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Benoît XVI : Le concept de la primogéniture
acquiert une dimension cosmique
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Le 23 mars 2023 -
E.S.M.
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L'homme de la bienveillance c'est Jésus. Il l'est parce qu'il
est totalement tourné vers le Père, il vit en regardant vers lui et
en communion de volonté avec lui. Les personnes de la bienveillance
sont donc des personnes qui ont l'attitude du Fils — des personnes
conformes au Christ.
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Bartolomé Esteban Murillo
(1617-1682), L'Adoration des bergers -
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Benoît XVI nous parle de Jésus, la splendeur cosmique
Or il advint,
comme ils étaient là [à Bethléem], que les jours furent accomplis où elle
devait enfanter. Elle enfanta son fils premier-né, l'enveloppa de langes et
le coucha dans une mangeoire, parce qu'ils manquaient de place dans la salle
» (Lc 2, 6-7).
Commençons notre commentaire par les derniers mots de cette
phrase : « ils manquaient de place dans la salle
». La méditation, dans la foi, de ces paroles a trouvé dans cette
affirmation un parallélisme intérieur avec la parole, riche de contenu
profond, du Prologue de saint Jean : « II est venu
chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli » (Jn 1, 11).
Pour le Sauveur du monde, pour Celui en vue duquel tout a été créé (cf.
Col 1, 16), il n'y a pas de place. « Les renards
ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l'homme,
lui, n'a pas où reposer la tête » (Mt 8, 20). Celui qui a été
crucifié hors de la porte de la ville (cf. Hé 13, 12) est né aussi
hors de la porte de la ville.
Cela doit nous faire réfléchir, nous renvoyer au renversement de valeurs
qu'il y a dans la figure de Jésus-Christ, dans son message. Depuis sa
naissance il n'appartient pas à ce milieu qui, selon le monde, est important
et puissant. Mais justement cet homme insignifiant et sans pouvoir se révèle
comme le vraiment Puissant, comme celui, en fin de compte, dont tout dépend.
Fait donc partie du devenir chrétien le fait de sortir
de ce que tous pensent et veulent - des
critères dominants -, pour entrer dans la
Lumière de la Vérité sur notre être et rejoindre le juste chemin avec cette
lumière.
Marie couche son enfant nouveau-né dans une mangeoire (cf.
Lc 2, 7). On en a déduit, avec raison, que Jésus était né dans une
étable, dans un milieu peu accueillant - on serait tenté de dire : indigne
-, qui, quoi qu'il en soit, offrait la discrétion nécessaire pour le saint
événement. Dans la région autour de Bethléem, on utilisait depuis toujours
des grottes comme étable (cf. Stuhlmacher, p. 51).
Déjà chez Justin martyr (mort en 165) et chez Origène (mort
vers 254), nous trouvons la tradition selon laquelle le lieu de la naissance
de Jésus aurait été une grotte, que les chrétiens de Palestine indiquaient.
Le fait que Rome, après l'expulsion des juifs de Terre sainte au IIe
siècle, a transformé la grotte en un lieu de culte à Tammuz-Adonis,
entendant par là évidemment supprimer la mémoire cultuelle des chrétiens,
confirme l'antiquité de ce lieu de culte et montre aussi son importance dans
la considération romaine. Souvent les traditions locales sont une source
plus sûre que les informations écrites. On peut donc reconnaître une grande
valeur de crédibilité à la tradition locale de Bethléem, à laquelle se
rattache aussi la basilique de la Nativité.
Marie enveloppa l'enfant de langes. Sans aucun
sentimentalisme, nous pouvons imaginer avec quel amour Marie sera allée à la
rencontre de son heure, aura préparé la naissance de son Fils. La tradition
des icônes, selon la théologie des Pères, a aussi interprété théologiquement
la mangeoire et les langes. Le petit enfant étroitement enveloppé dans les
langes apparaît comme un renvoi anticipé à l'heure de sa mort : il est
depuis le commencement l'Immolé, comme nous le verrons encore plus en détail
en réfléchissant sur la Parole à propos du premier-né. Ainsi, la mangeoire
était représentée comme une sorte d'autel.
