Les critiques pleuvent sur le pape
Benoît XVI, le roi Abdallah n'en tient pas compte |
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Cité du Vatican, le 31 mars 2008 -
(E.S.M.)
- Pour le Vatican, le roi Abdallah a plus de poids que 138
intellectuels musulmans. C'est ce que laisse entendre "L'Osservatore
Romano", qui dialogue avec le souverain saoudien au moment même où les
critiques pleuvent sur le pape Benoît XVI pour avoir baptisé un musulman
converti célèbre. Pietro De Marco répond à Aref Ali Nayed.
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Le pape Benoît XVI
Les critiques pleuvent sur le pape Benoît XVI, le roi Abdallah n'en tient
pas compte
Pour le Vatican, le roi Abdallah a plus de poids que 138 intellectuels
musulmans
C'est ce que laisse entendre "L'Osservatore Romano", qui dialogue avec le
souverain saoudien au moment même où les critiques pleuvent sur le pape
Benoît XVI pour
avoir baptisé un musulman converti célèbre. Pietro De Marco répond à Aref
Ali Nayed
par Sandro Magister
Le Saint-Siège a réagi de deux manières, directe et
indirecte, aux accusations lancées contre Benoît XVI pour avoir baptisé le
musulman converti Magdi Cristiano Alam pendant la veillée pascale – voir
l’article du 28 mars de www.chiesa à ce sujet.
Le Saint-Siège a exprimé son point de vue de manière directe dans
“L’Osservatore Romano“ du 25-26 mars par une note de son directeur Giovanni
Maria Vian. Puis par une déclaration faite sur Radio Vatican, le 27 mars,
par son directeur, le père Federico Lombardi.
Les manières indirectes dont le Saint-Siège a répondu à ces critiques, à peu
près au même moment, sont encore plus intéressantes.
Là encore, c’est “L’Osservatore Romano“ qui a servi de support à ces
réponses indirectes.
Le jeudi 27 mars, le journal du pape a consacré un grand article à Ramon
Lull – connu en Italie sous le nom de Raimondo Lullo. Ce franciscain, qui a
vécu aux XIIIe et XIVe siècles, était un grand connaisseur de la langue et
de la littérature arabe. Il défendait ardemment une prédication missionnaire
visant à convertir et baptiser les populations musulmanes dans les pays
méditerranéens dominés par l’islam.
Le titre de l’article – signé par une spécialiste en la matière, Sara Muzzi
– était éloquent: “Raimondo Lullo et le dialogue entre les religions. Si je
te montre la vérité, tu finiras par la faire tienne“.
En effet, comme le montrent aussi ses livres, Lullo s’est battu pour
promouvoir une prédication missionnaire pacifique, fondée entièrement sur la
connaissance des deux croyances, sur la force de conviction et sur
l’argumentation rationnelle de la vérité.
Deux jours plus tard, le samedi 29 mars, “L’Osservatore Romano“ a consacré
deux articles à deux phases de dialogue entre l’Eglise catholique et
l’islam. Ils montraient comment ce dialogue aboutit à des résultats
prometteurs, au moment même où la polémique contre le baptême d’Allam par le
pape faisait rage.
Le premier signe prometteur vient d’Indonésie, le plus grand pays musulman
du monde. Les 8 et 9 mars, une rencontre entre représentants chrétiens et
musulmans a eu lieu à Yogyakarta. Des bouddhistes et des hindouistes étaient
également présents. La rencontre portait sur les moyens permettant aux
religions de collaborer pour répondre aux défis de la globalisation. En
outre, au moment de Pâques, à Jakarta, la capitale, 35 oulémas réputés,
venant d’autant d’écoles islamiques, ont lancé un appel pour que
l’instruction donnée aux jeunes musulmans se fasse de manière correcte et
respectueuse, loin de toute justification de la violence. Titre de
l’article: “En Indonésie, des preuves de dialogue entre chrétiens et
musulmans“.
Mais, sur la même page, “L’Osservatore Romano“ mettait encore plus en
évidence certains faits survenus récemment en Arabie Saoudite. L’article
était intitulé: “Le roi saoudien en faveur d’une rencontre ‘avec les frères
de foi‘. Abdallah, face à la crise des valeurs éthiques, ouvre le dialogue
avec chrétiens et juifs“.
