Ce qu’il y a de plus important, de
plus nécessaire, c’est de prier pour comprendre |
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Le 27 novembre 2008 -
(E.S.M.)
- La prière, unie à une lecture éclairée par le Credo des apôtres, sont
pour saint Augustin les deux grands critères qui permettent de
comprendre les Saintes Écritures.
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Saint Augustin -
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"Ce qu’il y a de plus important, de plus nécessaire, c’est de
prier pour comprendre"
Interview de Nello
Cipriani par Lorenzo Cappelletti
Le 27 novembre 2008 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- La raison de notre entretien avec le père Cipriani, que
nous trouvons dans son bureau de l’Institut Augustinianum, en
deçà de la colonnade de Saint-Pierre, c’est le sujet du récent Synode
des évêques convoqué par le pape Benoît XVI : “La
Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église”.
Comme toujours, nous trouvons le père Cipriani au travail, plongé dans
des recherches entamées depuis longtemps, recherches qui non seulement
tendent à démentir l’opinion commune selon laquelle l’empreinte
néoplatonicienne serait restée dominante chez saint Augustin, même après
sa conversion, mais qui sont aussi en mesure de démontrer qu’Augustin
utilise parfois, sans l’ombre d’un doute, une terminologie
aristotélicienne, qu’il emprunte à Varron et à d’autres auteurs. Dans ce
procédé, qui le voyait recourir à une tradition philosophique non
univoque, mais éclectique, Augustin était justement guidé par le
sensus fidei acquis grâce à sa conversion, nous dit le père
Cipriani.
Nous sommes désolés d’arracher le père Cipriani à son travail, mais son
exquise gentillesse nous tire d’embarras.
Quelle est,
fondamentalement, l’attitude de saint Augustin par rapport aux Saintes
Écritures ?
NELLO CIPRIANI: Saint Augustin tenait les Saintes Écritures en très
haute considération, il les considérait comme une lettre que Dieu avait
envoyée aux hommes pour qu’ils puissent connaître la voie du salut. Il
pensait qu’elles étaient un grand et véritable don de Dieu fait aux
hommes et, qu’en tant que don de Dieu, elles étaient inspirées par
l’Esprit Saint, au point qu’elles pouvaient enseigner ce qui est
nécessaire au salut sans l’ombre d’une erreur. Cette nature de don
rendait justement indispensable à ses yeux, pour lire et pour comprendre
les Saintes Écritures, une bonne disposition intérieure: en d’autres
termes, il estimait que la prière était nécessaire, pour les savants
comme pour les autres. Il écrit dans son De doctrina christiana:
« Il faut exhorter ceux qui s’appliquent aux Saintes Lettres non
seulement à savoir reconnaître les différents genres littéraires dans
les Écritures, mais aussi – et c’est la chose la plus importante et la
plus nécessaire – à prier pour comprendre
(praecipue et maxime orent ut intelligant)
» (III, 37, 56).
Comprendre les Écritures, ce n’est pas seulement le résultat d’une étude
scientifique, comme dans d’autres arts, mais c’est avant tout le fruit
recueilli par celui qui se met devant la Parole de Dieu avec docilité,
avec humilité et, je le répète, dans l’attitude de celui qui supplie,
qui invoque. Augustin écrit dans les Confessions: « Vraiment, nous ne
connaissons pas d’autres livres qui brisent si bien l’orgueil, qui
jugulent si bien l’adversaire qui se défend, hésitant à se réconcilier
avec Toi parce qu’il défend ses péchés. Je ne connais pas, Seigneur, je
ne connais pas d’expressions aussi pures et capables de m’encourager à
la confession, capables de plier ma nuque sous ton joug et de me pousser
à un culte désintéressé. Fais en sorte que je les comprenne, ô bon Père;
accorde-le moi, puisque je me suis soumis à Toi, puisque Tu les as
rendues solides comme de la roche
(solidasti) pour ceux
qui se soumettent à Toi »
(XIII, 15, 17).
Augustin a-t-il
commencé à connaître le christianisme à travers les Écritures ou, au
contraire, a-t-il appris à connaître celles-ci au fur et à mesure, après
sa conversion ?
CIPRIANI: Augustin s’est tourné vers les Saintes Écritures pour la
première fois à la suite de la lecture du dialogue cicéronien Hortensius,
qu’il a fait dans ses années de jeunesse. Ce livre, qui allait à la
recherche de la sagesse, l’avait enthousiasmé et Augustin a
immédiatement associé la recherche de la sagesse au Christ, dont il
avait sucé le nom, dit-il dans les Confessions, avec le lait de sa mère
lorsqu’il était enfant. Mais en même temps que du nom du Christ, il
s’est souvenu des Saintes Écritures. Ceci est le signe qu’il avait reçu
de sa mère non seulement l’amour pour le nom du Christ, mais aussi pour
les Saintes Écritures. Il avait déjà reçu, naturellement comme un enfant
peut la recevoir, une éducation marquée par cette ouverture au Christ et
aux Écritures.
