 |
Le synode en France : « Toute volonté d’aligner l’Église sur le
monde aggravera sa destruction »
|
Le 28 juin 2022 -
(E.S.M.)
-
Si plusieurs conclusions du synode sur la synodalité
sont constructives, beaucoup d’autres sont le signe d’une
méconnaissance profonde de la catéchèse la plus fondamentale,
analyse le père Luc de Bellescize, chroniqueur de La Nef et
prêtre du diocèse de Paris. Selon lui, le plus grand danger qui
guette l’Église n’est pas d’abord le cléricalisme mais la mondanité.
|
|
Le synode en France : « Toute volonté d’aligner l’Église sur le
monde aggravera sa destruction »
Le 28 juin 2022 - E.
S. M. - C’était à Notre-Dame de Paris, le 30 mai 1981. Le
Saint-Père avait honoré la mission fondamentale du successeur de
Pierre, reçue de la bouche même du Seigneur : affermir ses frères
dans la foi (Lc 22, 32). Après les années troubles qui avaient suivi
le concile, lesquelles avaient vu un départ important de prêtres qui
ne croyaient plus en leur sacerdoce, Jean Paul II avait redonné à
l’Église qui est en France, une conscience de sa grâce propre, de
ses racines profondes, une joie de croire et de donner sa vie. Il
n’avait pas accusé la laideur, mais révélé la beauté. La vocation
ultime de la lumière est d’illuminer et d’embellir, non d’abord de
dénoncer et d’enlaidir. La dénonciation ne peut être qu’un chemin
passager, qui doit conduire à un surcroît de clarté et de confiance.
Sa présence même était une source de paix et de consolation. Et les
prêtres avaient relevé la tête. Je me souviens des JMJ de Paris en
1997, de celles de Rome au grand jubilé de l’an 2000, du cardinal
Lustiger, de cette impression forte d’une clarté doctrinale, d’une
intelligence de la foi, d’une amitié bienveillante entre ces deux
hommes qui portaient l’Église dans notre pays comme de bons
pasteurs.
Flottement doctrinal et méfiance larvée
Sans doute y avait-il des ombres aussi, des tensions et des
petitesses, comme en toute vie. Le scandale de la pédophilie de
certains clercs couvait sous la cendre des compromissions et des
silences coupables. Benoît XVI a eu, le premier, la force de
dénoncer résolument ces crimes. Que le Seigneur le bénisse pour sa
lucidité et son courage, poursuivi avec détermination par le Pape
François. Sans doute, comme le dit Saint Exupéry, « nous
habillons les morts de leur sourire le plus clair », mais Jean
Paul II était un saint, malgré les aveuglements, les erreurs de
jugement et la part des ténèbres, et sa sainteté redonnait force et
vigueur à nos mains défaillantes. C’était hier. J’ai l’impression
pourtant que c’était un autre monde tant nous sommes aujourd’hui
dans un flottement doctrinal, notamment sur la morale sexuelle et
familiale, et dans une méfiance larvée envers notre engagement
sacerdotal et notre célibat consacré.
J’ai relu avec émotion les paroles que « l’homme en blanc »,
« l’athlète de Dieu » prononça à Notre-Dame : « Pour marcher
avec joie et espérance dans notre vie sacerdotale, il nous faut
remonter aux sources. Ce n’est pas le monde qui fixe notre rôle,
notre statut, notre identité. C’est le Christ Jésus ; c’est l’Église
(…) Nous avons été pris d’entre les hommes, et nous demeurons
nous-mêmes de pauvres serviteurs, mais notre mission de prêtres du
Nouveau Testament est sublime et indispensable : c’est celle du
Christ, l’unique Médiateur et Sanctificateur, à tel point qu’elle
appelle une consécration totale de notre vie et de notre être.
Jamais l’Église ne pourra se résoudre à manquer de prêtres, de
saints prêtres ». Je ne suis pas un prêtre habituellement en
soutane, j’ai rarement célébré la Messe de saint Pie V
(occasionnellement pour mon grand-père lefebvriste, qui est retourné
à Dieu) et je me suis efforcé depuis treize ans de servir l’Église
dans des missions parfois délicates. Comme tant et tant de mes
frères prêtres. Mon admiration va vers ceux qui sont les plus
cachés, les plus obscurs, les plus silencieux, et qui portent avec
courage le poids du jour et de la chaleur.
