
Document préparatoire Synode 2023
Pour une Église
synodale: communion, participation et mission
Table des matières
I. L’appel à marcher ensemble
II. Une Église constitutivement synodale
III. À l’écoute des Écritures
• Jésus, la foule, les apôtres
• Une double dynamique de conversion : Pierre et Corneille (Ac 10)
IV. La synodalité en action : pistes pour la consultation du Peuple de Dieu
• L’interrogation fondamentale
• Divers aspects de la synodalité
• Dix pôles thématiques à approfondir
• Pour contribuer à la consultation
1. L’Église de Dieu est convoquée en Synode. Ce cheminement, sous le titre «
Pour une Église synodale : communion, participation et mission », s’ouvrira
solennellement les 9-10 octobre 2021 à Rome et le 17 octobre suivant dans
chaque Église particulière. La célébration de la XVIème Assemblée Générale
Ordinaire du Synode des Évêques, en octobre 2023[1], constituera une étape
fondamentale. Elle sera suivie de la phase de mise en œuvre qui impliquera à
nouveau les Églises particulières (cf. EC, art. 19-21).
Par cette convocation, le Pape François invite l’Église entière à
s’interroger sur un thème décisif pour sa vie et sa mission : « Le chemin
de la synodalité est précisément celui que Dieu attend de l’Église du
troisième millénaire »[2]. Cet itinéraire, qui s’inscrit dans le sillage
de l’“ aggiornamento ” de l’Église proposé par le Concile Vatican II,
est un don et un devoir : en cheminant ensemble et en réfléchissant ensemble
sur le parcours accompli, l’Église pourra apprendre, de ce dont elle fera
l’expérience, quels processus peuvent l’aider à vivre la communion, à
réaliser la participation et à s’ouvrir à la mission. Notre “ marche
ensemble ” est, de fait, ce qui réalise et manifeste le plus la nature de
l’Église comme Peuple de Dieu pèlerin et missionnaire.
2. Une question de fond nous pousse et nous guide : comment se réalise
aujourd’hui, à différents niveaux (du niveau local au niveau universel) ce “
marcher ensemble ” qui permet à l’Église d’annoncer l’Évangile,
conformément à la mission qui lui a été confiée ; et quels pas de plus
l’Esprit nous invite-t-il à poser pour grandir comme Église synodale ?
Affronter ensemble cette question exige de se mettre à l’écoute de l’Esprit
Saint qui, comme le vent, « souffle où il veut et tu entends sa voix, mais
tu ne sais pas d’où il vient ni où il va » (Jn 3, 8),
en restant ouverts aux surprises qu’il prédisposera certainement pour nous
au long du chemin. Ainsi s’enclenche une dynamique qui permet de commencer à
recueillir certains fruits d’une conversion synodale, qui mûriront
progressivement. Il s’agit d’objectifs d’une grande importance pour la
qualité de la vie ecclésiale et pour l’accomplissement de la mission
d’évangélisation, à laquelle nous participons tous en vertu du Baptême et de
la Confirmation. Nous en indiquons ici les principaux, qui déclinent la
synodalité comme forme, comme style et comme structure de l’Église :
• Faire mémoire de la façon dont l’Esprit a guidé le cheminement de l’Église
dans l’histoire et nous appelle aujourd’hui à être ensemble des témoins de
l’amour de Dieu.
• Vivre un processus ecclésial impliquant la participation et l’inclusion de
tous, qui offre à chacun – en particulier à ceux qui pour diverses raisons
se trouvent marginalisés – l’opportunité de s’exprimer et d’être écoutés
pour contribuer à l’édification du Peuple de Dieu.
• Reconnaître et apprécier la richesse et la diversité des dons et des
charismes que l’Esprit dispense librement, pour le bien de la communauté et
au bénéfice de la famille humaine tout entière.
• Expérimenter des modes d’exercice de la responsabilité partagée au service
de l’annonce de l’Évangile et de l’engagement à construire un monde plus
beau et plus habitable.
• Examiner la façon dont sont vécus dans l’Église la responsabilité et le
pouvoir, ainsi que les structures par lesquels ils sont gérés, en faisant
ressortir et en essayant de convertir les préjugés et les pratiques
déviantes qui ne sont pas enracinés dans l’Évangile.
• Reconnaître la communauté chrétienne comme sujet crédible et comme
partenaire fiable pour s’engager sur les chemins du dialogue social, de la
guérison, de la réconciliation, de l’inclusion et de la participation, de la
reconstruction de la démocratie, de la promotion de la fraternité et de
l’amitié sociale.
• Renouveler et affermir les relations entre les membres des communautés
chrétiennes ainsi qu’entre les communautés et les autres groupes sociaux,
par exemple des communautés de croyants d’autres confessions et religions,
des organisations de la société civile, des mouvements populaires, etc.
• Favoriser la valorisation et l’appropriation des fruits des récentes
expériences synodales aux niveaux universel, régional, national et local.
3. Ce Document Préparatoire se met au service du cheminement synodal, en
particulier comme instrument visant à favoriser la première phase d’écoute
et de consultation du Peuple de Dieu dans les Églises particulières (octobre
2021 – avril 2022), dans l’espoir de contribuer à stimuler les idées, les
énergies et la créativité de tous ceux qui prendront part à cet itinéraire
et faciliter ainsi la mise en commun des fruits de leur engagement. À cette
fin : 1) il commence par esquisser quelques caractéristiques saillantes du
contexte contemporain ; 2) il illustre de manière synthétique les références
théologiques fondamentales pour une compréhension et pratique correctes de
la synodalité ; 3) il propose plusieurs passages bibliques qui pourront
nourrir la méditation et la réflexion priante au long de ce chemin ; 4) il
met en lumière certaines perspectives à partir desquelles relire les
expériences de synodalité vécue ; 5) il expose quelques pistes pour
enraciner ce travail de relecture dans la prière et dans le partage. Pour
accompagner concrètement l’organisation des travaux, ce Document
Préparatoire est accompagné d’un Vademecum avec des propositions
méthodologiques ; celui-ci est disponible sur le site internet dédié à ce
synode[3]. Ce site offre de nombreuses ressources pour approfondir ce thème
de la synodalité, et pour accompagner ce Document Préparatoire ; parmi
celles-ci, nous en signalons deux, plusieurs fois citées ci-après : le
Discours pour la Commémoration du 50ème anniversaire de l’institution du
Synode des Évêques, prononcé par le Pape François le 17 octobre 2015, et le
document intitulé La synodalité dans la vie et dans la mission de l’Église,
élaboré par la Commission Théologique Internationale et publié en 2018.