Augustin a interprété la signification de la mangeoire par
une pensée qui, dans un premier temps, apparaît presque inconvenante, mais
qui, examinée plus attentivement, contient au contraire une profonde vérité.
La mangeoire est le lieu où les animaux trouvent leur nourriture. Cependant,
dans la mangeoire est à présent couché celui qui s'est désigné lui-même
comme le vrai pain descendu du ciel — comme la vraie nourriture dont l'homme
a besoin pour son être de personne humaine. Il est la nourriture qui donne à
l'homme la vraie vie, la vie éternelle. De cette façon, la mangeoire devient
un renvoi à la table de Dieu, à laquelle l'homme est invité, pour recevoir
le pain de Dieu. Dans la pauvreté de la naissance de Jésus est esquissée la
grande réalité, dans laquelle se réalise de façon mystérieuse la rédemption
des hommes.
La mangeoire renvoie - comme on a dit - aux animaux, pour
lesquels elle est le lieu de la nourriture. Ici, dans l'Évangile, on ne
parle pas d'animaux. Mais la méditation guidée par la foi, lisant l'Ancien
et le Nouveau Testament reliés entre eux, a bien vite comblé cette lacune,
en renvoyant à Isaïe 1, 3 : « Le bœuf connaît son possesseur, et
l'âne la mangeoire de son maître, Israël ne connaît pas, mon peuple ne
comprend pas. »
Peter Stuhlmacher note que probablement la version grecque de
Habacuc 3, 2 eut aussi une certaine influence : « Au milieu des deux
êtres vivants... tu seras connu ; quand sera venu le temps, tu apparaîtras »
(cf. Die Geburt des Immanuel..., p. 52). Par les deux êtres vivants
on entend évidemment les deux Chérubins qui, selon Exode 25, 18-20,
sur le couvercle de l'arche d'alliance, indiquent et en même temps cachent
la mystérieuse présence de Dieu. Ainsi la mangeoire deviendrait d'une
certaine façon l'arche d'alliance, dans laquelle Dieu, mystérieusement
gardé, serait au milieu des hommes, et devant laquelle pour « le bœuf et
l'âne », pour l'humanité composée de juifs et de gentils, l'heure de la
connaissance de Dieu serait arrivée.
Dans l'étonnant lien entre Isaïe 1, 3, Habaquq 3,
2, Exode 25, 18-20 et la mangeoire apparaissent donc les deux animaux
comme représentation de l'humanité sans intelligence qui, devant l'Enfant,
devant l'humble apparition de Dieu dans l'étable, arrive à la connaissance
et, dans la pauvreté de cette naissance, reçoit l'épiphanie qui apprend
maintenant à tous à voir. L'iconographie chrétienne a cultivé très tôt ce
thème. Aucune représentation de la crèche ne renoncera au bœuf ni à l'âne.
Après cette petite digression, revenons au texte de
l'Évangile. On y lit : « Marie enfanta son fils premier-né » (Lc 2,
7). Qu'est-ce que cela signifie ?
Le premier-né n'est pas nécessairement le premier d'une série
continue. Le mot « premier-né » ne renvoie pas à une numération qui se
poursuit, mais indique une qualité théologique exprimée dans les recueils de
lois d'Israël les plus anciens. Dans les prescriptions pour la Pâque se
trouve la phrase : « Le Seigneur parla à Moïse et lui dit : "Consacre-moi
tout premier-né, prémices du sein maternel, parmi les Israélites. Homme ou
animal il est à moi" » (Ex 13, 1-2). « Tous les premier-nés de l'homme,
parmi tes fils, tu les rachèteras » (Ex 13, 13). Ainsi la parole sur
le premier-né est même déjà un renvoi anticipé au récit suivant sur la
présentation de Jésus au Temple. De toute manière, par cette parole on
indique une appartenance particulière de Jésus à Dieu.
