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Benoît XVI a pressenti ce qu'il appelait la dictature du relativisme
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Le 25 avril 2023 -
E.S.M.
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L'Église est sainte dans son mystère. Mais si elle ressemble à
une tour de Babel, il n'y a aucune chance qu'elle parvienne à
relever le grand défi du relativisme contemporain. Nous pouvons
remercier Benoît XVI d'avoir su discerner avec acuité ce qu'il
nommait la «
dictature du relativisme
». À rebours du subjectivisme ambiant, l'Église doit savoir dire la
vérité, avec humilité, respect et clarté.
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Benoît XVI répondant aux
séminaristes
Des voix s'élèvent souvent pour appeler à une nouvelle et véritable
application de la collégialité dans l'Église. Comment voyez-vous ce problème
?
Les changement sociaux provoqués dans le monde par le progrès
et les avancées technologiques, les nombreuses questions intéressant
l'Église, telles que l'harmonisation de la discipline en son sein, la
transmission de la doctrine chrétienne, la mise en œuvre des moyens
catéchétiques, l'évangélisation d'un monde de plus en plus complexe, la
crise touchant la famille et le mariage, la formation des laïcs et des
futurs prêtres, l'éducation de la jeunesse, dépassent aujourd'hui les
limites d'un diocèse. Aucune solution purement
diocésaine n'est suffisante. Pour répondre à l'évolution d'une
société globalisée, il faut analyser ensemble les phénomènes, et donner des
solutions qui éclairent et engagent l'épiscopat d'une nation, voire de
plusieurs pays ou même d'un continent.
Cela n'est pas nouveau. Dans l'Eglise, il y a toujours eu une
volonté de se concerter au niveau hiérarchique pour examiner les questions
importantes en vue d'une prise de position commune des évêques. De telles
mesures portent aujourd'hui sur des situations et des questions
quotidiennes.
Les compétences et la validité des décisions des conférences
épiscopales sont assurément définies par le droit général ou par un mandat
spécial du Saint-Siège. Il n'en demeure pas moins que la responsabilité
doctrinale incombe à chaque évêque dans son diocèse et au siège de Pierre
pour toute l'Eglise, en même temps que chaque successeur des apôtres porte
une responsabilité à l'égard de toute l'Église.
La nécessaire concertation collégiale ne supprime donc pas
l'autonomie et la responsabilité de l'évêque dans son diocèse. Aucun ne doit
se sentir obligé ou forcé par la décision collégiale de l'épiscopat, surtout
lorsque des pressions et des campagnes sont organisées pour exercer une
influence sur certaines personnes en vue d'imposer un point de vue non
spirituel mais idéologique. La collaboration épiscopale devient déficiente
si elle est biaisée par des visées politiques. Chaque
évêque est responsable devant Dieu de la façon dont il s'acquitte de sa
charge épiscopale auprès du troupeau dont l'Esprit-Saint l'a établi gardien.
La collégialité devrait être à la fois affective et
effective. Le pire réside certainement dans l'indifférence à l'avis des
autres, quand un évêque s'enferme dans son diocèse sans tenir compte de
l'expertise de ses frères. Les synodes, qui constituent une forme très
aboutie de l'actualisation de la collégialité, sont de grands moments de la
vie de l'Église. Mais les différentes instances ne doivent pas démobiliser
les évêques ni leur donner le sentiment que leurs pouvoirs d'appréciation
sont amoindris. Les grandes assemblées ne peuvent pas
non plus écouter les beaux parleurs seulement, les plus «
intelligents », les experts qui impressionnent,
étouffent et imposent. La crainte d'une éventualité de se voir
imposer des idées et des positions idéologiques a fait dire, non sans
ironie, aux opposants de la collégialité que jamais les apôtres n'ont agi
collégialement. La seule et unique fois où ils ont
pratiqué la collégialité, c'était à Gethsémani... Les Évangiles disent qu'«
alors les disciples abandonnèrent tous Jésus et prirent la fuite » (Mt
26, 56). Pourtant, les Actes des Apôtres nous décrivent l'action
concordante de ceux-ci, surtout après la Pentecôte. Ils vont ensemble en
prison, et ils demeurent à Jérusalem pendant la persécution. De même, ils
convoquent le premier concile de Jérusalem pour examiner la question de la
circoncision des païens devenus chrétiens (Ac 15, 6).
Le pape François aimerait relancer la collégialité, et je
pense qu'il a raison. La centralité romaine a permis des réalisations
importantes, mais elle peut aussi conduire à une forme de sclérose. Car si
la responsabilité de l'évêque est affaiblie, il y a un problème de
confiance. Celle-ci doit être entretenue comme un trésor essentiel mais
fragile.
