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19 Avril 2005
 

 

Décrypter le premier synode de Benoît XVI

 

 Synode des évêques, octobre 2005

Professeur de Théologie morale et sacramentaire à l’Institut d’Etudes Théologiques de Bruxelles, le P. Alain Mattheeuws, jésuite, a participé comme expert au synode sur l’Eucharistie. Nous l’avons interviewé longuement pour « revenir » sur l’expérience synodale et la réfléchir théologiquement. Voici cet entretien.

 
 

 

Interview accordé par le Père Alain Mattheeuws,sj (Radio Télévision Catholique Belge)

 

Les événements et les documents se suivent dans le monde et dans l’Eglise : pouvons-nous encore parler du Synode sur l’Eucharistie ?

P. A. Mattheeuws : Pourquoi pas ? Nous ne devons pas nous laisser lier par une certaine « logique médiatique ». Par ailleurs, l’Eucharistie est de toujours. Elle est à la fois l’ordinaire et l’extraordinaire de la vie chrétienne. Elle est l’horizon de nos vies, de nos actions, de nos décisions. Peut-être est-elle une clé privilégiée pour lire et comprendre la première encyclique de Benoît XVI. Ce synode 2005 ne fut pas « spectaculaire » : c’est une chance pour mieux l’intérioriser ! Revenir avec un certain recul sur cet événement important peut être utile pour approfondir le « mystère pascal ». Garder en mémoire certains traits de cet événement ne peut que nous préparer à accueillir l’exhortation apostolique qui normalement conclut la démarche synodale . Nous sommes entre le commencement et la fin : nous sommes bien dans l’histoire de l’Eglise : allons-y !

D’une façon générale, quelles sont vos impressions après avoir participé, de l’intérieur, à toutes les sessions d’un synode ? Quel(s) visage(s) d’Eglise se dégage(nt) d’une telle expérience ?

P. A. Mattheeuws : Je n’ai pas d’éléments de comparaison puisque, comme pour plus de la moitié des évêques et des experts, c’était notre première expérience synodale. Le nombre des participants était très élevé. J’ai été fort sensible aux soucis exprimés librement par ces évêques qui me sont apparus vraiment comme des pasteurs liés à leur peuple, à leur culture, à leur Eglise particulière. Cette particularité était comme un défi pour eux : il s’agissait non seulement d’apprendre à se connaître et à s’estimer, mais de faire l’effort de saisir les questions posées « ailleurs » dans l’Eglise par la célébration de l’Eucharistie. Dire que c’était un temps fort fraternel, c’est dire ce travail de prise de conscience des enjeux non seulement de sa région, mais de l’Eglise universelle. Les débats étaient ouverts, directs, dans le respect des différences parfois notables de théologie et d’options pastorales. A travers chaque participant, il y a un visage de l’Eglise . Mes impressions sont mélangées : l’Eglise me paraît jeune, dynamique, pleine d’élan sur la terre. Elle est aussi face à des défis redoutables, des inquiétudes, des impuissances incontournables : faim et soif de Dieu, faim et soif de justice, faim et soif d’une liturgie adaptée, faim et soif de serviteurs de l’Eucharistie.

Quel est l’enjeu essentiel que vous avez perçu par rapport au thème choisi ?

P. A. Mattheeuws : Ce qui m’apparaît comme le mouvement le plus intérieur, profond et fort, des interventions et de la dynamique du Synode, c’est le désir de laisser l’Eucharistie être le mystère central de la foi . N’est-elle pas l’amour en acte ? Son signe « parfait » dans l’histoire ? Ainsi toute tentative d’instrumentaliser l’Eucharistie (en faire un instrument d’unité au lieu d’un fruit de l’unité par exemple), de l’idéologiser à gauche ou à droite, de la réduire à tel ou tel aspect fut « petit à petit » comme écarté, mis de côté même parfois maladroitement. Dans une analyse sociologique, certains ont parlé de recentrement, de réajustement. De fait, je crois percevoir, à travers des motivations bien différentes, parfois ambiguës, le désir de laisser Dieu être Dieu parmi nous (« Emmanuel ») pour en éprouver les conséquences et en vivre, même s’il faut renoncer à ses propres idées : le retour au latin, les règles, l’inculturation à outrance, les concepts théologiques.

Comment caractérisez-vous une assemblée synodale ?


P. A. Mattheeuws : Une assemblée synodale est une assemblée très curieuse, à multiples visages : pas seulement à cause de l’origine des évêques, de leur âge et de leur culture, mais aussi parce qu’il y a une mosaïque d’expériences, de peurs et de désirs, de responsabilités diverses. Un président d’une conférence épiscopale ne parle pas seulement en son nom. Un évêque élu non plus. Les cardinaux sont déterminés le plus souvent par la tâche qui leur est confiée à Rome. Les Cardinaux qui ne résident pas à Rome, ont un souci réel et expérientiel de la composante universelle de l’Eglise. Dans ce synode, il y avait également les auditeurs qui avaient droit à la parole : leur témoignage et leurs interpellations étaient directs et forts. Les Eglises orientales étaient fort bien représentées : catholiques de rites variés, et non catholiques. Nos frères de la Réforme étaient aussi présents, mais peut-être plus discrets. Les experts quant à eux, assistaient à tout, mais ne pouvaient pas s’exprimer en assemblée plénière.

Ainsi le poids des « autres Eglises » était-il important ?

P. A. Mattheeuws : Leur présence était clairement manifestée. L’écoute et le respect mutuel bien présents à travers un franchise de parole, un témoignage régulier des significations profondes des liturgies différentes, un désir et une recherche de ce qui pouvait réunir les chrétiens autour de Celui qui est à la source de tout Amour .

Mais au fait pour vous qu’est-ce qu’un expert ? Qu’avez-vous fait ?

P. A. Mattheeuws : Le mot déroute un peu, car dans le domaine de la Révélation, le Seigneur a dit sa prédilection pour les simples et les petits et pas pour les savants. Le terme « latin » est plus explicite : adjutor. Celui qui aide. Avec sa compétence, l’expert est au service du secrétaire général et des secrétaires particuliers pour la correction des documents, la recherche de certaines références, la traduction en diverses langues, le discernement des enjeux. Il agit en connivence, en complicité fraternelle, en vérité pour ce qu’il comprend. Ce n’est normalement pas à lui à prendre l’initiative : il répond à une demande, il pose la ou les bonnes questions pour faire réfléchir un évêque ou un groupe d’évêques. Dans le groupe d’experts, rappelons aussi qu’ils ont pour la plupart des compétences très différentes : un latiniste, un moraliste, un liturgiste n’interviendront pas tous au même moment. Mais il est important pour tous qu’ils participent à la dynamique d’ensemble du Synode.

