La pensée de Benoît XVI sur Galilée
Rome, le 18 janvier 2008 -
(E.S.M.) - Comment des universitaires ont-ils
pu en arriver là ? Un enseignant devrait considérer comme un échec
professionnel le fait d'avoir donné un pareil exemple de lecture
inattentive, superficielle et lacunaire, qui aboutit à une véritable
déformation.
La pensée de Benoît XVI sur Galilée
"Je ne viens pas imposer la foi mais demander du
courage pour la vérité"
L'université de Rome ferme ses portes au pape. Voici le discours qu'elle n'a
pas voulu écouter º
Benoît XVI rappelle qu'il est avant tout, Evêque de Rome
Un quarteron d'enseignants et d'étudiants a contraint Benoît XVI à annuler
sa visite à "La Sapienza". Mais le pape professeur ne s'est pas avoué vaincu:
il a rendu public avec un jour d'avance le discours qu'il avait écrit pour
l'occasion. Une suite au formidable discours de Ratisbonne, sur les
questions ultimes de la foi et de la raison
par Sandro Magister
On l'a accueilli à la Mosquée Bleue d'Istanbul. On lui a offert une chaire à
l'université de Ratisbonne. On l'attend à New York pour un discours devant
les Nations Unies.
Mais pas à l'université de Rome "La Sagesse". Elle lui est fermée. Benoît
XVI a dû renoncer à lire un discours, le jeudi 17 janvier, dans la
principale université du diocèse dont il est l'évêque. L'université qui
avait déjà reçu la visite de Paul VI en 1964 et de Jean-Paul II en 1991.
L'annulation inouïe de la visite du pape a été annoncée le mardi 15 janvier
à 17 heures dans un bref
communiqué de la salle de presse du Vatican.
Le lendemain, le mercredi 16 janvier, le cardinal secrétaire d'état a écrit
au recteur de l'université qui avait invité Benoît XVI, le professeur Renato
Guarino:
"Les conditions pour un accueil digne et serein ne pouvant pas être
assurées, du fait de l'initiative d'un groupe tout à fait minoritaire de
professeurs et d'étudiants, il a été jugé opportun de reporter la visite
prévue pour enlever tout prétexte à des manifestations qui pourraient
s'avérer regrettables pour tous.
"Toutefois, le Saint-Père, conscient du désir sincère de la grande majorité
des professeurs et des étudiants de recevoir une parole culturellement
significative, dont on peut retirer des indications stimulantes dans son
cheminement personnel de recherche de la vérité, a consenti à ce que vous
soit envoyé le texte qu'il avait préparé personnellement pour l'occasion,
[...] dans l'espoir que tous puissent s'en inspirer pour des réflexions et
approfondissements enrichissants".
Le même jour, dans l'après-midi, sortait "L'Osservatore Romano" avec le
texte complet du discours que le pape aurait dû lire le jour suivant à
l'université "La Sapienza".
Un discours dans la ligne de celui qu'avait prononcé Benoît XVI à
l'université de Ratisbonne le 12 septembre 2005. Sur la nature et les
missions d'une université, sur le rapport entre vérité et liberté, entre foi
et raison, entre la philosophie, la théologie et les autres branches du
savoir, entre l'Église et le monde contemporain.
Un discours d'importance capitale pour comprendre la pensée du pape Joseph
Ratzinger. Pour comprendre pourquoi il invite sans cesse la raison "à se
mettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu et, dans ce cheminement, à
distinguer les lumières utiles qui sont apparues tout au long de l'histoire
de la foi chrétienne".
Les faits qui ont précédé la visite manquée. Et la
pensée de Benoît XVI sur Galilée
Deux heures avant que la visite ne soit annulée, dans l'après-midi du mardi
15 janvier, "L'Osservatore Romano" était sorti avec une note en une qui
laissait présager l'annulation et en donnait les raisons.
L'auteur de cette note n'était pas un ecclésiastique de la curie, mais
Giorgio Israël, juif et professeur titulaire de mathématiques
complémentaires justement à cette université de "La Sapienza" où le pape
aurait dû se rendre.
