Troisième prédication de Carême en
présence du pape Benoît XVI |
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Le 30 mars 2010 -
(E.S.M.)
- Nous publions ci-dessous le texte intégral de la troisième prédication de Carême prononcée ce vendredi matin par le P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap., prédicateur de la Maison
pontificale, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine, dans la
chapelle Redemptoris Mater, au Vatican.
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Le père Cantalamessa
Troisième prédication de Carême en
présence du pape Benoît XVI
Le 30 mars 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- Nous publions ci-dessous le texte
intégral de la troisième prédication de Carême prononcée ce vendredi matin
par le P. Raniero Cantalamessa O.F.M. Cap., prédicateur de la Maison
pontificale, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine, dans la
chapelle Redemptoris Mater, au Vatican.
P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.
Troisième prédication de carême
« SI TU REVIENS A MOI ... »
1. La crise du prêtre
Dans l'Ecriture, nous trouvons la description de la crise intérieure d'un
prêtre dans laquelle, j'en suis sûr, nombre de prêtres d'aujourd'hui se
reconnaîtront. Celle de Jérémie qui, avant d'être prophète, fut prêtre, «
l'un des prêtres résidant à Anatot » (Jr 1, 1).
« Ne t'ai-je pas servi de mon mieux, ne t'ai-je pas supplié au temps du
malheur ... Jamais je ne m'asseyais dans une réunion de railleurs, pour m'y
divertir.... Vraiment tu es pour moi comme un ruisseau trompeur, aux eaux
décevantes » (Jr 15, 11-18). A un autre moment, la crise explose plus
ouvertement encore : « Tu m'as séduit, Seigneur, et je me suis laissé
séduire ... Je me disais : ‘Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus
en son Nom ! » (Jr 20, 7-9).
Quelle est la réponse de Dieu au prophète et prêtre en crise ? Non pas « Mon
pauvre petit, tu as raison, comme tu es malheureux ! ». « Alors, le Seigneur
répondit : « Si tu reviens, et que je te fais revenir, tu te tiendras devant
moi ; si de ce qui est vil tu tires ce qui est noble, tu seras comme ma
bouche » (Jr 15, 19). En d'autres termes : conversion !
Nous avons vu à propos de la nouveauté du ministère de la nouvelle alliance
que celle-ci consiste dans la grâce, autrement dit dans le fait que le don
précède le devoir et que le devoir naît précisément du don. Appliquons
maintenant ce principe fondamental au ministère sacerdotal. Jusqu'ici, c'est
la grâce sacerdotale que nous avons examinée, le don reçu : ministres du
Christ, dispensateurs des mystères de Dieu. Nous ne pouvons pas conclure nos
réflexions sans mettre en lumière également le devoir et l'appel qui jaillit
de ce don, en quelque sorte l'ex opere operantis du sacerdoce. C'est ce même
appel que Dieu a adressé à Jérémie : conversion !
Je crois interpréter la préoccupation exprimée à plusieurs reprises dans le
passé par le Saint-Père et qui a motivé, du moins en partie, la proclamation
de cette année sacerdotale, en consacrant cette dernière méditation à la
nécessité d'une purification à l'intérieur de l'Eglise, à partir de son
clergé.
L'appel à la conversion résonne aux moments cruciaux du Nouveau Testament :
au début de la prédication de Jésus : « Repentez-vous et croyez à l'évangile
» (Mc 1, 15) ; au début de la prédication apostolique, au jour de la
Pentecôte : « Frères, que devons-nous faire ? Pierre leur répondit : «
Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser ... et vous recevrez
alors le don du Saint Esprit ! » (Ac 2, 37). Mais ce ne sont pas là les
contextes qui nous concernent plus directement, nous prêtres. Nous avons cru
à l'évangile, nous avons été baptisés et nous avons reçu l'Esprit Saint. Il
s'agit d'un autre « convertissez-vous ! » qui nous touche de près, celui qui
résonne dans chacune des lettres aux sept Eglises de l'Apocalypse. Il ne
s'adresse pas aux non croyants ou aux néophytes, mais aux personnes qui
vivent depuis longtemps dans la communauté chrétienne.