Quel était votre rôle en tant qu’expert au sein du synode 2005 consacré à l’Eucharistie ?


P. A. Mattheeuws : Les experts sont nommés par le pape et sont au service du secrétaire général du Synode. Il y a variété d’experts selon les langues et les compétences. Dans le déroulement du Synode, nous assistions à toutes les séances générales et étions témoins de toutes les interventions. Chacun de nous avait par ailleurs l’un ou l’autre thème à suivre pour mémoriser in vivo ce qui était dit, discuté, affirmé dans la grande aula. Le premier travail était donc un travail d’écoute et de discernement des enjeux pour les mettre en mémoire et permettre l’élaboration du deuxième rapport (relatio) du Cardinal A. Scola : synthèse des questions et des enjeux des interventions. Ce travail était vaste et austère.
Une autre phase pour chacun d’entre nous fut la participation aux circuli minores : sous-groupe linguistique de 15 évêques, deux ou trois experts, un observateur, un frère séparé. Discussion thématique, échange informel, élaboration des propositions. Avec deux autres experts, j’étais dans un sous-groupe de haut niveau théologique, très ouvert, discutant de points fondamentaux avec des évêques de tous les continents. La parole nous était donnée facilement non seulement pour répondre à des questions mais même pour en susciter. Durant la phase des amendements et propositions, nous pouvions proposer à l’un des évêques de prendre en charge l’une ou l’autre de nos suggestions. Donc, travail dynamique, parfois en tensions puisque les problématiques culturelles et ecclésiales étaient fort diverses.
Ensuite, vient la phase des « propositions » où nous sommes invités à donner notre avis sur les « meilleures propositions », susciter des formules plus synthétiques, intégrer les modi (c’est-à-dire les amendements ou améliorations au texte). En un WE, il a fallu passer ainsi de 187 propositions aux 50 finales. En deux jours, il convenait d’intégrer ou pas plus de 500 modi. Rappelons cependant que ce sont les évêques qui font ce travail et prennent les décisions.

N’est-ce pas étrange de faire appel à un théologien moraliste pour un synode qui concerne l’Eucharistie ?

P. A. Mattheeuws : Je crois qu’il faut une variété de compétences et de sensibilités pour accompagner un tel événement ! Je dirais d’abord qu’en face du mystère de la Révélation, c’est d’abord la réflexion théologale qui est convoquée : tout le monde est interpellé au niveau de sa foi profonde et appelé ainsi à réagir avec tout son être. Intelligence, mémoire, volonté se conjoignent pour aider la liberté de chacun à s’engager dans une expérience ecclésiale. C’est ce que j’essaie de faire dans mon cours sur les « sacrements de l’initiation ». L’initiation chrétienne mène au Christ : qui « mange son corps et boit son sang » a tout reçu et peut tout donner. La morale surgit du don du Christ : elle est alliance de libertés. L’Eucharistie est au centre de la théologie morale. De nombreuses questions délicates y sont d’ailleurs présentes. Elles ne sont pas que cultuelles, mais s’articulent intimement avec la vie ordinaire des chrétiens et des hommes du monde entier. Gardons en mémoire la vérité de l’acte de communier au corps et au sang du Christ. Cette vérité est toujours « en conscience » un appel éthique pour chacun de nous.

Au terme de cette année (2004-2005) consacrée à l’Eucharistie, quelles étaient les raisons et l’actualité du choix de ce thème ?

P. A. Mattheeuws : C’était à la fois une belle manière de conclure l’année que de rendre grâce ensemble pour ce grand mystère. C’était aussi une manière de partir en « mission » : l’Eucharistie finale, célébrée le dimanche de la mission universelle et marquée des cinq premières canonisations de Benoît XVI en fut une illustration.
L’actualité de ce thème me semble être la suivante : dans l’Eucharistie se cristallisent tous les enjeux, les défis, les divisions, les grâces de la vie ecclésiale. L’Eucharistie telle qu’elle est célébrée, réfléchie, vécue est un révélateur de ce que vit l’Eglise. Ainsi se vérifie encore l’adage théologique : lex orandi, lex credendi. Mais quelle est la clé herméneutique de cette règle et des principes traditionnels ? En quel sens l’Eglise fait-elle l’Eucharistie et réciproquement jusqu’à quel point l’Eucharistie fait-elle l’Eglise surtout pour les millions de chrétiens qui ne peuvent pas y participer régulièrement ? Ce retour au cœur du mystère pascal permet à chacun de mesurer comment il se laisse entraîner dans le mystère pascal, quels sont ses résistances, ses élans, ses grands désirs, ses peurs. Terminer l’année de l’Eucharistie par ce synode, c’est accepter de ne pas avoir sa propre idée sur l’Eucharistie mais l’approfondir en écoutant l’expérience spirituelle d’autres Eglises. Cet approfondissement n’aboutit pas nécessairement à de nouvelles doctrines, à un langage totalement renouvelé, mais à un désir de vivre en vérité de l’Eucharistie.

De cette vision universelle que permet un synode, comment apparaît aujourd’hui la ou les pratique(s) de l’Eucharistie ?

P. A. Mattheeuws : Dans les lieux où l’Eglise est persécutée ou minoritaire, les évêques témoignent de la force qu’est l’Eucharistie pour la vie personnelle et ecclésiale. Certains témoignages qui nous ont été offerts (Rwanda, Brésil, Russie, Chine) nous montrent une grande vitalité, un corps à corps direct et non légaliste avec le mystère pascal, une relation immédiate avec le Seigneur présent dans l’histoire humaine.
Il y a aussi des contrastes violents entre des Eglises particulières qui ont de grands désirs de se rassembler, qui ont faim de l’Eucharistie, qui y passent du temps et s’engagent culturellement et d’autres Eglises où les rassemblements sont plus difficiles, de même que les problématiques et les perspectives d’avenir. L’Occident se heurte frontalement aux conséquences de la sécularisation

Il semble qu’on ait beaucoup insisté sur l’adoration eucharistique ?