L’article du journal du Vatican s’ouvrait sur ces mots du roi Abdallah:
“Une pensée m’obsède depuis deux ans. Le monde souffre et cette crise a
provoqué un déséquilibre de la religion, de l’éthique et de l’humanité toute
entière. […] Nous avons perdu la foi dans la religion et le respect pour
l’humanité. La désintégration de la famille et la diffusion de l’athéisme
dans le monde sont des phénomènes effrayants que toutes les religions
doivent prendre en considération et vaincre. […] C’est pourquoi j’ai eu
l’idée d’inviter les autorités religieuses à exprimer leur avis sur ce qui
se produit dans le monde. Si Dieu le veut, nous commencerons à organiser des
rencontres avec nos frères appartenant aux religions monothéistes, entre
représentants du Coran, de l’Evangile et de la Bible“.
Le journal du Vatican a ajouté que la proposition du roi Abdallah a été
approuvée par les principaux intellectuels musulmans du royaume.
Mais les remarques les plus intéressantes qu’ait apportées "L'Osservatore
Romano" sont les deux suivantes:
La première concerne la date de la déclaration d’Abdallah: le 24 mars, soit
le lundi de Pâques pour les chrétiens.
Ce qui signifie qu’au moment même où les accusations pleuvaient sur Benoît
XVI à cause du baptême d’Allam, non seulement le roi saoudien n’en a pas
tenu compte, mais il s’est exprimé en des termes diamétralement opposés.
La seconde est textuellement la suivante:
“Dialogue interculturel et interreligieux; collaboration entre chrétiens,
musulmans et juifs pour la promotion de la paix. Ces sujets sont ceux qui
ont été abordés le 6 novembre 2007 lors de la
rencontre entre Benoît XVI et
le roi Abdallah, reçu en audience au Vatican avec sa suite. Au cours de
cette rencontre historique – il s’agit de la première visite d’un souverain
saoudien au pape – il a aussi été question de la présence positive en Arabie
Saoudite de la communauté chrétienne (qui représente environ 3% d’une
population presque exclusivement musulmane). Le gouvernement de Riyad a tout
récemment décidé de fournir une formation complémentaire à 40 000 imams,
dans le but de favoriser une interprétation plus modérée de l’islam et de
décourager les extrémistes“.
Que celui qui a des oreilles pour entendre entende. Pour l’Eglise de Rome,
le dialogue avec l’islam ne se réduit pas aux suites de la
Lettre des 138 –
dont l’un des fers de lance, Aref Ali Nayed, a lancé des accusations très
sévères contre le pape à cause du baptême d’Allam – mais il se développe sur
plusieurs terrains, certains étant considérés comme plus prometteurs.
En ce qui concerne Benoît XVI, il est de plus en plus évident que son
discours de
Ratisbonne et sa décision de baptiser un musulman converti
pendant la nuit de Pâques à Saint-Pierre ne sont pas des gestes de rupture.
Au contraire, ils rendent intelligible et claire – pour les musulmans comme
pour les chrétiens – sa volonté de dialogue telle qu’il l’avait exprimée par
sa prière silencieuse dans la Mosquée Bleue d’Istanbul et lors de la
chaleureuse audience accordée au roi d’Arabie Saoudite.
Pour en revenir aux critiques adressées au pape suite au baptême d’Allam –
tant par des catholiques que par l’intellectuel musulman Aref Ali Nayed –
voici une réponse raisonnée aux uns et à l’autre. Elle a été écrite pour
www.chiesa par Pietro De Marco, professeur de sociologie de la religion à
l’Université de Florence et à la Faculté théologique d’Italie Centrale:
Double réponse: aux catholiques et à Aref Ali Nayed
par Pietro De Marco
I. – En lisant certaines réactions au baptême donné par le pape à Magdi
Cristiano Allam lors de la veillée pascale dans la basilique Saint-Pierre –
par exemple quand quelqu’un dit que “le baptême devrait être un acte privé“
– on a l’impression de ne plus savoir ce que sont une conversion et un
baptême.