I. L’appel à marcher ensemble
4. Le chemin synodal se déroule au sein d’un contexte historique marqué par
des changements majeurs dans la société et par une étape cruciale dans la
vie de l’Église, qu’il n’est pas possible d’ignorer : c’est dans les replis
de la complexité de ce contexte, dans ses tensions mêmes et ses
contradictions, que nous sommes appelés à « scruter les signes des temps
et les interpréter à la lumière de l’Évangile » (GS, n°
4). Nous esquissons ici quelques éléments-clés du paysage global qui
sont plus étroitement liés au thème du Synode, mais cette description devra
être sera enrichie et complétée au niveau local en fonction de chaque
contexte propre.
5. Une tragédie globale comme la pandémie de Covid-19, « a réveillé un
moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui
navigue dans le même bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tout le
monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu’il
n’est possible que de se sauver ensemble » (FT,
n° 32). En même temps, la pandémie a fait exploser les inégalités et
les injustices déjà existantes : l’humanité apparaît toujours plus secouée
par des processus de massification et de fragmentation ; la condition
tragique que vivent les migrants dans toutes les régions du monde témoigne
de la hauteur et de la solidité des barrières qui divisent encore l’unique
famille humaine. Les Encycliques Laudato si’ et Fratelli Tutti explicitent
la profondeur des fractures qui parcourent l’humanité, et nous pouvons nous
référer à ces analyses pour nous mettre à l’écoute de la clameur des pauvres
et de la clameur de la terre et reconnaître les semences d’espérance et
d’avenir que l’Esprit continue à faire germer à notre époque : « Le
Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son
projet d’amour, il ne repent pas de nous avoir créés. L’humanité possède
encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune »
(LS,
n° 13).
6. Cette situation, qui, malgré de grandes différences selon les lieux,
concerne de fait la famille humaine tout entière, est un défi pour l’Église
dans sa capacité d’accompagner les personnes et les communautés à relire des
expériences de lutte et de souffrance. Expériences qui ont permis de
démasquer de nombreuses fausses sécurités et de cultiver l’espérance et la
foi en la bonté du Créateur et de sa création. Nous ne pouvons toutefois pas
nous cacher que l’Église elle-même doit affronter le manque de foi et la
corruption jusqu’en son sein-même. En particulier, nous ne pouvons pas
oublier la souffrance vécue par des personnes mineures et des adultes
vulnérables « à cause d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience
commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées
»[4]. Nous sommes continuellement interpellés « en tant que Peuple de
Dieu d’assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur
esprit »[5] : pendant trop longtemps, l’Église n’a pas su suffisamment
écouter le cri des victimes. Il s’agit de blessures profondes, difficiles à
guérir, et pour lesquelles nous ne demanderons jamais assez pardon ; et qui
constituent des obstacles, parfois imposants, à procéder dans la ligne du “
cheminer ensemble ”. L’Église tout entière est appelée à reconnaître
le poids d’une culture imprégnée de cléricalisme, héritage de son histoire,
et avec pour conséquences des formes d’exercice de l’autorité sur lesquelles
se greffent différents types d’abus (de pouvoir, économiques, de conscience,
sexuels). « Une conversion de l’agir ecclésial sans la participation
active de toutes les composantes du Peuple de Dieu » [6] est impensable
: demandons ensemble au Seigneur « la grâce de la conversion et l’onction
intérieure pour pouvoir exprimer, devant ces crimes d’abus, notre compassion
et notre décision de lutter avec courage »[7].
7. En dépit de nos infidélités, l’Esprit continue à agir dans l’histoire et
à manifester sa puissance vivifiante. C’est précisément dans les sillons
creusés par les souffrances en tout genre endurées par la famille humaine et
par le Peuple de Dieu que de nouveaux langages de la foi sont en train de
germer, ainsi que de nouveaux parcours capables non seulement d’interpréter
les événements d’un point de vue théologal, mais de trouver dans l’épreuve
les raisons pour refonder le chemin de la vie chrétienne et ecclésiale. Le
fait que de nombreuses Églises aient déjà entrepris des rencontres et lancé
des processus plus ou moins structurés de consultation du Peuple de Dieu
constitue un motif de grande espérance. Là où ceux-ci ont été organisés dans
un style synodal, le sens de l’Église a refleuri et la participation de tous
a donné un nouvel élan à la vie ecclésiale. Le désir des jeunes d’agir à
l’intérieur de l’Église et la demande d’une plus grande valorisation des
femmes trouvent également une confirmation, ainsi que leur requête d’espace
de participation à la mission de l’Église, déjà signalés par les Assemblées
synodales de 2018 et de 2019. C’est également dans cette perspective que
s’inscrit la récente institution du ministère laïc de catéchiste et
l’ouverture aux femmes de l’accès aux ministères institués du lectorat et de
l’acolytat.
8. Nous ne pouvons pas ignorer la diversité des conditions dans lesquelles
vivent les communautés chrétiennes dans les diverses régions du monde. À
côté de pays où l’Église accueille la majorité de la population et
représente une référence culturelle pour la société tout entière, il en
existe d’autres où les catholiques ne représentent qu’une minorité ; dans
certains d’entre eux, les catholiques, avec les autres chrétiens, endurent
des persécutions parfois très violentes, et bien souvent le martyre. Si,
d’une part, une mentalité sécularisée domine et tend à expulser la religion
de l’espace public, de l’autre, un intégrisme religieux qui ne respecte pas
la liberté d’autrui alimente des formes d’intolérance et de violence qui se
reflètent aussi dans la communauté chrétienne et dans ses rapports avec la
société. Il n’est pas rare de voir les chrétiens adopter les mêmes
attitudes, fomentant aussi les divisions et les oppositions jusque dans
l’Église. Il faut aussi tenir compte de la façon dont se reflètent au sein
de la communauté chrétienne et dans ses rapports avec la société les
fractures qui parcourent cette dernière, pour des raisons ethniques,
raciales, de caste ou à travers d’autres formes de stratification sociale ou
de violence culturelle et structurelle. Ces situations impactent
profondément la signification de l’expression “ marcher ensemble ” et les
possibilités concrètes de le réaliser.
