Benoît XVI et Urs von Balthasar, une
amitié qui n'est pas due au hasard |
 |
Le 26 mai 2009 -
(E.S.M.)
- Conférence donnée par Dom Karl
Joseph Wallner le 4 mai 2009 au Congrès "Liturgie et vie psychique" qui
s'est tenu à l'abbaye cistercienne d'Heiligenkreuz cum permissio, 2ème
partie.
|
Urs von BalthasarI
Benoît XVI et Urs von Balthasar, une
amitié qui n'est pas due au hasard
Beauté de la liturgie - Beauté de l'âme
Le 26 mai 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- Conférence donnée par Dom Karl
Joseph Wallner le 4 mai 2009 au Congrès "Liturgie et vie psychique" qui
s'est tenu à l'abbaye cistercienne d'Heiligenkreuz cum permissio
(Suite)
Lire la première partie
►
Pour Benoît XVI, la liturgie est la clé pour l'avenir de la foi chrétienne
a) Le rubricisme
L'une des erreurs qu'on introduit dans la liturgie procède d'un rubricisme
purement formel. En latin, "rubrum" signifie "rouge"; les
rubriques sont les passages écrits en rouge dans les livres liturgiques,
passages qui donnent des indications concrètes pour le bon déroulement de
l'Office divin. Elles précisent où se tient le prêtre, comment il se
déplace, ce qu'il fait de ses mains... bref quels gestes et quels rites il
doit effectuer, comment et quand.
C'est une obéissance stricte à ces rubriques qui a conduit la liturgie issue
du Concile de Trente à déployer ce faste impressionnant qu'on lui connaît.
Autrefois, dans les séminaires, l'objet principal de la formation des futurs
prêtres était l'apprentissage du déroulement de rites parfois très
complexes.
Vus sous l'angle psychologique, les rituels sont sécurisant car ils font de
la liturgie une patrie, c'est-à-dire un milieu dans laquelle le fidèle se
sent chez lui. Comme une ossature, les rituels soutiennent cette dimension
spirituelle qui, en nous, fait que l'on puisse se tourner vers le divin.
Mais attention: ces rituels peuvent - et c'était souvent le cas autrefois -
devenir une espèce de camisole lorsqu'ils conduisent à penser que la seule
forme extérieure de la liturgie puisse tenir lieu de fond. La conséquence
d'un tel rubricisme est alors l'émergence d'un malaise d'ordre psychologique
qui semble avoir totalement disparu aujourd'hui, à savoir le scrupule
liturgique. C'était un défaut très répandu chez les clercs avant le Concile:
il était certainement en rapport étroit avec la rigueur qui caractérisait
les rubriques dans le missel tridentin. Le "scrupule rubriciste"
était alors le symptôme d'un mal plus profond conduisant à prendre la
liturgie davantage comme la réalisation exacte d'un cérémonial dû à Dieu que
comme une prière aimante accomplie "en esprit et en vérité". On voyait alors
certains prêtres prononcer les paroles de la consécration avec une lenteur
anxieuse, parfois même les répéter plusieurs fois pour être certains d'avoir
bien consacré le pain et le vin. Je pourrai citer ici de nombreuses
anecdotes qui, bien qu'amusantes, témoignent pourtant d'une telle déviation
. Par exemple, celle d'un prêtre malade et alité, lisant dans son bréviaire
l'indication "hic genuflectatur" - ici on fait une génuflexion - et
qui pliait effectivement ses genoux dans son lit pour satisfaire à la
rubrique! Remarquons aussi qu'on disait autrefois "persolvere", pour
signifier qu'on s'était "acquitté" de son bréviaire, et "perficere"
pour dire qu'on avait correctement "exécuté" une cérémonie.
Le "ritualisme rubriciste" est une erreur dans la mesure où il considère que
l'action de la liturgie sur l'âme n'est tributaire que de la forme
extérieure du rite. Dans son respect scrupuleux de la loi, il s'apparente au
pharisaïsme que Jésus lui-même a critiqué.
b) L'anti-esthétisme.
