Réflexions sur le mystère et la vie
de l’Église : Si tout est grâce, il n’y a plus de grâce |
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Le 25 janvier 2010 -
(E.S.M.)
- Les distinctions sont essentielles, surtout en un temps où la
gnose est
l’alternative
évidente à la
réalité de foi.
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Jésus et Pierre, détail
du Lavement des pieds, Giotto dans la chapelle des Scrovegni, Padoue
Réflexions sur le mystère et la vie
de l’Église : Si tout est grâce, il n’y a plus de grâce
Par le cardinal Georges Cottier, op, théologien émérite de la Maison
pontificale
Le 25 janvier 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- À peine plus de dix ans se sont écoulés depuis la signature de la
Déclaration conjointe entre catholiques et luthériens sur la doctrine de la
justification, c’est-à-dire sur la question autour de laquelle s’est
consommé le schisme de la Réforme protestante. Le 31 octobre 1999, après un
examen attentif de la part de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi,
l’actuel cardinal Walter Kasper et le secrétaire général de la Fédération
luthérienne mondiale, Ishmael Noko, ont signé le document qui atteste un
consensus entre luthériens et catholiques sur des vérités fondamentales
concernant la doctrine de la justification. Benoît XVI, rappelant le dixième
anniversaire de la signature, a répété à l’Angélus, lors de la fête de la
Toussaint, que ces vérités « nous conduisent au cœur même de l’Évangile
et à des questions essentielles de notre vie ». « Nous avons été
accueillis et rachetés par Dieu; », poursuit-il, « notre existence
s’inscrit dans l’horizon de la grâce, elle est guidée par un Dieu
miséricordieux, qui pardonne nos péchés et nous appelle à une nouvelle vie à
la suite de son Fils; nous vivons dans la grâce de Dieu et nous sommes
appelés à répondre à son don ». [NDLR : A ce propos, nous apprenons que
dans l’après-midi du 14 mars 2010, le Saint-Père Benoît XVI se rendra pour
la première fois de son pontificat dans la paroisse évangélique luthérienne
de Rome, 27 ans après la visite effectuée par Jean-Paul II le 11 décembre
1983. Confirmée par le Vatican, cette visite programmée à 16h30 devrait
durer un peu plus d’une heure. Le pape y rencontrera les quelque 350 fidèles
de cette Eglise dont beaucoup sont Allemands.]
En effet, si l’on relit la Déclaration ainsi que les textes
d’éclaircissement qui l’accompagnaient, on y trouve des énoncés clairs et
efficaces sur la façon dont la foi chrétienne se communique dans le monde.
Une citation de saint Thomas d’Aquin présentée dans l’Annexe résume ainsi le
cœur de la vie chrétienne: «La grâce crée la foi non seulement lorsque la
foi naît dans une personne mais aussi longtemps que dure la foi»
(« Gratia facit fidem non solum quando fides de novo
incipit esse in homine sed etiam quamdiu fides durat », Summa theologiae
II-II q.4 a. 4 ad 3).
Aujourd’hui, l’absolue nécessité de la grâce pour chaque moment de
l’expérience chrétienne et la dynamique propre de son action semblent avoir
disparu du débat théologique et de la prédication. On note sur ce point, au
niveau même de la pastorale ordinaire, des confusions, des ambiguïtés, des
équivoques, des méprises, qui sont les indices d’un obscurcissement général
concernant des termes et des notions élémentaires de la doctrine chrétienne
et de la vie de la foi, et qui risquent de fourvoyer le peuple de Dieu.
On note un premier niveau de confusion dans la conception répandue que la
grâce divine est une donnée acquise a priori par chaque homme; on va même
jusqu’à identifier purement et simplement la grâce avec la lumière
intérieure de la créature humaine. C’est aussi une conception de ce genre
qui s’exprime lorsque l’on attribue une égale valeur salvifique à tous les
actes bons et à tous les chemins religieux des hommes, comme si tout ce qui
est religieux pouvait être attribué de manière univoque à l’Esprit Saint. Ou
encore lorsqu’on donne pour évidente la physionomie chrétienne d’un peuple
ou d’une nation, comme si la foi chrétienne était une sorte de substrat
religieux, déjà implicite dans telle ou telle identité ethnique, tribale ou
nationale.
Certaines identifications doivent être proposées avec discernement et sans
forcer les choses. Car on naît juif, on naît musulman, mais on ne naît pas
chrétien. On devient chrétien, par le baptême et par la foi, comme le
reconnaissait déjà Tertullien. On ne fabrique pas des chrétiens comme on
peut susciter des sujets appartenant à d’autres religions par le seul fait
de les mettre au monde. C’est ce dont beaucoup de parents se rendent compte
aujourd’hui et dont, éventuellement, ils souffrent: il ne va pas de soi que
les enfants, même lorsqu’ils reçoivent une bonne éducation chrétienne, aient
le don de la foi. Le milieu, la catéchèse pourront être une aide. Mais
aucune condition sociologique ne peut remplacer l’attrait de la grâce, qui
appelle à soi la liberté de chacun. L’engagement personnel est demandé pour
la vie de la foi.