« Beaucoup de propositions du synode semblent un mauvais copié-collé des
années 70 »
On peut demander beaucoup de choses à un prêtre. Travailler toujours
davantage, se sanctifier, veiller sur sa conduite, se convertir
quand il est infidèle, mourir s’il le faut en témoin du Christ. Mais
il a besoin pour cela de savoir d’où il vient et quel mystère
sublime il porte dans le vase fragile de son humanité. Celui de
pardonner les péchés au Nom du Seigneur, celui de faire descendre
son Corps très saint dans ses pauvres mains. J’ai lu plusieurs
conclusions des travaux préparatoires du synode sur la synodalité.
Elles appellent un discernement critique vigilant et sans démagogie.
Certaines, constructives et enrichissantes, vont dans le sens d’une
plus grande reconnaissance de la place particulière des femmes dans
l’Église, d’un souci accru des plus fragiles et d’un accueil
généreux de ceux qui se sentent exclus de son Corps. Beaucoup
d’autres propositions sont le signe d’une méconnaissance profonde de
la catéchèse la plus fondamentale et semblent un mauvais copié-collé des
années 70, sans même aller dans les idées les plus contraires à
l’unité bimillénaire de la Tradition qui nous vient des apôtres.
Ainsi celle de faire prêcher les laïcs à la Messe et
particulièrement les femmes, qui ne rend pas compte de la place
particulière du prêtre dans l’unité de l’acte liturgique comme
représentant, au sens fort du terme, malgré sa faiblesse, du Christ
époux de l’Église, ou celle d’un diaconat féminin, lubie
contemporaine détachée de toute obéissance à la Tradition
apostolique, ou encore celle d’un accueil « inconditionnel » envers
tous – divorcés remariés, personnes homosexuelles etc. -, ce qui est
louable, mais qui ne va jamais de pair avec un appel à la
conversion, lequel concerne chacun, et moi le premier.
Il est temps de le redire à ceux qui demeurent dans une idéologie
aveugle. Le progressisme est une vieille lune qui ne survivra pas à
son éclipse. Les propositions « progressistes » ne sont aucunement
portées par la jeunesse fervente qui demeure fidèle à nos
communautés, et qui n’a – on peut le déplorer – que très peu
participé au synode. Pour Paris, sur l’ensemble des participants,
seulement 14 % ont entre 20 et 35 ans… Par désintérêt sans doute,
par manque de temps à y consacrer, et parce que leurs questions sont
ailleurs que dans des tables rondes qui leur paraissent davantage,
en partie à tort, le remplissage fastidieux de carnets de doléances
que de vrais élans enthousiastes et missionnaires. Ce type de
propositions n’est pas non plus porté par les fidèles des milieux
vraiment populaires, comme les communautés antillaises ou d’origine
africaine, qui renouvellent avec bonheur nos paroisses, dans une
piété joyeuse et fervente.
« Ce n’est pas de la base que vient la vérité de la foi,
mais d’abord de la Révélation »
La conclusion est simple. Toute volonté d’aligner l’Église sur le
monde et ses évolutions contribuera à aggraver sa destruction et à
affadir sa force. « Si le sel vient à s’affadir, avec quoi le
salera-t-on ? » (Mt 5, 13). Le monde finira toujours par se
retourner pour mieux déchirer ceux qui s’emploient servilement à le
flatter. « Nous ne voulons pas de rupture, écrit le pape
François dans la revue Communio, mais une impulsion
spirituelle. Nous voulons être clairvoyants et attentifs aux signes
des temps, tout en sachant qu’ils ne doivent pas être confondus avec
l’esprit du temps ». Il suffit de voir, sans qu’il soit besoin
de les nommer, ces régions du nord de l’Europe où les axes pastoraux
choisis depuis des décennies ont abouti à de vrais déserts
spirituels et un anéantissement quasi-total des vocations
consacrées. On y cueille parfois quelques fleurs éparses dans de
grands cimetières, car la « petite fille espérance » de Péguy se
faufile toujours entre les ombres… Mais le bilan est consternant.
Pourquoi cette déréliction ? Parce que toute vraie réforme ne peut
que s’abreuver à la source et s’ancrer dans une fidélité plus grande
à la parole du Christ telle que nous l’a transmise la Tradition
vivante. Où sont aujourd’hui les foyers qui demeurent vivants dans
l’Église et participent de son rayonnement missionnaire ? Ils se
trouvent chez les familles ferventes, chez les scouts qui ont gardé
une foi vécue et fidèle, chez des jeunes à la frontière entre le
renouveau charismatique et l’amour de la tradition, y compris
liturgique, chez les serviteurs souvent cachés de l’humble charité
chrétienne. Chez ceux qui ont découvert ou redécouvert la foi,
touchés par la joie de croire que ces lieux de vie manifestent.