S'il est nécessaire de favoriser la responsabilité des
évêques et des conférences épiscopales, Rome doit absolument conserver la
direction de tout l'apostolat. Bien entendu, comme le
rappelle le concile, l'apostolat peut être pratiqué par toute personne
baptisée, sans qu'il soit besoin d'un mandat hiérarchique. À cause de
la diversité des opinions sur des questions graves, de la perte des valeurs
et de la désorientation des esprits provoquées par le relativisme, nous
commettrions un grave péché contre l'unité du Corps du Christ et de la
doctrine de l'Eglise en donnant aux conférences épiscopales une autorité ou
une capacité de décision sur des questions doctrinales, disciplinaires,
morales. « II convient de tendre, disait Pie XII lors d'un discours aux
évêques en novembre 1954, vers plus d'uniformité dans la façon de gouverner
; on évite ainsi l'étonnement des fidèles, qui souvent ne comprennent pas
pourquoi dans un diocèse les choses se font d'une façon et dans un autre,
peut-être voisin, tout autrement et parfois même d'une façon contraire. Il
faut renforcer aujourd'hui ces relations vivantes et fréquentes avec le
Siège apostolique qui non seulement préservent l'unité de la foi, mais
harmonisent aussi le domaine du gouvernement et de la discipline. Cette
union, concluait Pie XII, et ces relations de circonstance avec le
Saint-Siège ne viennent pas d'une certaine volonté de tout réduire à l'unité
mais du droit divin et d'un élément propre à la Constitution de l'Église du
Christ. Et il n'en résulte pas de dommage, mais bien un avantage pour les
évêques, à qui est confié le gouvernement des divers troupeaux particuliers.
» Sur ces points, Jean-Paul II s'est clairement prononcé dans sa lettre
apostolique
Apostolos suos en forme de Motu proprio, du 21 mai 1998, en
précisant certaines normes concernant les conférences des évêques.
Selon vous, François aimerait-il assouplir le gouvernement de l'Église ?
Je pense que François veut donner aux expériences pastorales
de terrain une juste place dans la réflexion du gouvernement central de
l'Eglise. Ainsi, en choisissant un cardinal de chaque continent pour son
conseil en vue de la réforme du fonctionnement de la Curie, le pape entend
recueillir toutes les richesses du monde catholique. De même, la volonté du
pape de relancer la réflexion synodale est une heureuse initiative. En
effet, le synode doit devenir une nouvelle expérience d'Emmaüs durant
laquelle le cœur de l'Église est tout brûlant du feu des Ecritures. Car en
chacune de nos assemblées synodales, Jésus nous rejoint et chemine avec nous
vers l'auberge de la fraction du pain. Là, il révèle son visage de
ressuscité et nous renvoie pour que nous retrouvions
les autres apôtres et puissions reconstruire l'Église « in terris »,
abandonnée ou défigurée par nos ambitions déçues et nos espérances
frustrées. Dès que nous rejoignons à nouveau le Cénacle, lieu de la
première Eucharistie, Jésus nous donne alors son souffle pour annoncer au
monde qu'il est vivant. La petite espérance, comme disait Charles Péguy, se
ravive alors en nous.
Quels sont aujourd'hui, à votre avis, les signes les plus préoccupants
pour l'avenir de l'Eglise ?
Je considère que la difficulté actuelle est triple et une
tout à la fois : le manque de prêtres, les carences dans la formation du
clergé et la conception souvent erronée du sens de la mission.
Il existe une tendance missionnaire qui met l'accent sur
l'engagement ou la lutte politique, sur le développement socio-économique ;
cette approche fait une lecture diluée de l'Évangile et de l'annonce de
Jésus. La baisse numérique des prêtres, les déficits
de leurs engagements missionnaires et une inquiétante carence de vie
intérieure, faute d'une vie de prière et de fréquentation des sacrements,
peuvent conduire à couper les fidèles chrétiens des sources auxquelles ils
devraient s'abreuver. J'ai parfois le sentiment que les séminaristes et les
prêtres ne sont pas suffisamment appliqués à nourrir leur vie intérieure en
la fondant sur la Parole de Dieu, l'exemple des saints, sur une vie
d'oraison et de contemplation, tout enracinée en Dieu seul. Il existe une
forme d'appauvrissement, de dessèchement, qui vient de l'intérieur même des
ministres du Seigneur. Bien souvent
Benoît XVI et François ont dénoncé le carriérisme au niveau du clergé.