La théologie paulinienne a développé ultérieurement la pensée
au sujet de Jésus comme premier-né en deux étapes. Dans la Lettre aux
Romains, Paul appelle Jésus « le premier-né d'une
multitude de frères » (8, 29) : depuis qu'il est ressuscité,
il est maintenant de façon nouvelle « premier-né » et en même temps le
premier d'une multitude de frères. Dans la nouvelle naissance de la
Résurrection, Jésus n'est plus seulement le premier selon la dignité, mais
celui qui inaugure une nouvelle humanité. Depuis la destruction de la porte
d'airain de la mort, ils sont maintenant nombreux à pouvoir passer avec lui
: tous ceux qui dans le Baptême sont morts et ressuscites avec lui.
Dans la Lettre aux Colossiens, cette pensée est encore
élargie : le Christ est appelé le « premier-né de
toute créature » (1, 15) et le «
premier-né d'entre les morts » (1, 18). « Tout a été créé par
lui et pour lui » (1, 16). « II est le principe
» (1, 18). Le concept de la
primogéniture acquiert une dimension cosmique. Le Christ, le Fils
incarné, est, pour ainsi dire, la première idée de Dieu et précède toute
création, laquelle est ordonnée en vue de lui et à
partir de lui. Avec cela il est aussi principe
et fin de la nouvelle création qui a commencé avec la Résurrection.
Chez Luc on ne parle pas de tout cela, mais pour les lecteurs
postérieurs de son Evangile - pour nous -, dans la pauvre mangeoire de la
grotte de Bethléem se trouve déjà cette splendeur
cosmique : ici le vrai premier-né de l'univers est arrivé au milieu
de nous.
« II y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux
champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L'ange du
Seigneur se tint près d'eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa
clarté » (Lc 2, 8-9). Les premiers témoins du grand événement sont
des bergers qui veillaient. On a beaucoup réfléchi sur la signification que
peut avoir le fait que justement des bergers ont reçu le message les
premiers. Il ne me semble pas nécessaire d'engager beaucoup de sagacité sur
cette question. Jésus est né hors de la ville dans un environnement de
pâturages où les bergers conduisaient leurs troupeaux. Il était donc normal
que ce fussent eux, parce qu'ils étaient les plus proches de l'événement,
qui fussent appelés les premiers à la mangeoire.
Naturellement, on peut tout de suite développer l'idée :
peut-être que non seulement extérieurement, mais aussi intérieurement, ils
vivaient plus près de l'événement que les citadins qui dormaient
tranquillement. Intérieurement aussi ils n'étaient pas loin du Dieu qui se
fait petit enfant. Cela correspond au fait qu'ils faisaient partie des
pauvres, des âmes simples, que Jésus aurait bénies, surtout parce que
l'accès au mystère de Dieu leur est réservé (cf. Lc 10, 21 sq.}. Ils
représentent les pauvres d'Israël, les pauvres en général : les
destinataires privilégiés de l'amour de Dieu.
Un accent supplémentaire fut ensuite apporté, surtout par la
tradition monastique : les moines étaient des personnes qui veillaient. Ils
voulaient être éveillés en ce monde - déjà par leur prière nocturne, mais
ensuite veiller surtout intérieurement, être ouverts à l'appel de Dieu à
travers les signes de sa présence.