N’est-ce pas simplement vrai ? « Qu’avons-nous besoin de plaire
quand on est vrai ? » disait le martyr saint Justin. Il y avait
30 000 jeunes scouts unitaires de France à Chambord dans un silence
recueilli lors de la Messe de la Pentecôte, 15 000 fidèles au
pèlerinage de chrétienté, 8000 adolescents au FRAT qui se sont
confessés nombreux et ont loué le Seigneur. Là est la source vive,
dans la diversité des grâces et des charismes. Et nous avons besoin
de tous.
Toute la vie de l’Église tient dans le mystère eucharistique. Sans
l’Eucharistie il n’y a pas d’Église et sans prêtre il n’y a pas
d’Eucharistie. « L’Eucharistie fait l’Église et l’Église fait
l’Eucharistie » disait le cardinal de Lubac. L’Église tient par
le Haut. Par le Très-Haut qui s’est fait le très bas… Ce n’est pas
« de la base » que vient la vérité de la foi, mais d’abord de la
Révélation que le Seigneur fait de son mystère tel qu’il nous a été
transmis par ceux qui ont porté jusqu’à nous la Parole de Vie. Nous
sommes des nains juchés sur les épaules des géants. « J’ai
moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis »
écrit l’apôtre Paul (I Co 15, 3).
« Nous avons besoin pour notre sacerdoce d’une parole « constructive,
et bienveillante » »
« Voyez votre dignité, frères prêtres, écrivait saint
François d’Assise, et soyez saints parce qu’Il est saint. Plus
que tous, à cause de ce ministère, le Seigneur Dieu vous a honorés ;
plus que tous, vous aussi, aimez-le, révérez-le, honorez-le. Grande
misère et misérable faiblesse si, le tenant ainsi présent entre vos
mains, vous vous occupez de quelque autre chose au monde. » Le
Seigneur est là, parmi nous, voilé sous l’apparence du pain. « Il
est là », disait le saint curé d’Ars. Et il ajoutait : « Que
le prêtre est quelque chose de grand ». Est-ce du cléricalisme,
ces paroles de si grands saints ? Ne seraient-ils pas condamnés
aujourd’hui dans une Église qui semble douter d’elle-même et du
mystère sublime qu’elle porte en elle ? Car on entend sans cesse que
le « cléricalisme » est le grand danger de la vie de l’Église. Nous
avons de moins en moins de prêtres en France, les vocations sont en
berne et nous agitons le fantôme du cléricalisme comme un
épouvantail à moineaux… Il vaudrait mieux rendre le prêtre plus
conscient de la grâce extraordinaire qu’il porte en lui plutôt que
de l’accuser d’accaparer le pouvoir… Là où un prêtre est vraiment un
homme de Dieu, un serviteur du Seigneur au milieu des hommes, là où
il consent profondément au mystère qui se déploie dans sa faiblesse,
il ne sera pas tenté de justifier le despotisme sous l’argument du
sacré. Le grand danger qui guette l’Église est la mondanité, qui
consiste à affadir les vérités éternelles et à se laisser mener par
l’esprit du siècle. L’Esprit Saint souffle rarement dans le sens de
l’air du temps. Le seul vrai danger est d’oublier l’obéissance de la
foi à Dieu qui se révèle et la fidélité à nos pères.
« Venez vous abreuver à la source cachée » disait sainte
Thérèse Bénédicte de la Croix. Nous sommes du sang des martyrs et
des grands témoins de la foi. Toute réforme qui ne se plonge pas
dans cette source de vie ne portera pas les fruits espérés. Toute
réforme qui prétendrait rénover l’Église par un « grand bond en
avant » détaché de cette source ne pourra qu’aboutir à lui faire
perdre son sel et sa lumière. Alors nous pouvons redire à nos
évêques, et à notre Saint-Père le Pape, que nous sommes là, que nous
les aimons « dans le respect et l’obéissance » comme nous
l’avons promis à notre ordination, et que nous ne quitterons jamais
le navire, en fils obéissants de l’Église. Mais que nous avons
besoin pour notre sacerdoce d’une parole « constructive, et
bienveillante » (Ep 4, 29), que nous avons besoin de pères
attentifs qui nous affermissent dans la foi au milieu des épreuves
de notre vie sacerdotale, afin de demeurer, ou de retrouver, pour
beaucoup d’entre nous, la joie d’avoir tout donné à l’Église notre
Mère, pour la gloire de Dieu et le Salut du monde.
Père Luc de Bellescize
L’article a été initialement publié sur le site de
Famille chrétienne :
https://www.famillechretienne.fr/38557/article/pere-luc-de-bellescize-toute-volonte-daligner-leglise-sur-le-monde-aggravera-sa
Sources : La
nef -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 28.06.2022
|