe en effet de nombreux éléments communs entre les deux
intellectuels, qui deviendront par la suite des figures incontournables de
l’Église du XXe siècle. Si Ratzinger est devenu cardinal et pape, on a aussi
proposé le cardinalat à Guardini mais il l’a refusé. Les deux ont cherché à
retrouver l’essentiel du christianisme en réponse aux provocations de
Feuerbach. En 1938, Guardini a écrit à ce sujet l’œuvre magnifique qu’est
"L’essence du christianisme“. Ratzinger a quant à lui consacré au même
sujet, en 1968, son "Introduction au christianisme", qui est sûrement son
œuvre la plus célèbre et probablement la plus importante.
Les deux hommes s’interrogent aussi sur l’Église, son sens et son destin. Si
Guardini prophétisait en 1921 "qu’un processus de grande portée a débuté: l’Église
se réveille dans les consciences", Ratzinger, dans un registre plus
dramatique, posait tout aussi radicalement le problème ecclésiologique à
partir de ce qu’il considérait comme le renversement effectif de la thèse
guardinienne: "Le processus de grande portée est que l’Église s’éteint dans
les âmes et se désagrège dans les communautés".
En ce sens, il suffit de penser à la très forte résonance de l’émouvant
discours prononcé par Ratzinger le 4 juin 1970 à l’Académie catholique
bavaroise de Munich devant mille personnes. A la question "Pourquoi suis-je
encore dans l’Église aujourd’hui?", il avait répondu: "Je suis dans l’Église
pour les mêmes raisons pour lesquelles je suis chrétien: parce que l’on ne
peut pas croire tout seul. On ne peut être chrétien que dans l’Église, pas à
côté d’elle".
Guardini et Ratzinger ont aussi en commun le souci de l’avenir d’une Europe
qui tend à renier son passé. Il suffit de penser aux discours de Guardini
sur l’Europe et aux interventions de Ratzinger, qui, en tant que pape, a
voulu rappeler le sens de l’Europe et de ses racines, considérant que
l’Europe est "un héritage qui lie les chrétiens".
LA QUESTION LITURGIQUE
La liturgie est indubitablement un point de rencontre crucial entre le pape
actuel et Guardini, qui ont pour elle une même passion. Pour manifester sa
dette envers Guardini, Ratzinger a intitulé son livre sur la liturgie, paru
le jour de la saint Augustin 1999 et qui a eu un succès extraordinaire
(quatre éditions en un an), "L’esprit de la liturgie", ce qui rappelle
précisément le célèbre "L’esprit de la liturgie" de Guardini publié en 1918.
Ratzinger lui-même écrit dans la préface de son livre: "Quand j’ai commencé
mes études de théologie, au début de 1946, l’une de mes premières lectures a
été le premier ouvrage de Romano Guardini 'L’esprit de la liturgie', un
petit livre publié à Pâques 1918 comme volume inaugural de la collection 'Ecclesia
orans' dirigée par l'abbé Herwegen et réimprimé plusieurs fois jusqu’en
1957. Cet ouvrage, qui peut être considéré à bon droit comme le coup d’envoi
du mouvement liturgique en Allemagne, a contribué de manière décisive à
faire redécouvrir la liturgie, avec sa beauté, sa richesse cachée et sa
grandeur intemporelle, comme centre vital de l’Église et de la vie
chrétienne. Il a contribué à ce que la liturgie soit célébrée de manière
'essentielle' (un mot favori de Guardini); il voulait la comprendre, à
partir de sa nature et de sa forme intérieures, comme une prière inspirée et
guidée par le Saint-Esprit lui-même, dans laquelle le Christ continue à se
faire notre contemporain, à faire irruption dans notre vie".
Poursuivant le parallèle, Ratzinger compare son projet et celui de Guardini
et les juge tout à fait concordants dans leur esprit, même si le contexte
historique est radicalement différent: "Je voudrais tenter une comparaison,
largement inappropriée comme toutes les comparaisons, mais qui aide à
comprendre. On pourrait dire que la liturgie ressemblait alors - en 1918 -
par certains aspects à une fresque restée intacte, mais presque recouverte
d’une couche ultérieure: dans le missel avec lequel le prêtre la célébrait,
sa forme était pleinement présente, telle qu’elle s’était développée depuis
les origines, mais pour les croyants elle était en grande partie cachée par
des instructions et des formes de prière à caractère privé. Grâce au
mouvement liturgique et - de manière définitive - grâce au concile Vatican II, la fresque a été nettoyée et pendant un moment nous avons tous été
fascinés par la beauté de ses couleurs et de ses dessins".