Un intellectuel non-catholique donnant les raisons de cet événement dans le
journal du pape. Voilà qui symbolisait bien l'idée que se fait Benoît XVI de
ce que devrait être une université: un "cosmos" de la raison dans toutes ses
dimensions et ses spécialisations, appelées à s'écouter, à s'intégrer, à se
critiquer. Un "cosmos" dont les croyances constituent aussi une partie
vivante, à égalité avec les sciences, chacune avec ses spécificités.
Ce n'était pas de l'avis des opposants à la visite du pape: une poignée de
professeurs, 67 sur 4 500, et quelques dizaines d'étudiants sur un total de
135 000. Ils ont cependant reçu le soutien d'une partie des milieux laïcs
italiens, elle aussi très réduite mais très présente et bruyante dans les
médias.
Voici donc ce qu'a écrit le professeur Israël dans "L'Osservatore Romano"
paru dans l'après-midi du 15 janvier:
QUAND RATZINGER A DÉFENDU GALILÉE à “LA SAPIENZA”
par Giorgio Israel
Il est étonnant que des gens qui ont choisi comme devise la célèbre phrase
attribuée à Voltaire – "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais
je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire" – se
soient opposés à ce que le pape fasse un discours à l'université "La
Sapienza" de Rome. C'est d'autant plus surprenant que les universités
italiennes sont des lieux ouverts à tout type d'intervention. Il est
inexplicable que l'interdiction d'entrer ne s'applique qu'au pape.
Qu'est-ce qui a pu être si grave pour que la tolérance voltairienne soit
mise de côté ? L'explication est venue de l'un des opposants au pape, le
professeur Marcello Cini, dans une lettre du mois de novembre dernier où il
a condamné l'invitation de Renato Guarini, le recteur de l'université, à
Benoît XVI. Ce qui lui semble "dangereux", c'est que le pape tente d'ouvrir
un débat entre la foi et la raison, de rétablir une relation entre les
traditions judéo-chrétienne et hellénique, de refuser que la science et la
foi soient séparées par un mur impénétrable et étanche.
Cini considère que ce programme est intolérable parce qu'il serait en
réalité dicté par l'intention perverse – que Benoît XVI cultiverait depuis
l'époque où il était "chef du Saint Office" – de "rappeler la science à
l'ordre" et la ramener à "la pseudo-rationalité des dogmes de la religion".
En outre, selon Cini, le pape aurait également comme effet néfaste de
susciter de vives réactions dans le monde islamique. Nous doutons cependant
que Cini demanderait à un représentant religieux musulman de prononcer un
"mea culpa" pour avoir persécuté Averroès avant de franchir les portes de
"La Sapienza". Nous sommes certains, au contraire, qu'il l'accueillerait à
bras ouverts au nom des principes du dialogue et de la tolérance.
L'opposition à la visite du pape n'est donc pas motivée par un principe
abstrait et traditionnel de laïcité. C'est une opposition à caractère
idéologique qui a pour unique cible Benoît XVI, dans la mesure où ce dernier
se permet de parler de science et des rapports entre science et foi, au lieu
de se limiter à parler de foi.
La lettre contre cette visite qu'a signée un groupe de professeurs de
physique est elle aussi inspirée par un sentiment d'aversion envers la
personne même du pape, présenté comme un ennemi acharné de Galilée.
Ils reprochent au pape d'avoir repris – lors d'une conférence qui avait
justement eu lieu à "La Sapienza" le 15 février 1990 (cf.
J. Ratzinger, "Wendezeit für Europa? Diagnosen und Prognosen zur Lage von
Kirche und Welt", Einsiedeln-Freiburg, Johannes Verlag, 1991, pp. 59 et 71)
– cette phrase du philosophe des sciences Paul Feyerabend: "A l'époque de
Galilée, l'Église est restée beaucoup plus fidèle à la raison que Galilée
lui-même. Le procès contre Galilée a été raisonnable et juste".
Ils n'ont pas cependant cru bon de lire dans son intégralité et avec
attention ce discours de celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger.