A vrai dire, les baptêmes célébrés dans nos paroisses – faibles du point de
vue rituel et presque honteux d’eux-mêmes – ne nous l’apprennent pas non
plus.
L’écrivain catholique Claudio Magris lui-même a exprimé son insatisfaction
dans le “Corriere della Sera“, dont Allam est le directeur adjoint “ad
personam“. Magris écrit que “le baptême est un acte de vie intérieure“ et
que, éventuellement, sa “dimension politique peut venir ensuite, comme fruit
de la conversion, et non au moment où l’on reçoit l’eau de vie“.
Or, le baptême n’est certainement pas un acte privé, ou “de vie intérieure“.
Magris lui-même reconnaît qu’il est une “transformation radicale de
l’existence“. Un rite est une action et un signe “pour beaucoup“, une
manifestation ordonnée de symboles, en particulier ceux de la lumière du
baptême: “lumina neophitorum splendida“. Le rite est comme une icône du
mystère du Salut. Dans les actions sacramentelles, l’Eglise transcende les
Ecritures Saintes, elle en actualise l’origine même, l’Incarnation.
Si le choix personnel est intérieur, le baptême fait de ce choix un
évènement que partage la communauté toute entière. Il en a été ainsi pendant
des siècles. L’évènement que constitue le baptême n’appartient plus
seulement à l’intéressé, qui ne peut plus le cacher en lui-même. Saint Paul
a décrit son baptême en ces mots: “Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ
qui vit en moi“ (Gal 2, 20). Dans la traversée marquée par la conversion, le
moi n’est déjà plus moi.
D’autres commentateurs catholiques sont tombés encore plus que Magris dans
le tic de la condamnation instantanée de l’”exhibition“ médiatique de Magdi
Cristiano et du pape. C’est apparemment le résultat de décennies
malheureuses où l’on a tenté d’abîmer, d’éteindre en nous la joie qu’inspire
une conversion à l’Eglise catholique et même la joie plus grande qu’inspire
un nouveau baptisé. En effet ces deux joies peuvent d’ailleurs ne pas
coïncider: dans le cas d’un baptisé d’une autre confession chrétienne ou
dans celui du retour à la foi d’un baptisé non-croyant, l’“unum baptismum“
déjà reçu – ce signe ineffaçable dont nous proclamons l’unicité dans le
Credo – reste décisif.
Je ne peux pas oublier la réaction spontanée d’un ami avec qui j’avais
envisagé, il y a de nombreuses années, de constituer un recueil d’études sur
la religion à Florence au XXe siècle. Je lui avais proposé d’inclure la
conversion de Giovanni Papini et d’autres, et il avait répondu: “Pourquoi ?
Tu trouves que c’est beau? “. Il n’était pas d’accord. Pas par antipathie
pour Papini: ce qui le choquait, c’était la conversion. On a beaucoup
affirmé, depuis les années 70, que la communauté chrétienne n’a pas de
raison de vouloir être une institution spécifique, avec une identité propre.
Sous la pression de la sécularisation, la nouvelle apologétique de la foi
dans l’histoire se fondait justement sur la condition que partout où la foi
s’enracine, les valeurs humaines fondamentales sont à l’œuvre. L’Eglise, en
marquant des limites et en se posant comme institution, détruirait donc le
terrain sur lequel le christianisme peut exister et se régénérer. A savoir
l’unité du genre humain, établie par la conscience morale, accomplie dans
les révolutions des pauvres et révélée religieusement à la personne,
uniquement par l’universalité de la voie mystique, qui brûle toute
particularité.
C’est ainsi que l’on assistait, au sein même de l’Eglise catholique, au
processus de renversement du rapport entre Révélation et humanité, qui
marque le monde contemporain. Selon ce principe, seul l’humain est
universellement constitué. En revanche, toute révélation ne peut être que
partiellement donnée ou fondée. Dès lors, le passage – ou le retour – à une
religion peut être vu comme un acte indésirable, incompréhensible, à plus
forte raison quand ce sont justement les élites de cette religion qui
cherchent à s’émanciper de sa particularité.
Heureusement, les termes actuels de la réflexion catholique ne sont plus
ceux cités ci-dessus, qui sont en revanche encore utilisés par des
spiritualités transreligieuses et de vagues religions philosophiques.