Avait-il déjà un
certain pressentiment de l’accomplissement des Écritures dans le Christ
?
CIPRIANI: Dans ses œuvres de la maturité, saint Augustin dit souvent que
les Saintes Écritures dans leur ensemble, l’Ancien Testament comme le
Nouveau, parlent du Christ. « Toute notre attention, quand nous
écoutons un psaume, un prophète, la Loi […] tend à y voir le Christ, à y
reconnaître le Christ »
(Enarrationes in psalmos 98, 1).
Les Écritures tout entières sont Parole de Dieu, Parole qui s’est faite
chair dans le Christ. C’est dans sa pleine maturité que pour Augustin,
la Parole de Dieu et le Christ sont devenus indissolubles. Certes, il
faisait déjà étroitement cette association au temps de sa première
jeunesse, mais elle n’était pas encore aussi développée.
Dans cette
évolution du rapport avec les Saintes Écritures, quel changement produit
son ordination sacerdotale d’abord, épiscopale ensuite ?
CIPRIANI: Les Saintes Écritures ont déjà joué un rôle décisif dans sa
conversion. La lecture de Paul, surtout, lui a révélé « cette charité
qui édifie sur le fondement de l’humilité, c’est-à-dire Jésus-Christ
» (Confessions VII, 20, 26).
Mais pendant toute la période au cours de laquelle il est resté laïc, et
dans tous les Dialogues qu’il a écrits au cours des années précédant
393-394, Augustin ne s’est jamais appliqué de manière approfondie et
critique aux Écritures. Il voulait faire une philosophie chrétienne qui
se fasse guider et éclairer, certes, par la foi chrétienne, mais qui
résolve ses problèmes sur le plan de la rationalité: à l’époque, il
s’entretenait essentiellement, et toujours sur le plan de la rationalité
pure, avec les philosophes de l’antiquité; les Saintes Écritures
restaient complètement en marge. Dans ses Dialogues, il n’en appelle
presque jamais à l’autorité des Écritures pour prouver une de ses
thèses. Avec l’ordination sacerdotale, en revanche, Augustin a compris
qu’il était devenu dispensator Verbi et sacramenti et il a donc
tout de suite senti le besoin d’approfondir tout le contenu des
Écritures pour pouvoir enseigner la voie chrétienne aux fidèles. C’est
justement pour cette raison qu’il a demandé à son évêque une brève
période d’étude au cours de laquelle il a mûri une nouvelle conception
de la connaissance parfaite de Dieu. Avant son ordination sacerdotale,
Augustin pensait qu’il pouvait arriver immédiatement à cette
connaissance à travers la raison éclairée par la foi. Avec l’ordination,
il comprend que l’approfondissement critique des Écritures constitue une
étape irremplaçable. Il écrira dans De civitate Dei: « Nous
prêtons foi aux Écritures que l’on appelle canoniques et qui ont une
très grande autorité en ce qui concerne ces choses que l’on ne doit
ignorer et que d’ailleurs nous ne pouvons atteindre par nous-mêmes »
(XI, 3). À partir de ce moment,
les Écritures sont au centre de toute la réflexion et de l’étude
d’Augustin, non seulement lorsqu’il écrit des œuvres exégétiques, mais
aussi dans tous ses autres écrits: c’est toujours des Saintes Écritures
qu’il tire son inspiration; les Écritures deviennent la base de ses
échanges avec les donatistes, avec les pélagiens, avec tous. À partir de
son ordination sacerdotale, Augustin devient un tractator divinarum
Scripturarum, c’est-à-dire un commentateur des Écritures au sens
large du terme. Cette science, comme il l’appelait, devait servir à
renforcer la foi chez les fidèles, à l’approfondir et à la défendre de
toutes les objections que pouvaient faire les païens ou encore des
erreurs des hérétiques. C’est justement sur la base de la définition de
la théologie comme science des Écritures que saint Thomas, au début de
sa Somme, appellera la théologie sacra doctrina, en citant les mots de
saint Augustin, tirés du De Trinitate. En général, on fait
remonter la distinction entre philosophie et théologie à saint Thomas ou
à la scholastique. En réalité, saint Thomas s’inspirait de saint
Augustin.
Quels critères
suit saint Augustin du point de vue de l’interprétation des Écritures ?
S’inspire-t-il de quelqu’un en particulier ?