Mais aujourd’hui, après le nettoyage de la fresque, le problème de l’"esprit
de la liturgie" se pose de nouveau à Ratzinger. Continuons la métaphore: le
pape actuel pense que des essais divers et manqués de restauration ou de
reconstruction - un problème dû au grand nombre de visiteurs - ont mis la
fresque en grand danger et qu’elle risque la destruction si l’on ne prend
pas les mesures nécessaires pour mettre fin à ces influences nuisibles. Pour
Ratzinger, il ne s’agit pas de revenir au passé. D’ailleurs, il dit: "Bien
sûr il ne faut pas recouvrir à nouveau la fresque, mais une compréhension
nouvelle du message liturgique et de sa réalité est nécessaire pour que son
nettoyage ne soit pas la premier pas vers sa destruction définitive. Ce
livre est écrit justement pour contribuer à cette compréhension renouvelée.
Ses objectifs coïncident donc largement avec ce que Guardini a voulu faire
en son temps; voilà pourquoi j’ai volontairement choisi un titre qui
rappelle expressément ce classique de la théologie liturgique". Et au fil du
texte, surtout dans le premier chapitre, il confronte ses idées avec les
thèses de Guardini et sa célèbre définition de la liturgie comme "jeu".
Dans son intervention commémorative de 1985, au contraire, Ratzinger
insistait sur les fondements historico-philosophiques du renouveau
liturgique proposé par Guardini. Dans son livre "Formation liturgique" de
1923, le philosophe saluait comme une libération la fin de l'époque moderne
puisque celle-ci avait représenté l’effondrement de l'être humain et, plus
généralement, celui du monde, une divergence schizophrène entre une
spiritualité désincarnée et mensongère et une matérialité abrutie qui n’est
qu’un instrument dans les mains de l'homme et de ses objectifs. On aspirait
au "pur esprit" et on a trouvé l'abstrait: le monde des idées, des formules,
des appareils, des mécanismes et des organisations. La distanciation
vis-à-vis de la modernité coïncidait chez Guardini - Ratzinger le soulignait
- avec l'enthousiasme que lui inspirait le paradigme médiéval bien mis en
valeur par le livre de ce martyr du nazisme que fut Paul Ludwig Landsberg,
"Le Moyen-âge et nous", publié en 1923. Pour Guardini, cela ne voulait pas
dire qu’il fallait s’abandonner à un romantisme du Moyen Age mais en
recueillir la leçon permanente. C’est dans l'acte liturgique que le chrétien
se réalise véritablement et, dès lors, ce qui est en jeu dans la lutte à
propos du symbole et de la liturgie - note Ratzinger sur les traces de
Guardini – c’est le devenir même de l'homme dans sa dimension essentielle.
Ensuite le futur pape s’arrête aussi sur les affirmations lancées par
Guardini dans sa fameuse lettre de 1964 aux participants au troisième
congrès liturgique de Mayence, qui contenait la célèbre question: "L'acte
liturgique, et avec lui surtout ce qu’on appelle 'liturgie', est-il si lié
historiquement à l'antiquité ou au Moyen Age que, par honnêteté il faudrait
l’abandonner tout à fait aujourd’hui?". Cette question cachait en réalité
une interrogation dramatique: l'homme de l’avenir sera-t-il encore capable
d’accomplir l'acte liturgique qui nécessite un sens symbolico-religieux
désormais en voie de disparition, en plus de la seule obéissance de la foi?
Loin du pathos optimiste des débuts, Guardini entrevoyait la postmodernité
sous un aspect bien différent de ce qu’il avait souhaité précédemment. Un
véritable choc spirituel dû à la civilisation technique qui envahit tout,
comme en témoignaient déjà, en 1923, ses "Lettres du lac de Côme". Voilà
pourquoi, note Ratzinger, "on trouve, dans sa lettre de 1964, quelque chose
de la difficulté de ces derniers temps, malgré la joie que lui donne la
réforme liturgique menée par le Concile et développée à partir de son
travail. Guardini exhorte les liturgistes réunis à Mayence à prendre au
sérieux la non-implication de ceux qui considèrent que la liturgie n’est
plus exécutable et à se demander - si la liturgie est essentielle - comment
on peut les rapprocher d’elle".
L'OPTION THEOLOGIQUE FONDAMENTALE
Guardini, rappelle Ratzinger, s’est trouvé au cœur du drame que fut la crise
moderniste. Comment en est-il sorti ? Fidèle à l’enseignement de son premier
maître, le théologien de Tübingen Wilhelm Koch, mais également attentif aux
limites et aux risques de cette perspective, il a cherché un nouveau
fondement et l’a trouvé à partir de sa conversion. "La brève scène -
souligne le futur pape - qui montre comment Guardini, après la perte de la
foi, y pénètre à nouveau, a quelque chose de grand et d’émouvant justement
par la modestie et la simplicité avec lesquelles le processus est décrit.