Aujourd’hui encore, la conversion n’est pas appréciée. Magdi Critiano Allam
aura l’occasion de s’en rendre compte: dans les plaies de la splendeur de la
Cité de Dieu, il apprendra l’amertume de la “complexio oppositorum“
catholique.
La conversion, en effet, est toujours le passage d’un seuil. Elle désigne ce
seuil, elle le montre là où il n’apparaissait pas, elle le rend visible à
celui qui – par habitude ou par aveuglement – ne le reconnaissait plus ou a
celui qui, le connaissant, le nie par idéologie, par nihilisme. A l’encontre
des théologies, des littératures et des “mystiques“ qui considèrent le Salut
comme une auto-contemplation immobile et un royaume d’indifférence, la
conversion religieuse estime que la différence est décisive. Le seuil nie
que les étapes du parcours soient indifférenciées, comme si elles avaient
toutes la même valeur.
Le seuil implique l’aspect humano-divin de la recherche qui veut la
transcendance. Le “reviens sur toi-même“ de saint Augustin est par
excellence un parcours et un passage vers l’Autre, puisque l’âme est
ouverte, théocentrique. La différence donne à l’Espérance sa seule et unique
signification.
Après sa conversion, Paul Claudel affirmait que le seuil révélé par cette
dernière se franchit par des petites et lentes victoires. C’est une
traversée, souvent pénible, de terres inconnues, après l’éblouissement d’un
appel, après l’apparition d’une “certitude d’une Présence pure“ (Louis
Massignon) qui juge et brûle le cœur. C’est la sortie d’une Egypte
spirituelle, pour un voyage dont le but transcende la recherche et révèle
une terre qui n’est pas celle d’où on est parti.
Que le résultat ne soit pas garanti, qu’il doive être toujours désiré, comme
si l’on ne le possédait pas, tel un don qui reste sous la souveraineté du
Donateur, tout cela ne nie pas – mais au contraire confirme – la réalité du
seuil. La précarité du don ne concerne en effet que l’homme. Cependant, en
franchissant le seuil, nous savons que Lui, l’Amant divin (tel qu’il est
connu des vrais mystiques, au delà de l’ineffabilité) “nous prend comme par
la main, nous fait entrer dans la vie durable, la vie vraie et juste“. Par
conséquent, “Tenons fermement sa main!“. Ces mots sur le baptême – tendres
et parfaits – sont ceux que Benoît XVI a prononcés dans son homélie lors de
la veillée pascale où Allam a été baptisé.
Le débat sur la conversion à l’Eglise catholique m’a conduit à me replonger
dans un petit livre, “Le Mystère de l’Eglise“ du père Humbert Clérissac, clé
de voûte de la géographie spirituelle des “grandes amitiés“ de Raïssa et
Jacques Maritain, eux aussi convertis. “Hors de l’Eglise – écrivait
Clérissac dans cette œuvre posthume dont Jacques Maritain avait assuré
l’édition en 1918 – l’erreur individualiste conduit aussi à une sorte de
fatalisme moral. On ne croit pas vraiment au passage du mal vers le bien, à
la transformation du péché en sainteté – un changement qui ne se produit que
par cette solitude propre à l’Eglise. Seule l’Eglise est capable de
concilier le parcours dans le désert avec les besoins de la personne“.
Cette “paix et cette tranquillité parfaites“ dont témoignait John Henry
Newman après sa conversion au catholicisme romain se trouvent dans “la
maternité et la souveraineté“ de l’Eglise. Cette tranquillité étant
insupportable pour les éternels inquiets. “Au moment de la conversion, je ne
me rendais pas compte moi-même du changement intellectuel et moral qui se
produisait dans mon esprit. Je n’avais pas l’impression d’avoir une foi plus
solide dans les vérités fondamentales de la Révélation, ni une meilleure
maîtrise de moi. Mais plutôt d’entrer dans un port après une traversée
agitée. C’est pourquoi, depuis, mon bonheur est resté inaltéré“. Cela, bien
que son intelligence profonde saisît les difficultés infinies de “chaque
article du Credo chrétien“. Dans cette évocation de la joie de toucher au
but apparaît la formule célèbre de l’“Apologie“: “Dix mille difficultés,
selon moi, ne constituent pas un seul doute“.
