L'Eglise, Obama et Berlusconi. La
confusion au pouvoir |
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Rome, le 02 septembre 2009 -
(E.S.M.)
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Parmi les évêques et le clergé italiens, c'est celui qui crie le plus fort
contre le gouvernement et son chef qui gagne. Le cardinal secrétaire d'état
cherche à rétablir l'ordre, mais le journal catholique "Avvenire" finit lui
aussi dans la confusion. Même situation aux Etats-Unis, avec un désaccord
entre le Vatican et les évêques
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Silvio Berlusconi
L'Eglise, Obama et Berlusconi. La confusion au pouvoir
Le 02 septembre 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Depuis quelques mois, dans deux pays clés du
catholicisme mondial, deux leaders politiques de premier plan sont observés
de manière critique par les hiérarchies de l’Eglise : Barack Obama aux
Etats-Unis et Silvio Berlusconi en Italie.
Dans les deux cas, l’approche du Saint-Siège diffère de celle de l’épiscopat
national. Les autorités vaticanes paraissent préférer des rapports
pacifiques et détendus, les épiscopats nationaux se montrant plus critiques
et combatifs.
Dans ces deux conflits, deux journaux ecclésiastiques entrent aussi en jeu :
"L'Osservatore Romano", organe du Vatican, et "Avvenire", le quotidien qui
appartient à la conférence des évêques d’Italie.
1. LE CAS OBAMA
A propos de Barack Obama, la ligne du Saint-Siège diverge tellement de celle
d’un nombre important d’évêques américains que, plusieurs fois, certains
d’entre eux ont protesté avec vigueur auprès des autorités vaticanes
elles-mêmes.
Par exemple l'éditorial de "L'Osservatore Romano" commentant, le 30 avril
2009, les 100 premiers jours du nouveau président a scandalisé certains
évêques américains.
Non seulement le quotidien du Saint-Siège jugeait de manière globalement
positive le lancement de la présidence Obama, mais il y voyait même un
"rééquilibrage en faveur de la maternité", c’est-à-dire sur le point où les
critiques des évêques étaient et sont les plus vives.
Autre sujet de conflit : la décision de l'Université Notre Dame - la plus
connue des universités catholiques aux Etats-Unis - de conférer à Obama, le
17 mai, un diplôme honoris causa. Quelque 80 évêques - un tiers de
l'épiscopat des Etats-Unis - ont déclaré qu’il était inopportun d’honorer
ainsi un leader politique dont les positions en matière de bioéthique
étaient manifestement contraires à la doctrine de l’Eglise.
Parmi ceux qui critiquent la présidence Obama figurent des personnalités
importantes de la hiérarchie américaine : du cardinal Francis George,
président de la conférence des évêques, à Charles Chaput, l’évêque de
Denver. En tant qu’archevêque de Chicago, George est le concitoyen d’Obama
et le successeur de Joseph Bernardin, le cardinal-archevêque mort en 1996,
que l’actuel président des Etats-Unis évoque souvent avec beaucoup de
sympathie et d’émotion comme inspirateur d’un christianisme non de conflit
mais de dialogue.
Avant et après la remise du diplôme à l’Université Notre Dame, plusieurs
évêques américains ont exprimé leur déception de voir leurs critiques
presque ignorées par le Vatican.
Ce n’est pas tout. Ce qui les a encore plus irrités est que le Vatican ne
s’est pas borné à négliger leurs critiques, mais qu’il a adressé à Obama des
éloges vraiment enthousiastes, comme à un nouveau Constantin, chef d’un
empire moderne favorable à l’Eglise.
Une impression due à un article du théologien et cardinal suisse Georges
Cottier, théologien émérite de la maison pontificale, publié à la veille de
la visite d’Obama à Benoît XVI dans une revue liée aux diplomates de la
curie, "30 Giorni".
Une intervention de Benoît XVI a un peu rassuré les évêques américains les
plus critiques : recevant le président américain en audience, le 10 juillet,
il a mis à la première place "la défense et la promotion de la vie et le
droit à l’objection de conscience" et lui a offert les documents publiés par
l’Eglise à ce sujet.
Mais les dernières semaines ont montré que le conflit entre les évêques et
Obama est loin d’être apaisé. Un nouveau sujet de dispute est apparu : le
projet de réforme du système de santé, dont ils craignent qu’il ne comporte
un financement de l’avortement par des fonds publics.