9. Dans ce contexte, la synodalité constitue la voie royale pour l’Église,
appelée à se renouveler sous l’action de l’Esprit et grâce à l’écoute de la
Parole. La capacité d’imaginer un futur différent pour l’Église et pour ses
institutions, à la hauteur de la mission qu’elle a reçue, dépend pour une
large part du choix d’entreprendre des processus d’écoute, de dialogue et de
discernement communautaire, auxquels tous et chacun peuvent participer et
contribuer. En même temps, le choix de “ marcher ensemble ” est un signe
prophétique pour une famille humaine qui a besoin d’un projet commun, en
mesure de rechercher le bien de tous. Une Église capable de communion et de
fraternité, de participation et de solidarité, dans la fidélité à ce qu’elle
annonce, pourra se placer aux côtés des pauvres et des plus petits et leur
prêter sa voix. Pour “ marcher ensemble ”, il est nécessaire que nous
laissions l’Esprit forger en nous une mentalité vraiment synodale, en
entrant avec courage et avec une liberté de cœur dans un processus de
conversion sans lequel cette « réforme continue dont elle [l’Église] a
toujours besoin en tant qu’institution humaine et terrestre »
(UR, n° 6 ; cf. EG, n° 26) ne sera pas possible.
II. Une Église constitutivement synodale
10. « Ce que le Seigneur nous demande, en un certain sens, est déjà
entièrement contenu dans le mot “ Synode ” »[8], qui « est un mot
ancien et vénéré dans la Tradition de l’Église, dont la signification évoque
les contenus les plus profonds de la Révélation »[9]. C’est le «
Seigneur Jésus qui se présente lui-même comme “ le chemin, la vérité et la
vie ” (Jn 14, 6) », et « les chrétiens, à sa
suite, sont à l’origine appelés “ les disciples de la Voie ”
(cf. Ac 9, 2 ; 19, 9.23 ; 22, 4 ; 24, 14.22) »[10]. Dans cette
perspective, la synodalité est bien plus que la célébration de rencontres
ecclésiales et d’assemblées d’évêques, ou qu’une question de simple
organisation interne à l’Église ; elle « désigne le modus vivendi et
operandi spécifique de l’Église Peuple de Dieu qui manifeste et réalise
concrètement sa communion en cheminant ensemble, en se rassemblant en
assemblée et par la participation active de tous ses membres à sa mission
évangélisatrice »[11]. Ainsi s’imbriquent ce qui constituent les piliers
d’une Église synodale : communion, participation et mission. Dans ce
chapitre, nous illustrons synthétiquement plusieurs références théologiques
fondamentales sur lesquelles se fonde cette perspective.
11. Durant le premier millénaire, “ marcher ensemble ”, c’est-à-dire
pratiquer la synodalité, constituait la façon de procéder habituelle de
l’Église conçue comme « Peuple rassemblé par l’unité du Père, du Fils et
du Saint-Esprit »[12]. À ceux qui divisaient le corps ecclésial, les
Pères de l’Église opposaient la communion des Églises dispersées de par le
monde, ce que saint Augustin qualifiait de « concordissima fidei
conspiratio »[13], à savoir l’accord dans la foi de tous les baptisés.
C’est ici que s’enracine le vaste développement d’une pratique synodale à
tous les niveaux de l’Église – local, provincial, universel –, dont le
Concile œcuménique a représenté la manifestation la plus haute. Dans cet
horizon ecclésial, inspiré par le principe de participation de tous à la vie
de l’Église, saint Jean-Chrysostome pouvait dire : « Église et Synode sont
synonymes »[14]. Durant le deuxième millénaire non plus, quand l’Église a
mis davantage l’accent sur la fonction hiérarchique, cette façon de procéder
n’a pas disparu : si, au Moyen-Âge et à l’époque moderne, la célébration de
synodes diocésains et provinciaux est bien attestée en plus de celle des
Conciles œcuméniques, lorsqu’il s’est agi de définir des vérités dogmatiques
les Papes ont voulu consulter les évêques pour connaître la foi de toute
l’Église, recourant ainsi à l’autorité du sensus fidei de l’ensemble du
Peuple de Dieu, qui est « infaillible "in credendo" » (EG,
n° 119).
12. C’est à ce dynamisme de la Tradition que s’est ancrée le Concile Vatican
II. Celui-ci met en relief que « le bon vouloir de Dieu a été que les
hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément (…) ; il a
voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait
dans la sainteté » (LG, n° 9). Les membres du
Peuple de Dieu ont en commun le Baptême et « même si certains, par la
volonté du Christ, sont constitués docteurs, dispensateurs des mystères et
pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à
l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du corps du Christ,
il règne entre tous une véritable égalité » (LG, n°
32). Par conséquent, tous les baptisés participent à la fonction
sacerdotale, prophétique et royale du Christ, et « dans l’exercice de la
richesse multiforme et ordonnée de leurs charismes, de leurs vocations, de
leurs ministères »[15], ce sont des sujets d’évangélisation actifs, tant
individuellement que comme totalité du Peuple de Dieu.
13. Le Concile a souligné qu’en vertu de l’onction de l’Esprit Saint reçue
au Baptême, la totalité des fidèles « ne peut se tromper dans la foi ; ce
don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens
surnaturel de la foi qui est celui du Peuple tout entier lorsque, “ des
évêques jusqu’au dernier des fidèles laïcs ”, elle apporte aux vérités
concernant la foi et les mœurs un consentement universel »
(LG, n° 12). C’est l’Esprit qui guide les croyants «
dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13). Par son
œuvre, « cette Tradition qui vient des Apôtres progresse dans l’Église
», car tout le Peuple saint de Dieu grandit dans la compréhension et
dans l’expérience de « la perception des réalités aussi bien que des
paroles transmises, soit par la contemplation et l’étude des croyants qui
les méditent en leur cœur (cf. Lc 2, 19 et 51), soit
par l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent des réalités spirituelles,
soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu
un charisme certain de vérité » (DV
8). De fait, ce Peuple, rassemblé par ses pasteurs, adhère au dépôt
sacré de la Parole de Dieu confié à l’Église, persévère constamment dans
l’enseignement des Apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction
du pain et dans la prière, « si bien que pour le maintien, la pratique et
la profession de la foi transmise, s’établit, entre pasteurs et fidèles, un
remarquable accord » (DV nº 10).
