Pape et antipape. L'étrange affaire
des élections régionales à Rome et aux environs |
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Rome, le 28 janvier 2010 -
(E.S.M.)
- Emma Bonino, adversaire irréductible de l'Église depuis
toujours, fait campagne pour devenir gouverneur du Latium. Dans le
clergé et chez les catholiques, beaucoup l'appuient, et la hiérarchie
laisse faire. Un intellectuel laïc se rebelle et accuse
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Emma Bonino
Pape et antipape. L'étrange affaire des élections régionales à Rome et aux
environs
Le 28 janvier 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Plus d’un demi-siècle après la lointaine année
1952, de nouveau à l’occasion d’élections régionales toutes proches, un même
danger menace aujourd’hui le diocèse du pape : que le gouvernement civil
dont il relève ne tombe dans des mains hostiles.
Mais aujourd’hui les réactions de l’Église apparaissent bien différentes de
ce qu’elles furent alors.
En 1952, le pape et les autorités vaticanes, très inquiets, intervinrent
personnellement. Craignant la victoire électorale, juste sous les murs du
Vatican, de communistes et de socialistes alors très liés à l'empire de
Moscou, Pie XII ordonna au parti catholique – la Démocratie Chrétienne,
dirigée par Alcide De Gasperi, aujourd’hui en cours de béatification – de
former un front commun avec les partis d’extrême droite au sein d’une liste
civique conduite par le vieux prêtre Luigi Sturzo – lui aussi en cours de
béatification aujourd’hui – et activement soutenue par l'Action Catholique
et ses Comités Civiques.
De Gasperi refusa. Aux élections régionales de Rome il conserva l'alliance
avec les partis laïcs du centre, grâce à laquelle il était au gouvernement
national. Les chiffres lui donnèrent raison. Les communistes et les
socialistes furent battus à Rome.
Mais Pie XII punit De Gasperi de sa désobéissance en refusant de le recevoir
en audience avec sa femme et sa fille Lucia à l’occasion de ses trente ans
de mariage et de l’entrée de sa fille dans les ordres.
LA SURPRISE EMMA BONINO
Aujourd’hui le paysage politique italien est profondément changé. La
Démocratie Chrétienne n’existe plus. Les catholiques sont dilués dans tous
les partis. Le gouvernement national est présidé par Silvio Berlusconi qui,
en ce qui concerne la vie, la famille et l’école, est le leader le plus
proche des attentes de l’Église. Le gouvernement de la région Latium et donc
du diocèse du pape est assuré par une administration de gauche, héritière
lointaine et décolorée du défunt parti communiste.
Cette administration a subi ces derniers mois un coup dur avec la démission
de son président, Giuseppe Marrazzo, impliqué dans des aventures avec
transsexuels et cocaïne. Faute d’un autre candidat issu de leurs rangs, les
partis de gauche ont accepté, pour reconquérir le gouvernement du Latium
lors des élections régionales qui auront lieu dans deux mois, de soutenir l'auto-candidature
à la présidence de région d’une personnalité qui leur est étrangère et qui
symbolise le radicalisme anticatholique le plus poussé, Emma Bonino.
Emma Bonino est un vétéran des "droits de l’homme". Mais elle a toujours
inclus dans ces "droits" – qu’elle a aussi défendus en tant que Commissaire
Européenne – l’avortement, l’euthanasie, les mariages d’homosexuels, la
liberté en matière de drogue, en un mot toute la panoplie de ce que
Jean-Paul II a appelé la "culture de mort". Depuis les années 70 un film
circule qui la montre, toute fière, en train de pratiquer un avortement sur
une femme à l’aide d’une boîte de fer-blanc et d’une pompe à bicyclette.
Comment l’Église réagit-elle au défi que représente la candidature Bonino ?
Sûrement pas comme en 1952. Notamment parce qu’il est aujourd’hui impensable
que le pape en personne dicte aux catholiques le choix d’un "appareil"
politique précis pour affronter le danger.
En effet, depuis cette époque, bien des choses ont changé dans le domaine
politique mais aussi dans l’Église. L’Église d’Italie n’a plus de parti
catholique de référence. Elle agit librement à tous égards. Son combat est
fait de "culture à orientation chrétienne". Grâce à cette liberté et à cet
esprit d’initiative, elle arrive parfois à être plus influente dans la
sphère publique que par le passé. C’est le modèle Ruini, du nom du cardinal
qui a dirigé la conférence des évêques pendant 16 ans, jusqu’en 2007.
Quant à savoir si et comment ce modèle fonctionne aujourd’hui, dans le cas
Bonino, c’est une question très discutée.