P. A. Mattheeuws : De nombreuses interventions ont témoigné des grâces particulières offertes à travers l’adoration eucharistique. L’évêque de Lourdes a insisté sur le « signe » fort que représente cette forme de prière et de présence au Christ pour les nouvelles générations. Les témoignages issus des JMJ de Cologne allaient dans le même sens. Ce « corps à corps » avec le Seigneur en son mystère eucharistique nourrit le cœur, guérit de nombreuses blessures, ouvre l’homme sécularisé à son « être intérieur » auquel il n’a pas accès aisément. Pour certains, cette manière de prier occidentale est une pratique ancienne, pour d’autres une découverte. Des évêques ont insisté sur le lien avec l’acte eucharistique afin de ne pas oublier la source de cette présence. Dans la même ligne, d’autres ont mis l’accent sur ce qu’on appelle la « logike latreia », le culte spirituel dont parle saint Paul en Rm 12,1 : « offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu ». Dans l’action eucharistique elle-même, nos libertés sont convoquées à nous donner entièrement au Seigneur trois fois saint. L’adoration se vit dans la célébration eucharistique elle-même.

Quelles sont les grandes questions et les grands défis qui apparaissent d’un tel tour du globe ?

P. A. Mattheeuws : Elles sont nombreuses. En voici quelques-unes.

Comprendre l’articulation entre la Cène, la Pâque juive et le mémorial que nous en faisons dans nos célébrations eucharistiques.
Articuler avec justesse la vérité du Mystère pascal qui est à la fois banquet nuptial (irruption de l’éternité dans notre temps, ciel sur la terre) et sacrifice (participation gratuite au don que le Christ a fait de lui-même jusqu’à la mort et la résurrection).
Se mettre dans une dimension universelle, c.-à.-d. comprendre à partir de notre réalité personnelle la justesse de pratiques liturgiques différentes dans les divers lieux du patriarcat latin d’abord puis dans les célébrations d’autres rites.
Comprendre la vérité sacramentelle du célibat sacerdotal et la situer par rapport à la vocation au mariage.
Dans certaines Eglises, l’appréhension de ce qu’est le prêtre et surtout le presbyterium autour de l’évêque, doit être approfondie. Quand on parle de « ministres du sacrement », comprend-on la valeur de signe permanent qu’est tout prêtre dans une communauté ?
Situer les pratiques dévotionnelles avec justesse et rectitude en harmonie avec l’acte du Christ : processions, adoration, vénération des icônes. La perspective liturgique et l’importance théologique du triduum pascal apparaissent déterminantes.
L’Eucharistie est source et sommet de la vie et de la mission de l’Eglise. C’est la place ordinaire de l’Eucharistie dans cette vie et cette mission qui doit être explicitée : spiritualité, « figure eucharistique » concrète, unification du cœur, vie de grâce.

On dit que ce synode n’a pas abordé les points difficiles ?

P. A. Mattheeuws : Cette affirmation est un peu rapide. De nombreux débats ouverts ont eu lieu sur des questions délicates et difficiles : en aula (en congrégation, devant tous), dans les cercles mineurs (les sous-groupes), dans les discussions pour l’élaboration des propositions avec les évêques relateurs, les experts et les relateurs du synode. Selon les difficultés, il apparaissait que le point n’était pas résolu, pas mûr, peu susceptible de rassembler un assentiment convergent. Tout le monde ne réfléchit pas dans le même horizon théologique. Certains thèmes relèvent encore d’une étude plus approfondie et d’un temps nécessaire pour intégrer ces études. Ces remarques sont aussi valables du point de vue doctrinal que pastoral.

Vous pensez à quoi ?

P. A. Mattheeuws : A un moment donné du Synode, tout en étant tous d’accord sur la présence réelle du Christ dans les espèces eucharistiques, le pain et le vin, il semblait difficile de trouver un langage commun pour « définir » et pour « rendre compte » de cette présence particulière. Le Seigneur est présent « là où deux ou trois sont réunis en son nom », il est présent dans le corps de son Eglise, il est présent dans sa Parole proclamée, entendue et vécue : comment est-il présent en son corps et en son sang ? Certains types de pensée ne parviennent pas à conserver et à enrichir une réalité dans la distinction. Il faut qu’ils séparent. D’autres voyagent facilement, affectivement et rationnellement, dans l’unité de ce qui est distinct. Pour les uns, il faut un moment « hic et nunc » de l’acte consécratoire ; pour d’autres, sans nier cette réalité de l’instant, l’action de l’Esprit dans un corps (personnel, communautaire, ecclésial) est discernée, approchée, goûtée dans une durée qui n’est pas d’abord de l’ordre d’un temps de l’horloge. C’est une sensibilité plus orientale, plus pneumatologique aussi. Ce point est manifeste dans la confrontation entre l’importance des paroles de l’institution et la présence des épiclèses. Il me semble que dans ce domaine, les réactions théologiques étaient peu élaborées, parfois trop émotives, pointillistes, avec le risque de « chosifier » l’action eucharistique. Autrement dit, il nous faut intégrer de meilleure manière la mission de l’Esprit dans l’acte du Christ et dans la mémoire que nous en faisons en Eglise .

N’avez-vous été surpris de l’abondance des questions concernant la manière de célébrer la messe ?

P. A. Mattheeuws : Nous sommes à Rome et au milieu d’une diversité culturelle et surtout rituelle. Il est difficile de ne pas parler des significations que revêtent nos gestes et nos paroles dans la liturgie. Notre foi se nourrit de la variété des liturgies. L’insistance sur tel ou tel aspect doit être considéré d’abord comme une richesse : le respect ne se dit pas de la même manière en Inde ou en Europe. Pour marquer l’écoute, certains se mettent debout ; pour d’autres, c’est inconcevable : il faut s’asseoir pour montrer ainsi son humilité par rapport à la parole et à celui qui parle. Cette diversité est bien compréhensible. Il est normal aussi qu’elle se reflète dans la liturgie du patriarcat latin qui est répandu parmi tant de nations différentes.

Tous ne semblaient pas penser ou réagir comme vous…

P. A. Mattheeuws : Le « rite » est une science du signe donné et reçu. C’est aussi dans certains textes un concept théologique. Le « rite » est distinct de l’observation des rubriques : de ce qu’il faut faire matériellement, de ce qu’il faut observer pour que ce soit bien fait selon les règles. Le « rite » est le chemin de la beauté. C’est en ce sens qu’il fallait d’abord comprendre l’Ars celebrandi : comment le prêtre et tous les acteurs de l’assemblée sont intérieurs au Mystère de telle manière qu’ils en vivent et en témoignent. Le « rite » compris ainsi est une « confession de foi ». Ce n’est qu’en ce sens que la lex orandi peut être la lex credendi tout en respectant toujours une herméneutique : une loi d’interprétation ecclésiale.