Si – d’après quelques uns seulement des innombrables témoignages – c’est
ainsi que se passe l’arrivée spirituelle au port, à la maternité de l’Eglise
catholique, on comprend la passion expansive avec laquelle le converti
annonce aux autres qu’il est libéré de l’incertitude itinérante, de
l’inachèvement d’un bâtiment sans voûte, de l’aiguillon de l’insignifiance
de soi et du monde.
C’est encore plus vrai si la traversée de la Mer Rouge spirituelle est
marquée et concrétisée dans son éminente forme chrétienne, le baptême.
Evènement pour toute la Cité de Dieu; geste public par excellence, il va de
la communauté particulière jusqu’à la Cité céleste, du groupe de ceux qui y
assistent jusqu’à toute la communion des saints. On cite souvent une phrase
d’Origène: “Quand le sacrement de la foi t’a été donné, les vertus célestes,
les ministères des anges, l’Eglise des premiers-nés étaient présents”. Il y
a de la joie parmi les anges... C’est ce que l’on ressentait à Saint-Pierre
pendant la nuit pascale.
A ce niveau de beauté, l’intensité de l’interprétation que Magdi Cristiano a
ensuite donnée de son baptême n’est pas injustifiée. Allam a franchi un vrai
seuil, passant d’un système de sens à un autre, d’une appartenance à une
autre. La Maison à laquelle il est arrivé, l’étreinte du Père dans laquelle
il s’est laissé serrer, le marquent et le confirment dans la nouveauté - ni
utopique ni évolutive, mais très ancienne - de “l’Eglise des premiers-nés”
dans le Christ ressuscité. Ce n’est pas facile de reconnaître et accepter,
après un cheminement libérateur, un Père, un amour souverain. Pour Louis
Massignon, l’acte décisif d’accueil de la foi fut d’arriver à se mettre à
genoux devant son directeur spirituel et, à travers lui, devant Dieu. Quand
Allam voit cette Maison, universellement destinée à l’homme, comme un lieu
de liberté et de vérité par rapport à son passé, il s’élève à la hauteur de
la signification essentielle de son baptême.
Dans un article paru dans le "Corriere" parallèlement à celui de Magris,
l’écrivain catholique Vittorio Messori a, lui aussi, exprimé des réserves
quant à la sévérité de certaines expressions d’Allam à propos de l’islam. Je
remarque qu’aujourd’hui, chez Magdi Cristiano, l’expérience du
franchissement d’un seuil, de la sortie d’un “esclavage du péché” (pas
seulement individuel et intérieur, encore moins métaphorique) est trop forte
pour qu’il ne parle pas par oppositions. Cet islam auquel il a appartenu
reste trop décidé à porter atteinte à sa vie même pour qu’Allam ne lui donne
pas les noms et les formes du radicalisme, du fanatisme, du terrorisme.
Peut-être le bonheur d’être aujourd’hui chrétien et la maternité même de
l’Eglise qui l’avait déjà attiré dans son enfance, lui permettront-ils, avec
le temps, de penser autrement qu’en termes (très réalistes, mais ce ne sont
pas les seuls possibles) de danger et d’abîme à l’océan qu’il a traversé.
* * *
II. – Voyons maintenant les commentaires officieux – datés du 24 mars, à
Amman, – du professeur Aref Ali Nayed. Ils ont cette caractéristique
paradoxale d’utiliser, dans un contexte musulman, un ton et des arguments
“occidentaux” et “laïcs”. On y trouve une allusion menaçante au
"prosélytisme" des écoles catholiques qui, hélas, paraît faite pour
confirmer les arguments d’Allam. Je le considère, avec son texte, comme un
homme religieux.
Après avoir rappelé un principe de l’islam, en fait commun aux chrétiens et
aux musulmans, la foi comme don de Dieu, Nayed choisit de voir dans le récit
que Magdi Allam a fait de sa jeunesse religieuse - jusqu’à son assistance
occasionnelle à la messe et à son unique communion - le résultat d’une
pression christianisante délibérée de la part de ses maîtres.