14. Les pasteurs, agissent comme d’« authentiques gardiens, interprètes
et témoins de la foi de toute l’Église »[16] ; ils ne craignent donc pas
de se mettre à l’écoute du Troupeau qui leur est confié : la consultation du
Peuple de Dieu n’entraine pas que l’on se comporte à l’intérieur de l’Église
selon des dynamiques propres à la démocratie, basées sur le principe de la
majorité, car à la base de la participation à tout processus synodal se
trouve la passion partagée pour la mission commune de l’évangélisation et
non pas la représentation d’intérêts en conflit. En d’autres termes, il
s’agit d’un processus ecclésial qui ne peut se réaliser qu’« au sein
d’une communauté hiérarchiquement structurée »[17]. C’est dans le lien
fécond entre le sensus fidei du Peuple de Dieu et la fonction de magistère
des pasteurs que se réalise le consensus unanime de toute l’Église dans la
même foi. Tout processus synodal, dans lequel les évêques sont appelés à
discerner ce que l’Esprit dit à l’Église, non pas seuls mais en écoutant le
Peuple de Dieu qui « participe aussi à la fonction prophétique du Christ
» (LG, n° 12), est la forme évidente de ce “
marcher ensemble ” qui fait grandir l’Église. Saint Benoît souligne que «
souvent le Seigneur révèle la meilleure décision »[18] à ceux qui
n’occupent pas de positions importantes dans la communauté (dans ce cas le
plus jeune) ; aussi les évêques auront-ils soin de toucher tout le monde
pour que, dans le déroulement ordonné du chemin synodal, se réalise ce que
l’Apôtre Paul recommande aux communautés : « N’éteignez pas l’Esprit, ne
dépréciez pas les dons de prophétie ; mais vérifiez tout : ce qui est bon,
retenez-le » (1 Th 5, 19-21).
15. Le sens du cheminement auquel nous sommes tous appelés est avant tout
celui de redécouvrir le visage et la forme d’une Église synodale où « chacun
a quelque chose à apprendre. Le Peuple fidèle, le Collège épiscopal,
l’Évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de
l’Esprit Saint, l’“ Esprit de Vérité ” (Jn 14, 17),
pour savoir ce qu’il “ dit aux Églises ” (Ap 2, 7)
»[19]. L’Évêque de Rome, comme principe et fondement de l’unité de l’Église,
demande à tous les évêques et à toutes les Églises particulières, dans
lesquelles et à partir desquelles existe l’une et unique Église catholique
(cf. LG, n° 23), d’entreprendre avec confiance et
courage le chemin de la synodalité. Dans ce “ marcher ensemble ”, nous
demandons à l’Esprit de nous faire découvrir que la communion, qui assemble
dans l’unité la diversité des dons, des charismes et des ministères, existe
pour la mission : une Église synodale est une Église “ en sortie ”, une
Église missionnaire, « aux portes ouvertes » (EG, n°
46). Cela inclut l’appel à approfondir les relations avec les autres
Églises et communautés chrétiennes, auxquelles nous sommes unis par l’unique
Baptême. Par ailleurs, la perspective du “ marcher ensemble ” est encore
plus vaste et étreint l’humanité tout entière, dont nous partageons « les
joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses » (GS,
n° 1). Une Église synodale est un signe prophétique surtout pour une
communauté des nations incapable de proposer un projet commun, qui
permettrait de poursuivre le bien de tous : pratiquer la synodalité est,
aujourd’hui, pour l’Église, la façon la plus évidente d’être « sacrement
universel de salut » (LG, n° 48), « signe et
instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain
» (LG, n° 1).
III. À l’écoute des Écritures
16. L’Esprit de Dieu qui illumine et vivifie ce “ marcher ensemble ” des
Églises est le même qui œuvre dans la mission de Jésus, promis aux Apôtres
et aux générations des disciples qui écoutent la Parole de Dieu et la
mettent en pratique. L’Esprit, selon la promesse du Seigneur, ne se limite
pas à confirmer la continuité de l’Évangile de Jésus, mais il éclairera les
profondeurs toujours nouvelles de sa Révélation et inspirera les décisions
nécessaires pour soutenir le chemin de l’Église (cf. Jn 14,
25-26 ; 15, 26-27 ; 16, 12-15). Voilà pourquoi il est opportun que
notre processus de construction d’une Église synodale soit inspiré par deux
“ images ” de l’Écriture. L’une émerge dans la représentation de la “
dimension communautaire ” qui accompagne constamment le chemin de
l’évangélisation ; l’autre se rapporte à l’expérience de l’Esprit vécue par
Pierre et la communauté primitive par laquelle ils reconnaissent le risque
de mettre des limites injustifiées au partage de la foi. L’expérience
synodale du marcher ensemble, à la suite du Seigneur et dans l’obéissance à
l’Esprit, pourra recevoir une inspiration décisive à travers la méditation
de ces deux moments de la Révélation.
Jésus, la foule, les Apôtres
17. Dans sa structure fondamentale, une scène originelle apparaît comme la
modalité constante par laquelle Jésus se révèle tout au long de l’Évangile,
en annonçant l’avènement du Royaume de Dieu. Les acteurs en présence sont
essentiellement trois (plus un). Le premier, naturellement, c’est Jésus, le
protagoniste absolu qui prend l’initiative, en semant les paroles et les
signes de la venue du Royaume sans aucune « préférence de personnes »
(cf. Ac 10, 34). Sous diverses formes, Jésus accorde
une attention spéciale à ceux qui sont “ séparés ” de Dieu et à ceux qui
sont “ exclus ” par la communauté (les pécheurs et les pauvres, dans le
langage évangélique). Par ses mots et ses actions, il offre la libération du
mal et de conversion à l’espérance, au nom de Dieu le Père et dans la force
de l’Esprit Saint. Au milieu de la diversité des appels du Seigneur et des
réponses pour accueillir son appel, on voit ce trait commun : la foi émerge
toujours comme une prise en compte et valorisation de la personne : sa
demande est écoutée, une aide est proposée pour répondre à ses difficultés,
sa disponibilité est appréciée, sa dignité est confirmée par le regard même
de Dieu et restituée à la reconnaissance de la communauté.