Et cette tendance à dénoncer tous les abus liturgiques ?

P. A. Mattheeuws : Je vois ce à quoi vous faites allusion. Dans les discours et dans de nombreux textes, on insiste sur le respect dû à Dieu dans l’Eucharistie, dans la liturgie. On souligne ainsi le droit de Dieu. Quoi de plus normal ! Mais il y eut aussi quelques tornades affectives dans ce domaine. Des évêques, des pasteurs, sont blessés ou transmettent une souffrance entendue et veulent un respect plus rigoureux d’une manière de célébrer la Messe. Et il est bien vrai que nul n’est maître du Mystère ! C’est ce que certaines propositions tentent de dire, parfois maladroitement. Car certaines thématiques frisent les querelles de sacristie. A distance, on peut être étonné également par des insistances qui frisent l’objectivation et la chosification d’un Don qui nous dépasse tous. Faut-il passer son temps à défendre Dieu en sa blanche hostie quand il a voulu connaître l’obscurité et la faiblesse dans le sein d’une femme de notre race ? Faut-il réagir juridiquement quand les parcelles de son corps ou les gouttes de son sang semblent souffrir de nos maladresses ou de nos imprudences ? N’est-ce pas Lui qui a voulu et accepté de mourir nu sur une croix ? N’est-ce pas le Père à qui il s’est offert qui lui donne vie et puissance ? S’il nous faut l’accompagner dans cet acte unique du don de soi, faisons-le simplement et humblement. Ce ne sont pas ceux qui « crient Seigneur, Seigneur » qui le vénèrent et l’adorent en vérité là où il est et tel qu’il se donne. La vérité nous est offerte dans ce champ délicat pour l’affectivité spirituelle par la proposition 46 sur le sens des pauvres, des handicapés. La beauté de l’Eucharistie est dans le corps livré et le sang versé pour l’homme qui en est transformé .

Il apparaît, dans certaines conclusions, qu’on assiste plus à un statu quo qu’à de nouvelles orientations par rapport à l’Eucharistie : est-ce votre avis ? Peut-on parler d’un « retour du balancier » par rapport à des pratiques jugées trop déviantes ?

P. A. Mattheeuws : L’année de l’Eucharistie avait déjà suscité de nombreuses publications et interventions dans toutes les parties du monde. Jean-Paul II avait publié une encyclique relativement originale mais qui ne reprenait pas tous les traits de la doctrine générale. La frustration de certains vient aussi de l’attente erronée ou bien de l’incompréhension des enjeux qui restent difficiles. Si des solutions aussi claires que ne le pensent certains médias étaient possibles et bonnes, si elles étaient clairement de l’Esprit Saint, elles auraient été prise ! N’en doutons pas.

Sur certains points de doctrine, il y a eu approfondissement, partage d’expérience, assentiment ou prudence nouvelle. On a vu également, ce qui est très important, que les voix légalistes ou pessimistes, si elles sont tonitruantes parfois, ne représentent pas le sentiment « commun » des pasteurs. La réforme liturgique était un souci, mais nous avons entendu des interventions classiques, prudentes, ouvertes, positives sur l’importance des objectifs de Vatican II. Même si la mode est au compendium, dans le fond, chacun sait que ce n’est pas un livre qui change les cœurs : c’est l’Esprit et la grâce qui surgit de l’Eucharistie.

Comme moraliste, je suis attentif à l’articulation entre l’Eucharistie et la vie chrétienne juste et sainte. Que ce soit pour la conscience personnelle (le discernement de nos propres fautes) comme pour la vie de charité (les œuvres bonnes à faire tant du point de vue individuel et social), il me semble qu’un hiatus demeure entre la grâce eucharistique et ses fruits . C’est bien sûr le chemin infini de la charité qui doit être mise en œuvre. C’est bien sûr le sens du péché et du pardon accordé . Dans ce domaine, il reste beaucoup à approfondir et à vivre. Peut-être faudrait-il être plus attentif au qualificatif employé par le pape benoît XVI en des circonstances diverses : « dynamique ». Il aime montrer que la paix est dynamique, que l’adoration est dynamique. Qu’est-ce que ce dynamisme sinon une « puissance de grâce » qui pousse l’homme à agir bien ?

C’est dans l’articulation sacrement-morale que les enjeux sont décisifs et délicats : le service des pauvres et de la vie (Eucharistie et vie politique), la communion des divorcés-remariés, la communion entre chrétiens séparés, le service ecclésial rendu par les prêtres. Ces 4 thèmes délicats ont été discutés. On a avancé légèrement pour l’un et pour l’autre. Les évêques ont réaffirmé plus ou moins ensemble la position actuelle sur ces thèmes car il n’y avait pas d’alternatives théologiques et pastorales mûres et prêtes pour la discussion. Pour la découverte de « solutions » nouvelles et réalistes, il faudra partir de l’aspect « dynamique » de l’Eucharistie, comme le dit Benoît XVI. Il faudrait plus réfléchir la dimension de l’Acte du Christ Sauveur pour tous les temps. L’amour doit se mettre dans les actes plus que dans les paroles, dit Ignace de Loyola. Les paroles du Christ sont un acte sauveur. L’amour s’est dit « une fois pour toutes » en Jésus Christ. La récente encyclique du pape le souligne fortement.

Mais un « statu quo » n’est jamais bon !

P. A. Mattheeuws : Il y a plus qu’un « statu quo » : il y a une vie et un dynamisme dans ce qui a été échangé et assumé ensemble par les évêques. On ne mesure pas assez les différences culturelles, psychologiques, théologiques en présence et le lent travail qui est opéré dans les esprits et dans les cœurs. Les évêques perçoivent les chemins de miséricorde nécessaires, les options liturgiques potentielles, la puissance du Christ dans l’histoire. Il faut attendre l’heure de Dieu pour qu’elles prennent chair dans nos vies si différentes. C’est un Synode et non pas un Concile. Le processus synodal est consultatif et vise à un discernement ou à la découverte consensuelle d’une disposition ou d’une proposition dans un domaine particulier et pour le bien de l’Eglise universelle. Donnons un exemple de type liturgique et qui rende raison d’un souci légitime de régions différentes : si, pour certains, la pratique du jeûne eucharistique devrait être remise à l’honneur afin de mieux goûter et respecter la présence de Jésus et de communier avec les pauvres, pour d’autres, c’est la justice qui apparaît le fruit et la condition de la vérité de l’Eucharistie : ne demandez pas de jeûner à ceux qui déjà risquent de mourir de faim et qui font des kilomètres pour assister à l’Eucharistie.