Or, quand on connaît un peu les comportements religieux, on sait que
l'attrait de la communion eucharistique est très fort - même chez les
croyants qui ne pratiquent pas la religion catholique - d’autant plus qu’il
est très facile de communier. Le professeur Nayed, lui, s’appuie sur ces
souvenirs d’adolescence pour faire une allusion déplaisante à ce qui se
passerait dans les écoles catholiques au détriment de la "dignité humaine".
Il inclut dans les questions à discuter avec l’Eglise de Rome la pratique
désignée sous le terme déplaisant de "prosélytisme", une pratique évidemment
illégitime et condamnable.
D’autre part Magdi Allam, parce qu’il aurait été victime d’une éducation
scolaire christianisante, ne peut pas dire qu’il a été formé à l’islam. A
partir de là, le professeur Nayed choisit alors de dévaloriser sa conversion
de l'islam au christianisme (dans la mesure où il était déjà chrétien) et
d’attribuer la principale responsabilité de sa conversion et de son baptême
à l’Eglise de Rome et au pape. La liberté morale d’Allam ne comptant pas
pour Nayed, seule l’initiative politique de Rome aurait joué, selon les
caractéristiques suivantes:
1. Rome a instrumentalisé un homme pour “marquer des points” contre l’islam,
ce qui est "contraire à la dignité humaine" (argument étrange, qui a l’air
d’une réponse artificielle à l’accusation d’atteinte aux droits de l’homme
que l’Occident lance au fondamentalisme musulman).
2. Allam a été choisi pour ce geste public parce qu’il incite à la haine
(mais le professeur Nayed reste muet quant aux menaces de mort reçues par
Allam). En particulier – d’après Nayed – Allam semble confirmer, dans son
article-confession du "Corriere della Sera", la "tristement célèbre"
argumentation du discours de Ratisbonne sur la nature violente de l’islam.
Pour éviter cette déduction, le Saint Siège doit prendre ses distances avec
le nouveau baptisé.
3. Benoît XVI a donné un caractère "quasi manichéen" à son message pascal,
en y introduisant les notions de lumière et de ténèbres et en s’attribuant
la lumière, les ténèbres étant réservées aux autres. La paix offerte par
Rome consiste donc à soumettre l’autre, par le baptême.
Nayed se demande ensuite qui, parmi les conseillers du pape pour les
questions musulmanes, est responsable du "spectacle" pascal. Et il conclut
en confirmant que, en tout cas, il recherche un monde commun de paix, à
travers "une théologie compatissante qui répare les liens, les ponts, pour
favoriser l’amour de Dieu et du prochain".
A mon avis, le professeur Nayed, comme beaucoup d’hommes de dialogue des
diverses traditions, se montre peu sensible aux données théologiques et
historico-religieuses. Comment peut-il, si l’on commence par le point 3,
parler de manichéisme à propos de la splendide page de Benoît XVI sur la
lumière dans la liturgie baptismale? Le pape nous parle de "puissances"
(qui, dans le langage du Nouveau Testament comprennent des hommes et des
anges) qui veulent nous pousser dans une obscurité concernant Dieu et
nous-mêmes, c’est-à-dire dans la négation essentielle de Dieu et dans la
falsification de l’essence de l’homme. On ne voit pas pourquoi ce cri
d’alarme, lancé avec tant de profondeur (à travers le symbolisme
lumière-ténèbres que la tradition musulmane connaît et utilise aussi), ne
devrait pas être partagé par tous les hommes religieux de toutes les
traditions.
Benoît XVI poursuit: “Cette Lumière est aussi un feu [présent depuis
l’antiquité dans la liturgie pascale], une force venue de Dieu, une force
qui ne détruit pas mais veut transformer nos cœurs”. Le pape avait à peine
parlé, dans ce contexte, du baptême comme mystère ou plutôt comme révélation
et signe efficace que Dieu nous attire à Lui (que Son nom soit béni). Ceux
qui ont été baptisés pendant la nuit de Pâques sont également plongés dans
ce mystère de l’amour de Dieu. Est-il vraiment si difficile pour un
musulman, un homme religieux de tradition biblique, de comprendre que, en
plaçant le baptême d’Allam dans son horizon théologique, le pape le
soustrait à toute politique mesquine?
