Voilà comment Benoît XVI dialogue
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Cité du Vatican, le 25 avril 2008 -
(E.S.M.)
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En France, une mosquée embauche un juif. Au Bangladesh, chrétiens et
musulmans dialoguent à l'université. La lettre des 138 trouve un écho à
Moscou, à Genève et à Bruxelles. Entretemps, Benoît XVI explique ce qu'il
entend par dialogue interreligieux.
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Voilà comment Benoît XVI dialogue
Juifs, musulmans, chrétiens. Les dernières nouvelles du chantier du dialogue
En France, une mosquée embauche un juif. Au Bangladesh, chrétiens et
musulmans dialoguent à l'université. La lettre des 138 trouve un écho à
Moscou, à Genève et à Bruxelles. Entretemps, Benoît XVI explique ce qu'il
entend par dialogue interreligieux
par Sandro Magister
Il y a un mois, le roi Abdallah d’Arabie Saoudite
avait lancé l’idée d’organiser des rencontres entre musulmans, chrétiens et
juifs. Cette proposition a été mise en pratique de façon surprenante en
France.
L'imam Hassan Chalghoumi, chef de la communauté islamique de Drancy
(Seine-Saint-Denis), près de Paris, a engagé comme responsable des relations
extérieures un juif, Bernard Koch, qui est l’un des fondateurs de l’"Amitié
judéo-musulmane de France". La nomination a eu lieu à la mosquée de Drancy
en présence d’autres représentants du judaïsme français. “L’Osservatore
Romano“ du 23 avril a donné beaucoup d’importance à cette nouvelle.
En outre, le théologien musulman Aref Ali Nayed – signature capitale de la
célèbre lettre adressée à Benoît XVI et à d’autres leaders chrétiens par 138
personnalités musulmanes – a annoncé dans une interview parue dans le numéro
d’avril du mensuel italien “Jésus“:
“Nous travaillons actuellement sur un document destiné à nos frères et sœurs
juifs. Nous voudrions produire un texte significatif aux points de vue
théologique et spirituel, pour aider à améliorer les rapports entre nos deux
communautés qui, dans un passé pas si lointain, par exemple pendant
l’inquisition espagnole, ont prospéré et ont souffert ensemble“.
* * *
En ce qui concerne le dialogue avec les chrétiens, la
lettre des 138
musulmans a reçu deux réponses faisant autorité, après celle de l’Eglise de
Rome.
La première réponse est venue le 20 mars du Conseil Œcuménique des Eglises,
l’organisme œcuménique basé à Genève qui regroupe quelque 349 Eglises et
dénominations chrétiennes de 110 pays, orthodoxes et protestantes.
Le COE a répondu à la lettre des 138 “Une parole commune entre nous et vous“
par un document intitulé “Apprendre à explorer l’amour ensemble“.
Ce document demande la création d’un groupe mixte pour “organiser une série
de consultations entre leaders, chercheurs et fidèles musulmans et
chrétiens. Ils réfléchiront à des points de compréhension réciproque,
travailleront à une plate-forme théologique et éthique pour de futures
initiatives communes et établiront de nouveaux moyens pour explorer
davantage les questions de foi et de vie dans les deux communautés“.
La deuxième réponse est venue, à la mi-avril, d’Alexis II, patriarche
orthodoxe de Moscou et de toutes les Russies.
Le patriarche demande dès maintenant que le dialogue interreligieux respecte
l’identité de chaque interlocuteur, pour éviter d’arriver à un dangereux
syncrétisme. Selon lui, pour être fructueux le dialogue doit s’instaurer sur
deux plans: “au niveau doctrinal, sur des questions importantes comme Dieu,
l’homme, le monde“; à un niveau plus pratique, sur “la défense du rôle de la
religion dans la vie sociale, la lutte contre la xénophobie et l‘intolérance
et la promotion d’initiatives communes de paix“.
Parmi les défis que musulmans et chrétiens doivent relever ensemble, Alexis
II donne la priorité à “la vision antireligieuse du monde, qui vise à
dominer toutes les sphères de la vie sociale et à instaurer une nouvelle
morale, contraire à la morale traditionnelle des religions“.
* * *
Par ailleurs, le 18 avril, une rencontre intitulée “un appel commun:
musulmans et chrétiens“ a réuni des représentants des deux religions à
Dhaka, au Bangladesh.