Récemment, en s'adressant à différentes communautés universitaires, le pape
François a prononcé des paroles fortes : « Votre engagement intellectuel,
disait-il, dans l'enseignement et dans la recherche, dans l'étude et dans la
formation au sens large, sera d'autant plus fécond et efficace qu'il sera
davantage animé par l'amour pour le Christ et pour l'Église, que la relation
entre étude et prière sera solide et harmonieuse. Ce n'est pas quelque chose
d'ancien, c'est le centre ! C'est l'un des défis de notre temps :
transmettre le savoir et en offrir une clef de compréhension vitale, et non
une accumulation de notions sans lien entre elles. »
La
formation adéquate des séminaristes,
axée sur la maturation de la foi et portant à une adhésion personnelle au
Christ, demeure fondamentale. Le monde d'aujourd'hui ainsi que nos sociétés
égocentriques et changeantes nous dispersent par leur agitation. Nous sommes
encombrés de trop de possessions ; si nous désirons créer, pour les
séminaristes, une ambiance
favorable à la rencontre avec le Christ, le silence et la construction
de l'homme intérieur sont indispensables. La question est d'autant
plus grave qu'elle est presque invisible. Il est loisible de se pencher sur
les séminaires qui, dans un certain nombre de pays, en particulier en
Occident, ne sont plus suffisamment pourvus. Mais, si ce problème est
incontestable, le point sensible est ailleurs.
En fait, un vrai séminaire doit être une école qui conduise
au « torrent de Kerit » (1 R 17, 1-6), à la source de la Parole de
Dieu, un lieu où l'on apprenne à construire une véritable vie intérieure.
L'homme façonné par cette école pour devenir prêtre se prépare à bien prier
pour mieux parler de Dieu, car on ne peut trouver les mots sur Dieu qu'après
L'avoir rencontré et avoir tissé des liens personnels avec Lui... La prière
est toujours première. Sans la vitalité de la prière, le moteur du prêtre et
celui de l'Église, par voie de conséquence, tourne au ralenti.
Nous devons joindre à la prière un travail continu sur
nous-mêmes. L'Eglise est uniquement faite pour adorer et prier. Ceux qui
sont le sang et le cœur de l'Eglise doivent prier, ou ils dessécheront le
corps entier de l'institution voulue par le Christ. C'est pourquoi les
séminaristes, les prêtres et les évêques ne peuvent qu'entretenir une
relation personnelle avec Dieu. Si dès les débuts, et tout au long des
années de formation au séminaire, ce rapport d'intimité avec Jésus n'est pas
solidement établi, les séminaristes risquent de devenir de purs
fonctionnaires ; et le jour de leur ordination, ils ne seront pas percutés
jusqu'aux entrailles, ils ne percevront pas la gravité et les conséquences
des Paroles que Jésus leur adresse : « Non jam dicam servos, sed amicos
» (« Je ne vous appelle plus serviteurs
[...] mais je vous appelle amis») (Jn 15,
15). L'enjeu est simple : il en va de l'identification et de la
configuration au Christ. Ainsi, notre vouloir sacerdotal et la volonté de
Dieu doivent coïncider toujours plus parfaitement. Nous pourrons dire, comme
le Christ : « Que ce ne soit pas ma volonté mais la
tienne qui se fasse » (Lc 22, 42 ; Mc 14, 36).
Bien sûr, la formation intellectuelle, théologique,
philosophique, exégétique et les diplômes sont importants, mais le trésor ne
réside pas dans la science... Le vrai trésor, c'est notre amitié avec Dieu.
Sans un sacerdoce selon le cœur de Dieu, lavé des modes humaines, l'Eglise
n'a pas d'avenir. Je ne minimise pas le rôle du peuple des baptisés, du
peuple de Dieu. Mais par la volonté de Dieu, ces âmes sont confiées à des
prêtres. Si ces derniers obéissent à des règles purement humaines, sans la
charité du Ciel, l'Église perdra le sens de sa mission. Les crises dans
l'Église, si graves soient-elles, ont toujours leurs origines dans une crise
du sacerdoce.
II y a donc les livres d'un côté, et la prière de l'autre ?
Certes non. Mais la vie intérieure est sans conteste la
lumière et le sel de la vie des prêtres. Il ne s'agit pas de négliger la
préparation intellectuelle des séminaristes. Pourtant, cet aspect ne doit
pas être la seule et unique préoccupation.