Voyez-vous la source de certaines difficultés rencontrées et la cause de ce qui nous apparaît comme des impasses ?

P. A. Mattheeuws : Il n’est pas aisé de faire un tel discernement et il faudrait revoir l’ensemble des documents car telle partie peut paraître plus faible ou moins développée, telle intuition être très présente dans l’intervention d’un évêque. Les théologies explicites ou implicites des « propositions » n’ont pas la splendeur du développement théologique du rapport du Cardinal A. Scola. Mais tout peut servir à « entrer plus profondément dans le Mystère ».

A mon humble avis, des difficultés surgissent ou demeurent dans des questions variées pour deux motifs principaux. Le premier motif vient qu’on oublie trop facilement que l’Eucharistie, dans sa nouveauté cultuelle et de révélation, s’inscrit dans un repas cultuel et dans l’histoire sainte du peuple de Dieu : celui de la première alliance, celui de la nouvelle alliance. D’où pour certains la difficulté de percevoir l’importance de la « Table de la Parole ». Il nous faut aussi « manger » la Parole, le livre aux pages scellées qui nous est ouvert dans la célébration eucharistique. D’où pour certains la difficulté de percevoir l’engagement de liberté que suppose la « participation active et fructueuse » à la messe.

Le deuxième motif confirme cette analyse : l’Eucharistie est le mémorial d’un acte unique du Fils de Dieu dans l’histoire . Elle est mémoire de l’acte du Christ sauveur. Si l’on parle d’un acte, d’une personne, du Fils offert, du Christ qui se donne pour le salut du monde, on perçoit plus rapidement combien nos actes nous engagent et comment le Christ agit sur nous durant la célébration eucharistique et quand nous le pouvons, dans la communion à son corps et à son sang.

Du point de vue théologique, qu’avez-vous remarqué comme faiblesses ?

P. A. Mattheeuws : Après lecture des propositions et expérience faite, je ferais trois observations :

a.
Une méconnaissance ou une amnésie concernant le mouvement liturgique qui a abouti à la réforme conciliaire . Beaucoup de chrétiens en vivent et en sont heureux, mais ils ne savent pas pourquoi on célèbre ainsi maintenant et différemment d’il y a 50 ans . Cela vaut aussi pour les membres du Synode. Ceux qui regrettent le passé ou qui ont été blessés par des abus ou des erreurs, n’en savent pas plus . De part et d’autre, la nouveauté de la transcendance du Christ n’est pas perçue en profondeur et souvent le critère des deux commandements de l’amour n’est pas inscrit dans l’acte ou le jugement liturgique .

b . Dans la prise de conscience de la place incontournable du ministre de l’Eucharistie, de la répartition des prêtres et de la question des vocations sacerdotales, on raisonne à partir du « manque » et non à partir de ce que Dieu donne déjà ou est en train de donner . Les critères restent extérieurs, utilitaristes et de militance . Les collaborateurs de l’évêque ne sont pas assez perçu comme un corps (un presbyterium), et le don du célibat est défendu encore de manière extrinsèque au sacrement de l’ordre Il est le plus souvent désarticulé du lieu où ce don est offert et éduqué (la famille, les cellules d’Eglise). Dès lors, il est peu mis en lien avec la vocation au mariage et n’éclaire pas la possibilité de ce sacrement d’être « transformé » par la grâce de l’ordination sacerdotale. Cette observation vaut pour l’Orient comme pour l’Occident.

c
. Dans de nombreuses interventions ou interprétations médiatiques, il me semble qu’il y a confusion entre le respect et le sens du sacré et ce qu’est la sacramentalité d’un geste ou d’un objet . Certains conservent ou développent un sens païen, latin au sens historique du terme, du sacré. La désarticulation de la foi des chrétiens par rapport à la racine juive ne peut qu’engendrer ce type de phénomène. Il y a un sacré qui est l’exact opposé du sécularisme : il est tout aussi nocif pour la foi. Les deux pôles se nourrissent mutuellement dans une dialectique pratique et pastorale que l’on peut voir avec surprise dans les jeunes générations ou dans certains mouvements d’Eglises.

Comment insister sur l’Eucharistie dans un contexte où les « ministres de l’Eucharistie » sont de moins en moins nombreux ? Est-ce là une caractéristique occidentale ? Quelle pastorale envisager pour les vocations ? Pourquoi avoir refusé d’élargir les conditions d’accès au sacerdoce ministériel ?

P. A. Mattheeuws : Nous avons oublié que l’Eucharistie exprime de manière indépassable sur terre la joie du ressuscité : elle se célèbre par définition le Jour du Seigneur. C’est dans un contexte où le dimanche sera mieux compris dans toutes ses dimensions que la célébration sera plus vraie et que certaines questions pratiques se poseront différemment ou ne se poseront plus . L’enjeu est la consécration du temps de l’homme. C’est d’ailleurs la denrée rare et précieuse de la vie de l’homme. La faim de l’Eucharistie ne surgit pas dans n’importe quel contexte. C’est ainsi qu’il faut accepter et vivre nos pauvretés et nos richesses sur la terre.

Le Seigneur ne nous a pas promis non plus un « quota » de prêtres fixé par la Commission Européenne ou par le Vatican. Les évêques ont ressenti douloureusement la question du manque de « ministres de l’Eucharistie ». Mais les situations régionales et les raisons sont bien différentes. En Amazonie, les chrétiens reçoivent une fois ou deux par an la visite d’un prêtre et ne peuvent pas se déplacer comme dans le Brabant wallon (Belgique) ou en Bretagne. Au Brésil, la communion au corps du Christ différencie les réunions communautaires catholiques des immenses rassemblements évangélistes ou des sectes. Ces questions ne sont donc pas ignorées ou méprisées. Ce fut d’ailleurs, à mon humble avis, un des tournants du Synode que de se centrer sur les vocations et sur les prêtres . Les réflexions et les suggestions sont classiques et vont dans le sens d’une meilleure formation des futurs « ministres » et dans une plus grande conscientisation du peuple de Dieu à cette thématique. Le nœud de la question, c’est la foi du peuple de Dieu en son Seigneur qui peut lui offrir des « pasteurs selon son cœur » .