Une donnée rend ces lettres particulièrement significatives pour nous :
elles s'adressent au pasteur et au responsable de chacune des sept Eglises.
« A l'Ange de l'Eglise d'Ephèse, écris » : le titre d'ange ne s'explique pas
sinon en référence, directe ou indirecte, au pasteur de la communauté. Il
est impossible de supposer que l'Esprit Saint ait pu attribuer à des anges
réels la responsabilité des fautes et des déviations dont se sont rendues
coupables les différentes Eglises et que l'invitation à la conversion
s'adresse à ceux-ci.
2. « Reste fidèle jusqu'à la mort »
Relisons quelques-unes de ces lettres, en cherchant à y capter les éléments
d'une authentique conversion du clergé : diacres, prêtres et évêques.
Commençons par la première lettre, celle adressée à l'Eglise d'Ephèse.
Faisons d'emblée une première constatation. Le Ressuscité ne débute pas son
propos en pointant du doigt ce qui ne va pas dans la communauté. Cette
lettre, comme quasiment toutes les autres, commence par mettre en relief le
positif, le bien accompli dans l'Eglise : « Je connais ta conduite, tes
labeurs et ta constance ...Tu as de la constance : n'as-tu pas souffert pour
mon nom, sans te lasser ? » (Ap 2, 2).
Seulement alors intervient l'appel à la conversion : « Mais j'ai contre toi
que tu as perdu ton amour d'antan. Allons ! Rappelle-toi d'où tu es tombé,
repens-toi, (metanoeson), reprends ta conduite première ». L'appel à la
conversion revêt l'aspect d'un retour à la ferveur et à l'amour d'antan pour
le Christ. Qui d'entre nous, prêtres, ne se remémore pas avec émotion le
moment où nous avons pris conscience d'être appelés par Dieu à son service,
le moment de leur profession pour les religieux, l'enthousiasme des
premières années de ministère pour les prêtres ? Il est vrai qu'il y avait
aussi le facteur de l'âge, la jeunesse. Mais dans ce cas, il ne s'agit pas
de nature : il y avait alors la grâce et il peut y avoir aujourd'hui la
grâce.
« Je t'invite, écrivait l'Apôtre au disciple Timothée, à raviver le don
spirituel que Dieu a déposé en toi par l'imposition des mains » (2 Tm 1, 6).
Le terme grec, traduit ici par « raviver », suggère l'idée de souffler sur
le feu pour le ranimer, rallumer la flamme. Dans une des méditations de
l'Avent, nous avons vu comment l'onction reçue dans le sacrement de l'Ordre
peut être réactivée et redevenir opérante grâce à la prière et à un sursaut
de foi. De même l'auteur de l'Epître aux Hébreux exhortait les premiers
chrétiens à se rappeler leur enthousiasme du début : « Rappelez-vous ces
premiers jours... » (He 10, 32).
Retenons donc de la lettre à l'Eglise d'Ephèse l'invitation pressante à
retrouver l'amour et la ferveur de jadis. Nous trouvons une autre composante
de la conversion sacerdotale dans la lettre à l'Eglise de Smyrne. Ici aussi,
le Ressuscité commence par mettre en lumière le positif : « Je connais tes
épreuves et ta pauvreté ... », mais suit aussitôt l'appel : « Reste fidèle
jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de vie ».
Fidélité ! Le Saint-Père a choisi ce mot comme titre et programme de l'année
sacerdotale : « Fidélité du Christ, fidélité du prêtre ». Le mot « fidélité
» revêt deux sens. Le premier est celui de constance et de persévérance ; le
second, celui de loyauté, d'honnêteté, bref l'opposé d'infidélité, de
mensonge et de trahison.