La controverse ouverte par le diplôme de l’Université Notre Dame reste
d’ailleurs vive au sein de cette hiérarchie. "America", la revue "liberal"
des jésuites de New-York, a publié, dans son dernier numéro du mois d’août,
deux commentaires opposés : l’un, très critique envers Obama et les
catholiques qui pensent comme lui, est de John M. D'Arcy, évêque du diocèse
de Fort Wayne-South Bend, dans l'Indiana, où se trouve l'université ; le
second est de John R. Quinn, l'archevêque émérite de San Francisco, chef de
file du catholicisme progressiste, partisan d’une "policy of cordiality"
envers l'administration Obama.
Le cœur de la controverse est revenu au premier plan fin août, à l’occasion
de la mort du sénateur Ted Kennedy, un catholique qui - il l’a écrit
lui-même dans une lettre à Benoît XVI rendue publique ces jours-ci - s’est
battu toute sa vie pour l'aide aux pauvres, le soin des malades, l'accueil
des migrants, l'abolition de la peine de mort.
"S’il avait ajouté à ces bonnes causes la protection de l’enfant à naître
dans le sein maternel, s’il avait témoigné plus fortement d’une éthique
cohérente de la vie, je crois que la douleur et la prière de la communauté
catholique auraient été plus intenses et plus profondes", a commenté Robert Imbelli, prêtre et théologien de Boston.
Le père Imbelli est aussi commentateur pour "L'Osservatore Romano", dans
lequel il a écrit des choses semblables à propos d’Obama. S’il n’y avait que
lui, les évêques américains critiques n’auraient pas eu de raisons de
protester contre le journal du Vatican.
2. LE CAS BERLUSCONI
En ce qui concerne Silvio Berlusconi, le chef du gouvernement italien, il y
a deux motifs principaux de friction avec l’Eglise depuis quelques mois.
Le premier est l'immigration. Le gouvernement Berlusconi applique des règles
très sévères pour sélectionner les entrées et refouler les clandestins. Ce
qui provoque les réactions critiques d’une bonne partie des organisations de
l’Eglise, pour lesquelles "l'accueil" est le premier précepte, sinon le
seul.
La ligne officielle de la conférence des évêques - selon laquelle l’accueil
doit au contraire être toujours accompagné et contrebalancé par la légalité
et la sécurité - est donc accusée par les membres du clergé et les laïcs
catholiques les plus engagés dans le "social" et même par certains évêques
d’être trop modérée ou, pire, soumise au gouvernement Berlusconi. Il en est
de même pour "Avvenire", le quotidien qui appartient aux évêques.
Mais si l’on compare "Avvenire" et "L'Osservatore Romano", ce dernier est,
de loin, le plus respectueux des décisions du gouvernement en matière
d’immigration. Giovanni Maria Vian, le professeur d’histoire qui dirige le
journal du Vatican, a déclaré, dans une interview du 31 août au "Corriere della Sera", que des articles d’"Avvenire" avaient été si "excessifs et
imprudents" dans leurs critiques du gouvernement qu’ils avaient déconcerté
le Vatican. Il en a cité deux en particulier : un éditorial qui comparait un
naufrage d’immigrants africains en Méditerranée à l’extermination des Juifs
dans l'indifférence générale ; et un autre article qui contestait
l'affirmation du ministre italien des Affaires étrangères selon laquelle
l'Italie est le pays européen qui a secouru le plus d’immigrés en mer.
A vrai dire, même au Vatican, les voix discordantes ne manquent pas.
L'archevêque Agostino Marchetto, secrétaire du conseil pontifical pour les
migrants, est très critique envers la ligne du gouvernement italien et il
est très apprécié par les journaux d’opposition, bien que la secrétairerie
d’état ait fait savoir plus d’une fois qu’il parle à titre personnel et ne
représente que lui-même.
Un autre dirigeant de la curie qui parle tant et plus contre la politique
gouvernementale en matière d'immigration est le cardinal Renato Martino.
Mais il a été récemment remplacé, comme président du conseil pontifical pour
les migrants, par l'archevêque Antonio Maria Vegliò, qui vient de la
diplomatie et est la prudence en personne.
En somme, "les rapports entre les deux rives du Tibre sont excellents", a
affirmé le professeur Vian dans cette interview, les deux rives désignant
ici le gouvernement italien et le Saint-Siège.
Pour le confirmer, le directeur de "L'Osservatore Romano" a évoqué et
défendu le silence total de son journal sur le second élément de l’actuel
conflit entre Berlusconi et l’Eglise.
***
Ce second élément concerne la vie privée du premier ministre, notamment ses
écarts de conduite qu’il a résumés ainsi : "Il y a beaucoup de jolies filles
en Italie et je ne suis pas un saint".