Sur le point 2 je répète ce que j’ai déjà écrit à propos de Ratisbonne.
Benoît XVI apprécie le dialogue entre les religions mais ne fait pas
semblant d’ignorer le poids de la réalité historico-politique. Sa
dialectique est accueillante à ce qui favorise la fraternité entre les
croyants, mais elle cherche aussi à examiner de manière critique ce qui,
dans les comportements, s’oppose à cette fraternité.
C’est le réalisme théologico-politique chrétien, par opposition au moralisme
de ceux qui se bornent à parler de paix de manière émotive et sous-estiment
la force des faits. De même que l’empereur Manuel rédigeait son paisible
dialogue doctrinal alors que l’armée ottomane assiégeait Constantinople, ce
qu’il ne pouvait pas ignorer, de même Benoît XVI parle à l’esprit et au cœur
de l’islam, mais il ne peut pas ignorer que celui-ci a, chez certains de ses
pouvoirs et représentants, un visage agressif. Qui se manifeste contre la
vie même de Magdi Allam, en danger depuis des années.
Un homme religieux devrait comprendre que Magdi Allam, quand il révèle la
menace que fait peser sur lui l’extrémisme musulman et quand il appelle le
monde musulman à une co-responsabilité (le professeur Nayed a-t-il eu un
seul mot pour rendre justice à Magdi Cristiano?), fait néanmoins un choix
religieux par son baptême.
Contrairement à d’autres qui, comme Salman Rushdie, veulent aboutir à la
condamnation de toutes les croyances, Allam choisit la foi en Dieu, le Dieu
de Jésus. A partir du catholicisme, qu’il oppose maintenant à sa tradition
d’origine, il pourra donner son témoignage d’homme de foi à l’homme
d’aujourd’hui. Dans la profondeur du dialogue développé par Rome, quand
Benoît XVI prend la conversion de Magdi Cristiano sous sa protection
directe, il ne défie pas l’islam mais il lui adresse un mémorandum
contraignant.
Les intellectuels musulmans, les hommes de foi musulmane qui ont accepté de
dialoguer avec Rome pourront, pour peu qu’ils le veuillent, voir dans la
haute et paternelle protection offerte par Benoît XVI à l’écrivain égyptien
(qui considère le pape comme son maître) le signe d’une possibilité offerte
à l’homme musulman d’aujourd’hui. L’islam peut trouver dans sa confrontation
avec le christianisme – et surtout avec la grande Eglise catholique –
l’occasion de sortir de lui-même de manière critique, de s’ouvrir à la
dimension de l’universel et de revenir sur soi comme islam rénové avec
réflexion (je ne dis ni moderne ni libéral, parce que ce ne sont pas des
catégories vraiment significatives pour une tradition religieuse).
A ce point, il n’est pas utile de discuter le point 1 de Nayed, qui est
purement polémique. L’ouverture de Magdi Allam à la foi catholique a été un
acte libre émanant de la richesse spirituelle d’un musulman. Personne ne
pouvait le contraindre. De même que personne ne peut transformer en simple
instrument partisan cette richesse potentielle de contact.
Nous aimerions que le professeur Nayed réfléchisse à cette évidence: ses
critiques risquent de ressembler, dans leur outrance, à celles d’un
occidental sécularisé et anticlérical pour qui les comportements d’une
institution religieuse sont toujours les instruments cyniques de son pouvoir
sur les consciences.
Cette incompréhension hostile – et sans issue – ne peut pas être adoptée par
un intellectuel et un homme religieux musulman. En refusant la vérité à
l’Eglise catholique il se refuse aussi lui-même. Et, en effet, face aux
attaques du refus anticlérical, ou plutôt irréligieux, le catholicisme
romain et l’islam se retrouvent souvent associés.
Les faits qui ont précédé l’affaire et le texte intégral du réquisitoire d’Aref
Ali Nayed, dans le dernier article de www.chiesa
►
Histoire d'un musulman converti. Baptisé par
Benoît XVI à Saint-Pierre
Sources : La chiesa.it
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 31.03.2008 -
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