18. De fait, l’action d’évangélisation et le message de salut ne seraient
pas compréhensibles sans l’ouverture constante de Jésus à s’adresser aux
interlocuteurs les plus larges possibles, que les Évangiles désignent comme
la foule, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui le suivent tout au long
du chemin et, parfois même, le poursuivent dans l’attente d’un signe et
d’une parole de salut : tel est le deuxième acteur de la scène de la
Révélation. L’annonce évangélique n’est pas limitée à quelques illuminés ou
personnes choisies. L’interlocuteur de Jésus, c’est “ le peuple ” de la vie
ordinaire, le “ quiconque ” de la condition humaine, qu’il met directement
en contact avec le don de Dieu et l’appel au salut. D’une manière qui
surprend et parfois scandalise les témoins, Jésus accepte comme
interlocuteurs tous ceux qui font partie de la foule : il écoute les
remontrances passionnées de la Cananéenne (cf. Mt 15, 21-28),
qui ne peut pas accepter d’être exclue de la bénédiction qu’il apporte ; il
dialogue avec la Samaritaine (cf. Jn 4, 1-42), malgré
sa condition de femme compromise socialement et religieusement; il sollicite
l’acte de foi libre et reconnaissant de l’aveugle de naissance
(cf. Jn 9), que la religion officielle avait exclu du
périmètre de la grâce.
19. Certains suivent plus explicitement Jésus, en faisant l’expérience à
être ses disciples, tandis que d’autres sont invités à retourner à leur vie
ordinaire : tous, cependant témoignent de la force de la foi qui les a
sauvés (cf. Mt 15, 28). Parmi ceux qui suivent Jésus,
se détache avec relief la figure des apôtres qu’Il appelle lui-même dès le
début ; il les destine à être particulièrement des médiateurs de la
Révélation et de l’avènement du Royaume de Dieu auprès de la foule. L’entrée
de ce troisième acteur sur la scène n’est pas liée à une guérison ou à une
conversion mais elle correspond à l’appel de Jésus. Le choix des apôtres
n’est pas un privilège attribuant une position exclusive de pouvoir et
entrainant une séparation, mais bien la grâce d’un ministère inclusif de
bénédiction et de communion. Grâce au don de l’Esprit du Seigneur
ressuscité, ceux-ci doivent garder la place de Jésus, sans le remplacer : ne
pas mettre de filtres à sa présence, mais faciliter la rencontre avec Lui.
20. Jésus, la foule dans sa diversité, les apôtres : voilà l’image et le
mystère à contempler et à approfondir continuellement pour que l’Église
devienne toujours davantage ce qu’elle est. Aucun de ces trois acteurs ne
peut quitter la scène. Si Jésus vient à manquer et que quelqu’un d’autre
s’installe à sa place, l’Église devient un contrat entre les apôtres et la
foule, et leur dialogue finira par être réduit à un jeu politique. Sans les
apôtres, qui reçoivent leur autorité de Jésus et sont instruits par
l’Esprit, le rapport avec la vérité évangélique s’interrompt et la foule
risque de réduire sa vision de Jésus à un mythe ou à une idéologie, qu’elle
l’accueille ou qu’elle le rejette. Sans la foule, la relation des apôtres à
Jésus se corrompt pour prendre une forme sectaire dans laquelle la religion
devient auto-référencée et l’évangélisation perd alors sa lumière, qui
provient seule de Dieu qui se révèle lui-même à l’humanité et s’adresse
directement à quiconque pour lui offrir le salut.
21. Il existe aussi l’acteur “ de plus ”, l’antagoniste, qui apporte sur la
scène la division diabolique entre les trois autres. Face à la perspective
perturbatrice de la croix, certains disciples s’en vont et des foules
changent d’humeur. Le piège qui divise – et qui entrave donc un cheminement
commun – se manifeste aussi bien sous les formes de la rigueur religieuse,
de l’injonction morale, qui se présente comme plus exigeante que celle de
Jésus, ou sous celles de la séduction d’une sagesse politique mondaine qui
se veut plus efficace qu’un discernement des esprits. Pour se soustraire aux
tromperies du “ quatrième acteur ”, une conversion permanente est
nécessaire. L’épisode du centurion Corneille (cf. Ac 10),
qui précède le “ concile ” de Jérusalem (cf. Ac 15) et
constitue une référence cruciale pour une Église synodale, est ici
emblématique..
Une double dynamique de conversion : Pierre et
Corneille (Ac 10)
22. L’épisode raconte avant tout la conversion de Corneille qui reçoit même
une sorte d’annonciation. Corneille est païen, vraisemblablement romain,
centurion (officier d’un grade relativement bas) de l’armée d’occupation, il
exerce un métier basé sur la violence et les abus. Pourtant il se consacre à
la prière et à l’aumône, c’est-à-dire qu’il cultive sa relation à Dieu et
prend soin de son prochain. Or, de façon surprenante, c’est précisément chez
lui que l’ange entre, l’appelle par son nom et l’exhorte à envoyer – le
verbe de la mission ! – ses serviteurs à Jaffa pour appeler – le verbe de la
vocation ! – Pierre. Le récit devient alors celui de sa conversion. Le même
jour, il a eu une vision dans laquelle une voix lui a ordonné de tuer et de
manger des animaux, dont certains étaient considérés comme impurs. La
réponse de Pierre a été ferme : « Oh non, Seigneur ! »
(Ac 10, 14). Il reconnaît que c’est le Seigneur qui lui parle, mais
il oppose un net refus, car cet ordre anéantit certains préceptes de la
Torah, qui sont parties incontournables de son identité religieuse,
traduisant une façon de concevoir l’élection comme une différence qui induit
la séparation et l’exclusion par rapport aux autres peuples.