Mais pourquoi le refus de l’ordination d’hommes mariés ?

P. A. Mattheeuws : La question n’a été abordée que dans 3 ou 4 circuli minores sans recevoir un assentiment profond ni affronter les difficultés théologiques et culturelles de cette option. Donnons deux raisons supplémentaires pour expliquer cette position : en Occident, la relation conjugale est un lieu de fragilité aussi fort que la vie célibataire et il n’est pas sûr que l’ordination de « viri probati » soit une aide réelle. Elle pourrait même être la source de nouveaux soucis pastoraux. Par ailleurs, tous les évêques sont sensibles au caractère « charismatique », de « grâce », du célibat pour le sacerdoce. Ils voient combien intérieurement et extérieurement, ce don n’est pas toujours perçu comme tel. Dans un contexte où la sexualité n’est pas « située » anthropologiquement ni spirituellement, ils redoutent une terrible méprise sacramentelle sur l’ordination d’hommes expérimentés. Quand le célibat et le mariage seront perçus plus clairement comme des « dons » de Dieu, ordonnés l’un à l’autre, comme une vocation, les questions se poseront différemment.

Je ne comprends pas encore. On dit que le peuple de Dieu a droit à l’Eucharistie et l’Eglise empêche l’ordination des hommes mariés : n’est-ce pas contradictoire ?

P. A. Mattheeuws : Comment comprendre sans faire un « traité théologique » ni trancher dans les débats ? Eclairons encore la question : que ce soit en Orient ou en Occident, il s’agit de l’ordination d’hommes mariés et non pas de l’accession au sacerdoce de séminaristes mariés. L’Eglise latine a discerné il y a quelques siècles qu’elle devait appeler au sacerdoce des hommes qui avaient reçu personnellement le don du célibat. Il ne s’agit pas seulement d’une règle disciplinaire ni d’une « pieuse » coutume. Il ne s’agit pas non plus de dire que le sacerdoce est incompatible avec le mariage. A l’époque, à travers même certaines ambiguïtés, l’Eglise latine a vraiment exercé un discernement spirituel et théologique pour ne plus choisir comme collaborateur de l’évêque que des hommes ayant le charisme du célibat. Une telle option spirituelle et ecclésiale n’est pas « faite contre » une autre option. Un « don ne blesse pas un autre don », mais le complète, le remplace ou l’enrichit.

La question des « viri probati » me semble aujourd’hui relever d’un même discernement. La présence de ces hommes mariés, solides dans leur foi, heureux et responsables de leur famille, pourrait-elle être un signe à interpréter comme un don de Dieu complémentaire à celui que Dieu donne aux jeunes dans le célibat ? Ce don pourrait-il être transformé en mission sacramentelle et ces « hommes éprouvés, expérimentés » pourraient-ils être ordonnés au service d’une communauté ? Si l’on raisonne en termes de don, de grâce et de discernement ; si l’on se penche un peu profondément sur la vie de certaines Eglises particulières, si l’on réfléchit à la transformation du mariage par la grâce de l’ordination, alors la question risque d’être bien posée .

Si l’on ne considère l’ordination d’hommes d’expérience que du point de vue fonctionnel, on est à côté de la plaque . Les critères « utilitaristes » ne peuvent suffire pour justifier une telle décision ou confirmer un tel discernement. Or, c’est ce qui s’est passé : on n’a pas assez de prêtres, il faut ordonner des hommes mariés. C’est le refrain habituel, douloureux certes, mais calqué le plus souvent sur une logique d’entreprise occidentale. On est dans une logique de manque et pas dans une abondance de dons. L’objection peut se déployer d’une autre manière. On pense que la comparaison entre le don du célibat et celui du mariage pourrait blesser ou faire oublier la grandeur et la beauté du célibat sacerdotal. Si l’on est dans cette logique, on ne peut pas « penser à l’ordination d’hommes mariés ». On sait combien le célibat est blessé, critiqué, soupçonné, attaqué dans de nombreuses cultures. Pour l’ordination d’hommes mariés, il conviendrait donc de penser à la fécondité mutuelle des deux charismes : la vocation au célibat et la vocation au mariage.

Quelles « nouveautés » attendre d’un tel synode ?

P. A. Mattheeuws : La vraie « nouveauté » comme dit la proposition 3 , c’est le Christ . Si ce synode permet de mieux observer la présence du Christ dans notre histoire personnelle, dans celle de nos communautés et dans le monde : c’est gagné . Mais il ne suffit pas d’observer le Christ, il faut « être nouveau » avec Lui : entrer dans son corps, être « par lui, avec lui et en lui » offert au Père. Cette considération me permet d’indiquer que si la charité ne grandit pas, la « nouveauté » n’est pas encore advenue : c’est un critère de l’Eucharistie . Qu’elle soit clairement articulée à un changement de vie et que ses implications morales sociales et personnelles soient joyeusement perçues. L’Eglise doit servir le Christ . Elle ne peut pas faire mémoire de son acte sauveur sans être changée elle-même, sans être ré-évangélisée.

Ajoutons le point suivant : le synode concluait l’année de l’Eucharistie. Il montrait à nouveau l’importance de l’acte du Christ : une répétition, une expérience conclusive comme une « confirmation spirituelle » que l’Eucharistie est bien le centre de la vie chrétienne. Qui dit centre, dit qu’on ne passe pas à côté de l’essentiel : du don total du Christ pour chacun. L’Eucharistie comme thème synodal a montré les poids et les peines qui restent à résoudre. L’humanité, les chrétiens eux-mêmes souffrent et leur vie est en hiatus avec la grâce. Il nous faut à tous un sauveur : le synode l’a bien montré. Sans le Christ, rien de solide ne se construit . Les évêques et le pape Benoît XVI ont vécu ensemble certaines impuissances : ne pas avoir réponse à tout, ne pas résoudre telle difficulté, attendre qu’une réconciliation s’opère (avec les frères séparés). La décision de Benoît XVI de laisser les propositions qui lui sont faites à la disposition de tous, telles qu’elles sont, est un acte de courage et d’humilité . Chacun de nous peut voir que ce n’est pas si simple ou qu’on n’a rien trouvé dans tel ou tel domaine. Cela ne veut pas dire qu’on ne trouvera pas. Le Synode ne se termine qu’avec la publication de l’exhortation et sa mise en œuvre. Et puis la vie de l’Eglise est plus large qu’un Synode.