Enfin, on peut encore penser au récit du choix de David comme
roi. Saul, en tant que roi, avait été rejeté par Dieu. Samuel est envoyé à
Bethléem chez Jessé, pour oindre comme roi un de ses fils que le Seigneur
lui aurait indiqué. Aucun des fils qui se présentent devant lui n'est celui
qui est choisi. Il manque encore le plus jeune, mais celui-ci fait paître le
troupeau, explique Jessé au prophète. Samuel le fait rappeler du pâturage
et, selon l'indication de Dieu, il oint le jeune David « au milieu de ses
frères » (cf. 1 S 16, 1-13). David vient d'auprès des brebis qu'il
fait paître, et il est constitué pasteur d'Israël (cf. 2 S 5, 2). Le
prophète Michée regarde vers l'avenir lointain et annonce que de Bethléem
sortirait celui qui, un jour, ferait paître le peuple d'Israël (cf. Mi 5,
1-3 ; Mt 2, 6). — Jésus naît parmi les bergers. Il est le grand Berger des
hommes (cf. 1 P 2, 25 ; Hé 13, 20).
Revenons au texte du récit de Noël. L'ange du Seigneur se
présente aux bergers et la gloire du Seigneur les enveloppe de lumière. «
Ils furent saisis d'une grande crainte » (Lc 2, 9). Cependant
l'ange dissipe leur crainte et leur annonce « une
grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd'hui vous est
né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David
» (Lc 2, 10 sq.). II leur est dit que, comme signe, ils
trouveront un petit enfant enveloppé de langes, couché dans une mangeoire.
« Et soudain se joignit à l'ange une troupe nombreuse de
l'armée céleste, qui louait Dieu, en disant : "Gloire à Dieu au plus haut
des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance" » (Lc
2, 13-14). L'évangéliste dit que les anges « parlent ».
Mais pour les chrétiens il était clair depuis le début
que la parole des anges est un chant, dans lequel se fait perceptiblement
présente toute la splendeur de la grande joie qui leur est annoncée.
Et ainsi, à partir de ce moment, le chant de louange
des anges n'a plus jamais cessé. Il continue à travers les siècles sous des
formes toujours nouvelles et dans la célébration de la naissance de Jésus il
résonne toujours sur un mode nouveau. On peut comprendre ainsi que le
simple peuple des croyants a par la suite aussi entendu chanter les bergers,
et, jusqu'à aujourd'hui, dans la Sainte Nuit, il s'unit à leurs mélodies,
exprimant par le chant la grande joie que celui-ci donne depuis lors à tous
jusqu'à la fin des temps.
Mais qu'ont chanté les anges, selon le récit de saint Luc ?
Ils unissent la gloire de Dieu « au plus haut des cieux » à la paix des
hommes « sur la terre ». L'Église a repris ces paroles et en a composé tout
un hymne. Dans les détails, cependant, la traduction des paroles de
l'ange est controversée.
Le texte latin qui nous est familier était rendu ainsi
jusqu'à un temps récent : « Gloire à Dieu au plus haut
des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »
Cette traduction est refusée par les exégètes modernes - non sans de bonnes
raisons - comme unilatéralement moralisante. La « gloire de Dieu »
n'est pas une chose que les hommes peuvent produire («
Que soit gloire à Dieu »). La « gloire » de Dieu existe, Dieu
est glorieux, et c'est vraiment
un motif de joie : la vérité existe, le bien existe, la beauté existe. Ces
réalités sont - en Dieu - de façon indestructible.
Plus importante est la différence dans la traduction de la
seconde partie des paroles de l'ange. Ce qui, jusqu'à il y a peu de
temps, était rendu par « hommes de bonne volonté » est exprimé maintenant dans la traduction de la Conférence
épiscopale allemande par : « Menschen seiner Gnade » — « hommes de sa
grâce ». Dans la traduction de la Conférence épiscopale italienne on parle
d'« hommes, qu'il aime ». Alors, on peut s'interroger : quels sont les
hommes que Dieu aime ? Y en a-t-il aussi que Dieu n'aime pas ? Est-ce qu'il
ne les aime pas tous comme ses créatures ? Que veut donc dire l'ajout : «
que Dieu aime » ? On peut aussi se poser une question similaire devant la
traduction allemande. Qui sont les « hommes de sa grâce » ? Existe-t-il des
personnes qui ne sont pas dans sa grâce ? Et si oui, pour quelle raison ? La
traduction littérale du texte original grec donne : paix aux « hommes de
[sa] bienveillance ». Ici aussi demeure naturellement la question : quels
hommes sont dans la bienveillance de Dieu ? Et pourquoi ? Eh bien, pour la
compréhension de ce problème, nous trouvons une aide dans le Nouveau
Testament. Dans le récit du baptême de Jésus, Luc nous raconte que, alors
que Jésus était en prière, le ciel s'ouvrit et vint du ciel une voix qui
disait : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis
ma bienveillance » (Luc 3, 22). L'homme
de la bienveillance c'est Jésus. Il l'est parce qu'il est totalement tourné
vers le Père, il vit en regardant vers lui et en communion de volonté avec
lui. Les personnes de la bienveillance sont donc des personnes qui ont
l'attitude du Fils — des personnes conformes au Christ.