"UNE GIFLE À LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE"
Celui qui a lancé la discussion est Giuliano Ferrara, directeur du quotidien
d'opinion "il Foglio", un intellectuel qui n’appartient pas à l’Église mais
soutient vigoureusement, depuis des années, la vision de Karol Wojtyla (Jean
Paul II),
Joseph Ratzinger (Benoît XVI) et Camillo Ruini.
Le déclic lui a été donné par un article très dur contre Emma Bonino paru le
20 janvier dans "Avvenire", le journal de la conférence des évêques
d’Italie. Domenico Delle Foglie, l'auteur de l'article, est un catholique de
premier plan. Il a organisé, à la demande des évêques, le "Family Day" d’il
y a deux ans et dirige le site "Più voce. Cattolici in rete". Il a été
directeur adjoint d’"Avvenire" et, à l’automne dernier, il a été sur le
point d’être appelé à le diriger, à la place de Dino Boffo démissionnaire
et, comme lui, ruinien à tous crins.
Mais avant même que Delle Foglie n’écrive son article, au sein du principal
parti de gauche italien, le Parti Démocrate, la candidature Bonino avait
divisé les catholiques qui en font partie. Deux d’entre eux, Renzo Lusetti
et Enzo Carra, avaient quitté le parti, l’ayant jugé invivable. D’autres, au
contraire, comme Franco Marini et Maria Pia Garavaglia, avaient approuvé la
candidature Bonino, allant jusqu’à la recommander comme étant "capable
d’agir sur des sujets et des programmes importants pour les électeurs
catholiques".
Contre ces catholiques "conciliants" et "naïfs", Delle Foglie a écrit
qu’Emma Bonino incarne au moins trois dangers graves.
Le premier est symbolique : c’est une "gifle à la communauté chrétienne"
donnée par quelqu’un qui est un "exemple d’hostilité militante envers la
vision chrétienne de l’homme et du monde".
Le deuxième danger est que, si elle gagnait les élections, la nouvelle
présidente Bonino se mettrait au travail pour faire du Latium "le
laboratoire de tous les zapaterismes", du nom de l’hyper-laïc premier
ministre espagnol.
Le troisième est la "souveraine hypocrisie" dont Emma Bonino fait preuve dès
la campagne électorale, quand elle promet d’agir "avec et pour les
catholiques", alors qu’elle a passé sa vie à lutter contre l’Église.
Le lendemain de la publication de cet article dans "Avvenire", Ferrara a
totalement approuvé, en première page du "Foglio", ce qu’avait écrit Delle
Foglie. Mais en même temps il s’est insurgé contre le journal des évêques
parce que celui-ci avait caché cet article en page 11, parce qu’il l’avait
déclassé au rang d’opinion personnelle de son auteur, parce que, en un mot,
il avait fait preuve de timidité dans le traitement d’une question
concernant non pas des plans d’urbanisme ou autres affaires prêtant à
discussion, mais ces principes suprêmes qualifiés par le pape lui-même de
"non négociables".
En somme, concluait Ferrara en faisant allusion à l’attitude de l’Église en
1952 et avant cette année-là : "Plutôt les Comités Civiques d’alors que le
timide 'Avvenire' d’aujourd’hui".
VITERBE. MAIS EST-CE QUE CE N’ÉTAIT PAS LA CITÉ DES PAPES ?
Le lendemain, le directeur d’"Avvenire", Marco Tarquinio, a répondu à
Ferrara. Qui a répondu à la réponse le jour suivant, en confirmant ses
critiques. Mais, entre temps, "il Foglio" a fait autre chose. Il a envoyé
une talentueuse journaliste, Marianna Rizzini, explorer les diocèses de la
région Latium, pour savoir ce que les prêtres et les fidèles pensaient de la
candidate Bonino.
Le verdict du premier diocèse exploré, celui de Viterbe, a été impitoyable.
Le titre : "L’Église de base est avec Emma. Enquête à Viterbe. Opinion
catholique massivement, parfois ardemment, en faveur de la candidate
pro-avortement, pro-divorce, pro-euthanasie, qui a dit que l'embryon était
'un grumeau inerte'. Distinguos rares et timides".
En effet, dans le reportage de Marianna Rizzini à Viterbe, les seuls à
prendre parti contre Emma Bonino étaient les "missionnaires" du Mouvement
pour la Vie, qui consacrent leur vie à faire naître les enfants, pas à faire
des avortements.
Le deuxième reportage de la série, dans le diocèse de Frosinone, a été à
peine plus réconfortant.