Que pensez-vous de la publication des propositions ? Elles étaient destinées au pape. Souvent, le secret était rompu, mais lorsqu’on en prend connaissance, on est déçu ?

P. A. Mattheeuws : La publication des propositions est une bonne chose. Elle a été voulue par Benoît XVI. Elle est à double tranchant comme la plupart de nos actes. On peut l’interpréter de plusieurs manières. Ces propositions sont hétérogènes. Leur importance relative est très variable (puisque par ailleurs nous ne savons pas le nombre de voix recueillies pour chacune). Mais cette publication livre un « certain » état de la question. Je crois qu’elles témoignent de la connaissance existentielle et claire qu’ont les évêques de certaines difficultés, de leur souci pastoral pour tous (des migrants aux malades), du désir de vivre le mystère eucharistique plus en profondeur. Si elles nous sont offertes, lisons-les comme le « message » qui nous a été confié.

Ces « propositions » montrent humblement la pauvreté et parfois l’impuissance d’une assemblée face à certains problèmes. C’est déjà arrivé dans l’histoire de l’Eglise et il faut parfois du temps pour trouver la solution adéquate ou une formulation juste du Mystère. Pourquoi le nier ou s’en offusquer ? Quand la foule était rassemblée auprès du Christ pour écouter longuement sa parole et qu’il était question de devoir donner à manger à tous ces gens, les disciples étaient bien inquiets. Surtout que le Seigneur lui-même leur avait dit : « Donnez-leur vous-même à manger ». Une question difficile est toujours une occasion pour les membres de l’Eglise de venir avec leurs victuailles dérisoires (« 5 pains d’orge et deux petits poissons », Jn 6,9) et de se fier à l’action du Christ et de son Esprit. Pour certaines questions, nous sommes à cette étape. Il faut la vivre en paix et poser un acte de confiance dans le Christ . C’est le sens de l’envoi à la fin de l’Eucharistie.

Et le pape Benoît XVI dans ce Synode ?

P. A. Mattheeuws : Certainement bien présent au Synode et à ses membres. La décision de Benoît XVI de mettre un temps d’interventions spontanées et de réactions à la fin des journées fut appréciée par tous.  Le pape y était de manière particulière, attentif aux sensibilités différentes et aux questions répétées. Il a même demandé d’intervenir une fois pour souligner quelques traits essentiels de la Cène et leurs implications dans la célébration eucharistique depuis des siècles. Il est vrai qu’il a étudié et publié de nombreux livres sur cette question. Il serait utile de méditer ses deux homélies : à l’ouverture du Synode et à la fin. (1) Elles livrent un peu ses désirs, ses souhaits, sa confiance dans l’œuvre de l’Esprit. Soulignons encore trois événements auxquels a pris part Benoît XVI et qui donnent une tonalité à l’histoire de ce Synode : l’adoration eucharistique dans la Basilique saint Pierre, la rencontre avec les enfants italiens qui avaient fait leur première communion durant une après-midi festive et priante sur la place saint Pierre, les canonisations à la clôture du synode. Ces saints ont vécu une existence eucharistique, c’est-à-dire d’amour .

Et que pressentez-vous comme points à venir ?

P. A. Mattheeuws : Je ne suis pas « prophète », mais je peux livrer un sentiment. On peut les attendre dans trois domaines : l’enseignement doctrinal, l’art de célébrer, les options pastorales .

a. Du point de vue doctrinal : une meilleure compréhension de l’action du Christ dans nos célébrations ; une plus grande interpénétration de la Table de la Parole et de la Table des dons eucharistiques, une meilleure articulation de l’Eucharistie avec les sacrements de l’initiation chrétienne, et avec les sacrements de la mission de l’Eglise (l’ordre et le mariage), un approfondissement du « pourquoi » de la réforme liturgique, une unification de deux significations eucharistiques peu harmonisées jusqu’à présent : le banquet, le repas de noce, et le sacrifice du Christ, le don entier de lui-même au Père ; l’importance de l’épiclèse et du rôle de l’Esprit Saint dans l’acte eucharistique.

b. Dans l’art de célébrer : il ne s’agit pas seulement de « bien faire », ou de bien respecter les rubriques ou normes, mais de discerner ce qui manifeste la présence du Christ ressuscité à son peuple et dans le monde. Je pense à des questions d’inculturation de la liturgie, à la présence des pauvres, des malades, des handicapés dans nos célébrations, au respect des acteurs liturgiques différents, à des approfondissements et changements facultatifs du « signe de la paix », des acclamations durant la prière eucharistique, et surtout de l’envoi en mission. Un compendium surgira peut-être.

c . Des « audaces pastorales » suivant la méthode Benoît XVI : humble et modeste, ferme dans un climat de paix. Sa manière de procéder ne vise pas le « spectaculaire ». Elle vise à respecter la variété des sensibilités et à approfondir les points difficiles, point par point. Il me semble que les deux poumons de l’Eglise, l’Orient et l’Occident, seront toujours mis en évidence.

Que pensez-vous du message des Pères Synodaux ?

P. A. Mattheeuws : Je serais attentif à son style : dynamique, encourageant, exigeant. Ces paroles qui l’introduisent et le concluent « Paix à vous » sont les paroles mêmes du Christ ressuscité lorsqu’il apparaît à ses apôtres. Ce sont des paroles de consolation au sens fort du terme. Les problèmes, les questions, les difficultés, les impasses, ne sont pas niées dans l’Eglise et dans le monde, mais l’affirmation des évêques, successeurs des apôtres, est la suivante : Dieu est présent encore et toujours dans notre histoire. Le signe tangible de cette présence est dans l’acte eucharistique.

Ce message n’a-t-il pas un goût de « trop » ou de « trop peu » ?

P. A. Mattheeuws : Le genre littéraire d’un message est particulier : il s’agit d’un « nuntius », d’une annonce. Il est bien vrai qu’à l’heure des ordinateurs, on s’adresserait aux baptisés par un mail. Mais un mail reste un peu « court » et impersonnel. Certains membres de la commission du message et des évêques avaient souhaité un « message » d’une page : une annonce à faire dans toutes les assemblées dominicales de l’Eglise catholique. C’était une bonne idée aussi. On peut le faire encore en traduisant la dynamique et l’élan positif du message actuel qui est riche et plus déployé.