Les généralisations et les lieux communs qui tiennent pour acquis le don de
la grâce sont des symptômes de la méconnaissance générale de certaines
distinctions essentielles – toujours reconnues et prises en compte dans
l’enseignement et dans la pastorale de l’Église – comme celle entre l’ordre
naturel (ou ordre de la création) et l’ordre
surnaturel de la grâce. Pour saint Thomas, chaque être créé a une nature qui
le pousse vers sa propre finalité et possède la capacité de réaliser cette
fin. Cela valait aussi pour la nature humaine avant qu’elle ne fût blessée
par le péché originel. Après le péché et la chute, Dieu, par la rédemption,
non seulement a guéri la nature humaine du péché, mais il a opéré l’adoption
filiale des hommes à travers le sacrifice de son Fils unique, notre Seigneur
Jésus-Christ. Comme l’écrit saint Paul aux Galates, « quand vint la
plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la
loi, afin de racheter les sujets de la loi, afin de nous conférer l’adoption
filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans
nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père! Aussi n’es-tu plus
esclave mais fils; fils et donc héritier de par Dieu »
(Gal 4, 4-7). Cela veut dire que dans la liberté
de la rédemption opérée à travers le Christ, il y a une seconde gratuité de
Dieu, plus merveilleuse que la gratuité de la création. Dans sa condition de
créature blessée par le péché originel, l’homme fait l’expérience de son
insuffisance dans son effort pour accomplir sa finalité naturelle.
L’aspiration à l’accomplissement marque la condition humaine tout entière.
La nature même de l’homme, marquée par le péché originel, est en elle-même
un demande ouverte qui ne connaît pas sa réponse. Et la réponse que Dieu a
opérée à travers son Fils Jésus-Christ n’était pas imaginable, elle est
surabondante, elle n’était pas exigible à partir des instances inhérentes à
la nature de l’homme. Comme l’écrivait saint Paul dans la première Épître
aux Corinthiens, ce que le Seigneur a préparé pour ceux qu’il aime n’est pas
sorti du cœur de l’homme (cf. 1Co 2, 9).
Une autre déformation concernant ce que Péguy appelait «le mystère et
l’opération de la grâce» est l’habitude de voir la grâce partout, une
habitude qui semble très répandue dans le milieu ecclésiastique, même parmi
de nombreux auteurs et orateurs qui se considèrent comme des spécialistes de
questions spirituelles. Il est vrai que la petite sainte Thérèse de Lisieux
prononça elle aussi sur son lit de mort ces mots « tout est grâce »
pour exprimer son abandon dans les bras de la miséricorde divine. La même
expression se retrouve dans la dernière page du Journal d’un curé de
campagne de Bernanos. Mais souvent les expressions dont l’intention serait
d’affirmer la nécessité et la liberté de l’action de la grâce finissent par
répandre des idées trompeuses et par jeter la confusion dans les esprits.
C’est le cas de certaines rencontres ennuyeuses et formalistes, que l’on
appelle de façon rhétorique, les yeux fermés, avant même parfois qu’elles
aient commencé, des “faits de grâce”. On diffuse ainsi une image
trompeuse, comme si la grâce était une sorte de pluie qui tombe
indistinctement sur toute la réalité et qui enveloppe toute chose, ou même
un sceau imprimé par statut sur toutes les activités ecclésiastiques. Mais,
en fait, dans l’économie du salut, la promesse adressée à tous les hommes se
communique par voie sacramentelle, c’est-à-dire à travers un choix
particulier, comme le montre aussi la pratique ordinaire des sacrements dans
la vie de l’Église.
L’abus de termes et d’expressions relatives à la grâce peut avoir des
conséquences qui n’ont rien d’anodin. Récemment, dans le cadre du débat
italien sur le comportement moral des hommes politiques, on en est arrivé à
écrire (en citant une phrase d’Augustin qui n’existe pas) que «tout est
grâce, même le péché». L’évêque d’Hippone, en réalité, a écrit que « pour
ceux qui aiment Dieu, tout coopère au bien, même les péchés ».
Relativement à notre nature blessée, la grâce a un triple effet: elle
guérit, elle renforce, elle élève. Ce n’est pas le péché comme tel qui est
grâce, mais le péché, par l’intermédiaire du repentir et de la conversion,
peut être l’occasion du pardon de Dieu. Quand on avoue son péché et que l’on
demande pardon, on reconnaît sa misère et on n’a pas la tentation de
s’enorgueillir.
Est au contraire totalement étrangère à la foi chrétienne l’identification
entre la grâce et le péché, une conception perverse qui se trouve plutôt
dans le gnosticisme et dans les parodies gnostiques du christianisme. C’est
de ces théories que dérivent toutes les doctrines, modernes également, –
étudiées et décrites avec une particulière lucidité par le professeur
Massimo Borghesi – qui situent le mal en Dieu même, comme un moment
“négatif” du processus dialectique de réabsorption de toute la réalité dans
le Plérôme divin.
Une telle vision des choses, reprise des théories du cordonnier “mystique”
Jacob Böhme, se retrouve aussi chez Hegel dont l’œuvre a été qualifiée par
Karl Löwith de grande « christologie gnostique ». Mais, dans le
climat spirituel moderne, les tentatives de poser le mal comme principe
actif qui collabore à la libération de l’homme, sont innombrables. Ce sont
les théories aberrantes selon lesquelles il faut boire à la coupe
empoisonnée du mal pour dépasser la mort, parce que la lumière vient des
ténèbres, la voie du ciel passe à travers l’enfer, la grâce arrive par
l’intermédiaire du péché, la rédemption s’obtient à travers la perversion et
le monde se sauve à travers l’erreur. L’idée de fond est que Dieu est
l’unité des contraires. Le bien et le mal sont tous deux en Dieu et viennent
tous deux de Dieu, car sans contraires il n’y a pas de progrès. Sans
Lucifer, il n’y a pas de libération, il n’y a pas de salut.
Ce n’est pas un hasard si, se référant à la gnose, le philosophe juif Martin
Buber écrivait: « C’est elle – et non l’athéisme, qui annule Dieu parce
qu’elle doit refuser les images qui jusqu’à présent ont été données de lui –
qui est le véritable ennemi de la réalité de la foi ».
Sources : 30giorni
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 25.01.2010 -
T/Eglise
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