Un prêtre qui a intériorisé sa vie sacerdotale est soucieux
de communiquer de manière compréhensible sa rencontre avec Dieu. Il sera
capable de parler simplement. Certains ont tellement intellectualisé et
compliqué le message chrétien qu'une grande partie du peuple n'est plus
touchée ni intéressée par l'enseignement de l'Eglise. Dieu n'est pas un
raisonnement, car le Père est dans le cœur de chaque homme. C'est là qu'il
nous attend pour se révéler à nous : « Mais voilà, tu étais au-dedans de moi
quand j'étais en dehors, et c'est dehors que je te cherchais ; dans ma
laideur, je me précipitais sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi,
et je n'étais pas avec toi », écrit
saint Augustin
dans ses Confessions. Les Pères de l'Église savaient s'exprimer de façon
touchante et réussissaient à convertir les populations au Christ. Par des
phrases sensibles et de belles images, ils ne faisaient que communiquer
leurs propres expériences spirituelles.
Aujourd'hui encore, les pasteurs doivent pouvoir être compris
de leurs brebis. Nous sommes instamment invités à suivre le grand exemple
que nous donne le pape François, avec son langage simple, concis et direct.
Un christianisme hermétique et qui se prétend « scientifique » serait un
christianisme dévoyé. Et pourtant, combien de formules sûres d'elles-mêmes,
creuses et arrogantes, entendons-nous si souvent dans nos églises...
Désormais, l'unité de l'Église est menacée au plan de la
doctrine révélée, car nombreux sont ceux qui considèrent leur propre opinion
comme la véritable doctrine !
Une des grandes difficultés actuelles
se trouve dans des ambiguïtés ou des déclarations personnelles sur des
points doctrinaux importants qui peuvent conduire à des opinions erronées et
dangereuses. Ces errements désorientent beaucoup de fidèles. Sur des
questions très graves, il existe parfois des réponses contradictoires
apportées par le clergé et des théologiens. Comment le peuple de Dieu ne
peut-il pas être perturbé par de tels comportements ? Comment les baptisés
peuvent-ils être certains de ce qui est bon ou mauvais ? La
confusion sur la véritable direction à prendre est la plus grande maladie de
notre époque.
L'Église est sainte dans son mystère. Mais si elle ressemble
à une tour de Babel, il n'y a aucune chance qu'elle
parvienne à relever le grand défi du relativisme contemporain. Nous
pouvons remercier Benoît XVI d'avoir su discerner avec acuité ce qu'il
nommait la «
dictature du relativisme ». À rebours du subjectivisme ambiant, l'Église
doit savoir dire la vérité, avec humilité, respect et clarté. Je pense que
les hommes, comme les arbres, ont besoin de racines qui puissent s'alimenter
à la meilleure terre, laquelle est tout simplement l'héritage et la
tradition millénaire du christianisme. La variété des opinions dans une
société inondée d'informations ne saurait faire oublier la tradition
multiséculaire de l'Église. La meilleure manière de comprendre et de
transmettre, c'est la vie intérieure en Dieu !
Les hommes qui ont reçu une responsabilité de Dieu lui-même à
travers leurs vocations ne doivent pas se perdre car il s'agirait d'une
trahison sans commune mesure. Dieu ne nous a pas demandé de créer des œuvres
personnelles mais de transmettre la foi. Les hommes de Dieu sont des
passeurs, et non des interprètes ; ce sont des messagers fidèles et des
intendants des mystères chrétiens. Beaucoup sera demandé à qui aura beaucoup
reçu.
Avez-vous parfois le sentiment que les fidèles sont désorientés ?
Si je prends l'exemple de la nouvelle évangélisation voulue
par Jean-Paul II, je constate que nous sommes tous d'accord sur la nécessité
de redonner un élan à notre vitalité missionnaire. Par contre, quand il
s'agit de comprendre le sens de l'application de l'Evangile dans la vie
concrète, les désaccords pointent à l'horizon. Nous sommes très divisés
entre catholiques sur ce qui est un bien moral ou ce qui ne l'est pas.
C'est Dieu seul qui devrait être notre référence. Pourtant,
il y a un grand malaise. Sur des questions internes à l'Église, nous avons
des conceptions différentes de la liturgie qui vont jusqu'à susciter le
rejet mutuel, l'hostilité, voire une guerre froide.
Or, il s'agit de rendre un culte à Dieu. Nous devrions donc être
particulièrement unis.
Nous sommes trop souvent opposés, chacun enfermé dans sa
petite chapelle. Quand l'idéologie prend la place de l'adoration, comment ne
pas déceler le symptôme préoccupant d'une crise à la profondeur insoupçonnée
? Si nous sommes écartelés, à quoi correspond la nouvelle évangélisation à
laquelle nous semblons tous si attachés ? Si la nouvelle évangélisation
signifie un retour authentique vers le Christ, pourquoi tant
d'éparpillements, tant d'opinions divergentes, tant de visions politisées ?
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Sources : Extraits de la deuxième partie "Dieu
ou rien - Entretien du cardinal Sarah avec Nicolas Diat -
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 25.04.2023
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