23. L’apôtre est profondément perturbé et, alors qu’il s’interroge sur le
sens de ce qui vient de se passer, arrivent les hommes envoyés par Corneille
et l’Esprit lui indique qu’ils sont ses envoyés. Pierre leur répond par des
mots qui rappellent ceux de Jésus au Jardin : « Je suis celui que vous
cherchez » (Ac 10, 21). Il s’agit d’une véritable
conversion, d’un passage douloureux et immensément fécond de sortie de ses
propres catégories culturelles et religieuses : Pierre accepte de manger
avec les païens la nourriture qu’il avait toujours considérée jusque-là
comme interdite, la reconnaissant comme un instrument de vie et de communion
avec Dieu et avec les autres. C’est dans la rencontre avec les personnes, en
les accueillant, en cheminant avec elles et en entrant dans leurs maisons,
qu’il se rend compte de la signification de sa vision : aucun être humain
n’est indigne aux yeux de Dieu et la différence instituée par l’élection
n’est pas une préférence exclusive, mais un service et un témoignage d’une
ampleur universelle.
24. Aussi bien Corneille que Pierre entrainent d’autres personnes dans leur
parcours de conversion, faisant d’elles des compagnons de route. L’action
apostolique accomplit la volonté de Dieu en créant des communautés, en
abattant des barrières et en favorisant la rencontre. La parole joue un rôle
central dans la rencontre entre les deux acteurs principaux. Corneille
commence par partager l’expérience qu’il a vécue. Pierre l’écoute et prend
ensuite la parole, pour communiquer à son tour ce qui lui est advenu, en
témoignant ainsi de la proximité du Seigneur qui va à la rencontre de chaque
personne pour la libérer de ce qui la rend prisonnière du mal et qui diminue
son humanité (cf. Ac 10, 38). Cette façon de
communiquer est semblable à celle que Pierre adoptera quand, à Jérusalem,
les fidèles circoncis lui reprocheront et l’accuseront d’avoir enfreint les
normes traditionnelles, sur lesquelles semble se concentrer toute leur
attention, sans considérer l’effusion de l’Esprit : « Tu es entré chez
des incirconcis et tu as mangé avec eux ! » (Ac 11, 3).
Lors de ce moment de conflits, Pierre raconte ce qui lui est advenu et
exprime ses réactions de perplexité, d’incompréhension et de résistance.
C’est précisément cela qui aidera ses interlocuteurs, tout d’abord agressifs
et réfractaires, à écouter et à accueillir ce qui s’est passé. L’Écriture
contribuera à en interpréter le sens, comme cela sera aussi le cas au “
concile ” de Jérusalem, à travers un processus de discernement qui est une
écoute en commun de l’Esprit.
IV. La synodalité en action :
pistes pour la consultation du Peuple de Dieu
25. Illuminé par la Parole et fondé sur la Tradition, le chemin synodal
s’enracine dans la vie concrète du Peuple de Dieu. Il présente, en effet,
une particularité qui constitue en même temps une extraordinaire ressource :
son objet – la synodalité – est aussi sa méthode. En d’autres termes, il
constitue une sorte de chantier ou d’expérience pilote, qui permet de
commencer à recueillir, dès à présent, les fruits du dynamisme que la
conversion synodale progressive distille dans la communauté chrétienne. D’un
autre côté, il ne peut que renvoyer aux expériences de synodalité déjà
vécues, à différents niveaux et à différents degrés d’intensité : leurs
points de force et leurs réussites, de même que leurs limites et leurs
difficultés, offrent des éléments précieux pour discerner la direction vers
laquelle continuer à évoluer. Certes, nous nous référons ici aux expériences
suscitées par le présent chemin synodal, mais aussi à toutes celles à
travers lesquelles l’on expérimente déjà des formes de ce “ marcher ensemble
” dans la vie ordinaire de l’Eglise, même lorsque l’on ne connaît pas ou que
l’on n’utilise pas encore le terme de synodalité.
L’interrogation fondamentale
26. L’interrogation fondamentale qui guide cette consultation du Peuple de
Dieu, comme cela a déjà été rappelé au début de ce document, est la suivante
:
Une Église synodale, en annonçant l’Évangile, “ marche ensemble ” : comment
ce “ marcher ensemble ” se réalise-t-il aujourd’hui dans votre Église
particulière ? Quels pas l’Esprit nous invite-t-il à accomplir pour grandir
dans notre “ marcher ensemble ” ?
Pour répondre, vous êtes invités à :
a) vous demander à quelles expériences de votre Église particulière cette
question fondamentale vous fait penser ?
b) relire plus profondément ces expériences : quelles joies ont-elles
provoquées ? Quelles difficultés et obstacles ont-elles rencontrés ? Quelles
blessures ont-elles fait émerger ? Quelles intuitions ont-elles suscitées ?
c) recueillir les fruits à partager : comment résonne la voix de l’Esprit
dans ces expériences « synodales » ? Qu’est-ce que l’Esprit est en train de
nous demander aujourd’hui ? Quelles sont les points à confirmer, les
changements à envisager , les nouveaux pas à franchir ? Où voyons-nous
s’établir un consensus ? Quels chemins s’ouvrent pour notre Église
particulière ?
Divers aspects de la synodalité
27. Dans la prière, la réflexion et le partage suscités par cette question
fondamentale, il est opportun de garder bien présents à l’esprit trois
niveaux sur lesquels s’articule la synodalité comme « dimension
constitutive de l’Église »[20] :
· Le niveau du style ordinaire selon lequel l’Église vit et œuvre au
quotidien, qui exprime sa nature de Peuple de Dieu cheminant ensemble et se
rassemblant en assemblée convoquée par le Seigneur Jésus dans la force de
l’Esprit Saint pour annoncer l’Évangile. Ce style se réalise à travers «
l’écoute communautaire de la Parole et la célébration de l’Eucharistie, la
fraternité de la communion et la responsabilité partagée, et la
participation de tout le Peuple de Dieu, à ses différents niveaux et dans la
distinctions des divers ministères et rôles, à la vie et à la mission de
l’Église »[21] ;
• Le niveau des structures et des processus ecclésiaux, déterminés notamment
du point de vue théologique et canonique, par lesquels la nature synodale de
l’Église s’exprime d’une manière institutionnelle au niveau local, au niveau
régional et au niveau universel ;
• Le niveau des processus et des événements synodaux durant lesquels
l’Église est convoquée par l’autorité compétente, selon des procédures
spécifiques déterminées par la discipline ecclésiastique.