La seconde déviation touchant la liturgie arriva dans les années 60: elle a
consisté en un renversement des valeurs faisant passer la liturgie d'un
esthétisme des formes à son exact contraire. Je ne suis ni un philosophe, ni
un spécialiste de l'esprit du temps, mais ne pourrait-on pas résumer
l'évolution qui a eu lieu au cours de ces années-là par la formule:
"Méfie-toi de la beauté"? "Méfie-toi de tout ce qui est bien ordonné"?
Je pense que l'une des tâches du Concile aura été de redonner une âme à la
liturgie, de purifier certaines formes usées en revenant à l'essentiel, de
redonner à la liturgie sa forme spirituelle et spiritualisante qu'elle avait
à l'origine. Pour moi, ce qu'à dit Romano Guardini, le "grand"
Guardini, en 1922: "Nous assistons à l'éclosion de quelque chose dont
nous ne pouvons encore que soupçonner l'importance: c'est l'éveil de
l'Eglise dans les âmes", s'applique aussi à la liturgie. Cette citation
bien connue est d'ailleurs une sorte de raccourci de l'immense écho qu'eut
dans le monde son premier livre, ce petit ouvrage intitulé "L'esprit de
la Liturgie" paru en 1921.
Le Concile voulait obtenir plus d'intériorité dans la liturgie: il décida
donc de prendre comme thème principal de sa réforme la "participatio
actuosa, conscia et plena", c'est-à-dire la participation active et
pleinement consciente du peuple de Dieu à la liturgie. Les Pères
conciliaires, préparés à cela par divers mouvements liturgiques qui étaient
devenus populaires, ont œuvré pour un véritable renouveau de la liturgie qui
devait se faire en se détournant de ce qui n'était souvent plus qu'une
affaire de clergé, de musiciens et de servants d'autel; la liturgie devait
devenir l'objet d'une participation consciente et festive de tous les
croyants; elle ne devait plus être seulement cette belle fête dont la beauté
restait toute extérieure et dont les fidèles pensaient tirer profit
simplement en laissant le prêtre célébrer, les servants d'autel servir, et
les musiciens faire de la musique.
Mais la "révolution culturelle" qui émergea après Vatican II ne
répondit pas aux aspirations conciliaires: elle engendra plutôt une
destruction de la "beauté de la liturgie": une destruction qui ne
peut être qualifiée de post-conciliaire car elle procède plus sûrement d'un
esprit "anti-conciliaire". Ce n'est pas le Concile qui a nié les
notions de beauté et d'ordre dans la liturgie, mais bien la mentalité des
années 68, laquelle porta son influence malheureuse sur la phase de mise en
œuvre des décisions du Concile.
Indubitablement, il y avait eu avant le Concile un moment où la beauté
liturgique était devenue une esthétique froide et sans âme qui condamnait
les fidèles à une consommation passive de cérémonies aussi bien
chorégraphiées que mal comprises. Pourtant je conteste l'idée que le Concile
ait voulu, à travers cette idée de "participation active", promouvoir un
mouvement dont le but premier aurait été d'effacer la frontières entre le
sacré et le profane. Les idées de la génération "Post-Woodstock" des années
70 nous donnent aujourd'hui l'impression, un peu grotesque, que
l'architecture religieuse se devrait d'imiter la banalité des lieux de vie
ordinaires. Mais à cette époque, la grande idée était justement de faire
entrer le profane dans l'Eglise - et avec lui une certaine banalité sans
souci de beauté -. Ce fut le moment où l'on bannissait l'image pieuse, jugée
"kitsch": à sa place fut introduit l'abstraction souvent cryptée,
voire la laideur provocante.
Tous, nous devons nous interroger aujourd'hui en toute honnêteté:
n'avons-nous pas fait entrer dans la liturgie trop de choses profanes, - que
ce soit dans l'architecture de nos églises, ou dans la musique religieuse,
ou encore dans les attitudes et les vêtements liturgiques - , au point que
les fidèles ont préféré rester carrément hors des églises pour être libres
de se fabriquer leurs propres univers "sacro-sécularisés"?