La campagne d’accusations contre la vie privée de Berlusconi, a été lancée,
à la mi-juin, d’abord par sa seconde épouse - dont il est en train de se
séparer – et surtout par "la Repubblica", le principal journal de la gauche
italienne, qui, paradoxalement, demande depuis toujours la suppression des
liens de la morale catholique.
Depuis lors, cette curiosité quant à la vie sexuelle de Berlusconi remplit
sans cesse les pages de nombreux journaux, non seulement en Italie mais dans
le monde. Mais pas celles de "L'Osservatore Romano". Pas une ligne. Et cela
"pour d’excellentes raisons", répète Vian, qui refuse d’associer le journal
du pape à un journalisme "qui semble être devenu la poursuite de la lutte
politique par d’autres moyens".
Au début, il en était de même dans "Avvenire", le journal des évêques
italiens. Le silence. Ou au maximum un souhait très mesuré que le premier
ministre fasse disparaître des "ombres" et des "situations gênantes pour
tous".
Mais depuis, parmi les évêques, dans le clergé et chez les laïcs, la
tendance à lancer une ferme protestation contre Berlusconi, à cause de
certains de ses comportements contraires à la morale catholique, s’est faite
de plus en plus forte. Et elle s’est exprimée surtout dans "Avvenire".
Fin juin, deux fois de suite, le journal a publié côte à côte deux opinions
: la première fois, celles de deux éditorialistes du journal, Marina Corradi
et Piero Chinellato ; la seconde, celles de deux commentateurs extérieurs au
journal, Antonio Airò et le professeur Pietro De Marco. La partie s’est
achevée sur un score de 3 à 1. Seul Chinellato a choisi la critique publique
"ad personam". Les autres ont affirmé, avec des arguments différents, que
l’on critique le péché mais pas le pécheur et qu’un homme politique doit
être jugé sur son action politique en matière d'emploi, de famille, d’école,
d'immigration, etc., mais pas sur sa vie privée, qui relève du "for
interne".
Et l'éditeur d’"Avvenire", c’est-à-dire la conférence des évêques ? Le 6
juillet, fête de sainte Maria Goretti, toute jeune martyre morte en
défendant sa virginité, le secrétaire de la CEI, Mariano Crociata, a fait
une critique de "l’étalage d’un libertinage joyeux et irresponsable" que les
médias ont tous interprétée – sans être démentis – comme une allusion à
Berlusconi.
Cette homélie a été comme la rupture d’une digue. A partir de ce moment, ce
que des évêques, des prêtres et des laïcs faisaient déjà - critiquer la vie
sexuelle du premier ministre - le directeur d’"Avvenire", Dino Boffo, a dû
le faire aussi, pour répondre aux pressions de plus en plus nombreuses des
lecteurs, dont certains sont haut placés.
Boffo disait quelque chose et d’autres gens arrivaient ponctuellement pour
lui dire qu’il devait en dire plus. Un exemple de cette irrésistible
pression à la hausse est la lettre d’un curé de Milan, publiée le 12 août,
avec la énième réponse de Boffo.
Cherchant à remédier à ce spectacle - mis involontairement en scène par "Avvenire"
- d’une conférence des évêques dépourvue d’un guide faisant autorité et
énergique, où celui qui commande est celui qui crie le plus fort contre un
gouvernement pourtant si attentif aux intérêts de l’Eglise dans les domaines
de la vie et la famille, le secrétaire d’état du Vatican, Tarcisio Bertone,
a organisé une rencontre avec le premier ministre Berlusconi à L'Aquila, le
28 août, à l’occasion de la fête du "Pardon" instituée par le pape Célestin
V.
A la veille de cette rencontre, le cardinal Bertone a accordé à
"L'Osservatore Romano" une longue
interview, très apaisante dans sa manière
de présenter les rapports entre l’Eglise et le gouvernement italien.
Le même jour, dans "la Repubblica", l'éditorialiste-théologien Vito Mancuso
accusait le secrétaire d’état de vouloir déjeuner à la table d’Hérode au
lieu de critiquer ses méfaits. "L'Osservatore Romano" lui a tout de suite
répondu que l’Eglise n’accepte pas un "engagement partisan dans des affaires
politiques contingentes", parce que ce qui l’intéresse est "le soin
individuel des consciences" et non la condamnation publique du pécheur.
L’annulation, à la dernière minute, de la rencontre entre Berlusconi et le
cardinal Bertone a été provoquée par l'attaque inattendue lancée contre le
directeur d’"Avvenire", Boffo, par "il Giornale", le quotidien appartenant
au frère de Berlusconi.