Le premier sens est celui des paroles du Ressuscité à l'adresse de l'Eglise
de Smyrne, le second est tel que Paul l'entend dans le texte que nous avons
choisi pour nous guider dans notre méditation : « Qu'on nous regarde donc
comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu. Ce
qu'en fin de compte on demande à des intendants, c'est que chacun soit
trouvé fidèle » (1 Co 4, 1-2). Cette parole rappelle, sans doute à dessein,
celle de Jésus dans l'évangile de Luc : « Quel est donc l'intendant fidèle,
avisé, que le maître établira sur ses gens pour leur donner en temps voulu
leur ration de blé ? » (Lc 12, 42). Le contraire de cette fidélité est ce
que fait, dans la parabole, l'intendant infidèle (Lc 16, 1 ss.).
A cette fidélité s'oppose la trahison de la confiance du Christ et de
l'Eglise, la double vie, le manquement aux devoirs de sa condition,
principalement s'agissant du célibat et de la chasteté. Nous savons, par
douloureuse expérience, le mal que peut causer à l'Eglise et aux âmes ce
type d'infidélité. C'est probablement l'épreuve la plus dure que l'Eglise
traverse en ce moment.
3. « A l'Eglise de Laodicée, écris ... »
Plus que toutes les autres, cette lettre à l'Ange de l'Eglise de Laodicée
doit nous faire réfléchir. Nous en connaissons le ton sévère : « je connais
ta conduite : tu n'es ni froid ni chaud...ainsi, puisque te voilà tiède, ni
chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche ...Allons ! Un peu d'ardeur,
et repens-toi » (Ap 3, 15 s).
La tiédeur d'une partie du clergé, le manque d'ardeur et l'inertie
apostolique : voilà, je crois, ce qui affaiblit l'Eglise, plus encore que
les scandales occasionnels de quelques prêtres qui font davantage de bruit,
mais contre lesquels il est plus facile de prendre des mesures. « Ce qui est
un grand malheur, pour nous autres curés - déplorait le saint curé d'Ars -,
c'est que l'âme s'engourdit » 1. Lui n'était certes pas à compter au nombre
de ces curés, mais sa phrase nous donne à penser.
Il ne faut pas généraliser (l'Eglise abonde en saints prêtres qui
accomplissent silencieusement leur devoir), mais attention à ne pas se taire
non plus. Un laïc engagé me disait avec tristesse : « La population de notre
pays, au cours de ces vingt dernières années, a augmenté de plus de trois
millions d'habitants, mais nous catholiques, nous en sommes toujours au même
nombre. Il y a quelque chose qui ne va pas dans notre Eglise ». Et
connaissant ce clergé, je savais ce qui n'allait pas : la préoccupation de
beaucoup de ses membres n'était pas les âmes, mais l'argent et le confort.
Il y a des lieux où l'Eglise est vivante et évangélise grâce seulement, ou
presque, à l'engagement et à l'ardeur de quelques fidèles laïcs et
associations de laïcs à qui, par ailleurs, on met des bâtons dans les roues
et que l'on regarde avec suspicion. Or ce sont souvent ceux-là qui
entraînent leurs propres prêtres, payant leur voyage et leur séjour, à
participer à une retraite ou à des exercices spirituels qu'ils ne feraient
pas autrement.
Parfois ce sont précisément ceux qui font le moins pour le royaume de Dieu
qui en réclament le plus les avantages. Saint Pierre et saint Paul ont tous
les deux éprouvé le besoin de se garder de la tentation de se poser en
propriétaires de la foi : « Non pas en faisant les seigneurs à l'égard de
ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du
troupeau » (cf. 1 P 5, 3), écrit le premier ; « Ce n'est pas que nous
entendons régenter votre foi. Non, nous contribuons à votre joie », écrit le
second ( 2 Co 1, 24).
On s'érige en maîtres de la foi, par exemple, quand on considère tous les
espaces et locaux de la paroisse comme notre propriété à accorder à qui l'on
veut, et non pas comme biens de toute la communauté, dont nous sommes les
gardiens, non les propriétaires.
Un jour que je prêchais dans un pays d'Europe, qui avait été dans le passé
une pépinière de prêtres et missionnaires et traversait maintenant une crise
profonde, je demandai à un prêtre de l'endroit quelle en était, selon lui,
la cause. « Dans ce pays, me répondit-il, les prêtres, que ce soit de la
chaire ou du confessionnal, décidaient de tout, et même qui un tel devait
épouser et combien d'enfants il devait avoir. Lorsque se sont répandus dans
la société le sens et l'exigence de la liberté individuelle, les gens se
sont rebellés et ont tourné complètement le dos à l'Eglise ». Le clergé se
sentait « propriétaire de la foi », plus que coopérateur de la joie des
gens.