L'histoire de Guardini dans la mansarde et sur le balcon de la maison de ses
parents ressemble de façon vraiment stupéfiante à la scène du jardin où
Augustin et Alypius virent apparaître leur vie. Dans les deux cas, la part
la plus intime d’un homme s’ouvre, mais en regardant à l'intérieur de ce
qu’il y a de plus personnel et de plus caché, en écoutant battre le cœur
d’un homme, on perçoit d’un coup le tintement d’une histoire plus grande,
parce que c’est l’heure de la vérité, parce qu’un homme a rencontré la
vérité".
Une rencontre non plus avec Dieu au sens universel mais avec "le Dieu
concret". Guardini a alors compris, souligne Ratzinger, qu’il avait tout en
main, toute sa vie, qu’il en disposait et même qu’il devait en disposer. Il
choisit de donner sa vie à l’Église. C’est de là que vient son choix
théologique fondamental: "Guardini était convaincu que seule la pensée à
travers le sujet Église rend libre et, surtout, rend la théologie possible.
Aujourd’hui ce programme est à nouveau d’actualité et il devrait être pris
en considération de la manière la plus approfondie, comme demande à la
théologie moderne".
D’après Guardini, une connaissance théologique constructive ne peut jamais
se former si l’Église et le dogme apparaissent seulement "comme limite et
fermeture". De là sa formule provocante, du point de vue théologique: "nous
étions nettement non libéraux", formule qui fait allusion au fait que, pour
lui, la Révélation divine constituait le critère ultime, "le fait fondateur"
de la connaissance théologique, et que l’Église en était "la porteuse".
Le dogme devenait ainsi la mise en ordre féconde de la pensée théologique.
La base réelle de sa théologie a donc été l'expérience de la conversion qui;
dans le cas de Guardini, a consisté à dépasser l’esprit moderne et en
particulier sa dérive subjectiviste post-kantienne. Pour notre penseur,
donc, "au commencement, il n’y a pas la réflexion, mais l'expérience. Tout
ce qui s’est présenté plus tard comme contenus, est développé à partir de
cette expérience originelle".
Dans sa description de la structure fondamentale de la pensée de Guardini,
le futur pape insiste sur ce qui, à son avis, constitue les principales
catégories à l'intérieur de l'unité de la liturgie, la christologie et la
philosophie.
Avant tout le "rapport entre la pensée et l’être". Un rapport qui implique
l'attention à la vérité elle-même, la recherche de l'être derrière le faire.
Il suffit de se rappeler ce qu’avait dit Guardini lors de son premier cours
à Bonn : "La pensée semble vouloir de nouveau se tourner avec adoration vers
l'être". Sur les traces de Nicolai Hartmann, d’Edmund Husserl et surtout de
Max Scheler, la proposition de Guardini exprimait, d’après Ratzinger,
"l'optimisme qu’inspirait le fait que, dès lors, la philosophie repartait
comme interrogation des faits eux-mêmes, un début qui, à lui seul,
conduisait tout à fait vers les grandes synthèses du Moyen Age et de la
pensée catholique qu’elles ont formée". D’après Guardini - souligne le futur
pape - la vérité de l'homme est l'essentialité, la conformité à l'être, ou
mieux encore "l'obéissance à l'être" qui est surtout obéissance de notre
être à l'être de Dieu. Ce n’est qu’ainsi que l’on parvient à la force de la
vérité, à ce primat déterminant et indicatif du logos sur l'ethos, sur
lequel Guardini a toujours insisté. Ce qu’il voulait, glose Ratzinger,
c’était toujours "une nouvelle avancée vers l'être lui-même, la recherche de
l'essentiel qui se trouve dans la vérité".
Avec l'obéissance de la pensée à l'être - à ce qui se montre et qui est -
bien d’autres catégories de la pensée de Guardini ont été mises en valeur.
Le futur pape les résume ainsi: "L'essentialité, à laquelle Guardini oppose
une véracité purement subjective; l'obéissance qui découle du rapport avec
la vérité de l'homme et exprime sa façon de devenir libre et de n’être qu’un
avec son essence; enfin la priorité du logos sur l'ethos, celle de l'être
sur le faire".
Il faut ajouter deux autres catégories que l’on trouve dans les écrits
méthodologiques de Guardini : le "concret-vivant" et l’"opposition polaire".