LA PAROLE AUX ÉVÊQUES : BAGNASCO ET NEGRI
C’est alors que sont intervenus les évêques. Le premier, Angelo Bagnasco,
est le cardinal qui a succédé à Ruini à la présidence de la conférence des
évêques d’Italie (CEI). Dans le discours inaugural par lequel il a ouvert,
le 25 janvier, la session d’hiver du conseil permanent de la CEI, Bagnasco a
dit qu’il avait un "rêve" :
"Je voudrais que cette saison contribue à faire apparaître une nouvelle
génération d’Italiens et de catholiques qui, tout en étant préoccupés par la
culture actuelle et en s’équipant pour y prendre une place raisonnable,
considèrent la chose publique comme importante et élevée parce que capable
de marquer le destin de tout le monde, et qui soient prêts à donner pour
elle le meilleur de leurs pensées, de leurs projets, de leur journées. Des
Italiens et des croyants qui sentent que la responsabilité devant Dieu est
décisive pour l’action politique".
Et aussi :
"Nous voudrions que les valeurs qui forment la base de la civilisation − la
vie humaine de quelque façon qu’elle se présente et où qu’elle palpite, la
famille constituée d’un homme et d’une femme et fondée sur le mariage, la
responsabilité éducative, la solidarité envers autrui, en particulier les
plus faibles, le travail comme possibilité de réalisation personnelle, la
communauté comme bon destin qui réunit les hommes et les rapproche du but −
forment aussi le principe rationnel de toute autre activité et que ces
catholiques jugent donc impossible d’y renoncer tant dans la phase de
programmation que dans celle de vérification".
Bagnasco n’a rien ajouté à propos de l’affaire Bonino. Mais un prélat qui ne
fait pas partie du conseil permanent, Luigi Negri, évêque de Saint-Marin et
de Montefeltro, milanais et, dans sa jeunesse, proche collaborateur de Luigi
Giussani, le fondateur de Communion et Libération, en a dit beaucoup plus.
Dans une interview accordée à Paolo Rodari et publiée dans "il Foglio" du 26
janvier, Negri a dit qu’une limite de l’Église d’Italie est qu’elle ne sait
pas toujours rendre opérationnel le magistère, pourtant très clair, des deux
derniers papes :
"Pourquoi, face à une candidature dirigée ouvertement contre l’Église, une
partie du monde catholique se montre-t-elle dénuée d’esprit critique ? Je me
suis posé cette question après avoir lu l’enquête du 'Foglio' à Viterbe, qui
montre que, pour beaucoup de catholiques, la candidature d’Emma Bonino dans
le Latium ne pose pas de problème. Si on faisait la même enquête dans
d’autres régions, ou dans toutes les régions d’Italie, le résultat serait le
même qu’à Viterbe. Parce qu’il y a une donnée unique qui doit être prise en
considération : nous sommes en train de créer des générations absolument
incapables d’un jugement critique sur les choses. En lisant l’enquête du 'Foglio'
j’ai pensé à ce verset de la Bible, Jérémie 31, qui dit : ‘Les pères ont
mangé des raisins verts et les dents des fils en sont agacées’. Je
m’interroge : avons-nous su favoriser, ces dernières années, l’expression
d’une vraie culture de la foi ? Ou bien une génération pour qui le dialogue
passe avant l’identité a-t-elle grandi parmi nous, sous nos yeux ? Parfois
il semble que le dialogue que nous établissons avec les incroyants ne soit
rien d’autre qu’une reddition sans conditions. Au nom du dialogue, nous
oublions qui nous sommes. Et quand nous oublions qui nous sommes, ce sont
toujours les autres qui ont raison, qui gagnent”.
Pour Mgr Negri il faut repartir de ce que prêchent Benoît XVI et la
conférence des évêques d’Italie :
"Depuis dix ans, les évêques parlent d’une urgence en matière d’éducation.
Tout le monde doit travailler à cette urgence parce que ce n’est qu’ainsi
que les catholiques d’aujourd’hui et de demain pourront apprendre à juger et
à défendre leur identité. Ce n’est qu’ainsi que les catholiques pourront
comprendre que le moment est venu de sortir de la nuit où tous les chats
sont gris et toutes les identités de la même couleur. Un moment, en un mot,
où même l’examen critique des candidats aux élections sera plus simple”.
LA POLÉMIQUE CONTINUE
Le même jour, dans "Avvenire", un autre catholique en vue, Pio Cerocchi,
critiquait de nouveau avec sévérité ces hommes politiques catholiques
présents au Parti Démocrate qui avaient accepté passivement la candidature
Bonino.
Cette fois encore, en page intérieure et comme opinion personnelle.
Le texte intégral du discours inaugural du cardinal Angelo Bagnasco
au conseil permanent de la conférence des évêques d’Italie, le 25 janvier
2010
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"Venerati e cari confratelli..."
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 28.01.2010 -
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