Ce message est une passerelle entre un coup de fil au peuple de Dieu et l’ensemble de la doctrine eucharistique qui a été approfondie et revisitée dans les discussions et dans les propositions faites au pape. Il est bien vrai qu’il y a un enseignement, une part de doctrine dans le message. Pour être complet, il conviendrait de connaître l’explicitation de certains points réalisées dans les
50 propositions retenues . Il nous suffit d’attendre l’exhortation post-synodale. Le message doit nous aider spirituellement durant cette période d’attente.

On a parfois l’impression que le synode se passe très loin et que c’est un truc d’évêques dont on parle très peu dans les paroisses en Belgique ou ailleurs. Et puis on oublie vite. Comment réagir ?

P. A. Mattheeuws : Chacun a ses impressions : il est utile de découvrir d’où elles viennent car les impressions ne sont pas toujours la vérité de nos vies ! Ce sont souvent des nuages qui passent ou des images qui nous sont imposées de l’extérieur. Qui écoutons-nous ? Que regardons-nous ?

Cette assemblée synodale est bien constituée pour des évêques qui parlent et travaillent entre eux. C’est leur mission de mieux comprendre les questions vives du monde et de l’Eglise. Mais les « bons » évêques ne sont pas loin de ceux et celles qui leur sont confiés. Le « gap » (« fossé ») entre le synode et nous, c’est parfois le « gap » entre l’évêque, le Christ, Dieu lui-même et nous. C’est peut-être symptomatique d’une foi qui reste très subjective, très individuelle, peu missionnaire. Le Synode aborde les problèmes de l’Afrique, de l’Océanie et on risque parfois de penser ou de dire que ce n’est pas notre affaire. Il y a des « gaps » ainsi dans l’Eglise et dans le monde, surtout si l’on pense l’Eglise un peu matériellement : pour un Indien, un Australien ou un Chilien, Rome, c’est loin. Pour un saint, Rome, c’est tout près et d’ailleurs les saints ne s’arrêtent pas seulement à Rome. Ils n’y font que passer pour continuer leur mission sur la terre ou pour rejoindre le Père des cieux.

Zenit : Quels retentissements cela devrait-il avoir pour nos communautés ?

P. A. Mattheeuws : Se centrer résolument sur la personne du Christ et sur la manière dont il a voulu demeurer avec les hommes puisqu’Il a dit « Faites ceci en mémoire de moi » . Si une parole de ce synode nous touche, la mettre en pratique. Plonger dans un mystère qui nous dépasse de part en part et vivre avec une foi plus intense chacune de nos Eucharisties. Qu’elle soit belle ou moins belle : le Christ travaille les cœurs et incorpore chacun de nous à son mystère pascal. De fait, se centrer sur l’Eucharistie, c’est donner un autre sens à la journée, à la semaine, à la vie que nous vivons. Si nous désirons combler notre faim et la faim du monde, il nous faut passer par le « moulin » de l’Eucharistie : le grain, la farine et le pain nous sont offerts. Le raisin est pressé et le vin de l’éternité (vie, souffrances et joies) nous sont largement partagés. C’est à cette condition que l’Amour-agapè peut combler nos vies.

C’est une réaction spirituelle ?

P. A. Mattheeuws : Peut-être, mais il faut aller au fond des choses : se laisser toucher par l’acte du Christ Sauveur. Son Amour est concret ! Cela concerne notre corps et nos communautés : c’est la vérité de l’action divine dans nos histoires. Donc, que le jour du Seigneur soit aimé et respecté comme « principe d’humanisation » et « temps de repos en Dieu ». Il convient de prier le dimanche plus longuement, car prier, c’est aimer ! Il faut se rassembler non parce que cela nous plaît et nous convient, mais parce que le Christ nous y invite. Si être chrétien ne nous « coûte » rien, il nous devient difficile de comprendre le « pourquoi » du drame pascal. Pour nous occidentaux, il nous faut réapprendre à mettre une priorité « sur Dieu ». Si cela nous dérange, cela nous fera du bien. Je pense à la difficulté de nombreux paroissiens à se rendre à la messe le dimanche, à faire dix kilomètres en voiture pour rejoindre une communauté, à soutenir leurs prêtres au lieu de les exténuer dans la multiplication des messes. Pour la messe elle-même, donner gratuitement et par amour notre temps (c’est souvent ce que nous avons de très précieux) : silence, chants, participation active, beauté sobre de nos liturgies .

Est-ce que vous voyez l’Eglise autrement ?

P. A. Mattheeuws : Trois semaines d’interventions et de travaux avec des évêques de contrées si différentes et des problématiques si variées, cela nous marque indéniablement. Nos questions acquièrent une autre dimension quand elles rejoignent le cœur de l’Eglise et deviennent ainsi plus universelles. Pas de danger d’idéaliser l’Eglise lorsque l’on voit les difficultés affrontées, les incompréhensions mutuelles, les disparités : les joies et les peines ont une autre dimension. Pour faire bref, je dirais qu’il est bien difficile dans l’Eglise d’avancer au même pas et de se respecter dans la perception que chacun reçoit du mystère de Dieu. Mais l’Esprit dépasse toutes ces différences et leur donne leur vrai poids : pluralité de dons en vue de l’unité, pour rendre gloire à Dieu le Père. Il faut entrer et appartenir toujours à l’Eglise comme à un corps qui nous dépasse. Voilà l’espérance dont il nous faut vivre.

Personnellement, que retirez-vous d’une telle expérience ?

P. A. Mattheeuws : Un regard plus ample sur l’Eglise, une perception accrue des défis théologiques et pastoraux, une plus grande patience pour le rythme de la vie ecclésiale, un immense stimulant théologique car il y a des études et des recherches à faire.

 

(1)  Il serait utile, dit le P. Matteeeuws, de méditer ses deux homélies : à l’ouverture du Synode et à la fin .

Dans l’Eucharistie, plutôt que dans « le vinaigre » de l’auto-suffisance - 02.10.2005
Synode - Encouragements du pape Benoît XVI - 04.10.2005
Homélie de clôture de Benoît XVI : « Dans l’amour se résume toute la loi divine »

Pour lire l'Encyclique du pape Benoît XVI:   "Deus Caritas Est"

 

Interview du Père Alain Mattheeuws,sj (RTCB)
 

 

 

 

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