Le "concret-vivant" est une catégorie générale de la pensée de Guardini;
elle prend aussi, d’après Ratzinger, une valeur christologique: "L'homme est
ouvert à la vérité, mais la vérité n’est pas quelque part, mais dans le
concret-vivant, dans la figure de Jésus-Christ. Ce concret-vivant se prouve
comme vérité précisément par le fait qu’il est l'unité de l'apparemment
opposé, puisque le logos et l'alogon s’unissent en lui. Ce n’est que dans le
tout que se trouve la vérité". "L'apparemment opposé" est ce à quoi fait
allusion l'autre catégorie méthodologique fondamentale, celle de
l’"opposition polaire" des opposés qui, tout en s’opposant, se rappellent
mutuellement: silence-parole, individu-communauté. Seuls ceux qui savent les
garder réunis peuvent abandonner toute forme de dangereux exclusivisme et
tout dogmatisme délétère.
UN AVERTISSEMENT POUR L’AVENIR
Le 14 mars 1978, l'Académie catholique bavaroise remit le "Prix Romano Guardini" au président du Land de Bavière, Alfons Goppel. Selon la coutume,
c’est Joseph Ratzinger, en sa qualité de président de la conférence des
évêques de Bavière, qui fut chargé de la "Laudatio". Dans ce texte d’une
extraordinaire densité, il passa en revue les différentes dimensions du
"politique": la politique comme art, l'appartenance du politique à un
territoire, la responsabilité envers l’État, le rapport entre vérité et
conscience dans le domaine politique.
Sur ce dernier point Ratzinger reprit encore une fois l’enseignement de
Guardini: "En Allemagne nous avons fait l’expérience du tyran qui envoie à
la mort, bannit et confisque. L'utilisation de la parole sans conscience est
une forme particulière de tyrannie, qui à sa manière envoie à la mort,
confisque et bannit aussi. Aujourd’hui encore il y a sûrement des motifs
suffisants pour lancer de semblables avertissements et faire appel aux
forces capables d’empêcher une telle tyrannie, qui se développe à vue d'œil.
L'expérience de la sanguinaire tyrannie de Hitler et l’attention portée à de
nouvelles menaces firent de Romano Guardini, à la fin de sa vie, presque
contre son tempérament, un impressionnant lanceur d’avertissements relatifs
à la destruction de la politique par l'anéantissement des consciences et le
poussèrent à suggérer une interprétation correcte, pas seulement théorique
mais réelle et efficace, du monde selon l'homme dont l’action politique est
basée sur sa foi".
Guardini a proposé des questions de ce niveau au monde universitaire
allemand de Berlin à Tübingen et jusqu’à Munich. C’est un rapport
controversé – affirme le futur pape – que celui du penseur avec l'université
allemande qui, dès l’époque où il enseignait à Berlin, le fit souffrir à
cause de "cette impression d’être en dehors des canons méthodologiques de
l'université qui, en effet, l’a ouvertement boudé. Il se consola en pensant
que, par ses efforts pour comprendre, juger et donner forme, il pouvait être
le précurseur d'une université qui n’existait pas encore". Ratzinger fait
alors une remarque qui fait penser aux récentes polémiques sur la visite
avortée du pape à l'Université "La
Sapienza" de Rome: "Il faut mettre au
crédit de l'université allemande que Guardini ait pu y trouver un espace
pour tout son cheminement et qu’il a pu la percevoir de plus en plus comme
le lieu de sa vocation spécifique". Seul le nazisme lui retira
provisoirement sa chaire. Après la guerre, se souvenant de ce tragique
évènement, - souligne le futur pape - Guardini défendit passionnément, dans
une intense intervention académique sur la question juive, l'université
comme lieu de recherche de la vérité, où les affaires et aventures humaines
sont mesurées à l’aune du grand passé et sans la pression du présent, qui
devrait plutôt relever de la responsabilité de la communauté.
Le Troisième Reich n’aurait pas triomphé, rappelle Ratzinger en reprenant
les mots de Guardini, si l'université allemande n’avait pas connu son
"effondrement" dû à l’abandon de la question de la vérité par une partie des
modèles académiques dominants: "A l'époque, Guardini prit position avec un
déploiement de supplications qui semblait totalement étranger à sa manière
d’être habituelle, contre la politisation de l'université et sa pénétration
par les dirigeants des partis, les bavardages des assemblées, le vacarme de
la rue, et il a crié à ses auditeurs: Mesdames et Messieurs, ne permettez
pas cela! Il s’agit de quelque chose qui concerne ce qui nous est commun à
tous, l’histoire future".
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Nouveau: conseils aux personnes qui
désirent recevoir les actualités ou consulter le site régulièrement:
ICI
|
Sources :
Sandro Magister
© 1999-2008
Gruppo Editoriale L’Espresso Spa - Partita IVA 00906801006
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 01.10.2008 -
T/Benoît XVI |