Les paroles adressées par le Ressuscité à l'Eglise de Laodicée « Tu
t'imagines : me voilà riche, je me suis enrichi et je n'ai besoin de rien ;
mais tu ne le vois donc pas : c'est toi qui es malheureux, pitoyable,
pauvre, aveugle et nu », ces paroles font penser à une autre grande
tentation du clergé quand lui fait défaut la passion pour les âmes, et cette
tentation est l'amour de l'argent. Saint Paul déjà le déplorait amèrement :
« Omnia quae sua sunt quaerunt, non quae Jesu Christi » : tous recherchent
leurs propres intérêts, non ceux de Jésus Christ (Ph 2, 21). Une des
recommandations aux anciens qui revient le plus souvent dans les Lettres
pastorales, est d'être détachés de l'argent (1Tm 3, 3). Dans la Lettre de
Benoît XVI pour l'indiction d'une Année sacerdotale, le Saint-Père propose
le saint Curé d'Ars comme modèle de pauvreté sacerdotale. « Il était riche
pour donner aux autres, et bien pauvre pour lui-même ». Son secret, c'était
« de tout donner et de ne rien garder ».
Dans son long discours sur les pasteurs2, saint Augustin proposait à son
époque, pour un examen de conscience salutaire, l'apostrophe d'Ezéchiel
contre les pasteurs négligents. Il est bon de la réécouter, ne serait-ce que
pour savoir quoi éviter dans le ministère sacerdotal :
« Malheur aux pasteurs d'Israël qui se paissent eux-mêmes ! Les pasteurs ne
doivent-ils pas paître le troupeau ? Vous vous êtes nourris de lait, vous
vous êtes vêtus de laine, vous avez sacrifié les brebis les plus grasses,
mais vous n'avez pas fait paître le troupeau. Vous n'avez pas fortifié les
brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était
blessée. Vous n'avez pas ramené celle qui s'égarait, cherché celle qui était
perdue. Mais vous les avez régies avec violence et dureté » (Ez 34, 2-4).
4. « Voici : je me tiens à la porte et je frappe »
Mais la Lettre, si sévère, à l'Eglise de Laodicée également est, comme
toutes les autres, une lettre d'amour. Elle se termine par l'une des images
incontestablement les plus émouvantes de la Bible : « Ceux que j'aime, je
les semonce et les corrige ...Voici : je me tiens à la porte et je frappe ».
En ce qui nous concerne, nous prêtres, le Christ ne frappe pas pour entrer,
mais pour sortir. Quand il s'agit de la première conversion, passer de
l'incrédulité à la foi, ou du péché à la grâce, le Christ est dehors et
frappe aux murs du coeur ; quand il s'agit de conversions successives, d'un
état de grâce à un plus élevé, de la tiédeur à la ferveur, c'est le
contraire qui se passe : le Christ est à l'intérieur et frappe aux murs du
cœur pour sortir !
Je m'explique. A notre baptême, nous avons reçu l'esprit du Christ ; il
demeure en nous comme dans son temple (1 Co 3, 16), jusqu'à ce qu'il en soit
chassé par le péché mortel. Mais il peut arriver que cet esprit finisse par
être comme emprisonné et emmuré par le coeur de pierre qui se forme tout
autour. Il n'a pas la possibilité de se répandre et d'imprégner de lui-même
les facultés, les actions et les sentiments de la personne. Quand nous
lisons la phrase du Christ : « Voici : je me tiens à la porte et je frappe »
(Ap 3, 20), nous devons entendre qu'il ne frappe pas de l'extérieur, mais de
l'intérieur ; il ne veut pas entrer, mais sortir.
L'Apôtre dit que le Christ doit être « formé » en nous (Gal 4, 19),
autrement dit se développer et être pleinement formé ; c'est ce
développement qui est entravé par la tiédeur et par le cœur de pierre.