Le sujet en était la crise de la foi dans la science en elle-même et
l'auteur avait pris comme exemple le changement d'attitude sur l'affaire
Galilée. Si, au XVIIIe siècle, Galilée est le symbole de l'obscurantisme
moyenâgeux de l'Église, ce n'est plus le cas au XXe siècle, où l'on estime
que Galilée n'avait pas fourni de preuves convaincantes du système
héliocentrique. Au point d'en arriver à l'affirmation de Feyerabend – défini
par Ratzinger comme un "philosophe agnostique-sceptique" – et à celle de
Carl Friedrich von Weizsäcker qui va même jusqu'à établir un lien direct
entre Galilée et la bombe atomique.
Le cardinal Ratzinger n'a pas utilisé ces citations pour prendre une
revanche ou improviser des justifications. "Ce serait absurde – dit-il –
d'édifier une défense hâtive sur la base de ces affirmations. La foi ne
grandit pas par le ressentiment et le refus de la rationalité".
Les citations ont plutôt été choisies pour montrer à quel point "le doute de
la modernité à propos d'elle-même a atteint aujourd'hui la science et la
technique".
En d'autres termes, le discours de 1990 peut bien être considéré – par celui
qui le lit avec un minimum d'attention – comme une défense de la rationalité
galiléenne contre le scepticisme et le relativisme de la culture
postmoderne.
Du reste, quiconque connaît un tant soit peu les récentes interventions de
Benoît XVI sur ce sujet sait à quel point ce dernier a de l'"admiration"
pour la célèbre affirmation de Galilée selon laquelle le livre de la nature
est écrit dans un langage mathématique.
Comment des universitaires ont-ils pu en arriver là ? Un enseignant devrait
considérer comme un échec professionnel le fait d'avoir donné un pareil
exemple de lecture inattentive, superficielle et lacunaire, qui aboutit à
une véritable déformation.
Mais je crains que, dans le cas présent, la rigueur intellectuelle importe
peu et que l'intention soit celle de porter un coup fatal, coûte que coûte.
La laïcité n'a rien à voir non plus, puisqu'elle ne correspond pas au
comportement de certains des signataires, qui n'ont jamais ouvert la bouche
contre l'intégrisme islamique ou contre la négation de la Shoah. Dans cette
affaire, on a assisté à l'émergence d'une forme de culture laïque qui manque
d'arguments mais qui cherche à diaboliser. Elle ne participe pas au débat à
la manière de la vraie culture laïque, mais elle crée des monstres. En ce
sens, cette menace contre le pape est un drame pour la culture et la
civilisation
Ndlr : Pour compléter ce qu'a écrit le
professeur Israël, il faut noter que le discours prononcé par celui qui
était alors le cardinal Ratzinger à l'université de Rome "La Sapienza" le 15
février 1990, avec les passages concernant Galilée, était la réplique d'un
texte qu'il avait lu lors d'une précédente conférence à Rieti le 16 décembre
1989. Et qu'il avait repris par la suite, à quelques adaptations près, le 24
février 1990 à Madrid et le 15 mars de la même année à Parme.
Le texte de la conférence a ensuite été intégré dans un volume édité en 1991
en Allemagne par Johannes Verlag et en 1992 en Italie aux Edizioni Paoline,
sous le titre "Svolta per l'Europa ? Chiesa e modernità nell'Europa dei
rivolgimenti".
La position officielle de l'Église de Rome sur l'affaire Galilée est encore
actuellement celle qu'avait exprimée Jean-Paul II dans son discours du 31
octobre 1992 à l'Académie Pontificale des Sciences:
En tant que pape, Benoît XVI n'est jamais intervenu directement sur le
sujet. Mais pour comprendre sa pensée, la réponse qu'il a donnée le 6 avril
2006 place Saint-Pierre à un lycéen de 17 ans qui lui avait demandé "comment
mettre la science et la foi en harmonie" est d'un très grand intérêt.
Voici la réponse du pape º
Benoît XVI répond aux questions des jeunes
"LE GRAND GALILÉE A DIT QUE DIEU..."
par Benoît XVI
Le grand Galilée a dit que Dieu a écrit le livre de la nature sous la forme
du langage mathématique. Il était convaincu que Dieu nous a donné deux
livres: celui de l'Écriture Sainte et celui de la nature. Et le langage de
la nature - telle était sa conviction - sont les mathématiques, celles-ci
sont donc un langage de Dieu, du Créateur. Réfléchissons à présent sur ce
que sont les mathématiques: en soi, il s'agit d'un système abstrait, d'une
invention de l'esprit humain, qui comme tel, dans sa pureté, n'existe pas.