La rencontre, au cours de laquelle la lettre des 138 et le message de
réponse de l’Eglise de Rome ont été examinés, a été organisée par le
professeur Kazi Nurul Islam, professeur à l’université de Dhaka, en
collaboration avec la conférence des évêques catholiques du Bangladesh.
A l’université, le professeur islam a créé et dirige un département consacré
aux religions du monde entier. Les principales religions sont enseignées par
des professeurs qui pratiquent la foi qu’ils enseignent. Un prêtre
catholique diplômé en théologie enseigne le christianisme. Il en va de même
pour l’islam, l’hindouisme, le bouddhisme et le judaïsme. Un cas unique dans
le monde musulman.
La veille de la rencontre, Kazi Nurul Islam a accordé l’interview suivante à
“L’Osservatore Romano“ daté du 17 avril 2008:
Q. – Professeur Islam, comment est née cette initiative?
R. – Les chrétiens et les musulmans appartiennent, comme les juifs, à la
famille d’Abraham. Mais malheureusement, pour des raisons historiques, nos
relations ont souvent été très froides. Il est temps maintenant que les
chrétiens et les musulmans commencent à travailler ensemble. Les fidèles de
ces deux grandes religions forment plus de 50% de la population mondiale.
Nous, les croyants, avons tous la responsabilité historique d’apporter notre
contribution à la paix dans le monde. Personnellement, je pense que nous ne
pouvons sûrement pas effacer le passé ou modifier l’histoire, mais nous
pouvons modeler le futur et créer un avenir meilleur, un monde plus
fraternel pour les générations futures. A partir de là, j’ai commencé à
réfléchir à la manière dont les chrétiens et les musulmans peuvent
travailler ensemble pour la paix. Il est clair qu’au moins ici, au
Bangladesh, nous n’avons pas de gros problèmes dans les rapports entre
chrétiens et musulmans. Pendant des siècles, nous avons vécu en harmonie.
Aujourd’hui, nous devons protéger et préserver cette relation et essayer de
mieux nous comprendre pour adresser au monde un message commun. Voilà la
vraie raison pour laquelle nous travaillons tous ensemble à la réussite de
cette rencontre.
Q. – Quel est le programme de la rencontre entre chrétiens et musulmans à
Dhaka?
R. – Deux intellectuels musulmans prononceront des discours d’ouverture
devant les participants à cette rencontre. Ils seront suivis par deux
intellectuels chrétiens. Ces discours servent à exposer clairement chacune
des positions. La session plénière est ensuite divisée en dix groupes mixtes
paritaires. Ils discuteront des thèses de l’Eglise romaine et de celles des
138 intellectuels musulmans. Viendront ensuite les synthèses finales des
discussions. Deux rencontres ont déjà eu lieu afin de préparer la session
plénière du 18 avril. Le 7 mars, les 35 représentants musulmans se sont
réunis et ont discuté sur les moyens d’améliorer les relations avec les
chrétiens; ils ont passé en revue les principaux problèmes entre les
croyants des deux religions et les raisons pour lesquelles les musulmans
sont souvent incompris dans les pays chrétiens. Le 8 mars, nos frères
chrétiens, réunis en nombre égal, ont débattu entre eux des moyens
d’améliorer les rapports avec les musulmans. Pendant l’élaboration de cette
rencontre, nous avions envisagé une déclaration finale commune. Aujourd’hui,
nous nous rendons compte qu’il nous faut plus de temps. Il faut organiser au
Bangladesh un forum où les chrétiens et les musulmans puissent continuer à
se rencontrer et à discuter pour aboutir par la suite à une déclaration
commune. J’espère que cet objectif sera atteint d’ici à la fin de cette
année. Cette déclaration commune sera la base de la paix entre chrétiens et
musulmans au Bangladesh et dans le monde entier.
Q. – Comment les Bengalis ordinaires perçoivent-ils cette rencontre entre
chrétiens et musulmans?