Ces réflexions m'amènent à nouveau à Urs von Balthasar et, par lui, à Benoît
XVI: la "beauté" est une marque de transcendance, c'est-à-dire
qu'elle est une propriété que nous sommes capables de saisir intuitivement
et qui peut s'exprimer sur chaque rive du gouffre existentiel séparant le
divin de notre monde limité.
Si la beauté de ce monde peut me procurer de la joie, du ravissement, si
elle me fascine, me transporte, me fait frémir, m'élève... alors combien
plus la beauté de Dieu doit-elle m'impressionner, elle qui n'est pas simple
beauté, mais "kabod", c'est-à-dire "gloire" par essence? Notre
raison naturelle aurait-elle tort de juger que le summum de la Beauté se
trouve en Dieu? Je ne le pense pas. Mais alors, reconnaissons que la
dégradation, et pire encore, le bannissement de toute beauté hors du culte
n'est qu'une impasse. Autrement dit: si la liturgie n'est pas belle,
qu'est-ce qui pourra l'être?
En fait, j'aurais pu m'épargner toute ces réflexion préliminaires, puisque
nous nous trouvons à nouveau au seuil d'un profond changement à l'intérieur
de l'Eglise. De même qu'on est passé d'un modernisme aux couleurs de béton
gris à un post-modernisme luxuriant et coloré - faisant penser aux œuvres
bariolées de l'architecte viennois Friedensreich Hundertwasser - ainsi le
thème de la beauté en liturgie est à nouveau un sujet d'actualité. Les temps
changent: il n'y a pratiquement plus que des curés d'un certain âge pour
aimer porter des aubes "sacs à patates" par-dessus leurs pulls à cols
roulés d'un autre siècle, tandis que les vicaires d'aujourd'hui apparaissent
en col romain, qu'ils combinent souvent sans problème avec un jean dernier
cri.
Partout on organise des colloques, des conférences, des entraînements
pratiques sur le thème de l' "Ars celebrandi", et l'on y refuse du monde!
Dans mon expérience de formateur, je rencontre avec joie une nouvelle
génération de prêtres et de jeunes religieux, qui savent apprécier
l'esthétique formelle de la liturgie: non pas dans un esprit de rubricisme
étroit, mais par choix, en toute liberté et maturité spirituelle.
(Je ne comprends d'ailleurs pas comment il se fait que les "soixantehuitards
attardés" soient si tristes devant ces changements, eux qui ont toujours
milité pour la non-conventionalité et la liberté. Il faudra qu'ils s'y
fassent: les jeunes sont autrement plus modernes en regard de ce que les
années 68 auraient voulu définir par le terme "modernité".)
Mais revenons à Benoît XVI, dont l'amitié avec Urs von Balthasar, auteur de
l'ouvrage intitulé "La Splendeur théologique", n'est pas due au
hasard. Pour Benoît XVI, la dimension esthétique de la liturgie est un sujet
de première importance: cela se voit déjà dans sa Lettre post-synodale du 22
février 2007 sur le thème de l'Eucharistie "Sacramentum
Caritatis". On y trouve un paragraphe traitant du rapport entre la
beauté et la liturgie, où il décrit la Beauté comme une valeur théologique
et liturgique. Lisons ce passage: "La beauté de la liturgie (...) est
expression très haute de la gloire de Dieu et elle constitue, en un sens, le
Ciel qui vient sur la terre. Le mémorial du sacrifice rédempteur porte en
lui-même les traits de la beauté de Jésus dont Pierre, Jacques et Jean ont
donné témoignage quand le Maître, en marche vers Jérusalem, voulut être
transfiguré devant eux (cf. Mc 9, 2). Par
conséquent, la beauté n'est pas un facteur décoratif de l'action liturgique;
elle en est plutôt un élément constitutif, en tant qu'elle est un attribut
de Dieu lui-même et de sa révélation. Tout cela doit nous rendre conscients
de l'attention que nous devons avoir afin que l'action liturgique
resplendisse selon sa nature propre."
Pour lire la suite :
Cliquez
Sources : Pro
Liturgia
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 26.05.09 -
T/Liturgie |