Il est toujours réalisé de manière approximative, mais - comme tel - c'est
un système intellectuel, c'est une grande, géniale invention de l'esprit
humain. La chose surprenante est que cette invention de notre esprit humain,
est vraiment la clef pour comprendre la nature, que la nature est réellement
structurée de façon mathématique et que nos mathématiques, inventées par
notre esprit, sont réellement l'instrument pour pouvoir travailler avec la
nature, pour la mettre à notre service, pour l'instrumentaliser à travers la
technique.
Cela me semble une chose presque incroyable qu'une invention de l'esprit
humain et la structure de l'univers coïncident: les mathématiques, que nous
avons inventées, nous donnent réellement accès à la nature de l'univers et
nous le rendent utilisable. La structure intellectuelle du sujet humain et
la structure objective de la réalité coïncident donc: la raison subjective
et la raison objective dans la nature sont identiques. Je pense que cette
coïncidence entre ce que nous avons pensé et la façon dont se réalise et se
comporte la nature est une énigme et un grand défi, car nous voyons que, à
la fin, c'est "une" raison qui les relie toutes les deux: notre raison ne
pourrait pas découvrir cette autre, s'il n'existait pas une raison identique
à la source de toutes les deux.
Dans ce sens, il me semble précisément que les mathématiques - dans
lesquelles, en tant que telles, Dieu ne peut apparaître -, nous montrent la
structure intelligente de l'univers. Certes, il existe également les
théories du chaos, mais elles sont limitées car si le chaos prenait le
dessus, toute la technique deviendrait impossible. Ce n'est que parce que
notre mathématique est fiable que la technique est fiable. Notre science,
qui permet finalement de travailler avec les énergies de la nature, suppose
une structure fiable, intelligente, de la matière. Et ainsi, nous voyons
qu'il y a une rationalité subjective et une rationalité objective de la
matière, qui coïncident. Naturellement, personne ne peut prouver - comme on
le prouve par l'expérience, dans les lois techniques - que les deux soient
réellement le fruit d'une unique intelligence, mais il me semble que cette
unité de l'intelligence, derrière les deux intelligences, apparaisse
réellement dans notre monde. Et plus nous pouvons instrumentaliser le monde
avec notre intelligence, plus apparaît le dessein de la Création.
A la fin, pour arriver à la question définitive, je dirais: ou Dieu existe,
ou il n'existe pas. Il n'existe que deux options. Ou l'on reconnaît la
priorité de la raison, de la Raison créatrice qui est à l'origine de tout et
est le principe de tout - la priorité de la raison est également la priorité
de la liberté - ou l'on soutient la priorité de l'irrationnel, selon
laquelle tout ce qui fonctionne sur notre terre ou dans notre vie ne serait
qu'occasionnel, marginal, un produit irrationnel - la raison serait un
produit de l'irrationalité. On ne peut pas en ultime analyse "prouver" l'un
ou l'autre projet, mais la grande option du Christianisme est l'option pour
la rationalité et pour la priorité de la raison. Cela me semble une
excellente option, qui nous montre que derrière tout se trouve une grande
intelligence, à laquelle nous pouvons nous fier.
Mais le véritable problème contre la foi aujourd'hui me semble être le mal
dans le monde: on se demande comment il peut être compatible avec cette
rationalité du Créateur. Et ici, nous avons véritablement besoin du Dieu qui
s'est fait chair et qui nous montre qu'Il n'est pas une raison mathématique,
mais que cette raison originelle est également Amour. Si nous regardons les
grandes options, l'option chrétienne est également aujourd'hui la plus
rationnelle et la plus humaine. C'est pourquoi nous pouvons élaborer avec
confiance une philosophie, une vision du monde qui soit fondée sur cette
priorité de la raison, sur cette confiance que la Raison créatrice est
amour, et que cet amour est Dieu.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Sources:
La chiesa.it
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 18.01.2008 - BENOÎT XVI