Bien que distincts d’un point de vue logique, ces trois niveaux s’articulent
l’un à l’autre et doivent être considérés ensemble de façon cohérente ;
autrement, on transmet un contre-témoignage et on mine la crédibilité de
l’Église. De fait, si celle-ci ne s’incarne pas concrètement dans des
structures et dans des processus, le style de la synodalité se dégrade
rapidement, passant du niveau des intentions et des désirs à celui de la
rhétorique ; quant aux processus et aux événements synodaux, s’ils ne sont
pas animés par un style adéquat, ils apparaissent comme des formalités
vides.
28. En outre, lors de la relecture des expériences, il faut se souvenir que
“ marcher ensemble ” peut être compris selon deux perspectives différentes,
fortement liées entre elles. La première concerne la vie interne des Églises
particulières, les rapports entre les sujets qui les constituent (en premier
lieu les relations entre les fidèles et leurs pasteurs, notamment par le
biais des organismes de participation prévus par la discipline canonique, y
compris le synode diocésain) et les communautés qui les composent (en
particulier les paroisses). Elle considère aussi les rapports entre les
évêques entre eux et l’Évêque de Rome, notamment par le biais des organismes
intermédiaires de synodalité (Synode des Évêques des Églises patriarcales et
archiépiscopales majeures, Conseils des Hiérarques et Assemblées des
Hiérarques des Églises sui iuris, Conférences épiscopales, avec leurs
expressions nationales, internationales et continentales). Elle s’élargit
ensuite à la façon dont chaque Église particulière intègre en son sein la
contribution des diverses formes de vie monastique, religieuse et consacrée,
d’associations et mouvements laïcs, d’institutions ecclésiales et
ecclésiastiques de différents genres (écoles, hôpitaux, fondations,
organismes de charité et d’assistance, etc.). Enfin, cette perspective
englobe également les relations et les initiatives communes avec frères et
sœurs des autres Confessions chrétiennes, avec lesquelles nous avons en
commun le don du même Baptême.
29. La seconde perspective considère la façon dont le Peuple de Dieu chemine
avec la famille humaine tout entière. Le regard s’attardera ainsi sur l’état
des relations, du dialogue et des éventuelles initiatives communes avec les
croyants d’autres religions, avec les personnes éloignées de la foi, de même
qu’avec des milieux et groupes sociaux spécifiques, avec leurs institutions
(monde de la politique, de la culture, de l’économie, de la finance, du
travail, syndicats et associations d’entrepreneurs, organisations non
gouvernementales et de la société civile, mouvements populaires, minorités
de différent genre, pauvres et exclus, etc.).
Dix pôles thématiques essentiels à approfondir
30. Pour faciliter la mise en lumière d’expériences et favoriser de manière
plus riche la consultation, nous indiquons également ci-après dix pôles
thématiques qui ont trait à diverses facettes de la “ synodalité vécue ”.
Ces pistes devront être adaptées aux divers contextes locaux et, selon les
situations, intégrées, explicitées, simplifiées, approfondies, en accordant
une attention spéciale à ceux qui ont le plus de difficulté à participer et
à répondre : le Vademecum qui accompagne ce Document Préparatoire offre à
cet égard des ressources, des parcours et des suggestions afin que les
différents domaines de questions inspirent concrètement des moments de
prière, de formation, de réflexion et d’échange.
I. LES COMPAGNONS DE VOYAGE
Dans l’Église et dans la société, nous sommes sur la même route, côte à
côte. Dans votre Église locale, quels sont ceux qui “ marchent ensemble ” ?
Quand nous disons “ notre Église ”, qui en fait partie ? Qui nous demande de
marcher ensemble ? Quels sont les compagnons de voyage avec qui nous
cheminons, même en dehors du cercle ecclésial ? Quelles personnes ou quels
groupes sont-ils laissés à la marge, expressément ou de fait ?
II. ÉCOUTER
L’écoute est le premier pas, mais demande d’avoir l’esprit et le cœur
ouverts, sans préjugés. Vers qui notre Église particulière a-t-elle “ un
manque d’écoute ” ? Comment les laïcs sont-ils écoutés, en particulier les
jeunes et les femmes ? Comment intégrons-nous la contribution des personnes
consacrées, hommes et femmes ? Quelle place occupe la voix des minorités,
des marginaux et des exclus ? Parvenons-nous à identifier les préjugés et
les stéréotypes qui font obstacles à notre écoute ? Comment écoutons-nous le
contexte social et culturel dans lequel nous vivons ?
III. PRENDRE LA PAROLE
Tous sont invités à parler avec courage et parrhésie, c’est-à-dire en
conjuguant liberté, vérité et charité. Comment favorisons-nous, au sein de
la communauté et de ses divers organismes, un style de communication libre
et authentique, sans duplicités ni opportunismes ? Et vis-à-vis de la
société dont nous faisons partie ? Quand et comment réussissons-nous à dire
ce qui nous tient à cœur ? Comment fonctionne le rapport avec le système des
médias (pas seulement les médias catholiques) ? Qui parle au nom de la
communauté chrétienne et comment ces personnes sont-elles choisies ?
IV. CÉLÉBRER
“ Marcher ensemble ” n’est possible que si ce chemin repose sur l’écoute
communautaire de la Parole et sur la célébration de l’Eucharistie. De quelle
façon la prière et la célébration liturgique inspirent et orientent
effectivement notre “ marcher ensemble ” ? Comment est-ce que cela inspire
les décisions les plus importantes ? Comment encourageons-nous la
participation active de tous les fidèles à la liturgie et à l’exercice de la
fonction de sanctification ? Quelle place est donnée à l’exercice des
ministères du lectorat et de l’acolytat ?