R. – Une grande majorité des habitants n’a pas la culture nécessaire pour
comprendre la réelle signification de cette rencontre. Mais ils se rendent
bien compte que quelque chose est en train de se produire. Les médias
diffusent les informations avant tout grâce aux nouvelles technologies –
Internet et les téléphones portables – désormais à la portée d’un nombre
croissant de personnes. Ainsi, beaucoup de gens ont appris l’existence de
cette rencontre entre chrétiens et musulmans. Abstraction faite de la
manière dont la nouvelle est interprétée, je peux vous dire que beaucoup de
gens pensent que nous sommes au début d’une nouvelle époque dans les
rapports entre chrétiens et musulmans. Bien entendu, nombreux sont ceux qui
espèrent que ces rapports deviennent plus amicaux.
Q. – Les 35 représentants musulmans appartiennent-ils tous à la tendance
modérée et aux classes les plus cultivées de la société du Bengladesh?
R. – Quand nous avons proposé à des représentants musulmans et chrétiens de
participer à la rencontre, nous avons tenu compte des différentes tranches
d’âge, professions et convictions, pour que le dialogue ne soit pas
déséquilibré. Nous avons donc choisi aussi quelques représentants de groupes
radicaux. Délibérément. Il est de notre devoir de connaître leur manière de
penser et de leur offrir, à eux aussi, la possibilité de s’exprimer dans un
contexte de rencontre et de dialogue.
Q. – Pourquoi avez-vous choisi, comme premier sujet de discussion, le
document des 138 intellectuels musulmans et la réponse de l’Eglise de Rome?
R. – Nous gardons un très bon souvenir du pape Jean-Paul II. Il a instauré
le dialogue interreligieux de manière très sérieuse. Avec Benoît XVI, en
revanche, il y a eu un malentendu initial. De nombreux musulmans du monde
entier ont élevé la voix pour protester contre certaines affirmations. Par
la suite, une mise au clair a calmé les esprits. Nous souhaitons qu’il n’y
ait plus, à l’avenir, de malentendus entre chrétiens et musulmans à cause
des mots. J’espère que l’on comprendra qu’il y a beaucoup plus de points
communs que de vraies différences entre les chrétiens et les musulmans.
Q. – Les communautés chrétiennes qui vivent dans des pays majoritairement
musulmans font parfois l’objet d’attaques qui, dans les cas les plus
extrêmes, peuvent dégénérer en épisodes de violence. Que ressentez-vous
lorsque vous entendez ce type de nouvelles?
R. – Souvent, les musulmans n’ont pas un grand respect pour les communautés
chrétiennes. Personnellement, j’éprouve une grande tristesse quand j’entends
des frères et des sœurs musulmans parler contre les chrétiens. Ce n’est pas
bien de notre part. Comme ce n’est pas bien d’oublier le passé. Alors que le
prophète Mahomet était encore en vie, les musulmans ont commencé à être
persécutés par les infidèles, qui ont tué un grand nombre de nouveaux
convertis. Alors, le prophète a envoyé un grand nombre de convertis en
Ethiopie qui, déjà à cette époque, était un pays chrétien. L’empereur
d’Ethiopie leur a proposé sa protection et les convertis n’ont plus été
massacrés par les infidèles. Les musulmans ne devraient jamais oublier ces
événements. Bien sûr, beaucoup d’aspects de notre histoire commune n’ont pas
été positifs mais nous devons nous rappeler surtout ce qu’il y a eu de
positif pour pouvoir continuer à avoir des bonnes relations même en cette
période difficile.
Q. – Le terrorisme de la part de groupes extrémistes musulmans n’a pas
disparu. Face à ces violences, vous sentez-vous aussi personnellement
inquiet?
R . – Oui, je me sens personnellement inquiet à cause des terroristes. Aucun
terrorisme ne peut se dire musulman, car pour moi l’enseignement de l’islam
ne peut encourager aucune forme de terrorisme. Selon le Coran, le meurtre
d’un innocent équivaut à tuer tout le genre humain. De même, sauver un être
humain équivaut au salut de l’humanité toute entière. Celui qui suit le
véritable enseignement de l’islam ne peut pas être un terroriste. Cependant,
il faut reconnaître que certains groupes terroristes sont soutenus par des
milieux qui se définissent comme musulmans. Je ne dis pas cela pour faire
plaisir aux chrétiens. Je le dis aussi pendant mes cours à l’université et
dans des séminaires avec des étudiants musulmans. Je l’écris aussi dans mes
articles qui paraissent dans la presse. Les terroristes ne sont que des
terroristes et je pense qu’ils ne sont pas dignes d’appartenir au genre
humain. On ne peut pas justifier la violence par la religion.