Derrière la différence entre les traductions il y a, en
dernière analyse, la question de la relation entre la
grâce de Dieu et la liberté humaine. Ici deux positions extrêmes sont
possibles : tout d'abord l'idée de l'exclusivité absolue de l'action de
Dieu, si bien que tout dépend de sa prédestination ; à l'autre extrême, une
position moralisante selon laquelle, en fin de compte, tout se décide selon
la bonne volonté de l'homme. La traduction précédente qui parlait des hommes
« de bonne volonté » pouvait être en ce sens mal comprise. La nouvelle
traduction peut être mal interprétée dans le sens opposé, comme si tout
dépendait uniquement de la prédestination de Dieu.
Tout le témoignage de la Sainte Ecriture ne laisse aucun
doute sur le fait qu'aucune des deux positions extrêmes n'est juste.
Grâce et liberté se compénètrent mutuellement, et nous ne pouvons pas
exprimer le fait d'opérer l'une dans l'autre au moyen de formules claires.
Il reste vrai que nous ne pourrions pas aimer si d'abord nous n'étions aimés
de Dieu. La grâce de Dieu nous précède toujours,
nous embrasse et nous soutient. Mais il reste vrai
aussi que l'homme est appelé à participer à cet amour, il n'est pas
un simple instrument, privé de volonté propre, de la toute-puissance de Dieu
; il peut aimer en communion avec l'amour de Dieu ou il peut aussi refuser
cet amour. Il me semble que la traduction littérale - « de la
bienveillance » (ou « de sa bienveillance ») —
respecte mieux ce mystère, sans le dissoudre dans un sens unilatéral.
En ce qui concerne la gloire au plus haut des cieux, ici, à
l'évidence, le verbe « est » est déterminant : Dieu
est glorieux, il est la Vérité indestructible, la Beauté éternelle. C'est la
certitude fondamentale et réconfortante de notre foi. Il existe toutefois
ici aussi - selon les trois premiers Commandements du Décalogue - de façon
subordonnée, une tâche pour nous : nous engager afin que la grande gloire de
Dieu ne soit ni entachée ni défigurée dans le monde ; afin que, à sa
grandeur et à sa sainte volonté, soit rendue la gloire qui leur est due.
Maintenant, cependant, nous devons encore réfléchir sur un
autre aspect du message de l'ange. Les catégories de fond qui caractérisent
la perception de soi et la vision du monde propres de l'empereur Auguste y
reviennent : sõter (sauveur), paix, œkoumène - ici, bien sûr,
élargies au-delà du monde méditerranéen et référées au ciel et à la terre ;
et, enfin, aussi la parole sur la bonne nouvelle (euangélion). [ndlr
:Du latin
evangelium (« évangile ») emprunté au grec ancien εὐαγγέλιον ,
euangélion)
Ces parallélismes ne sont certainement pas fortuits. Luc veut nous dire : ce
dont l'empereur Auguste a eu la prétention pour lui, est réalisé de façon
plus élevée dans le petit enfant, qui est né sans défense et sans pouvoir
dans la grotte de Bethléem et dont les hôtes ont été de pauvres bergers.