V. CORESPONSABLES DANS LA MISSION
La synodalité est au service de la mission de l’Église, à laquelle tous ses
membres sont appelés à participer. Puisque nous sommes tous des disciples
missionnaires, de quelle manière chaque baptisé est-il convoqué à être un
acteur de la mission ? Comment la communauté soutient-elle ses membres qui
sont engagés dans un service au sein de la société (engagement social et
politique, engagement dans la recherche scientifique et dans l’enseignement,
au service de la promotion des droits humains et de la sauvegarde de la
Maison commune, etc.) ? Comment la communauté aide-t-elle à vivre ces
engagements dans une dynamique missionnaire ? Comment se fait le
discernement concernant les choix missionnaires et qui y participe ? Comment
ont été intégrées et adaptées les diverses traditions en matière de style
synodal, qui constituent le patrimoine de nombreuses Églises, en particulier
des Églises orientales, en vue d’un témoignage chrétien fécond ? Comment
fonctionne la collaboration dans les territoires où sont présentes des
Églises sui iuris différentes ?
VI. DIALOGUER DANS L’ÉGLISE ET DANS LA SOCIÉTÉ
Le dialogue est un chemin qui demande de la persévérance, et comporte aussi
des moments de silences et de souffrances, mais qui est capable de
recueillir l’expérience des personnes et des peuples. Quels sont les lieux
et les modalités de dialogue au sein de notre Église particulière ? Comment
sont gérées les divergences de vue, les conflits et les difficultés ?
Comment encourageons-nous la collaboration avec les diocèses voisins, avec
et entre les communautés religieuses présentes sur le territoire, avec et
entre les associations et mouvements de laïcs, etc. ? Quelles expériences de
dialogue et d’engagement en commun mettons-nous en œuvre avec des croyants
d’autres religions et avec ceux qui ne croient pas ? Comment l’Église
dialogue-t-elle et apprend-elle d’autres instances de la société : le monde
de la politique, de l’économie, de la culture, la société civile, les
pauvres… ?
VII. AVEC LES AUTRES CONFESSIONS CHRÉTIENNES
Le dialogue entre chrétiens de diverses confessions, unis par un seul
Baptême, occupe une place particulière sur le chemin synodal. Quels
relations entretenons-nous avec les frères et sœurs des autres Confessions
chrétiennes ? Quels domaines concernent-ils ? Quels fruits avons-nous
recueillis de ce “ marcher ensemble ” ? Quelles difficultés aussi ?
VIII. AUTORITÉ ET PARTICIPATION
Une Église synodale est une Église de la participation et de la
coresponsabilité. Comment sont définis les objectifs à poursuivre, la voie
pour y parvenir et les pas à accomplir ? Comment est exercée l’autorité au
sein de notre Église particulière ? Quelles sont les pratiques de travail en
équipe et de coresponsabilité ? Comment sont encouragés les ministères laïcs
et la prise de responsabilité de la part des fidèles ? Comment fonctionnent
les organismes de synodalité au niveau de l’Église particulière ?
Constituent-ils une expérience féconde ?
IX. DISCERNER ET DÉCIDER
Dans un style synodal, les décisions sont prises via un processus de
discernement, sur la base d’un consensus qui jaillit de l’obéissance commune
à l’Esprit. Avec quelles procédures et avec quelles méthodes discernons-nous
ensemble et prenons-nous des décisions ? Comment peuvent-elles être
améliorées ? Comment favorisons-nous la participation de tous aux décisions
au sein de communautés structurées d’une manière hiérarchique ? Comment
conjuguons-nous la phase consultative et la phase délibérative, le processus
menant à la prise de décision (decision-making) et le moment de la décision
(decision-taking) ? De quelle façon et avec quels instruments
encourageons-nous la transparence et la responsabilité (accountability) ?
X. SE FORMER À LA SYNODALITÉ
La spiritualité du marcher ensemble est appelée à devenir le principe
éducatif de la formation humaine et chrétienne de la personne, la formation
des familles et des communautés. Comment formons-nous les personnes,
spécialement celles qui occupent des rôles de responsabilité à l’intérieur
de la communauté chrétienne, pour les rendre davantage capables de “ marcher
ensemble ”, de s’écouter mutuellement et de dialoguer ? Quelle formation au
discernement et à l’exercice de l’autorité offrons-nous? Quels instruments
nous aident-ils à lire les dynamiques de la culture dans laquelle nous
sommes immergés et leur impact sur notre style d’Église ?
Pour contribuer à la consultation
31. L’objectif de la première phase du chemin synodal est de favoriser un
vaste processus de consultation pour rassembler la richesse des expériences
de synodalité vécue, dans leurs différents aspects et leurs différentes
facettes, en impliquant les pasteurs et les fidèles des Églises
particulières à tous les niveaux, en utilisant les moyens les plus
appropriés en fonction des réalités locales spécifiques : la consultation,
coordonnée par l’évêque, s’adresse « aux prêtres, aux diacres et aux
fidèles laïcs de leurs Églises, tant séparément que collectivement, sans
négliger l’apport précieux qui peut venir des hommes et des femmes consacrés
» (EC, n° 7). En particulier, la contribution des
organismes de participation des Églises particulières est requise,
spécialement celle du Conseil presbytéral et du Conseil pastoral, à partir
desquelles « une Église synodale peut (véritablement) commencer à prendre
forme »[22]. La contribution des autres réalités ecclésiales auxquelles
sera envoyé ce Document Préparatoire sera également précieuse, tout comme
l’apport de ceux qui voudront envoyer directement leur contribution . Enfin,
il est d’une importance capitale d’écouter la voix des pauvres et des exclus
et pas uniquement celle de ceux qui occupent un rôle ou une responsabilité
au sein des Églises particulières.
32. La synthèse élaborée par chaque Église particulière au terme de ce
travail d’écoute et de discernement constituera sa contribution propre au
parcours de l’Église universelle. Pour rendre plus faciles et viables les
phases suivantes du cheminement, il est important de parvenir à condenser
les fruits de la prière et de la réflexion en une synthèse d’une dizaine de
pages au maximum. Si cela est nécessaire, pour les contextualiser et mieux
les expliquer, on pourra joindre d’autres textes en annexes. Rappelons que
le but du Synode, et donc de cette consultation, n’est pas de produire des
documents, mais de « faire germer des rêves, susciter des prophéties et
des visions, faire fleurir des espérances, stimuler la confiance, bander les
blessures, tisser des relations, ressusciter une aube d’espérance, apprendre
l’un de l’autre, et créer un imaginaire positif qui illumine les esprits,
réchauffe les cœurs, redonne des forces aux mains »[23].
Sources :
www.vatican-
E.S.M.
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 10.09.2021
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