* * *
Enfin, un comité réunissant des catholiques et des protestants du Conseil
des Conférences des évêques d’Europe (CCEE) et de la Conférence des Eglises
Européennes (KEK) a rencontré des représentants musulmans du 17 au 20 avril
à Esztergom, en Hongrie, pour préparer une conférence européenne entre
chrétiens et musulmans qui aura lieu du 20 au 23 octobre 2008 à Malines et
Bruxelles. Sujet: “Etre citoyen européen et croyant. Chrétiens et musulmans
partenaires actifs dans les sociétés européennes“.
La conférence de Malines-Bruxelles s’ouvrira sur la présentation des points
de vue chrétien et musulman sur le sujet. Ensuite, les participants
travailleront en séminaires sur les points suivants:
– le rôle des religions dans les sociétés séculières;
– la religion entre institution et foi personnelle;
– Comment chrétiens et musulmans se voient les uns les autres; comment
promouvoir le respect et la compréhension réciproques par l’éducation;
– Construire des ponts; les défis qui se présentent à nos communautés.
Lors de la rencontre préparatoire à Esztergom, qui a été accueillie par le
cardinal Péter Erdö, primat de Hongrie et président du CCEE, deux documents
en phase d’élaboration ont également été discutés. Le premier porte sur les
phénomènes de violence au nom de la religion. Le second, sur les
conséquences de la présence musulmane sur la vie des Eglises en Europe et
sur la formation du clergé et des responsables pastoraux. Il est prévu que
ces documents seront rendus publics au début de 2009.
De plus, quatre séminaires sur "Islam, christianisme et Europe" – également
organisés par le CCEE et la KEK, ainsi que par la Konrad Adenauer Stiftung
et par des représentants musulmans – figurent sur l’agenda du Parlement
Européen.
Le premier a eu lieu à Bruxelles le 17 avril. L’imam Tareq Oubrou, recteur
de la mosquée al-Houda de Bordeaux, a pris la parole, entre autres. Il a
déclaré que les musulmans ont beaucoup à apprendre du christianisme en ce
qui concerne le sécularisme et la modernité et qu’ils devraient faire
confiance à l’expérience des chrétiens à ce sujet.
L’un des orateurs chrétiens a été le père Ignace Berten, dominicain,
fondateur de l’association "Espaces" de Bruxelles. Il a indiqué que le
christianisme a l’avantage d’avoir su interpréter ses textes religieux dans
leur contexte historique, ce qui lui permet de distinguer la foi de fond et
ce qui est lié à la culture: une distinction que les musulmans ont du mal à
faire.
Le deuxième des quatre séminaires aura lieu le 29 mai et les deux autres
d’ici à la fin de l’année.
Pendant ce temps, voilà comment Benoît XVI dialogue
Pendant son voyage aux Etats-Unis, du 15 au 21 avril, Benoît XVI s’est rendu
dans une synagogue à New York et a rencontré, à Washington, quelque 200
représentants d’autres religions, dont l'islam.
A ces derniers, il a expliqué que le dialogue interreligieux “cherche plus
qu’un consensus pour faire progresser la paix“. L’objectif principal du
dialogue est “celui de découvrir la vérité“ et de faire vivre dans le cœur
de tous les hommes les questions les plus profondes et les plus
essentielles.
Benoît XVI a alors poursuivi:
“Confrontés à ces questions les plus profondes à propos de l'origine et de
la destinée du genre humain, les chrétiens proposent Jésus de Nazareth. Il
est – c’est notre foi – le Logos éternel, qui s’est incarné pour réconcilier
l'homme avec Dieu et révéler la raison qui est à la base de toutes les
choses. C’est Lui que nous portons au forum du dialogue interreligieux.
L'ardent désir de suivre ses traces pousse les chrétiens à ouvrir leurs
esprits et leurs cœurs au dialogue“.
Et d’ajouter:
“Chers amis, en cherchant à découvrir nos points communs, nous avons
peut-être négligé la responsabilité que nous avons de discuter de nos
différences avec calme et clarté. [...] L’objectif le plus important du
dialogue interreligieux demande un exposé clair de nos doctrines religieuses
respectives“.
C’est nous qui soulignons. Le pape ne pouvait pas dire plus clairement
comment il conçoit le dialogue interreligieux.
Sources : La chiesa.it
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 24.04.2008 -
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