Parfois on voit de chaque côté de la route de gros arbres (à Rome, ce sont
en général des pins) dont les racines, prisonnières du béton, luttent pour
s'étendre, soulevant par moments le ciment lui-même. C'est ainsi qu'il nous
faut imaginer ce qu'est le règne de Dieu dans le cœur de l'homme : une
graine destinée à devenir un arbre majestueux sur lequel se posent les
oiseaux du ciel, mais qui peine à se développer lorsqu'elle est étouffée par
des préoccupations terrestres.
Il y a bien évidemment des degrés divers dans cette situation. Dans la
majorité des âmes engagées dans un cheminement spirituel, le Christ n'est
pas emprisonné dans une cuirasse, mais pour ainsi dire en liberté
surveillée. Il est libre de se déplacer, mais dans des limites bien
précises. Ce qui arrive quand, tacitement, on lui fait comprendre ce qu'il
peut nous demander et ce qu'il ne peut pas nous demander. Prière oui, mas
pas au point de compromettre notre sommeil, notre repos, notre saine
information ... ; obéissance oui, mais à condition qu'on n'abuse pas de
notre disponibilité ; chasteté oui, mais pas jusqu'à nous priver d'un
spectacle détendant, même osé... Bref, des demi-mesures.
Dans l'histoire de la sainteté, l'exemple le plus célèbre de la première
conversion, celle du péché à la grâce, est saint Augustin ; l'exemple le
plus instructif de la seconde conversion, celle de la tiédeur à la ferveur,
est sainte Thérèse d'Avila. Ce qu'elle dit d'elle-même dans sa Vie est
probablement exagéré et dicté par la délicatesse de sa conscience, mais peut
nous servir à tous pour un examen de conscience utile. « De passe-temps en
passe-temps, de vanité en vanité, d'occasion en occasion, je recommençai à
mettre en péril mon âme [...]. Les choses de Dieu me procuraient du plaisir
et je n'arrivais pas à me détacher de celles du monde. Je voulais concilier
entre eux ces deux ennemis, tellement contraires : la vie de l'esprit avec
les passe-temps et les plaisirs des sens ».
Cet état se traduisait par une profonde insatisfaction : « Je tombais et me
relevais, et je me relevais si mal que je retombais à nouveau. J'étais au
plus bas en fait de perfection, si bien que je ne faisais même plus
attention aux péchés véniels, et je ne craignais pas les mortels parce que
je ne fuyais pas leurs dangers. Je puis dire que ma vie était des plus
minables que l'on puisse imaginer, parce que je ne jouissais pas de Dieu, et
ne me sentais pas satisfaite non plus du monde. Quand je me trouvais dans
les passe-temps mondains, la pensée de ce que je devais à Dieu me les
faisait vivre difficilement ; et quand j'étais avec Dieu, les attaches du
monde venaient me troubler » 3. Nombre de prêtres pourraient découvrir dans
cette analyse le motif fondamental de leur propre insatisfaction et
mécontentement.
Ce fut la contemplation du Christ de la Passion qui donna à Thérèse l'élan
décisif pour opérer le changement qui fit d'elle la sainte et la mystique
que nous connaissons4.
5. « Je veux espérer ! »
Revenons, pour finir, à la réponse de Dieu aux lamentations de Jérémie. Dieu
fait à son prophète converti des promesses qui revêtent une signification
particulière si on les lit comme si elles s'adressaient à nous, prêtres de
l'Eglise catholique, en ce moment de graves difficultés que nous traversons
: « Si de ce qui est vil tu tires ce qui est noble » : c'est-à-dire, si tu
sais distinguer ce qui est essentiel de ce qui est secondaire dans ta vie,
si tu préfères mon approbation à celle des hommes, « tu seras comme ma
bouche ». « Eux reviendront vers toi, mais toi, tu n'as pas à revenir à eux
! » : ce sera le monde qui cherchera ta faveur, non toi celle du monde. « Je
ferai de toi, pour ce peuple-là, un rempart de bronze fortifié (cette parole
s'adresse maintenant à vous, Saint-Père) ; ils lutteront contre toi, mais ne
pourront rien contre toi, car je suis avec toi » (Jr 15, 19-20).