CIPRIANI: Il faut avant tout mettre l’accent sur le fait que le respect,
la vénération pour les Écritures se transforment, chez Augustin, en une
attitude de prière face à celles-ci. Pour comprendre les Écritures, il
prie Dieu de l’éclairer. Cette attitude d’humilité, de prière, de
docilité est fondamentale. Il écrit, dans les Enarrationes in psalmos:
« Si tu ne comprends pas une chose, si tu comprends peu ou si tu ne
pénètres pas à fond, honore les Écritures de Dieu, honore la Parole de
Dieu, même si elle n’est pas claire pour toi. Remets-en la compréhension
à plus tard, avec dévotion. Ne t’entête pas à accuser les Écritures
d’obscurité, voire de fausseté. Il n’y a là rien de faux. S’il y a
quelque chose d’obscur, ce n’est pas pour te le refuser, mais pour que
tu te disposes à l’accueillir. Donc, lorsqu’il y a quelque chose
d’obscur, c’est le Médecin qui l’a fait, de sorte que tu frappes à la
porte; il l’a voulu pour que tu te disposes à frapper »
(146, 12). Et puis, justement
parce qu’Augustin est sûr que les Écritures sont la Parole de Dieu et
parlent toujours et seulement du Christ, il met en évidence l’importance
du fait qu’elles soient lues à la lumière de la foi de l’Église telle
qu’elle est exprimée dans le Symbole de foi. Il parle de la regula
fidei comme critère herméneutique pour lire l’Ancien et le Nouveau
Testament, et après ce double critère fondamental, il offre quelques
autres règles d’interprétation. Mais je m’empresse de dire que, d’après
Augustin, il y a certes de nombreux textes difficiles dans les Écritures
(de manière voilée, l’Ancien Testament recèle en quelque
sorte un peu tout le Nouveau Testament, le Christ et l’Église: en ce
sens, les Écritures forment un livre difficile à comprendre),
mais qu’il n’en pensait pas moins que celles-ci contenaient de très
nombreux passages parfaitement clairs et que ce sont justement ceux-ci
qui parlent des principales vérités de la foi chrétienne, au point que
le Credo n’est autre que leur fruit, formulé avec autorité par l’Église
sur la base de l’enseignement des Écritures. En somme, il y a une partie
des Écritures qui n’a pas besoin de grands efforts d’interprétation.
Naturellement, Augustin mettait l’accent sur la nécessité de lire les
Écritures dans leur ensemble: on ne peut pas prendre un texte en le
séparant de tout le reste pour en retirer une vérité en opposition avec
d’autres affirmations qu’elles contiennent ailleurs. Augustin jugeait
également que, pour lire les Écritures avec profit, il faut se servir
des connaissances de toutes les sciences, y compris celles du monde
physique, du monde végétal et animal, et recourir, plus généralement, à
tous les instruments scientifiques qu’offrait la culture de son temps.
Je pense que pour Augustin, ouvert à tous les apports, à toutes les
contributions de la culture de son temps, il n’aurait pas été difficile
d’accepter la méthode historico-critique. Par exemple, Augustin
n’éprouve aucune difficulté à accepter, d’un donatiste comme Ticonius,
certaines indications méthodologiques pour l’exégèse des Écritures, même
s’il en critique certains aspects.
On constate certaines analogies avec notre temps. La méthode
historico-critique ne naît pas dans un milieu catholique.
CIPRIANI: Il y a encore un aspect que je voudrais souligner, parce qu’il
me semble particulièrement actuel. Dans la période où il avait été
manichéen, saint Augustin avait pu constater l’absurdité des livres
manichéens, qui prétendaient expliquer tous les phénomènes naturels, y
compris ceux de l’astronomie, comme les phases lunaires, les éclipses de
la lune, du soleil et d’autres encore, en recourant au mythe de la lutte
entre le bien et le mal. Il s’est rendu compte que ces soi-disant
explications non seulement n’expliquaient pas tout, mais qu’elles
étaient en contradiction avec celles, beaucoup plus sérieuses et
documentées, des savants de l’antiquité et des philosophes naturalistes
qu’il avait lus. Cette expérience négative a justement été l’une des
raisons pour lesquelles il a abandonné le manichéisme. Il s’est rendu
compte que ce dernier, qui lui avait promis de le conduire à la vérité
sans la soumission à la foi, l’avait trompé, parce qu’il lui avait fait
croire à un tas d’histoires déraisonnables. Et donc, lorsqu’il a
commencé à lire et à expliquer les Écritures, et surtout la Genèse, il
s’est souvenu de cette leçon et il est parvenu à des affirmations qui
ont été très utiles à Galilée lorsque celui-ci a voulu présenter ses
théories, ses découvertes comme n’étant pas contraires à la foi
chrétiennes. Augustin disait en substance que les Écritures n’ont pas la
prétention d’enseigner aux hommes comment le monde est fait, et qu’elles
ne veulent pas se substituer à la science. Les Écritures veulent nous
enseigner la voie du salut, ce qui est nécessaire pour vivre avec
droiture et pour être sauvé. Lorsque les Écritures parlent du ciel, de
la terre, de la création, on ne doit pas les lire comme si elles
voulaient se substituer à la science. Cette leçon me semble très
importante. Et il aurait été très important qu’au XVIIème siècle, les
théologiens ou ceux qui ont condamné Galilée en aient tenu compte. Mais
elle est utile aujourd’hui pour nous aussi, qui nous trouvons dans cette
crise entre science et Écritures, entre science et foi, à propos par
exemple de la théorie de l’évolution. Je crois qu’Augustin prendrait une
attitude de dialogue, et non pas de refus a priori de cette théorie.
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Sources : Interview de Nello Cipriani
-
(E.S.M.)
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27.11.2008 -
T/Synode
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