Le 28 août, "il Giornale", dirigé par Vittorio Feltri, titrait sur une
pleine page : "Accident sexuel pour le directeur d’'Avvenire'. Le
supermoraliste condamné pour harcèlement. Dino Boffo, directeur du journal
des évêques italiens et engagé dans la violente campagne de presse contre
les péchés du premier ministre, intimidait l’épouse de l'homme avec lequel
il avait une relation".
Les jours suivants, il est apparu que les fondements de l'attaque étaient
douteux. Boffo a clamé son innocence. L’actuel président de la CEI, le
cardinal Angelo Bagnasco, l’a pleinement défendu, comme son prédécesseur, le
cardinal Camillo Ruini, qui avait voulu Boffo comme directeur d’"Avvenire"
et lui avait confirmé sa confiance même après que, à partir de 2002, des
accusations eurent commencé à circuler contre lui. Accusations sous forme de
billets anonymes mis en circulation à chaque fois que l’on voulait attaquer,
à travers Boffo, la présidence de la CEI, par exemple lors de la querelle à
propos de la nomination du recteur de l'Université Catholique de Milan :
dans cette affaire, le cardinal Angelo Sodano, alors secrétaire d’état,
l'ancien président de la République italienne Oscar Luigi Scalfaro, l'ancien
président du conseil Emilio Colombo et Carlo Balestrero, alors directeur
administratif de l’université - tous membres de l'Institut Giuseppe Toniolo
qui supervise l’Université Catholique et dont Boffo fait aussi partie –
s’opposèrent infatigablement à Lorenzo Ornaghi, l'homme de Ruini.
Récemment, des papiers anonymes ont recommencé à circuler, avec comme
objectif un changement de direction à la tête des journaux, télévisions,
radios, de l’Eglise italienne, actuellement tous concentrés dans les mains
de Boffo. Le 31 août, l’évêque de Mazara del Vallo, Domenico Mogavero,
ancien sous-secrétaire de la CEI et actuel président du conseil pour les
affaires juridiques, s’est fait le porte-parole de ces demandes en déclarant
que "pour le bien de l’Eglise et de son journal" Boffo "pourrait se demander
s’il ne devrait pas démissionner".
A propos de l'attaque lancée contre Boffo par "il Giornale" - au détriment
de son éditeur, Berlusconi, qui a intérêt à avoir des rapports pacifiques
avec l’Eglise -"L'Osservatore Romano" n’a publié qu’une très courte citation
du cardinal Bagnasco.
En ce qui concerne la confusion que l’on constate au sein de l’Eglise
italienne, le cardinal Bertone sera maintenant tenté de reprendre en main sa
lettre du 25 mars 2007 au cardinal Bagnasco, à l’occasion de sa nomination
comme président de la CEI, dans laquelle il revendiquait "la respectueuse
direction du Saint-Siège, ainsi que la mienne [...] en matière de rapports
avec les institutions politiques".
Ecrite alors que l’extraordinaire leadership du cardinal Ruini était encore
à son apogée, cette lettre fut interprétée par la CEI comme une gifle. Et
retournée à l’expéditeur.
Aujourd’hui, elle retrouve étrangement son actualité.
A propos du cas Berlusconi, voir l'interview accordée par le cardinal
Tarcisio Bertone à "L'Osservatore
Romano" du 28 août 2009, peu de temps avant la rencontre avec le chef du
gouvernement italien, qui fut ensuite annulée
►
Il progetto di Chiesa e di società di Benedetto XVI
Ainsi que le quotidien appartenant à la conférence des évêques d’Italie
►
Avvenire
A propos du cas Obama, voici les deux commentaires opposés publiés par
"America" dans son numéro daté du 31 août 2009.
Celui "contre" de John M. D'Arcy, évêque de Fort
Wayne-South Bend ►
The Church and the University. A pastoral reflection on the controversy at
Notre Dame
Et celui "pour" de John R. Quinn, archevêque émérite de San
Francisco ►
The Public Duty Of Bishops. Lessons from the storm in South Bend
Sur les antécédents de la controverse, voir dans www.chiesa
►
Bienvenue à Obama. Le Vatican lui joue un prélude de fête (5.7.2009)
►
Obama diplômé à Notre Dame. Mais les évêques lui font repasser l'examen(26.5.2009)
►
Ange ou démon- Au Vatican, Obama est l'un et l'autre (8.5.2009)
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 02.09.2009 -
T/International |