Ce qui se passe en ce moment est un sursaut d'espoir ; nous devrions relire
l'encyclique « Spe salvi sumus » de notre Saint-Père. L'Ecriture nous
présente divers exemples de sursaut d'espérance, mais il en est un qui me
parait particulièrement instructif et proche de la situation actuelle : la
Troisième Lamentation de Jérémie. Elle commence sur un ton désespéré : « Je
suis l'homme qui a connu la misère sous la verge de sa fureur. C'est moi
qu'il a conduit et fait marcher dans la ténèbre et sans lumière... Je suis
devenu la risée de tout mon peuple, leur chanson tout le jour. J'ai dit :
Mon existence est finie, mon espérance qui venait du Seigneur ! » (Lam III,
1-18).
Mais, à ce moment-là, c'est comme si le prophète se ravisait brusquement ;
il se dit : « Les faveurs du Seigneur ne sont pas finies ; ni ses
compassions épuisées ; elles se renouvellent chaque matin. Grande est sa
fidélité ! Ma part, c'est le Seigneur, c'est pourquoi j'espère en lui ».
Et c'est à partir de ce moment-là qu'il prend sa décision « Je veux espérer
! », le ton change, de triste lamentation il devient attente confiante de
restauration : « Le Seigneur est bon pour qui se fie à lui, pour l'âme qui
le cherche. Il est bon d'attendre en silence le salut du Seigneur. Qu'il
tende la joue à qui le frappe, qu'il se rassasie d'opprobres ! Car le
Seigneur ne rejette pas les humains pour toujours ; s'il a affligé, il prend
pitié, selon sa grande bonté. Car ce n'est pas de bon cœur qu'il humilie et
afflige les fils d'homme » (Lam III, 22-33).
Je prêchais une retraite au clergé d'un diocèse américain secoué par la
réaction aveugle de l'opinion publique face aux scandales de certains de
leurs membres. C'était au lendemain de l'écroulement des Tours Jumelles, et
les décombres matériels semblaient le symbole d'autres décombres. Ce texte
de l'Ecriture a visiblement contribué à redonner confiance et espérance à
beaucoup.
Le Christ souffre plus que nous de l'humiliation de ses prêtres et de
l'affliction de son Eglise ; s'il le permet, c'est parce qu'il connaît le
bien qui peut en sortir, en vue d'une plus grande pureté de son Eglise. Si
elle fait preuve d'humilité, l'Eglise sortira plus resplendissante que
jamais de cette guerre ! L'acharnement des médias - nous le voyons aussi
dans d'autres cas - finit à la longue par obtenir l'effet contraire à celui
qu'ils désiraient.
L'invitation du Christ : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous
le fardeau, et moi je vous soulagerai », s'adressait, d'abord, à ceux qui
l'entouraient et, aujourd'hui, à ses prêtres. « Venez à moi, et je vous
soulagerai » : le plus beau fruit de cette année sacerdotale sera un retour
au Christ, un renouvellement de notre amitié avec lui. Dans son amour, le
prêtre trouvera tout ce dont il est humainement privé et « cent fois plus »,
selon sa promesse.
Changeons donc la plainte initiale de Jérémie en remerciement : « Merci
Seigneur, parce que un jour tu nous a séduits, merci parce que nous nous
sommes laissés séduire, merci parce que tu nous donnes la possibilité de
revenir à toi et tu nous rattrapes après chaque tentative de fuite. Merci
parce que tu nous confies « la garde de tes parvis » (Za 3, 7) et tu fais de
nous « ta bouche ». Merci pour notre sacerdoce !
Traduit de l'italien par E. de Lavigne
1 Cit. Dans la Lettre de Benoît XVI pour l'indiction d'une Année sacerdotale
2 Cf. Augustin, Sermo 46 : CCL 41, pp.529 ss.
3 Thérèse d'Avila, Vita, cc. 7-8.
4 Ib. 9, 1-3
Sources : ZF10032602
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 30.03.2010 -
T/Benoît XVI
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