Reiser souligne avec raison qu'au centre des deux messages se
trouve la paix, et qu'en cela la pax Christi n'est pas nécessairement
en opposition avec la pax Augusti. Mais la paix du Christ dépasse la
paix d'Auguste comme le ciel domine la terre
(p. 460).
La comparaison entre les deux genres de paix ne doit donc pas être vue de
façon unilatéralement polémique. Auguste, en effet, « a porté pour deux cent
cinquante ans une paix, une sécurité juridique et un bien-être, dont
aujourd'hui beaucoup de pays de l'ancien Empire romain peuvent seulement
rêver » (ibid., p. 458).
À la politique sont absolument laissés son propre espace et sa propre
responsabilité. Cependant, là où l'empereur se divinise et revendique des
qualités divines, la politique dépasse ses propres limites et promet ce
qu'elle ne peut accomplir. En réalité, même à l'âge d'or de l'Empire romain,
la sécurité juridique, la paix et le bien-être n'étaient jamais hors de
danger, ni jamais pleinement réalisés. II suffit de jeter un regard sur la
Terre sainte pour reconnaître les limites de la pax romana.
Le Royaume annoncé par Jésus est de caractère différent. Il
n'intéresse pas seulement le bassin méditerranéen ni seulement une époque
déterminée. Il intéresse l'homme dans la profondeur de son être ; il l'ouvre
au vrai Dieu. La paix de Jésus est une paix que le
monde ne peut donner (cf. Jn 14, 27). En dernière analyse, il
s'agit ici de ce que signifient rédemption, libération et salut. Une chose
est évidente : Auguste appartient au passé ; Jésus-Christ au contraire est
le présent et il est l'avenir : « le même hier et
aujourd'hui et pour les siècles » (Hé 13, 8).
« Et il advint, quand les anges les eurent quittés [...] que
les bergers se dirent entre eux : " Allons jusqu'à Bethléem et voyons ce qui
est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître." Ils vinrent donc en
hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire »
(Lc 2, 15 sq.). Les bergers se hâtèrent. De manière analogue
l'évangéliste avait raconté que Marie, après l'allusion de l'ange à la
grossesse de sa parente Elisabeth, se rendit « en hâte » vers la ville de
Juda où vivaient Zacharie et Elisabeth (cf. Lc 1, 39). Les
bergers se hâtèrent certainement aussi par curiosité humaine, pour voir la
grande chose qui leur avait été annoncée. Mais sûrement étaient-ils aussi
pleins d'élan à cause de la joie du fait que maintenant était vraiment né le
Sauveur, le Messie, le Seigneur, dont tout était en attente et qu'ils
avaient pu voir les premiers.
Quels sont les chrétiens qui se
hâtent aujourd'hui, quand il s'agit des affaires de Dieu ?
Si quelque chose mérite la hâte
- veut
peut-être encore nous dire tacitement l'évangéliste -,
ce sont justement les choses de Dieu.
L'ange avait indiqué comme signe aux bergers qu'ils
trouveraient un petit enfant enveloppé de langes et couché dans une
mangeoire. Cela est un signe de reconnaissance : une description de ce qu'on
pouvait constater avec les yeux. Ce n'est pas un « signe » dans le sens où
la gloire de Dieu se sera rendue évidente, si bien qu'on aurait pu dire
clairement : celui-ci est le vrai Seigneur du monde.
Rien de cela. En ce sens, le signe est en même
temps aussi un non-signe : la pauvreté de Dieu est son vrai signe. Mais pour
les bergers, qui avaient vu la splendeur de Dieu sur leurs pâturages, ce
signe était suffisant. Ils voient de l'intérieur. Ils voient ceci : ce que
l'ange a dit est vrai. Ainsi les bergers s'en retournent avec joie. Ils
glorifient et louent Dieu pour ce qu'ils ont entendu et vu (cf. Lc 2,
20).
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.03.2023
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